Une courbure de l'espace-temps (saison 4)
Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 4, episode 6, autour de 50:00 (pendant les adieux aux familles d'Allison, Diego et Lila), puis autour de 56:40 (quand les Hargreeves se laissent emporter par la Purge).
Soundtrack suggérée : Anyma - Eternity ; 2WEI & Edda Hayes - Warriors ; Woodkid - Story of Rainy.
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Je l'avais imaginé dans mes songes, ce moment où les portes du Métro s'ouvriraient pour nous laisser tous entrer dans la rame vintage. Où la carlingue du fantastique dispositif spatio-temporel conçu par Max s'ébranlerait - une dernière fois - pour nous emmener vers notre ultime destination. Le train a accéléré, est entré en trombe dans le tunnel, s'est mit à luire d'un halo bleu, en franchissant le trou de ver.
Nous avons laissé dernière nous tout ce que nous avions construit depuis le reset dernier, en moins de deux semaines, ou presque six ans. Regardant littéralement ce passé s'éloigner derrière nous.
Écouter Klaus plaisanter sur la tranquillité de cette heure de pointe m'a permis d'ignorer le visage fermé et pressant de Reginald Hargreeves, assis seul, jambes croisées sur un strapontin. Lila s'est suspendue aux poignées, Luther s'est tenu directement au plafond. Nous avons fait un changement - un seul - à la Fourche Zetta du réseau. Et en quelques flashs supplémentaires de lumière azur et un grincement de freins puissants, nous sommes descendu à la station que Max a rebaptisée 'Retour à Oblivion', dans son alphabet à lui.
"Alors c'est toi qui a provoqué cette apocalypse ?" me demande Viktor tandis que nous remontons le quai.
Klaus a ramassé l'une des innombrables feuilles de journaux qui jonchent toujours le sol, et glousse maintenant en la parcourant des yeux à la lueur orangée des néons.
"Breaking news. Tous les élèves de l'école élémentaire de Geenview sont devenus invisibles, les uns après les autres", dit-il en saisissant au hasard une ligne des nombreux faits relatés. "Puis probablement intangibles, car on ne les a jamais retrouvés. Greenview... ce n'est pas cette école de petits bourgeois à mocassins stylistiquement criminels, où tu es allée parce que Papa versait de l'argent à ta mère ?"
Je grimpe les premières marches tandis qu'il abandonne l'article. Je peux comprendre pourquoi j'aurais commencé par faire se volatiliser cet endroit.
"Si", dis-je, assez bas car il m'agace que Reginald entende. "Mais je ne suis pas responsable des actes des autres moi".
Nous montons les quelques marches, traversons cette version dévastée du hall des tourniquets. Je pense que les cafards géants se sont introduits ici quelques fois, car nous marchons sur des déjections que je n'avais pas remarquées, la première fois.
"Nous risquons de croiser certains de nos amis hexapodes", souffle Max tandis que nous sortons dans la nuit.
La ville déserte et éteinte est toujours là, oppressante, simplement éclairée par la lueur de la Lune, devant nous. Diego en a le souffle presque coupé, tandis qu'il regarde les reflets sur les vitres encore intactes des buildings vides.
"Tu parles des bestioles qui mesurent la taille d'un mini poney ?"
Klaus laisse tomber au sol la sacoche de cuir qu'il portait en bandoulière.
"Ne vous inquiétez pas. Les cafardzillas ne nous approcherons pas".
A la fois curieux et inquiets, nous nous rassemblons tous autour de lui sur le trottoir, près de la sortie du Métro et de ce qui était autrefois un cabine dentaire. Reginald connaît par coeur le chemin de l'Hôtel, dans cette ville. Il est déjà en train de regarder dans cette direction, le cherchant des yeux entre les antennes de télévision et les citernes d'eau.
"Parfumez-vous avec ça".
