REDEMPTION
J’étais libre. Libre d’aller où je voulais. Cela avait été si soudain, si inespéré. Jusqu’au bout, j’avais vraiment cru qu’Ivan allait me tuer. Du haut des toits de Prague, j’observais la ville endormie tout en goûtant à ce sentiment de plénitude. Je n’étais plus l’ombre indissociable d’Ivan, j’existais - à défaut de vivre au sens littéral du terme – et je pouvais faire mes propres choix.
Et c’était bien là le problème. Malgré ce sentiment d’auto-satisfaction d’avoir pris en main mon existence, la question était : qu’allais-je en faire maintenant ?
Il fallait que je trouve les Cullens. Eux seuls pourraient m’aider. Si j’échouais… je ne pouvais pas échouer. J’inspecterais chaque centimètre carré de cette planète pour les trouver.
Ce serait ma quête, mon graal.
Clémence m’avait dit qu’ils vivaient sur la côte ouest des Etats-Unis, près de la frontière canadienne. Je n’aurais peut-être pas à chercher longtemps…
Je quittais donc Prague et me dirigeais vers l’ouest. Je traversais rapidement l’Allemagne et décidais de m’établir quelques jours à Bruxelles le temps de trouver un moyen de traverser l’atlantique. L’avion me semblait risqué. Au-delà de la réaction de ma peau à une exposition directe au soleil, je redoutais le passage en douane avec mes faux papiers. Je privilégiais donc une traversée par bateau.
Je me rendis donc dans une agence de tourisme et réservait une cabine sur un cargo qui partait d’Anvers quelques jours plus tard. Je convainquis assez facilement la gentille dame de l’agence de payer pour moi. Je découvrais les joies d’utiliser mon pouvoir pour autre chose que la chasse.
Puisque le départ n’était prévu que dans quelques jours, je me payais donc du bon temps dans la capitale belge. Je fis le plein de vêtements, tous gracieusement offert par les boutiques qui reçurent ma visite. J’achetais également des cartes routières des Etats-Unis et du Canada.
La veille de mon départ, je me décidais à recourir à l’inévitable. Passer 8 jours à bord d’un bateau sans m’être au préalable nourri aurait fatalement fini en massacre. Je sortis donc chasser.
Mon choix se porta sur un clochard dont le cerveau imbibé de mauvais alcool ne remarqua même pas qu’il était en train de s’éteindre. Je me sentais moins coupable de tuer des marginaux. J’avais l’impression de les soulager, quelque part. Ce n’était qu’une excuse cependant. J’en étais parfaitement consciente. Néanmoins, je devais me nourrir. Et je devais donc faire un choix. Je m’attaquais donc à des personnes âgées, des clochards ou des malades mentaux plutôt que tuer des mères de famille, des enfants ou des jeunes gens en pleine forme. C’était un choix difficile et je devais avouer que j’avais failli à de nombreuses reprises. Rien n’est plus appétissant que le sang d’un être humain jeune et en bonne santé. Mais cette époque était révolue. Loin de l’influence néfaste d’Ivan, j’étais persuadée que j’arriverais à me conformer à mes bonnes résolutions.
Toutefois, je savais que je ne me sèvrerais jamais de sang humain sans une aide extérieure. Malgré toute la bonne volonté du monde, je ne voyais pas comment résister. Mais je le désirais. Je le désirais ardemment. Plus que tout au monde, je souhaitais être débarrassée de cette culpabilité qui me dévastait lorsque je prenais une vie.
La traversée de l’Atlantique se fit sans encombre. Je ne sortis pratiquement pas de ma cabine. Lorsque les côtes des Etats-Unis furent en vue, j’empaquetais mes affaires dans des sacs plastiques que je fermis avec du ruban adhésif et fourrais le tout dans mes sacs de voyage. Le reste des voyageurs étant à l’avant du bateau pour assister à notre arrivée dans la baie de Boston, j’en profitais pour me jeter à l’eau.
Je nageais jusqu’à la côte. Une fois hors de l’océan glacé, je me déshabillais et enfilais des vêtements secs. Je ne pouvais que me féliciter de ma propre initiative. Mes affaires étaient sèches et j’avais évité les douaniers.
Prochaine étape : louer une voiture et traverser les Etats-Unis.
Quelques heures plus tard, à bord d’une Pontiac G6 flambant neuve, j’entamais mon voyage le sourire aux lèvres. Pour me payer ce petit bolide, j’avais volé 500 dollars dans une maison en centre ville. Son propriétaire prenait sa douche et avait laissé son portefeuille bien garni sur la table de la cuisine. J’aurais pu le tuer mais j’avais réussi à me retenir. Et cela expliquait mon sourire.
Je pris la direction de Cleveland, puis de Chicago. Je ne m’arrêtais que pour mettre de l’essence. J’étais poussée par un sentiment d’urgence. Cela faisait presque 10 jours que je ne m’étais pas nourri. Je savais que je ne tiendrais plus longtemps. Mais je me disais que si je trouvais les Cullens rapidement, le clochard de Bruxelles pourrait très bien être ma dernière victime.
Enfin, j’atteignis Seattle après 2 jours de voyage. Je commençais immédiatement mes recherches dans le Nord de l’Etat. La zone frontalière était recouverte d’immenses forêts sombres très giboyeuses. Il n’y avait probablement pas de meilleurs endroits pour installer un clan de vampires ne se nourrissant que d‘animaux.
Toutefois, je ne trouvais pas la moindre trace d’une quelconque présence de mes congénères. La forêt était désespérément vide, tout comme mon estomac. D’ailleurs, il n’y avait pratiquement pas d’humain dans cette région. Or Clémence m’avait dit que les Cullens vivaient parmi les hommes.
Après trois jours de recherches vaines, je me rendis à l’évidence. Je ne pouvais pas continuer sans me nourrir.
La mort dans l’âme, je retournais à Seattle.