Une courbure de l'espace-temps (saison 4)

Chapitre 28 : The final countdown

5198 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/10/2025 09:41

Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 4, épisode 6, autour de 37:30 (au moment où Reginald parle à Abigaïl sur le banc), puis autour de 45:50 (juste après que Cinq a été convaincu de la légitimité de la Purge par les Cinq nihilistes, au Diner).


Soundtrack suggérée : Damned Anthem - The Final Countdown, puis version Europe.


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Le Métro des Timelines, en dehors du temps


*Bzzzzzzzzzz*


La mécanique bourdonnante de la machine à tatouer s'infiltre jusque dans mes os. Jusque dans mes Marigolds, qui semblent grésiller avec lui. Elle se surimprime à l'atmosphère affairée de la Station, pour un moment, qui parvient malgré tout au recoin que nous a installé Max, vaguement occulté par une bâche tendue.


"Tout va bien ?"

"T'en fais pas. Ce n'est pas mon premier".


L'aiguille que manie Ben pique, gratte, racle ma peau par petites rafales. Il n'est pas un grand professionnel, mais il sait faire de façon décente, pour un détenu ayant appris par ennui, et son tracé - au moins - est beau. Je cligne des yeux, observant le plafond strié de grilles et de gaines noires.


*Bzzzzzzzzzz*


Autour, le Métro respire : les néons clignotent, les tuyaux sifflent, l’odeur métallique du frein et de l’huile se mêle à celles de l'encre et du désinfectant. Je suis la dernière à passer pour cet étrange rituel, avant de partir pour une mission de sauvetage aux accents de dernier voyage. Et je n'ai pas peur. Parce que nous sommes tous soudés, et résolus.


"J'aimais bien ton lotus", souffle-t-il, au milieu de sa concentration. "Tout comme le sens qu'il avait".


Je le regarde, un instant sans rien dire, car Benjamin n'aurait pas dit ça. Parce qu'il n'avait jamais vu ce tatouage, ce qui est une raison suffisante en soi, mais aussi parce que le lien à ma mère et ma grand-mère que j'avais exprimé par ce motif entre mes omoplates, je ne l'ai expliqué qu'à Klaus, dans ma vie. A Klaus... et au fantôme de Ben, qu'à l'époque je ne voyais pas.


"Merci", lui dis-je seulement.


J'ignore quelle part de Ben provient de la version Sparrow et de la version Umbrella, mais je ne peux qu'apprécier l'être déterminé et calme qu'il est à présent.


"Je le ferai probablement refaire, après tout ça. Et je suis contente qu'Allison ait dit qu'il serait possible de nous réimplémenter en conservant celui-ci."


*Bzzzzzzzzzz*


J'ai été surprise, quand Ben nous a proposé ce motif, parce que je l'avais déjà vu. Au poignet des Gardiens, lors de la petite mission d’espionnage à leur QG, où j'avais suivi Diego et Luter. Un motif qui leur est certainement parvenu par une anomalie de l'espace-temps, parce que Ben l'avait griffonné - comme tant d'autres - sur ses carnets, du temps de l'Académie, puis en prison. Un motif que nous avons tous choisi collégialement, quand il nous a montré ses explorations, et dans lequel même lui se reconnaît.


Un parapluie retourné.


Parce qu'il renverse l'emblème imposé à la plupart d'entre nous et défie l'identité de leur père, il nous parle plus que tout. Le parapluie était supposé représenter la protection sacrificielle : de l'humanité par façade, en réalité celle des désirs et ambitions de Reginald. À présent, cette version brisée a des allures de fleur prête à s'ouvrir dans la rosée du matin. Ce parapluie recueille au contraire la pluie, les débris, la douleur. Et il est surtout un réservoir de nos forces.


*Bzzzzzzzzzz*


"Tu te l'es tatoué à toi-même", lui dis-je tranquillement, parce que je sais que ce n'est pas facile. Et Ben sourit en coin, sous ses cheveux qu'il coiffe maintenant sur le côté.


