La fille aux yeux rouges
J’allais à la bibliothèque pendant les heures de travail de Josh.
Je m’installais généralement dans une alcôve à l’étage situé juste au dessus du bureau de Joshua. C’était idéal car je ne le perdais jamais de vue et j’étais à l’abri des regards indiscrets. Je tirais les rideaux de la fenêtre derrière moi et allumais la lampe pour la lecture même si mes yeux n’avaient pas besoin de lumière pour lire.
Josh m’apportait les livres dont j’avais besoin ainsi je n’avais pas besoin de me lever et de me balader parmi les étudiants. Je ne respirais pas, je ne regardais pas les gens autour de moi et j’écoutais en continu mon lecteur MP3.
Au début, je ne faisais que lire et prendre des notes.
Puis, peu à peu, au fil des semaines, je commençais à me lever, pour aller chercher moi-même des livres. Toutefois, je tentais de rester discrète. Comme je ne pouvais pas porter mes lunettes des soleil à l’intérieur, je devais me déplacer en prenant bien soin de toujours regarder le sol. Mes yeux étaient toujours rouge sombre et je désespérais de les voir revenir à une couleur normal.
Quelquefois, des personnes essayaient de me parler, souvent de garçons, je m’esquivais toujours très rapidement en prenant bien soin de ne regarder personne dans les yeux. La plupart du temps, j’entendais à peine ce qu’il me disait tellement le volume de mes écouteurs étaient forts. Néanmoins, je ne comprenais pas ce qui poussaient ces garçons à venir me parler. Certains voulaient carrément m’inviter à sortir, d’autres à manger un morceau à la caféteria. Je finis par me demander s’il ne s’agissait pas d’un pari consistant à sortir avec la fille la plus repoussante du campus. Après tout les garçons étaient si bêtes à cet âge.
Je devais donc sans cesse me surveiller. Je ne pouvais pas me permettre le moindre faux-pas. Je cessais donc de m’intéresser aux livres de vampires de peur que quelqu’un ne remarque mes lectures.
De toute façon, mes recherches étaient vaines. Tout ce que j’avais appris d’intéressant c’était que l’ennemi héréditaire des vampires était le loup garou. Cette information était reprise dans bon nombre de livres, mais je n’avais aucune preuve de l’existence de ces créatures. Aucun des bouquins qui traitaient des vampires n’était réellement sérieux. Mais lire était distrayant, la vie était distrayante. Aussi, je continuais à venir.
_ « Je ne savais pas que Jane Austen avait écrit sur les vampires ! » me lança un jour Josh alors qu’il venait de me surprendre en flagrant délit de désintérêt total pour mes recherches.
_ « Il faut parfois savoir lire entre les lignes »
_ « Si tu le dis. Sinon tu as pensé à faire des recherches sur internet ? »
_ « Ben, euh, … il y a toujours plein de monde près des ordinateurs. » expliquai-je.
_ « Tu n’as qu’à aller dans la salle des micro-films, il y a un ordinateur connecté mais personne ne pense jamais à aller là bas. »
_ « Ok ok » soupirais-je
_ « Tiens, c’est le code pour entrer et sortir » me dit-il en me tendant un bout de papier.
_« Je finis mon chapitre et j’y vais »
_ « Je n’aurais jamais cru que tu aurais pu être un jour passionné par Jane Austen. » murmura-t-il en s’éloignant sachant pertinemment que je l’entendrais.
Une fois mon chapitre terminé, je me dirigeais à contre-coeur vers la salle des micro-films. J’étais pratiquement sure que je ne trouverais rien sur internet.
Heureusement, la salle était vide. Je m’installais sur l’ordinateur et commençait à tapoter divers mots clés sur le moteur de recherche quand une jeune fille entra dans la pièce. Je la regardais du coin de l’œil tandis qu’elle se dirigeait vers le fond de la pièce pour s’asseoir devant une machine à micro-films.
J’avais cru qu’avec l’entrainement de Joshua je pourrais résister à ce genre de situation. Mais je me rendais compte que le monstre était toujours là en moi et le fait d’être enfermé dans une pièce avec cette jeune fille l’avait réveillé. Mon estomac se contractait douloureusement et ma bouche était envahie de salive.
J’avais du mal à me concentrer sur ce que je lisais sur mon écran. A nouveau, des pensées meurtrières m’assaillaient. Je m’imaginais m’avancer doucement derrière la jeune fille. Je savais qu’elle ne m’entendrait pas, je pouvais être si discrète parfois. Je me pencherais vers sa nuque et … Je serrais les dents. Il fallait que je sorte de cette pièce avant que le monstre me possède une fois de plus.
