La fille aux yeux rouges

Chapitre 10 : CHAIR FRAICHE

Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/07/2009 19:30

Je ne décolérais pas.  J’aurais dû lui détruire sa jolie voiture pour lui faire ravaler son sourire.

Et puis, pour ne rien arranger, la colère me rendait maladroite. J’en étais à mon deuxième bol de sang, le premier ayant explosé entre mes doigts parce que je l’avais tenu un peu trop fort. J’avais dû éponger le liquide qui s’était répandu par terre, ce qui m’avait énerver encore plus.

Un peu plus tôt, j’avais pris une douche et là aussi j’avais explosé les bouteilles de shampooing à cause de ma poigne. Je lâchais juron sur juron. Toutes mes maladresses m’avaient retardées et je voulais retrouver mon frère au plus tôt pour tout lui raconter.

Enfin, quand j’eus fini mon bol, je partis rejoindre Josh. Connaissant son emploi du temps par cœur, j’attendis devant sa salle de classe. Incapable de rester immobile, je faisais les cent pas devant la porte.

Après une attente qui me parut interminable, le cours prit fin et Josh sortit enfin. Il avait l’air crevé et quand il me vit, une expression soucieuse se dessina sur son visage.

_ « Il faut que nous parlions » lui glissais-je discrètement.

Il acquiesça et me suivit. Nous nous installâmes sur un banc.

_ « Bon dieu, ne me dis pas que tu as quelque chose à voir avec la disparition de Desmond Harris! »

Je le regardais, interloquée.

_ « Quoi ? »

Josh parut soulagé de voir que je ne voyais pas du tout de quoi il voulait parler.

_ « Un gars de la fraternité Alpha Delta a disparu la nuit dernière. Ils faisaient une course de bateau et Desmond est tombé dans le fleuve Connecticut. Le bateau était  près de la rive alors les autres ont pensé qu’il avait nagé jusqu’au bord. Mais personne ne l’a retrouvé. On l’a cherché toute la nuit. »

_ « Desmond est à l’hôpital. » répondis-je.

_ « Comment le sais-tu ? »

J’entrepris de lui raconter en détail la nuit passée. Je ne l’épargnais pas et lui avouais ma terrible faiblesse qui aurait pu coûter la vie de Desmond. Pendant mon récit, Josh était très concentré, je le voyais froncer les sourcils par moment, signe d’une intense réflexion.

Lorsqu’enfin, triomphante, je lui racontais comment j’avais réussi à sortir de l’emprise du vampire et à m’enfuir, il leva les yeux au soleil et lâcha un gros soupir.

_ « Quoi ? » demandais-je face à son expression affligé.

_ « Désolé mais je ne pense pas que tu y sois pour grand chose, je pense simplement qu’il t’a laissé t’échapper. »

Je le regardais bouche bée.

_ « Tu… tu crois ? »

Il roula des yeux d’un air grotesque.

_ « En tout cas, ça en a tout l’air. La question est pourquoi.  »

_ « Je suis nulle ! ! Comment vais-je arriver à te protéger s’il arrive à me faire faire n’importe quoi contre ma volonté !» me lamentais-je. « Je ne crois pas que j’arriverais à le battre … » ajoutais-je lugubrement

_ « Doucement, calme-toi. Il n’a rien tenté contre toi alors laissons lui le bénéfice du doute.»

_ « Le bénéfice du doute ? On n’a pas intérêt à douter face à lui. Si l’envie lui prend,  il peut me persuader que ça serait une super idée de tuer la moitié des étudiants du campus…» dis-je férocement.

Vraiment, Josh ne se rendait pas compte du danger que pouvait représenter ce vampire.

_ « Bon, c’est vrai que ça peut être un problème... Mais, sans lui, Desmond aurait été ta première victime. Donc je pense qu’on peut lui laisser le bénéfice du doute. Peut-être que tu devrais accepter de parler avec lui.»

_ « Quoi ? Je ne veux rien avoir à faire avec un type pareil ! » dis-je catégorique.

Il soupira.

_ « Il pourrait nous apprendre des tas de choses. » insista-t-il.

_ « Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Ta propre sœur ? Fréquenter un monstre ? »

_ «  Je te demande pas de l’épouser ! Juste lui parler. Et puis, je te signale que ce monstre est de ton espèce. Un beau jour, tu devras bien fréquenter d’autres vampires. Je ne serais pas toujours là et tu ne vas pas rester seule pour l’éternité.»

