REDEMPTION
Dix ans. Dix ans que je vivais dans une sorte de léthargie coquette et confortable. Et voila que je m’éveillais enfin. Et ce que je voyais m’atterrait. J’avais vécu toutes ces années sous la coupe d’Ivan sans protester, sans rien y trouver d’anormal. Tout ce qui comptait pour moi, c’était le sang qu’il m’apportait. Avec lui, je n’avais jamais faim. Et c’est tout ce qui avait prévalu pour moi. J’avais perdu toute dignité. Je m’étais perdue.
Je ne l’avais jamais aimé. Même pas une seconde. Et pourtant j’étais restée auprès de lui sans broncher. Parce que le monde des vampires ne se résumait qu’à lui. Parce que je ne concevais pas qu’on puisse vivre différemment.
Et puis j’ai rencontré Clémence et David. Grâce à eux, j’ai appris des tas de choses sur les autres vampires. Des choses qu’Ivan avait passées sous silence.
Clémence m’avait raconté qu’ils avaient séjourné un temps dans un clan de vampire qui ne se nourrissait que de sang d’animal.
«Mais cela n’a-t-il pas des conséquences sur leur comportement ? » lui avais-je alors demandé me souvenant des mises en garde d’Ivan.
« En fait, ils sont normaux. La vie en communauté semble plus facile pour eux. Leur alimentation semble les pacifier. Ils sont moins sujets à la colère ou à la cruauté. Ils vivent parmi les humains. Ils les côtoient, les fréquentent. » M’expliqua-t-elle.
Cette révélation fut pour moi comme un choc. Vivre parmi les humains. Ne plus être obligé de les tuer…
Depuis que mon don s’était développé, tuer devenait de plus en plus pénible. Lorsque j’usais de mon pouvoir d’envoûtement, je pouvais presque lire dans l’esprit de ma proie. Une sorte de connexion s’établissait alors entre nous. Je pouvais ressentir ses sentiments, ses espoirs et ses craintes. Je faisais un plongeon dans l’inconscient de ma victime et chaque fois, j’en ressortais un peu plus humaine. Comme si son humanité m’éclaboussait et laissait sur mon âme des tâches indélébiles.
Clémence avait ressenti mon trouble. Elle ajouta sur le ton de la confidence :
« Il accueillent tous ceux qui acceptent de se plier à leurs règles. »
Elle me fit un petit clin d’œil puis changea de sujet car Ivan vint nous rejoindre.
Clémence avait été ma seule amie depuis ma transformation. Puis elle était partie. David et elle, étaient des nomades, m’avait-elle expliqué, comme 80 % des vampires. Seule une minorité vivait en clan. Comme les Cullens.
Lorsqu’Ivan décida que nous devions retourner en Moldavie. Je sus qu’il était temps pour moi de le quitter.
Si ce n’est sa possessivité, je ne pouvais pas lui reprocher quoique ce soit. Pendant toutes ces années, il s’était toujours montré incroyablement généreux avec moi. Néanmoins, je redoutais sa réaction. J’aurais pu fuir et lui laisser un mot. Mais je lui devais une explication.
Peut-être déciderait-il de me tuer ? De toute façon, plutôt la mort que devoir continuer à vivre comme ça.
Je mis quelques affaires dans un sac de voyage, pris quelques billets et mes faux papiers tchèques.
Je le retrouvais dans le salon de l’hôtel particulier où nous avions installé nos quartiers. Il était en train de préparer notre départ.
« C’est tout ce que tu emportes ? » s’exclama-t-il en voyant mon sac.
« Oui. »
Je ne savais pas comment lui annoncer. Voyant mon expression hésitante, il se redressa et me dévisagea d’un regard glacial.
« Qu’y a-t-il encore ? » me demanda-t-il d’un ton sévère.
« Ivan… Je ne pars pas … avec toi. »
« Ah non ? »
Son ton était trop froid, trop détaché.
« Non, je te quitte. »
Ses yeux se plissèrent.
« Il en est hors de question ! » éclata-t-il soudain.