"J'ai eu un assistant un peu distrait, mais de bonne volonté.


Klaus et lui se retrouvent, au milieu de ces préparatifs des derniers instants, bien plus qu'à la sortie de prison de Benjamin. Plus également que dans la timeline des Sparrows. Pour la première fois, une partie du Ben que Klaus a connu est de nouveau en vie : pas une ombre dans un coin, pas une voix dans sa tête, pas un Doppelgänger irritant.


"Est-ce que tu as le souvenir d'avoir hanté Klaus toutes ces années ?"


Je viens de demander ceci avec tact, sondant aussi prudemment que je puisse l'entité composite qu'il est devenu. Il continue à s'appliquer sur mon tatouage, retend un peu la peau de mon poignet, et me dit :


"Toutes ces années, je me suis surtout senti incapable de réellement l'aider. Comme toi".


Il ne relève pas les yeux du parapluie inversé, mais nos énergies se parlent, d'une certaine façon. Ben est bien celui qui était là, dans l'ombre du pouvoir de son frère. A lutter tous les jours pour le garder en vie, ignorant encore que celle-ci ne pouvait pas s'éteindre. Celui que j'ai fini par connaître par l'intermédiaire de Klaus. Puis par voir, lorsque j'ai progressé dans mes propres capacités. Jusqu'à ce qu'une Apocalypse emporte ces versions de nous. Et je le fixe.


*Bzzzzzzzzzz*


"Tu n'as pas idée de ce que tu as fait pour lui, Ben", lui dis-je au travers du bourdonnement. "Je sais que tu restais avant tout pour toi-même. Mais il n'était pas seul, grâce à toi, jamais."


Il cligne des yeux.


"J'ai essayé d'être son ancrage dans le monde des morts", souffle-t-il. "Comme toi tu l'as fait dans le monde des vivants".


*Bzzzzzzzzzz*


"Mais Klaus a besoin d'apprendre à rester seul avec lui-même sans flipper".


Je souris, parce que Ben a raison. Klaus a peur de la solitude, et pas seulement par peur du silence. Par peur de l'abandon, aussi. Alors je souffle :


"Je sais. Ce sera certainement... l'un de ses plus grands challenges, une fois que tout ça sera terminé".


Oui, je me permets de parler au futur. Et c'est la preuve que je pense sincèrement que nous pouvons y arriver.


"Quelle version de toi... as-tu convenu avec Allison de réimplémenter ?"


Une nouvelle fois, ma question est pleine de précautions, mais Ben y répond sans détour.


"Celui que je suis maintenant. Celui qui est en train de te tatouer".

Il essuie à nouveau le surplus d'encre.

"Celui qui se souvient à la fois de l'Umbrella Academy, et de ses frères et soeurs Sparrows".


Mes yeux glissent sur le tatouage du parapluie retourné.


"Allison et toi... avez convenu de ne pas les ramener en dehors de Sloane".

C'est un constat. J'ai déjà compris que c'était ce qui a été décidé. Et Ben relève un instant les yeux.

"À part elle, aucun d'entre eux n'a pris part à Oblivion. Leur route s'est achevée comme elle le devait, où elle le devait. Y compris celle de Chris, qui vit toujours à travers toi".


*Bzzzzzzzzzz*


Je reste sans rien dire. Chris savait effectivement ce qu'il faisait, en décidant de tenter de contenir le Kugelblitz, dans la sphère de Dyson qu'était son cube psykronique. D'une certaine façon, il m'avait déjà passé le flambeau de sa vie. Et nous ne ramènerons plus les morts à la vie : ceci est l'un des points éthiques solides sur lesquels nous nous sommes accordés.


"Ils ne seront pas oubliés".


À peine ai-je murmuré cette phrase, que le rideau de fortune s'ouvre sur notre parloir à tatouage improvisé, et Klaus apparaît, me faisant presque sursauter au risque de compromettre le tracé de Ben.