Je ne répondis rien. Mes yeux me picotaient à nouveau, mais, cette fois, la raison n’était plus la colère mais l’immense chagrin provoqué par ces dernières paroles. Je serrais les dents pour éviter de prononcer les mots que je pensais si fort. Je savais depuis longtemps que je n’avais pas l’intention de lui survivre. Mais le fait que mon frère envisage sa fin et s’inquiète de ma vie après sa mort me rendait extrêmement triste.

_  « Faut que j’aille en cours » reprit-il en regardant sa montre. « On se voit tout à l’heure ? »

_ « Je serais à la bibliothèque. » dis-je machinalement.

Il me fit un petit signe de la main et me planta là, seule avec mon chagrin.

Le cœur lourd, je retournais à la bibliothèque.

De plus en plus, je considérais cette endroit comme un refuge. Toujours pleine d’étudiants appétissants et de livres racontant les vicissitudes de la vie humaine, la bibliothèque était pourtant le refuge le plus inadapté pour une fille comme moi. Mais contre toute attente, je m’y sentais bien.  Avec toute cette humanité qui m’entourait, j’arrivais parfois à faire abstraction de ce que j’étais devenu. Quelquefois, j’oubliais.

Toutefois, ce jour-là, mon refuge avait été profané. Assis à l’endroit même où je m’asseyais chaque jour, comme si de rien n’était, le vampire semblait absorbé par sa lecture.

Abasourdie par une telle incursion, je me plantais devant lui.

A cet instant, j’aurais aimé avoir de l’esprit pour pouvoir lui lancer une pique bien sentie.

_ « Qu’est-ce que tu fiches ici ? » fut néanmoins tout ce que je trouvais à dire.

Il releva les yeux et m’adressa un sourire joyeux en me découvrant.

_ « Bonjour ! » me lança-t-il.

_ « Je t’arrête tout de suite. Si tu essaies encore de m’ensorceler, tu as intérêt à jamais relâcher ton emprise parce que sinon tu le regretteras amèrement. »

_ « C’est assez tentant. » fit-il avec une moue ultra séductrice. 

_ « Quoi ? mais … euh … oooh ! » Je tournais les talons.

Je n’étais pas du tout armé pour une conversation pleine de sous entendue avec lui. Je n’aimais déjà pas beaucoup quand les garçons adoptaient une telle attitude séductrice envers moi, alors, de sa part à lui, c’était clairement déplacé. Je ne supportais pas qu’il puisse plaisanter à propos de ce qu’il m’avait fait subir. J’avais été suffisamment humiliée comme ça la nuit dernière.

_ « Non attends ! » Il me rattrapa en bas de l’escalier. « Ne pars pas. Nous devons parler. »

Je me retournais vers lui. Il avait perdu son sourire et ses yeux d’or me transperçait de part en part. Il était encore plus beau lorsqu’il était contrarié. Les paroles de Joshua me revinrent aux oreilles.  Pourtant lorsque je le regardais, si éblouissant, si magnifique, je ne voyais pas comment nous pouvions appartenir à la même espèce. Je me demandais si quelque chose n’avait pas raté lors de ma transformation. Je n’avais pas cette beauté irréelle qui était commune aux deux vampires que j’avais rencontré jusqu’ici.  Plongée dans mes réflexions, j’en avais oublié qu’il attendait une réaction de  ma part.

_ « Pas ici. »  finis-je par dire laissant la curiosité l’emporter.

Son empressement m’intriguait. Qu’avait-il de si urgent à me dire ?

Je me détournais et me dirigeais vers la sortie. Je sentais qu’il me suivait et j’en fus satisfaite. Maintenant, j’avais le contrôle. Il y avait un banc près du bâtiment des sciences qui semblaient parfait pour y tenir une discussion discrète. Je m’y asseyais. Le vampire fit de même.

_ « Alors, de quoi veux-tu parler ? »

J’étais volontairement froide, sur la défensive.

_ «Eh bien, pour commencer, tu pourrais peut-être me dire ton prénom. »

Cette requête paraissait raisonnable.