« Je ne peux plus rester auprès de toi ! Je ne supporte plus cette vie ! »
« Quelle vie voudrais-tu avoir ? Je t’ai offert tout ce que tu désirais. Et quand tu t’es lassé de la vie au château, nous sommes partis en ville. Que pourrais-tu vouloir de plus ? »
« Je veux ma liberté. »
Je ne pouvais décemment pas lui dire que je ne supportais plus de tuer des humains et que j’envisageais de rejoindre un clan de vampires qui ne se nourrissait que de sang d’animal. Il aurait probablement préféré me tuer que de me voir choisir ce chemin.
« Ta … liberté ? » répéta Ivan, hébété.
« Si tu m’aimes, laisses moi partir. » lui dis-je presque d’un ton suppliant.
« Tu ne peux pas me quitter après tout ce que j’ai fait pour toi. »
« Ivan… »
Il se rapprocha de moi et me saisit par les épaules.
« Ingrate ! Tu es à moi ! Je ne te laisserais jamais me quitter ! » Hurla-t-il.
Je le repoussais brutalement.
« Tu m’as peut-être créée mais je ne t’appartiens pas. »
Je mis mon sac sur mon épaule et pris la direction de la porte.
« Tu n’es qu’une catin ! » cracha-t-il.
Il se jeta sur moi. Son expression était effroyable. Il m’empoigna et me balança à travers la pièce. Je m’écrasais contre la paroi du mur explosant le lambris dans un fracas de tonnerre. Je me relevais aussitôt et lui lançais un regard de défi.
S’il fallait que je me batte pour ma liberté alors qu’il en soit ainsi !
Ivan se tenait au milieu de la pièce. Son visage n’était plus qu’un masque de colère.
« Tu m’as beaucoup déçu, Léonova. » lâcha-t-il.
Je fis un pas sur le côté en direction de la sortie mais Ivan fut plus rapide que moi. En l’espace d’une fraction de seconde, il fut sur moi. Il me saisit par le cou et me plaqua contre le plafond. Il serrait si fort que je crus qu’il allait m’arracher la tête. Je me cabrais pour échapper à sa poigne mais ce fut un échec. Dans un geste désespéré, je posais mes pieds sur son torse et poussais de toutes mes forces. Je réussis à le projeter violemment au sol. Sous l’effet de la surprise, il lâcha prise et je pus me libérer. Il s’écrasa sur une lourde table en chêne qui se brisa sous l’impact. Je l’entendis rugir de dépit. Avant qu’il n’ait pu totalement se relever, j’étais déjà sur lui telle une furie. J’étais dans une rage folle. Je n’avais plus qu’un désir : le mettre en pièce. Il leva un bras pour se protéger, je l’empoignais et d’un geste rageur je l’arrachais d’un coup.
J’entendis Ivan hurler et répandre un flot d’injures à mon encontre.
Je reculais d’un pas, regardant son bras dans mes mains, complètement estomaquée. Le bras s’était brisé net, à la jointure de l’épaule. Mais pas une goutte de sang n’avait coulé. Et pour cause, les chairs étaient couleur cendres et avaient l’aspect d’un béton cassé à la masse. Je n’arrivais pas à en détacher les yeux. N’étions-nous donc que de la cendre en définitive ?
Profitant de ma stupeur, Ivan se releva. Je le regardais comme si je le voyais pour la première fois. Comment avais-je pu penser qu’il pourrait ressentir encore quoique ce se soit ? Il était mort de l’intérieur. Un tas de cendres, rien de plus.
L’air mauvais, il esquissa un pas vers moi.
« N’avances pas ! Ou je le réduis en poussière. » Le prévins-je en désignant son bras.
Il grogna mais ne bougea pas.
Je ramassais mon sac tout en ne le quittant pas des yeux et me dirigeais vers la sortie.
Une fois sur le pas de la porte, j’hésitais sur la marche à suivre.
« Me pourchasseras-tu ? »
Il grogna en retroussant ses lèvres. Je soupirais. Je le regardais droit dans les yeux et me concentrais de toutes mes forces.
« Ne me pourchasses pas. » lui intimais-je avec toute l’autorité dont j’étais capable.
Je n’avais encore jamais testé mon pouvoir sur un vampire. L’expression d’Ivan changea. Il parut troublé, ses yeux se firent vagues.
Je déposais son bras arraché par terre.
« Adieu. » dis-je en disparaissant.