La fille aux yeux rouges
Je bringuebalais depuis des heures entre les crocs de celui qui avait été pendant un bref moment mon petit ami. Plusieurs groupes de loups-garous nous avaient rejoints puis s’étaient dispersés. Leur intention était claire. Ils cherchaient à effacer notre odeur afin d’échapper à la traque des vampires qui, probablement, nous pourchassaient. Desmond changeait de direction très régulièrement et chaque fois des loups garous nous rejoignaient pour repartir quelques kilomètres plus loin.
Toutefois, un loup garou ne nous quittait jamais. Il galopait aux côtés de Desmond. Ils grondaient et grognaient comme s’ils entretenaient une conversation.
Le venin de Desmond avait envahi mon corps et je souffrais réellement. Si les autres ne me retrouvaient pas rapidement, je mourrais très probablement.
Enfin, Desmond commença à ralentir puis s’arrêta. Je pus observer le loup garou au pelage roux qui nous avait escorté jusque là. Il était énorme, encore plus gros que Desmond. Il avait des cicatrices sur tout le corps. Il était occupé à humer l’air autour de nous. Nous étions dans une clairière assez large. J’entendais un ruisseau non loin de là.
Deux nouveaux loups-garous firent leur apparition. Ils grognèrent en passant près de moi. Desmond s’éloigna d’eux et me posa sur le sol froid. Je remarquais que la neige avait disparu, signe que nous avions dû aller vers le sud.
De nouveaux loups garous nous rejoignirent. Ils arrivaient seuls ou à deux. Certains semblaient boiter. Un autre avait une longue entaille sur le flanc qui saignait abondamment. Un de ses camarades lui lécha la blessure qui se referma presque aussitôt.
La nuit touchait à sa fin.
Suivant un signal silencieux, les loups garous se regroupèrent et partirent tous dans la même direction. Desmond me ramassa à nouveau et les suivit. Je sentais plus que je ne voyais que nous étions en train d’escalader une sorte de montagne.
Enfin nous atteignîmes le sommet, Desmond me déposa doucement à terre. Nous étions sur un escarpement rocheux qui surplombait les vallées boisées autour de nous. Le point de vue était idéal pour surveiller les environs.
A l’est, les premiers rayons du soleil inondèrent le plateau où nous étions. La réaction de ma peau ne se fit pas attendre, je me mis à scintiller. Desmond et les autres loups garous me regardèrent avec stupéfaction. Seul le loup garou au pelage roux réagit. Il m’attrapa par le pied et me traîna violemment dans l’ombre d’un arbre.
Desmond jappa et grogna contre lui mais ne fit rien pour l’empêcher de m’emmener. Il essaya d’approcher de là où je me trouvais mais lui et les autres se mirent à se tordre dans tous les sens. Leur corps étaient secoués de soubresauts et se déformaient dans tous les sens. Peu à peu, dans un processus proche des meilleurs films d’horreur, ils redevinrent humains et s’écroulèrent sur le sol.
Le plateau rocailleux fut bientôt recouvert de corps nus, profondément endormi à même le sol.
Seul un homme n’était pas plongé dans la torpeur ambiante. Il se tenait près de moi. Il était plutôt petit et avait une longue chevelure rousse qui lui descendait jusque au milieu du dos. Sa propre nudité ne semblait nullement le gêner.
Il ne dit rien pendant un moment, se contentant de me regarder avec insistance.
_ « Tu souffres ? »
Oui, je souffrais. Le venin attaquait chaque parcelle de mon corps. J’avais l’impression qu’il y avait une guerre à l’intérieur de moi. Mon propre venin luttait contre celui que Desmond m’avait injecté.
_ « Non. » répondis-je en serrant les dents.
Il ricana.
_ « Tu mens. »
Il eut un petit rictus mauvais. Il me haïssait et ma souffrance le réjouissait.
_ « Vous étiez plus nombreux que prévu hier soir. Comment avez-vous appris que nous allions vous attaquer ? » reprit-il.
Voilà donc pourquoi je n’étais pas encore morte. Il voulait me soutirer des informations. Il pouvait toujours s’accrocher.
Il m’empoigna par la nuque.
_ « Parles ! » m’ordonna-t-il.
_ « Va te faire voir ! » m’énervais-je.
_ « Tu crois peut-être que tes petits copains vont venir te chercher. Je serais toi, j’abandonnerais cet espoir. Nous les avons semé il y a belle lurette. »
_ « Lâches-la ! » s’écria une voix derrière nous.
Au lieu d’obtempérer, le rouquin se remit debout sans me lâcher la nuque. Je pendais au bout de son bras comme une vulgaire poupée de chiffon. Desmond se trouvait devant nous, là encore dans le plus simple appareille.
Je commençais à trouver la situation particulièrement humiliante et gênante.
Humiliante parce qu’on disposait de ma personne sans la moindre attention. On m’avait trimballé toute la nuit comme une vieille chaussette.