Immédiatement, je comprends ce qu'il trafiquait avec Ben dans son cabinet de spiritisme, ce matin : tandis qu'il place un flacon stylisé dans la main de Luther, de ceux que l'on actionne avec une petite pompe manuelle recouverte de satin. Il fait pression, et un petit nuage de gouttelettes en suspension s'élève dans la lumière lunaire.
"La vache, qu'est-ce que c'est que cette horreur. Chanel n°Zéro ?".
"J'ai baptisé cette fragrance 'Cucaracha Couture'. Eucalyptus, menthe poivrée, clou de girofle. Note de tête de bergamote, mais c'est discret, je sais".
Lila prend le flacon et s'asperge, puis tousse.
"Ça ne repousse pas que les cafards, chaton : je pense que mes sinus viennent de sauter par dessus bord".
Malgré tout, nous ne perdons pas de temps et nous aspergeons tous, car la prévoyance de Klaus est certainement notre meilleur atout pour cette traversée. Reginald prend les dernières pulvérisation pour lui, puis nous presse.
"Même si ce stratagème olfactif semble presque pertinent, nous avons perdu assez de temps. En marche, les enfants".
Klaus trottine à côté de moi tandis que nous nous mettons en route par le chemin à la fois le plus court et le moins étroit.
"Tu as vu ? J'ai fait un truc 'presque pertinent'".
Je tourne les yeux vers lui, et nous pressions le pas.
"Ne recommence pas à chercher sa validation, tu n'en as pas besoin".
Rapidement, nous entendons les premiers cliquetis, dans le noir, que je repère bien plus rapidement que la première fois. Glaçant, grouillants, effroyables, nous suivant là haut sur les corniches des immeubles. Mais qui n'approchent pas. Objectivement, nous empestons. Mais l'idée de Klaus mériterait bien plus de superlatifs que les miettes que lui a de nouveau donné Reginald.
Ainsi apparaît la Septième Avenue, sous nos yeux, dans ce silence qui nous saisit au tripes tandis que nous passons les devantures des échoppes où les activités ont cessé du jour au lendemain. Klaus aurait encore mille histoires sur elles. Mais même lui reste silencieux, maintenant, presque avec recueillement.
"Jimmy's slushies est encore là", souffle Diego.
La petite boutique est noire, tous néons éteints. Ses boissons étaient infâmes, mais les mômes les adoraient. Dont Stanley : le fils que Diego et Lila n'avaient en réalité pas eu. Et comme autrefois, ce magasin fait l'angle... avec un Parvis que nous connaissons bien.
"Oh bordel..." souffle Lila.
Ses façades art déco se découpent contre le ciel d’encre, striées par la lumière livide de la Lune. Les colonnes, les corniches exagérément sculptées, semblent avoir été taillées dans une seule masse d’ombre. Les fenêtres des innombrable chambres sont éteintes comme des orbites de verre abandonnées, et - même si elle ne fonctionne plus - son immense enseigne continue de clamer son nom de façon arrogante, au dessus du béton.
L'Hôtel Obsidian.
Dont les portes rotatives distillent une faible lumière provenant du lobby : un bleu électrique, irréel au milieu de ces ténèbres, qui pulse tranquillement et fait miroiter l'entrée de l'hôtel, comme s'il cherchait à nous attirer à l’intérieur. A nous happer vers la seule destination qui soit la nôtre au travers des réalités.
"Je ne veux pas briser ce moment de nostalgie", souffle Max, "mais pour une fois, je dois approuver ce que dit Papa : nous devons nous presser".
Il n'attend pas une seconde de plus. Il pousse la porte rotative de gauche qui se met en mouvement, encore bien huilée. Nous entassons tous à sa suite, passant sur ces moquettes ornées d'étoiles que nous avions presque oubliées. Et nous nous dispersons dans le lobby, semblable à une cathédrale de silence, figée au bord du temps.