Il porte une longue veste sans manches, improvisée à partir de morceaux d'uniformes et de toile cirée noire qu'il a doublée de satin jaune. En dessous, il s'est bricolé un débardeur en moustiquaire anthracite, rentré dans un pantalon treillis. Il porte deux paires de lunettes d'aviateur, l'une au-dessus de l'autre au milieu de ses boucles sauvages. Pas pour se protéger des vents de l'apocalypse que nous aurons bientôt à traverser, non. Au nom du style, de sa flamboyance revenue, avec le parapluie retourné, déjà presque cicatrisé sur son poignet gauche à lui.


*Bzzzzzzzzzz*


Quand je les ai laissés, tous les autres étaient en train de fouiller dans les caisses de Max pour s'habiller de façon raisonnable et efficace, pour notre traversée prochaine. Même avec ses airs de voyageur de la fin des temps, Klaus est factuellement plus lui-même que jamais : comme si David Bowie avait pillé une friperie militaire puis traversé Camden Market en roulant éhontément des hanches.


"Tu comptes partir pieds nus ?" est la seule chose que je trouve à lui demander, comme si tout le reste était parfaitement rationnel, et il hausse les épaules.


"Tu sais que ça me thermorégule. Et que je me sens plus en phase avec l'univers, comme ça. Mais Rinny..."


Il s'écarte, laissant entrer dans notre espace réduit Claire, son visage épuisé, comme si elle avait donné toutes les forces qui lui restaient pour venir passer ce moment avec nous ici.


"Clairette va retourner avec Gracie, Anita et Ronnie".


*Bzzzzz-*


Le bourdonnement de la machine à tatouer s'arrête, Ben essuie une dernière fois mon poignet, tandis que je regarde cette ado qui s'approche de moi, ne sachant pas si elle doit m'étreindre ou pas. Je ne sais pas ce que lui a dit Klaus au sujet de mes capacités de démonstrations affectives, mais il n'est plus très à jour, s'il pense que je vais laisser partir la gamine ainsi.


"Oh Claire..." lui dis-je en la laissant me faire le câlin qu'elle veut.


Ce départ a un sens très particulier. Pour elle, pour nous tous. Je n'ose imaginer ce que seront les derniers mots entre Allison et elle. Ceux de Diego et Lila à Gracie, également, quand ils la laisseront elle aussi. Des mots qui seront les leurs, avec pudeur. Avec amour, je n'en doute pas un instant, mais provenant de coeurs lourds, pour les risques qui sont devant nous.


J'emmerde la notion même de doute : ce soir, nous serons tous reprogrammés par la machine-univers. Et nous nous retrouverons, de l'autre côté du miroir.


"Ce n'est pas un au revoir, ma grande", lui dis-je alors qu'elle s'écarte, avec ses yeux courageux, mais humides malgré tout.


Elle ne va pas pleurer. Elle a enduré tellement plus que ça, dans sa courte vie.


"Je sais", souffle-t-elle. "Je sais que vous allez y arriver. Je me demande juste... comment ça fait".

"Comment ça fait ?"

"Oui. D'être réimplémenté".


Je lui souris, parce que - nous - nous avons déjà vécu ça. Mais je comprends qu'elle se pose la question.


"On ne se souvient pas de sa naissance, et je dirais que c'est un peu comme ça".

Je regarde Klaus et Ben, qui me corrigeraient si leur ressenti avait été différent.

"J'ai juste eu l'impression d'avoir eu une courte absence, et de continuer ma vie".


Klaus se tient droit, près du rideau, et acquiesce.


"Avec un corps propre. Sans Marigolds, pour nous. Et biologiquement scintillant : comme soigné de tout ce qui l'avait abimé".


Je sais qu'il en a été ainsi pour lui. Qu'il s'est senti tellement mieux, laissant derrière lui tout ce que ses années d'intoxication avaient érodé. Claire laissera derrière elle l'Effet Umbrella, ces pensées intrusives qui la brisent.


"Tu te sentiras bien", lui dit-il. "Tu te sentiras très bien. Et n'aie pas peur : tu es féroce, comme Beyoncé, comme Aretha. Elles aussi ont traversé les tempêtes en talons de quinze et n'ont pas flanché".