Gênante parce que tous ces hommes nus me mettaient mal à l’aise. J’en avais déjà vu, bien sûr. Mon frère notamment avant sa puberté. Je savais que ce n’était vraiment pas le moment pour me montrer prude mais, quand même, j’aurais bien aimé qu’ils mettent au moins un slip.
_ « Tu n’as donc rien compris ! » s’énerva le rouquin à l’adresse de Desmond. . « Elle t’a séduit pour mieux t’utiliser. C’est ainsi que les vampires fonctionnent. Ils manipulent, mentent et séduisent. Ce sont des créatures démoniaques. »
_ « C’est faux ! Lâches-la maintenant. » répéta Desmond.
_ « Comme tu veux. » répondit le rouquin dans un sourire narquois.
Il desserra ses doigts autour de mon cou et je m’effondrais sur le sol face contre terre. Le rouquin susurra à mon oreille.
_ « Dans quelques heures, tu souffriras tellement que tu me supplieras d’abréger tes souffrances. Tu me diras alors tout ce que je veux savoir. »
Il s’éloigna. Je sentis que quelqu’un me relevait par les épaules.
_ « Lucy ! »
Desmond m’adossa contre le tronc de l’arbre sous lequel nous nous trouvions. Il essuya la poussière que j’avais sur le visage.
_ « Je suis vraiment désolé ! » fit-il d’un ton plaintif.
Je ne répondis rien. J’étais trop en colère contre lui.
_ « Je vais te sortir de là, ne t’inquiètes pas. » rajouta-t-il.
Il était assis près de moi et m’avait pris la main. Les autres hommes commençaient à se réveiller tout doucement.
_ « Je suis là parce que tu m’as trahi! » lui reprochais-je.
_ « Alpha m’a obligé. Il a lu dans mes pensées et il a pris possession de mon corps pour t’enlever. Je n’ai rien pu faire ! Il faut que tu me croies ! »
Je me méfiais de lui. Peut-être essayait-il de regagner ma confiance pour m’arracher quelques secrets.
_ « Laisses moi tranquille ! » boudais-je.
_ « Lucy ! Je t’en prie ! »
_ « Je ne veux pas te parler ! AAAh ! »
Je laissais échapper un cri alors que la douleur montait encore d’un cran.
_ « Lucy ! Que se passe-t-il ? Tu as mal ? »
_ « A ton avis ? » grinçais-je.
Il jura.
_ « J’ignorais que j’étais venimeux. C’est Alpha qui me l’a révélé en prenant possession de moi. Est-ce qu’il existe un remède ? » me demanda-t-il.
_ « Je ne crois pas non. »
_ « Qu’est ce que je peux faire alors ? »
_ « Tu peux prier. » répondis-je acide.
_ « Tu as parfaitement le droit de m’en vouloir mais laisses moi au moins t’aider. »
_ « Tu ne peux rien faire pour moi. »
_ « Je peux essayer de rejoindre ton clan. J’ai cru comprendre qu’on les avait semés loin vers l’ouest. »
Je lui jetais un coup d’œil. Il avait l’air exténué. Il avait des cernes bleutées autour des yeux et ses joues étaient creuses. Je n’étais même pas sûre qu’il puisse tenir debout.
_ « Dans ton état, tu ne ferais même pas
Il soupira et baissa la tête. J’avais visé juste.
_ « Je suis vraiment désolé. J’avais prévu de faire ce que tu m’avais dit. De courir loin d’Hanover. Mais quand je me suis transformé, je n’ai pas résisté à l’envie de m’assurer que tu étais en sécurité. J’ai été stupide. »
Il avait l’air tellement désolé qu’il me faisait de la peine.
_ « Ca va aller. On va s’en sortir. » le rassurais-je.
_ « Si ce n’est pas le cas, au moins on mourra ensemble. » dit-il sur un ton résigné.
Desmond regarda les hommes qui s’étaient regroupés au milieu du plateau autour de leur chef. Ils nous lançaient des regards mauvais et plus particulièrement vers Desmond. Je réalisais alors qu’il n’était pas des leurs. Sa relation avec moi l’avait exclu de la meute. Je me rappelais la discussion avec Edward. Il avait tenté de me prévenir et je n’avais rien écouté. A cause de moi, Desmond avait été abandonné par les siens et maintenant il était autant leur prisonnier que je ne l’étais.
_ « Oh Desmond ! » me lamentais-je.
_ « Je m’en veux tellement. » murmura-t-il.
_ « Prends moi dans tes bras. » lui demandais-je.
Il passa son bras autour de mes épaules et m’attira contre lui.
Nous restâmes dans cette position pendant un bon bout de temps. C’était une journée ensoleillée et, au gré du vent dans les branches de l’arbre contre lequel nous étions assis, ma peau lançait des reflets scintillants. Desmond trouvait ça joli.