Cette lumière bleue provenait du rétro-éclairage des piliers du hall. Stellaire, intemporelle, directement reliée au cosmos par la machine-univers. Liquide, elle étire chaque ombre, des tapis jusqu'aux balustrades des balcons. Sur les verres et les bouteilles de l'Obsidian Bar, qui s'alignent encore sans Iggy. Sans le barman. Jusqu'au coin des canapés et téléphones publics, qui s'enfoncent dans la pénombre. Eux aussi sans la présence des habitués.
"Cet endroit me fiche encore plus la frousse comme ça", murmure Diego tandis que Ben s'est arrêté à l'endroit où Jayme et Alphonso ont perdu la vie, dans un autre temps.
Mais Max et Reginald sont déjà dans l'allée qui mène à l'escalier, presque au petit trot.
"Remuez-vous. Nous devons passer de l'autre côté".
Et je sais quelle est notre prochaine destination, parce qu'elle m'appelle, moi aussi, plus encore qu'elle ne le faisait la dernière fois, au point que ma main se porte à mon bras : à l'emplacement du tatouage du Sigil qui ne s'y trouve plus.
La porte au pachinko, le passage vers la version cachée de cet hôtel qui abrite les commandes de la machine-univers.
Nous attendant, sous les yeux noirs du bison blanc.
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Notre pas n'a pas flanché lorsque nous sommes passé dans le couloir baigné de lumière sidérale, qui nous a fait passer hors du monde. Encore moins quand nous somme ressortis dans cette version de l'hôtel en miroir, où Obsidian devient Oblivion. Nous savons que nous ne risquons rien, ici. Jusqu'à ce que notre épreuve finale soit déclenchée.
Alors nous sommes redescendu au lobby : semblable et différent à la fois, où les lignes Art-Deco se mêlent dorénavant aux motifs Asanoha. Mes camarades se rassemblent dans la lumière bleue des piliers. Et moi je me fige à mi-chemin.
Elle aussi toujours là. En forme de fer à cheval, juste devant moi. Les téléphones du standard immobile, mais en attente, sur sa surface lisse. Elle est en apparence inerte, mais en réalité puissamment reliée au tissu même de l'univers. Du réel. Et elle m'attire comme jamais.
La Console Omega.
En attente de son processeur, tout comme les étoiles de la moquette - sous nos pieds - attendent la mise en place des plug-ins sur le Sigil. Nous les voyons, maintenant, comme une évidence. Comment avions-nous même pu les manquer, la première fois ?
"Préparez-vous", tonne avidement Reginald. "Nous devons déclencher le processus au plus vite".
Il n'a pas une hésitation, alors que - la dernière fois - il ignorait tout de la façon dont cette immense machine fonctionnait. Avec Reginald, je peux le voir de façon incarnée : à chaque essai, à chaque timeline, il met un peu plus de son côté ses chances de s'améliorer, et de réussir. Déterminé, il s'avance vers le comptoir de la réception. Là où se trouve la petite clochette n'attendant que de sonner, et lève sa main gantée, prêt à la faire tinter.
*Crac ! *
"Certainement pas, vieil homme".
Max vient de se téléporter devant lui, et l'empêche d'y accéder.
"Cette fois, même cette clochette est notre affaire à nous".
Un silence tombe, tendu. Reginald scrute nos visage, s'attardant sur celui d'Allison, comme pour vérifier la robustesse de leur accord. Et Max en fait autant.
"Est-ce que vous êtes prêts..." souffle-t-il, en toute conscience de ce qu'il s'apprête à mettre en marche.
D'un coup, j'ai la trouille. Nous avons tous peur, en vérité : je peux le sentir dans nos synapses. Pourtant, chacun hoche la tête, parfois gravement, comme Allison ou Diego, parfois douloureusement, comme Luther, Viktor ou Ben. Lila murmure : "Il est temps d'aller au bout" et Klaus esquisse une petite révérence. Alors Max ferme les yeux une fraction de seconde...