Je sais qu'il sera difficile pour elle d'attendre que les heures passent, chez Anita et Ronnie. Mais elle cligne des yeux, en cet instant, et elle regarde en face ce qui nous attend tous, avec plus de force que tout ce que j'avais moi à quinze ans, malgré toutes mes conneries.


"À très vite, gamine", lui dis-je tandis qu'Allison l'appelle, depuis les tourniquets.


Elle enlace Klaus une dernière fois. Elle resterait dans ses bras, comme quand elle faisait une tête de moins.


"Je t'aime, Oncle Klaus", dit-elle assez bas tandis que sa mère l'appelle encore. Et alors qu'elle se détache à contrecoeur et repasse le rideau, elle prononce ces mots venant immédiatement se graver dans mon âme :


"Tante Rin, merci d'être réapparue".


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Samedi 21 décembre 2024, 19h03


*Crac !*


Je n'ai eu aucun mal à retrouver par téléportation le chemin de cette plateforme diaphane, les sensations de cet endroit calfeutré, en dehors du monde, alors qu'il le domine à proximité des nuages.


Hargreeves Tower.


Au travers des fenêtres du sol au plafond, les autres gratte-ciels de la mégacorporation de Reginald clignotent comme inébranlables de mégalomanie. En contrebas, tout The City s'endort pour cette nuit du solstice d'hiver, la plus longue de l'année. Tandis que les mêmes immeubles, les mêmes gens, dans la timeline de la Purge, ont déjà commencé à être absorbés par les ténèbres des créatures d'Eldritch, affamées de nos Marigolds.


Il nous reste peu de temps. Nous sommes prêts. Mais il y a une chose que je devais faire, viscéralement, et un message à transmettre, sous le signe du parapluie retourné.


"Au moins, une des versions de vous saura qu'elle a échoué".


Cette phrase, je viens de la murmurer pour moi, bien nichée dans l'angle mort de la caméra de surveillance, dont je sens crépiter le système. Je me rends invisible, intangible. Et sans perdre une minute, je passe à travers la porte de très haute sécurité qui prive Abigail Hargreeves de toute liberté.


Je retrouve intacte cette cage de diamant, baignée de lumière lunaire : ces pièces de loisir, de repos, et ce laboratoire condamné. Aucun violon ne joue, ce soir. Cette version d'Abigail n'a pas idée que dans notre timeline jumelle, c'est en ce moment que tout se joue.


Elle dort déjà, et ça me convient bien. Reginald n'est pas en vue, où que je sonde. J'espère seulement qu'il ne l'a pas sédatée.


Pure énergie, je me glisse dans la chambre où elle est allongée à la lueur d'une veilleuse. Je glisse au-dessus de ses paupières closes, comme les fantômes que j'ai moi aussi trop souvent contemplés. Mais je ne me révélerai pas : je ne rendrai même pas tangible mes doigts pour l'effleurer.


Je n'aurai besoin que de quelques secondes avant de retourner d'où je suis venue. Un battement de paupière, à l'échelle de l'espace-temps.


J'implanterai directement une idée dans son système nerveux, comme Chris savait le faire par l'énergie, comme je l'ai aussi fait en montrant à Klaus un souvenir.


Quelques mots, les plus limpides possibles, bien loin des paroles sibyllines d'une prophétie. Juste des faits, portés par les signaux électriques de son cerveau, plantés dans sa conscience, mais dont elle sera incapable de parler.


Une promesse, en notre nom à tous.


'Nous étions quarante-trois, nous ne sommes plus que neuf. Vous avez contribué à notre existence, ceci ne vous donne pas le droit de nous effacer. Nous sommes devenus aptes, au travers de cet enfer, et nous mènerons Oblivion sans ingérence, ce pourquoi nous sommes nés. Ce monde auquel nous appartenons s'accommododera bien de nos humbles vies, et sera restauré. Sans Reginald. Et sans vous'.