Plus le temps passait plus la douleur devenait intolérable. Je serrais les dents pour ne pas crier.
Au bout d’un moment, le rouquin, accompagné de gros bras, vint me chercher. L’heure de l’interrogatoire avait sonné. Desmond tenta de protester mais le rouquin lui flanqua un coup de poing dans l’estomac qui le cloua au sol.
Deux hommes me faisaient tenir debout en me soutenant sous les épaules.
Le rouquin commença les hostilités en me balançant un coup de poing en plein visage.
_ « Je sais que tu n’as pas eu mal. C’était juste pour me détendre. » me confia-t-il.
_ «Tu ferais moins le malin si je n’étais pas paralysée. »
Il ricana.
_ « Je ne crois pas. Je ne ferais qu’une bouchée d’un nouveau né comme toi. »
Je grognais.
_ « Maintenant tu vas me dire tout ce que tu sais sur ces nouveaux vampires qui ont rejoint vos rangs. A quel clan avez-vous fait appel ? »
_ « Tu peux toujours te brosser, sale clébard ! »
_ « Tu n’es pas très coopérative. » regretta-t-il. « J’aurais pensé que la perspective d’une mort rapide t’aurait délié la langue. Il va donc falloir que je menace ton petit ami. »
Il empoigna Desmond et le ramena vers nous.
_ « Vous me croyez stupide ! Il est avec vous depuis le début. Je ne vais pas parler pour sauver la vie de ce traitre ! » tentais-je.
Le rouquin eut une moue déçue.
Il se rapprocha. Il tenait la tête de Desmond au creux de son coude et le bloquait contre son torse.
_ « D’accord ! » acquiesça le rouquin en haussant les épaules.
Il referma son coude tout doucement pour étouffer Desmond. Il devint tout rouge.
_ « Ne dis rien ! » m’encouragea-t-il alors qu’il suffoquait.
_ « Quel courage ! » rigola le rouquin.
Je n’avais jamais autant désiré que mon pouvoir fonctionne. Et bien sûr aucune vague de chaleur ne me parcourut. Je songeais que le venin bloquait peut-être mon pouvoir. Il fallait que je gagne du temps.
_ « Arrêtez ! » criais-je.
Le rouquin desserra un peu son étreinte.
_ « Je t’écoute. »
_ « C’est les Volturis. » dis-je à contre cœur.
Le visage du rouquin changea de couleur. Une lueur d’inquiétude traversa son regard puis il reprit contenance.
_ « Combien ? » demanda-t-il.
_ « Cinquante » exagérais-je pour lui faire peur.
_ « Pourquoi autant ? »
_ « Je ne sais pas. Je ne suis pas au courant de tout. »
_ « Qui les commande ? »
_ « Un certain Démétri. » mentis-je.
Je ne pouvais pas me risquer à révéler la présence de Caius parmi nous. Et puis je détestais Démétri. Ca ne me faisait rien de le trahir.
_ « Caius ne s’est pas déplacé ? »
_ « Non. »
_ « Pourquoi ? »
_ « J’en sais rien. Je ne suis qu’un nouveau né, on ne me dit pas tout. » me justifiais-je.
Il rumina ma réponse. D’un geste nonchalant, il balança Desmond par terre.
_ « Quels pouvoirs détenez-vous ? »
Il connaissait vraiment bien les vampires constatais-je.
_ « Des pouvoirs ? » feintais-je.
_ « Ne joues pas l’idiote. »
_ « Mais nous n’en avons pas ! » me défendais-je. « C’est pour ça qu’on a demandé aux Volturis de venir nous aider. »
Ma réponse parut le satisfaire.
_ « Ce Démétri, quel est son pouvoir ? »
_ « C’est la traque. » fis-je, ravie devant l’expression figée du rouquin.
Il fit signe aux deux malabars qui me soutenaient de me lâcher.
Il se baissa vers moi et murmura : « As-tu déjà entendu le nom de Syla ? »
_ « Non. » répondis-je honnêtement.
Il se releva sans rien dire et commença à distribuer des ordres. Il envoya des hommes se poster aux abords du plateau pour surveiller les environs. Desmond rampa jusqu’à moi. Il était dans un sale état. Il avait la lèvre inférieure fendue et son nez saignait.
_ « Ca va ? » me demanda-t-il néanmoins.
_ « Bof et toi ? »
_ « J’ai connu mieux. »
_ «Au moins, on a évité le pire. » dis-je.
J’avais parlé trop vite. Une fois ses hommes placés, le rouquin revint vers nous.
Il m’attrapa par le pied et me traîna à nouveau à l’ombre des arbres. Mon scintillement risquait d’attirer l’attention. Il fit pareil avec Desmond avec tout autant de délicatesse.
_ « A la tombée de la nuit, je me chargerais personnellement de vous. » nous promit-il en repartant vers ses hommes.
_ « Je n’aime pas du tout ce type. » me fit remarquer Desmond.