Puis *Ding !* Sa main s’abat sur la clochette, le monocle de Reginald scrutant toujours Allison.
Il n'y a plus de retour en arrière possible, à présent.
La première étape d’Oblivion vient de commencer.
A nouveau.
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*DONG !*
Les Nio. Les 'rois bienveillants' du bouddhisme. Des divinité défensives et protectrices, placés de part et d'autre des portes principales des temples niōmon. Repoussant les démons, protégeant le cycle de la naissance et de la mort, le début et la fin. Et - par là - l'univers.
Je n'avais pas été pleinement témoin de leur réveil, la première fois, tandis que je me trouvais déjà enfermée dans la console Omega. Je n'avais pas contemplé physiquement le virement de la lumière des piliers du bleu au jaune, étirant soudain nos ombres sur les moquettes. Ni ce grondement viscéral qui semble réveiller l'Hôtel comme une immense bête mécanique.
La machine-univers est en train de frémir, je peux le sentir avec exaltation, au plus profond de mes Marigolds. Elle est en train de se rallumer, après une mise en veille de six ans.
"Ne nous dispersons pas", murmure Max alors que nous nous plaçons en cercle au milieu du lobby, en nous tournant le dos mutuellement.
"La dernière fois, nous ne savions pas ce que nous cherchions. Maintenant nous savons ce que sont ces Gardiens, et qu'ils vont converger ici pour venir nous chercher".
Comme celui qui était tombé derrière lui, et avait tranché net son bras, maintenant remplacé par sa prothèse mécanique. Déjà, nous les sentons, ces présences terribles qui se déplacent dans les couloirs, leurs armes venant cogner et racler les murs.
La hache. Le fléau. L'épée.
Oui, nous connaissons les Nio. Nous les avons déjà vaincus une fois, nous savons ce qu'ils veulent avant tout : tester nos pouvoirs. Les valider. Pour vérifier que ceux qui accèdent à la réinitialisation de l'univers sont bien ceux qui y étaient destinés.
Reginald sait qu'il est le seul intrus, dans cette équation. Les gardiens d'Oblivion l'avaient repéré en tant que tel, la première fois, juste avant que Luther intervienne : prêts à le repousser et l'abattre, pour lui interdire l'accès à ce que s'apparente à un 'lieu sacré'. Ce salopard tremble, et - à grands pas - il vient se placer au milieu de notre cercle. Se servant littéralement de nos êtres comme d'un rempart.
Un silence de plomb et d'or tombe sur le lobby, pendant de longues secondes où nous n'entendons plus que nos respirations conjuguées. Nous ignorons s'il vont arriver des couloirs du bas, des balcons, de la verrière. Et enfin, c'est une ombre qui capte notre regard, s'étirant sans fin comme si elle tombait en cascade dans l'escalier. Cuirassée de plaques sombres, captant à peine la lumière terne et ambrée.
À chaque pas qu’il descend, le frottement métallique de son armure emplit le hall d’un écho. Dans sa main, il tient une épée longue comme mes jambes, vibrant d'un éclat ascéré et glacé. Il nous jauge déjà tandis qu'il s'avance dans l'allée, entre le bar et la réception. Sans précipitation. Se demandant par lequel d'entre nous commencer.
"Je regrette tellement d'avoir trouvé ces costumes cools à la comic-con".
La main de Klaus attrape ma manche, fébrile. Malgré sa plaisanterie, j'espère qu'il ne va pas se pisser dessus. Mais il n'en a de toute façon pas le temps.
Le Nio n'a pas encore passé la console Omega ni levé sa lame, que Luther fait trois pas, et saisit de ses bras titanesques le distributeur automatique de cigares, l’arrache de son socle de marbre et le tord en deux, ses bords d’acier devenant des lames crénelées.