*Crac !*


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Le Métro des Timelines, en dehors du temps


"Où est-il, à la fin ? On a une mission de sauvetage à mener, y compris pour sauver notre cul !"


Face au Televator, nous nous tenons tous dans nos tenues de voyage apocalyptiques, prêts à partir vers quoi que ce soit qui se cache derrière l'énigme du sixième bouton du panneau. Quoi que recèle le sixième sous-sol de l'Empire de Reginald : là où il cache Jennifer, dans cette timeline-ci.


"Max avait une boucle à boucler, en retournant au Diner. Nous savions que nous aurions peu de temps à son retour".

"Tout ça pour un sandwich au pastrami, c'est ça qu'il a dit ?"


Je roule des yeux.


"C'était une façon de parler. Il s'assure surtout que son autre lui y était bien, et que la timeline n'a pas encore été subdivisée, autrement nous agirions pour rien".


À l'intérieur, Viktor est déjà en train d'examiner le tableau de commande de l'ascenseur, auquel il n'avait pas prêté attention la première fois. Les petits capteurs, au centre des boutons, sont évidents, une fois qu'on les a remarqués. Les murs tremblent, tandis qu'une rame de Métro entre en station.


"Nous devons être tous là pour que ça fonctionne, n'est-ce pas ?"


Il croise les bras sur la salopette de mécano qu'il a choisie, et qu'il porte par-dessus une chemise en jean noir. Le tout est déjà taché de graisse à engrenage, mais Klaus a validé ce motif, en affirmant que Vivienne Westwood aurait adoré.


"Oui. Ces numéros ne correspondent à aucun étage. Ce sont des capteurs, des clés énergétiques. Il faut que nous les activions un par un".

"J'imagine que le numéro Six, c'est moi".


Nous regardons Ben. Historiquement, c'est ce qu'il a d'abord été, même si Hargreeves a tenté de le contrôler d'avantage, en le parachutant numéro Un - puis Deux - dans la timeline des Sparrows. Face à ce bouton cerclé de rouge qui conduit à Jennifer, il ne plane toutefois pas de doute quant à son choix, alors je souffle :


"J'imagine que nous sommes avidement attendus".


Reginald n'était pas à Hargreeves Tower, je ne l'ai senti nulle part. Je devine que - lui aussi - regarde l'heure tourner, et nous attend avidement, avec Jennifer, où que ce soit. Prêt à tenter d'abattre ses dernières cartes, pour enfin obtenir son reset parfait.


"Peu importe que Papa nous attende avec la dinde et le pudding de Noël : il nous manque Max. Je n'ai pas dit au revoir à ma gamine et passé un harnais trop serré pour qu'il disparaisse finalement dans son foutu Métro !"

"Il va revenir, Diego".

"Lila ne peut pas le remplacer ?"


Cette dernière se tient silencieusement dans sa chemise multipoches et son pantalon de cuir, qu'elle porte avec une large ceinture et des bottes de vinyle rouge sombre.


"Non. Les capteurs reconnaissent et valident chacune de nos énergies, comme des empreintes digitales".


Klaus glousse, sa main sur l'épaule de Diego.


"Oh, j'en ai connu, des boîtes de nuit avec une politique de tri au faciès ou au style à l'entrée... Sauf qu'ici, c'est aux chakras".

"Et qu'on ne vient pas pour danser et se trouver un coup d'un soir, MERDE !"

*Crac !*

"Voilà ! Voilà !"


Max vient de se téléporter parmi nous, depuis le quai. Sans empressement à outrance, juste avec l'un de ces mouvements qu'il fait pour se stabiliser, quand il a sauté dans l'urgence. Il nous regarde tous les uns après les autres, avise nos tenues. Et Diego se calme un peu, mais grommelle.


"Tu as l'intention de faire l'appel, ou nous compter comme un moniteur de colo ?"


"Relax, mi hermano. Tu veux que je te passe la gourde de kombucha camomille - fleur de sureau ?"