Je me levais d’un geste brusque et fit tomber ma chaise bruyamment. Le bruit fit sursauter la jeune fille qui se retourna vers moi, le regard intrigué. Le pire était que je n’avais même pas eu à sentir son odeur pour que se déclenche en moi cette faim dévorante.
Je me dirigeais vers la porte d’un pas rapide mais la porte semblait être bloquée. Je la forçais donc avec l’énergie du désespoir et, dans un craquement sonore, la porte s’ouvrit à la volée. Alors que je me précipitais hors de la salle, je percutais brutalement un étudiant qui se tenait juste derrière la porte.
Je levais mes yeux vers lui pour m’excuser rapidement mais la beauté du visage que je découvris me rendit muette. Le jeune homme était blond et avait de beaux yeux dorés, il me regardait avec un mélange de surprise et d’appréhension. L’échange de regard avait duré une fraction de seconde, je me détournais rapidement espérant qu’il n’avait pas remarqué la couleur de mes yeux.
En retournant vers ma place, je tachais de conserver une allure normale même si j’avais envie de courir me cacher sous une table. J’avais complètement oublié ce maudit code, voila pourquoi la porte avait refusé de s’ouvrir. J’avais dû détruire le verrou et une bonne partie du chambranle. Et le garçon avait sans aucun doute vu mes yeux d’où l’expression sur son visage. En quelques secondes, j’avais commis deux énormes bourdes devant de nombreux témoins. Je me maudissais d’avoir été si stupide.
Une fois à l’abri dans l’alcôve où quelques minutes auparavant je lisais tranquillement Jane Austen, je tentais d’attirer l’attention de Joshua en lui faisant des petits signes discrets mais ce dernier ne regardait pas du tout dans ma direction. Une personne lui parlait et lui désignait un endroit. Je crus que j’allais m’évanouir quand je compris qu’on lui parlait de l’incident. Je vis, totalement atterrée, mon frère se diriger vers la salle des micro-films.
Les gens allaient forcément se demander comment une fille avait fracassé une porte verrouillée à main nue. Je ne pourrais peut être plus jamais remettre les pieds à la bibliothèque. Tandis que je continuais à me maudire intérieurement, je sentis que quelqu’un m’observait.
De l’autre côté de la salle, entre deux rangées de livres, l’étudiant aux yeux dorés me regardait intensément. Ca ne m’avait pas frappé sur le coup, peut être à cause de sa blondeur, mais je remarquais maintenant qu’il était très pâle. Cela dit, beaucoup d’étudiant étaient pâle, ici, surtout à cause du manque de sommeil et de mauvaises habitudes alimentaires.
Maintenant que je le voyais de loin, je pouvais apprécier l’ensemble de sa personne. Il était habillé avec élégance. On pouvait deviner sous ses habits griffés un corps parfaitement sculpté.
Si je n’avais pas déjà bloqué ma respiration, j’en aurais eu le souffle coupé.
Je baissais les yeux. Il fallait que je me ressaisisse. Il était beau, certes, plus beau que la moyenne, c’était certain, mais il demeurait humain. Une fragile humain à qui je pourrais faire du mal si je ne me contrôlais pas.
Je lui jetais à nouveau un coup d’œil, il me regardait toujours. Ce devenait vraiment gênant. Il n’avait pas l’air si fragile que ça. D’ailleurs, quand je l’avais percuté, il n’avait même pas bougé. J’avais rebondi sur lui comme si je m’étais écrasée contre une pierre.
Un courant glacé me parcourut la colonne vertébrale. J’étais sure que je lui étais rentré dedans plus brutalement que l’aurait fait une fille normale. Et s’il avait été un jeune homme normal il aurait dû au minimum vacillé sous l’effet de l’impact. Pourtant, il n’avait pas bougé. C’est moi qui avais « rebondi » contre lui.
En plus, en réfléchissant bien, il était « très » pâle, plus pâle que ces étudiants qui dorment peu et mangent mal. Non, il était plutôt pâle comme moi.
Je relevais les yeux vers lui mais il avait disparu. Je secouais la tête. Comment avais-je pu envisager deux secondes que c’était un vampire ? Mes recherches m’étaient montées à la tête. C’était vraiment ridicule. D’ailleurs, excepté la pâleur, il n’avait rien en commun avec moi. Il n’avait rien d’un affreux monstre et ses yeux étaient dorés, pas rouges.
_ « Est-ce que je peux savoir ce que tu as fabriqué ? » me demanda une voix furibonde, interrompant mes réflexions.
_ « Josh ! Je suis vraiment désolée. J’ai perdu les pédales. »
Je lui expliquais piteusement ce qui s’était passé en évitant de lui raconter mon fantasme de l’étudiant vampire. L’idée avait beau être ridicule, le doute s’était installé en moi.