_ « Lucy. »

_ « Quel âge as-tu ? »

J’ouvrais la bouche pour répondre lorsque je m’interrompis. Si je lui révélais que j’allais bientôt fêter mon 19e anniversaire il en conclurait que j’étais devenue vampire il y a peu. Ce qui était vrai mais je n’avais pas du tout envie qu’il le sache. Il fallait que je reste prudente et que je ne me dévoile pas trop.

_ « J’ai arrêté de compter. Et toi ? »

Il pouffa.

_ « Un peu plus de 200 ans. »

_ « Ah » fis-je d’un air faussement dégagé.

C’était un véritable choc. J’avais bien fait de ne pas lui révéler mon âge, il m’aurait pris pour une gamine. Il avait du connaître une époque où il n’y avait même pas la télé, où les gens se déplaçaient à cheval et où les femmes portaient des grandes robes longues.

_ « Dis-moi, Lucy, qu’es-tu venu faire à Darthmouth ? » m’interrompit-il

Je marchais sur des œufs. Je ne voulais pas mentionner Joshua mais je ne savais pas trop quoi répondre

_ « Eh bien, je suppose la même chose que toi. » biaisais-je.

_ « C’est à dire… »

_ « Euh… l’attrait de la chair fraîche ? »

Il éclata d’un rire sonore. Je me maudissais d’avoir été aussi stupide. Il se tenait les côtes, hilare, tandis que j’essayais de sourire comme si j’avais fait la blague exprès.

_ « Je suis venu à darthmouth pour étudier la philosophie. » fit-il une fois qu’il se fut calmé.

_ « Ah » fis-je piteusement.

Un silence gêné s’installa entre nous. Son fou rire m’avait quelque peu refroidi et j’avais trop peur de dire quelque chose qui provoquerait encore son hilarité.

_ « Je ne bois pas de sang humain. Je chasse des animaux dans la forêt. » fit-il doucement.

J’y avais songé un temps, moi aussi, mais l’idée m’avait vraiment rebuté. M’imaginer courir après une pauvre bête me paraissait tellement inhumain.

_ « Qu’est-ce que tu chasses exactement ? » demandais-je poliment sans montrer mon dégoût.

_ « Oh, eh bien, un peu de tout, des biches, des ours, des pumas… Ce n’est pas l’idéal mais ça me permet de supporter la proximité des humains. »

_ « Donc tu n’as jamais tué  personne pour te nourrir ? » demandais-je pleine d’espoir.

_ « En fait, si. Ma conversion est assez récente. Seulement quelques années. Au début, j’étais comme les autres mais j’ai fini par ne plus me supporter et j’ai décidé d’expérimenter une autre voie. »

J’étais bouche bée. Pourtant j’aurais dû m’y attendre. Ce qui était vraiment étonnant, c’était qu’il avait changé son alimentation. Mais, assise sur ce banc avec lui, je n’arrivais pas à l’imaginer en tueur sanguinaire. En 200 ans d’existence, le nombre de ses victimes devait s’élever à de milliers de personnes. J’étais assise à côté d’un assassin au visage angéligue. Je frémis. Jasper le remarqua et fronça les sourcils.

_ « Je bois aussi du sang d’animal. » fis-je rapidement pour lui cacher ma peur.

_ « Ah bon ? » dit-il en affichant un sourire espiègle. « Je croyais que tu aimais la chair fraîche ? »

_ « C’était juste pour rire ! » me défendis-je.

_ « Bien sûr » acquiesça-t-il avec un sourire narquois. « Et où chasses-tu ? » reprit-il.

_ « En fait, je ne chasse pas. J’achète du sang de bœuf à la boucherie et je le fais réchauffer au micro-ondes. » dis-je rapidement.

Il me lança un regard si horrifié que je pensais un instant avoir commis un crime.

_ « Et c’est bon ? » demanda-t-il l’air dégoûté.

_ « Non. Mais ça me permet de tenir le coup. »

_ « Ah » fit-il dubitatif. Je saisis de suite l’allusion à la nuit dernière. « Nous pourrions chasser ensemble si tu veux ? »

_ « Ah non ! » fis-je rapidement.

_ « Pourquoi ? » s’étonna-t-il.

_ « Je n’aime pas trop la chasse. »

L’ébahissement se dessina sur son visage. Il me regardait la bouche ouverte, prêt à dire quelque chose mais il se reprit et dit simplement « D’accord. » Mais visiblement, mon régime alimentaire le troublait au plus haut point.