Max se fraye un chemin jusqu'à l'intérieur du Televator.


"Laisse tomber, Klaus. Il a besoin d'agir. Et nous aussi, maintenant. Car je peux vous confirmer que le timing est en train de sévèrement se corser".


C'est un petit sourire que je vois sur son visage, et je peux le sentir dans ses Marigolds : Max est exalté de ce qui nous arrive ce soir, tandis que nous nous apprêtons à danser - plus que jamais - près du bord de l'abîme de notre fin.


"Allez !" dit-il. "Peu importe l'ordre, théoriquement, mais faisons les choses bien. Luther !"


Il tire ce dernier par la manche de sa combinaison d'égoutier. Luther entre sans résistance dans l'ascenseur, ses yeux fixés sur le bouton numéro 1, qui lui est destiné. Un instant, me vient cette impression que Reginald nous force par là à redevenir ses pions, ses numéros, ses porteurs d'étiquettes. Si tel est le cas, qu'il aille bien se faire foutre. Mais Klaus me bouscule pour passer.


"Attendez ! Attendez. Si on valide chacun notre ascenseur pour l'échafaud, autant que nous le fassions avec panache. Laissez-moi faire les introductions de chacun".


Je ris doucement, et je fais signe à Lila de déjà entrer avec moi. Nous nous plaçons dans le coin du Televator, et Klaus se racle la gorge.


"Mesdames, messieurs et quiconque entre les deux, voici notre colosse de muscles, intérieur marshmallow. Icône du bronzage lunaire, astronaute des marchés aux puces, guerrier de la santé mentale et de la confiance en lui. Unique chorégraphe de la danse du crabe, et grand tournoyeur de pole : Luther".


Luther lève le doigt, s'arrête, et lui lance un petit regard de 'tu es sérieux, Klaus ?', mais il secoue la tête, se concentre, assume d'être le premier de ce décompte final.


Et pose son doigt sur le capteur, au milieu du bouton '1'.


*Tilt !*


Immédiatement, comme lors de l'essai de Max, il s'illumine en bleu, et tous les autres se mettent à pulser d'un halo orange, en attente d'autres actions. Max lève le menton, satisfait, et fait un signe à Diego, qui reste maintenant figé comme une plante en pot.


"Allez !"


Klaus jubile, plus à l'aise encore en maître de cérémonie ce soir que lorsqu'il a officié au mariage de Luther et Sloane. Ça fait moins de deux semaines, pour moi. Et pour lui une éternité.


"Voyez approcher fièrement - Diego, approche s'il te plaît, mon chou - notre Dark Knight des trajectoires. Moustache affutée au couteau, tout en cuir et harnais, glamazon des Vigilantes et super papa, qui a accessoirement survécu dix-sept ans à un mur en commun avec moi : Diego".


Diego souffle un peu, prend une grande inspiration, puis pose son doigt sur le bouton '2'. *Tilt !* Tandis qu'il s'éclaire en bleu, il s'écarte, et se range à côté de moi. J'ignore pourquoi je souris. Je crois que - moi aussi - je commence à en ressentir de l’exaltation. Peu importe ce qui arrivera, maintenant, nous savons ce que nous sommes. Et ce ne sont pas des numéros.


"Retenez votre souffle, voici entrer la diva des désirs les plus profonds, reine des boas en plumes discount et des caprices de starlette affectant l'univers..."


Allison soupire à cette pique légitime, mais dans le regard que Klaus lui rend, il n'y a que de la bienveillance.


"Cordes vocales létales, instinct maternel dévastateur, sauf quand il faut faire les sorties d'écoles-"

"Klaus, c'est une introduction ou un roast?"

"Belle, féroce, elle tient une fois de plus la définition du réel entre ses doigts : Allison".


Cette dernière lève les yeux au ciel dans un sourire à présent humble. Et - *Tilt !* - elle valide le bouton numéro '3'. Klaus s'avance, s'apprêtant à activer le numéro '4'.


"Hep, tu ne crois pas que tu vas t'en tirer à si bon compte, mon vieux".


Diego croise les bras, et regarde son frère en levant le menton, provoquant l'arrêt des doigts de Klaus qui pianotaient déjà autour du panneau de commande. Je le connais bien. Je peux vous dire qu'il le touche profondément que son frère le suive dans ses scintillantes facéties.


"Murmureur de fantômes... philosophe de baignoire, gourou malgré lui... dealer de kombucha".


Il n'est pas à l'aise dans l'exercice. Il a croisé ses bras sur sa poitrine et coincé ses mains sous ses aisselles avec un air concentré qui fait mourir de rire Lila. Mais il essaye.


"Flamboyant, drôle..."

"Avec une exceptionnelle chute de reins. N'oublie pas de le mentionner".

"Chroniquement en quête d'attention et en mal d'affection, drama-queen parfois auto-infligée. Mais un 'survivant', à tous les sens du terme".


Klaus sourit, son doigt cerclant le bouton langoureusement, et Diego murmure :


"Mon acolyte de toujours, et certainement l'une des meilleures personnes que ces putains de timelines aient portées. Klaus".

*Tilt !*


Klaus ne dit rien tandis que le bouton numéro '4' passe au bleu. Et en essuyant l'air de rien le coin de ses yeux, il se replace sur le côté avant d'essayer de retrouver une voix claire.


"M-merci pour l'intérim, Diego. Je... Bref".


Il prend une ample inspiration. Et moi j'ai du mal à arrêter de sourire stupidement.


"Trêve de plaisanterie..."


Ce n'est pas facile pour lui, de rebondir après ça, et en vérité ce moment me frappe, moi aussi. Au cours des derniers jours, j'ai vu les Hargreeves devenir soudés comme jamais. Finir par admettre leurs failles, leurs forces, et surtout les liens indéfectibles qui existaient entre eux, à mille lieues de ceux que Reginald avait essayé de forcer en eux. Ce que fait Klaus est plus qu'un simple show. C'est la cristallisation de ça.


"Mollets de collégien, aplomb de chef scout de soixante ans, on ne sait plus de quelle apocalypse il se téléporte, ni avec quelle version de lui on a pris le petit déjeuner. Petit format, gros égo. Adepte du café noir, inventeur steampunk de génie, addict au Jugement Dernier et prix Nobel de l'auto-assassinat - roulement de sabliers : Cinq".


"Max".


Tilt !


"Max !"


Diego vient d'applaudir, avant de se ressaisir car Lila a gloussé. Et Max s'écarte du bouton numéro '5' qui brille maintenant en bleu.


"Ah, Benjamin. Mon petit morceau de fusain noir, qui aime la couleur de la vie plus que tout et les bouquins de Kerouac. Qui s'apprête à nous éradiquer de l'existence à grand renfort de calamars, dans une autre réalité, pour les beaux yeux de sa 'moitié'".


"Klaus".


"Tenez-vous bien, c'est aussi mon stalker préféré. Celui qui a tout vu, même ce que je ne voulais pas montrer. Impuissant. Celui que j'aurais voulu remercier d'être là, quand je lui disais de se barrer. Benarino".


*Tilt !*


Ben serre l'épaule de Klaus, qui chasse à nouveau le noeud d'émotion qui se forme dans sa gorge.


"Je ne commenterai pas sur les deux déesses de l'insolence qui tentent de se faire les plus petites possible, dans le fond de l'ascenseur - pas bien difficile, je sais".


Comme si nous ne faisions qu'une, Lila et moi restons de marbre. Mais Klaus murmure, tout en tirant doucement Viktor par le bras, qui sera le dernier à passer.


"Sachez juste, amis écureuils, que l'une d'entre elles a beaucoup de bonté au fond de son chaos. Et que l'autre... n'a pas besoin d'une tirade - aujourd'hui - pour savoir que je n'aurai jamais assez de mots".


Je lui souris en coin. Non, il n'en a pas besoin. Je sais. Et il ouvre ses bras comme il peut, dans l'espace du Televator, devenu bien trop exigu pour notre nombre.