_ « C’est pas si terrible, tu sais. Si tu veux je peux te faire goûter ? » lui glissais-je.

Sa mine horrifiée me fit pouffer de rire ce qui transforma son terrible rictus en sourire ravi. Toutefois, je remarquais une chose étrange. Si ce n’est son visage qui s’animait en fonction de notre conversation, aucune autre partie de son corps ne bougeait. Il était assis de façon décontracté mais totalement immobile. Avec sa peau blanche et sa beauté incroyable,  il ressemblait à une statue de marbre.

_ « Si tu ne chasse pas, que faisais-tu dans les bois cette nuit ? » dit-il en m’interrompant dans mes réflexions.

_ « J’aime bien courir. La vitesse… c’est enivrant. Enfin, d’habitude, je vais jusqu’à l’océan mais, hier, j’ai voulu changer un peu et je suis partie vers le nord. C’est en revenant que je suis tombée sur Desmond. »

Ma voix se cassa un peu sous l’effet de la honte. Lorsque je relevais la tête, je vis que Jasper m’observait intensément.

_ « Tu n’as jamais tué. » fit-il avec une pointe d’amertume.

Ce n’était pas une question, plutôt une constatation.

_ « Je ne suis pas un très bon vampire. » m’excusais-je.

_ « Tu es … hors du commun. Qui t’as transformée ? »

Je me raidis sous le coup de la question. C’était vraiment le dernier sujet que je voulais aborder avec lui.

_ « Je … Je dois y aller. » éludais-je en me levant.

Il m’imita.

_ « Est-ce que nous sommes amis  maintenant ? » demanda-t-il.

Je me retournais vers lui. Encore une fois, il me posait une colle.

_ « Je ne sais pas. Il faut que j’y réfléchisse. » répondis-je sincèrement.

Il eut un petit sourire qui anima son visage statique.

_ « D’accord. A demain alors ! »

_ « A demain. » dis-je en le plantant là.

Je repris le chemin de la bibliothèque. Josh devait s’y trouver maintenant et j’avais vraiment besoin de ses conseils avisés.

Je le localisais rapidement . Il était assis à une table absorbé par un énorme bouquin. Lorsque je tirais la chaise devant lui, il releva la tête l’air surpris.

_ « Ou étais-tu passé ? »

Je lui racontais ma conversation avec Jasper. Plus que jamais, il était mon confident et mon conseiller le plus fiable.

_ « Est-ce que vous allez vous revoir ? » demanda-t-il.

_ « Il m’a dit : à demain. »

_ « C’est bien. D’après ce que tu me dis, il a l’air sympa. »

_ « Pendant 200 ans, il a tué des gens pour se nourrir. C’est un assassin. Tu peux comprendre que j’hésite un peu à le fréquenter. »

_ « Je comprends. C’est vrai qu’en y pensant c’est un peu flippant. Mais je pense que tu devrais aller chasser avec lui. »

_ « Tu sais très bien que je déteste la chasse. »

Il leva les yeux au ciel.

_ « Est-ce que tu trouves que je ressemble à une statue ? » repris-je.

_ « Non. Tu es … normale. T’as vraiment des questions bizarres des fois ! » rigola-t-il.

Je rigolais avec lui. Nous continuâmes à discuter encore un peu puis je me décidais à le laisser travailler.

Je rentrais à la maison. J’avais besoin de réfléchir aux événements de la nuit et de la matinée. En quelques heures, j’avais failli tuer une personne et je m’étais fait un nouveau copain qui se révélait être un tueur en série.

Tôt ou tard, il me ré-interrogerait sur mon créateur. Il fallait que je trouve une histoire. De plus, s’il n’était déjà pas au courant, je ne pourrais pas lui cacher bien longtemps la présence de mon frère sur le campus. Je me rendais compte qu’il fallait que l’on parle, de manière plus sérieuse que nous l’avions fait aujourd’hui. Je n’avais posé aucune question réellement importante. Pourquoi ses yeux étaient-ils dorés et pas rouges comme les miens ? Pourquoi m’avait-il empêcher de tuer Desmond ?

J’avais voulu lui cacher mon ignorance et mes doutes pour paraître plus forte, pour l’impressionner. Résultat : j’étais passée pour une idiote.

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