"Enfin ! Le dernier et pas des moindres ! Mon exilé volontaire du Grand Nord, mon petit virtuose de la tireuse à bière, violoniste de mes arpèges d'enfance les plus mélancoliques. Cabossé et indestructible, sensible et dévastateur comme une onde de choc : la Lune en mouille encore ses dentelles. Celui que je ne supportais pas de regarder rester à quai. Celui qui a toujours été l'un d'entre nous. Viktor".


Viktor cède à un sourire et baisse les yeux, jouant avec ses doigts, au-dessus de son tatouage du parapluie retourné. Touché, plus que jamais. Heureux, je crois.


*Tilt !*


Le dernier bouton s'allume en bleu, et Klaus enserre au hasard tous ceux qui se trouvent à sa portée dans cet espace exigu.


"C'est parti ! Oh fichtre. Si je ne vous aimais pas tous autant, je me dégonflerais, parce que j'ai les chocottes à un point que vous n'imaginez pas..."


"Klaus, tu me serres trop".


"Max, ça fait combien de temps, exactement, que tu ne t'es pas lavé ?"


"Luther, retiens-toi".


"Pourquoi les portes ne se ferment pas ?"


Nous restons tous un instant ainsi, collés les uns contre les autres dans cet engin voué à nous emporter vers notre destin. La lumière bleue du panneau de contrôle s'est mise à pulser, mais rien ne se produit.


Rien du tout.


"Qu'est-ce que c'est que ce bordel".


Max crawle littéralement dans notre marée humaine pour revenir près des boutons, qu'il inspecte en vain. Pulsatiles, vibrant de notre propre énergie. Prêts. Mais statiques.


"MERDE !"


Je ne le vois pas souvent perdre ses moyens ainsi. Et je le sens prêt à donner un coup de genou bien placé à cette pauvre machine, qui a eu le malheur de naître de la technologie de son père.


"NOM D'UN PUTAIN DE TROU DE VER-"


"Je sais".


Dans mon coin de l'ascenseur, ne sachant plus très bien si ce qui me compresse les côtes appartient à Lila ou Luther, je ferme les yeux, je sonde le système de la machine.


"Max. Il faut valider la fermeture des portes directement dans l'électronique du Televator, pour cette destination.


Quelque chose que seul moi peux faire. Seulement Omega. Et il y a plus que ça. Je sens directement que je ne pourrai pas le faire seule, que l'énergie requise est bien trop grande, alors je prends le bras de Lila, qui comprend aussitôt.


"Votre père est vraiment la pire raclure de l'espace-temps", je murmure, car son implacable dispositif était bel et bien conçu pour nous avoir tous, en une seule fois.


Jusqu'au dernier.


7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, Ω, =


Et alors que Lila mélange son pouvoir au mien, et que nous provoquons délibérément la fermeture des portes de cet engin quantique, elle murmure :


"Tous les Britanniques ne peuvent pas être parfaits".


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Notes :


Il nous avait tant fait cogiter et espérer, ce tatouage du parapluie retourné, quand nous l'avions entrevu dans le trailer de la Saison 4. Pour finalement n'être que le symbole de ralliement des Gardiens, sans réellement d'explication. J'ai choisi de lui donner une raison d'être, qui leur sera parvenue comme tant d'autres artefacts et anomalies. Qui provient en réalité de Ben, de sa révolte contre le système de son père. Et de cette timeline, où il est le symbole de leur cohésion.


Il est évident que de dire bonne nuit à Claire et Gracie n'était pas facile, ce soir, en sachant ce qui se dresse au devant. Mais leur détermination à tous est réelle, et dans les mots qu'ils ont laissés en arrière comme dans ce tatouage qui marque de nouveau leur poignet, je peux sentir qu'ils sont enfin unis, et prêts.


Les emmener jusque-là n'aura pas été de tout repos. L'aventure n'est pas finie non plus.


Et tout commentaire fera ma journée ! ♡

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