D’un mouvement sec, il le projette vers le Gardien. Diego lève aussitôt la main, et le métal déchiré cesse de suivre la trajectoire chaotique que lui avait donnée Luther : il file droit comme une lance. Mais avant qu’il n’atteigne la cuirasse, Viktor concentre ses paumes et envoie une onde dans la carcasse métallique. Le demi distributeur se met à vibrer, strié de lumière, littéralement transformé en hachoir sonique, prêt à éventrer.
Le Nio, surpris, lève son épée pour dévier le projectile, mais il est trop lourd et trop rapide. Inarrêtable. Ce n'est pas un assaut désordonné qu'il subit, mais un seul et même acte, né de la conjugaison de trois pouvoirs. Une orchestration, qui déferle impitoyablement sur son armure antique. L'épée se brise, la cuirasse se fend, et il tombe, enfoncé et lacéré, son grondement s'éteignant peu à peu.
*Clic, clic, clic*
Trois déclics. Le cadran du téléphone rouge vient de tourner, sur le comptoir de la console Omega. Il n'a fallu que quelques secondes - juste une action conjointe - et les pouvoirs de Luther, Diego et Viktor viennent d'être validés par Oblivion, alors que le corps du Nio est encore fumant.
"Wow".
Ben est figé, ses yeux écarquillés.
"Je sais que j'ai passé beaucoup de temps hors jeu, mais une telle efficacité est une première, ou c'est moi ?"
"Ce n'est pas faute de vous avoir incité à faire équipe, les enfants. A devenir ces guerriers qui sont en vous".
Reginald en avait toujours eu conscience : de l'incroyable bénéfice qu'aurait - en tout temps - représenté pour son Académie le fait d'agir de concert, comme une seule unité. De conjuguer leurs pouvoirs de la sorte est chose qu'il a tenté de forcer : par des des numéros, des pressions psychologiques, des tatouages. Mais maintenant que Luther masse le parapluie retourné à son poignet, l'évidence s'impose : cette équipe indéfectible et létale est bel et bien née, et ce n'est pas de son fait à lui. Max gronde :
"Vous aviez obtenu l'inverse, sombre résidu de moustache mal coupée. Et maintenant nous-"
*Crash !*
Max n'a pas le temps de terminer sa phrase. Un second Nio vient de faire irruption : celui à la hache, dont l'arme vient racler l'étagère de verres et de bouteilles, qui se brisent, comme si elles explosaient. Les alcools enfermés se répandent, tandis qu'il s'avance en reversant les tabourets hauts.
Il ne faut qu'une seconde avant que Ben fasse un pas en avant et déploie les tentacules de l'Horreur, jaillissant de sa poitrine en déformant son visage d'un cri silencieux. Klaus me l'a dit souvent, que son pouvoir venait au prix d'une douleur immense, comme si sa cage thoracique se fracturait à chaque fois.
"J'ai entendu une rumeur", souffle Allison, quelque chose de déterminé dans ses yeux de chat. "Que tu ne sentais plus la douleur qui te traverse, jusqu'à ce que l'Horreur en toi ait goûté au sang de ce connard".
Les tentacules se referment sur le Nio, qui fouette autour de lui avec sa hache, sans réellement savoir où : tranchant malgré tout l'un des appendice de la créature d'Eldritch, mais Ben ne cillant même pas. Il serre, il serre encore.
*Crac !* En une téléportation, Max est aux pieds du Gardien, il ramasse la hache. Et il la fait glisser de façon nette et tranchante, juste dans l'interstice sous son casque : de la même façon qu'il a tué un cafard géant, dans notre passé pas si lointain.
Le second Nio tombe à son tour, inerte, et je me retourne instinctivement vers la console Omega, dont le téléphone rouge réagit immédiatement, validant cette fois les pouvoirs de Max, Ben et Allison : *Clic, clic, clic*-
"ATTENTION !"
*SHHHLA !*
Il est arrivé sans bruit. Si discret que j'ai confondu son énergie avec celle - aveuglante - des hauts piliers. Le troisième Gardien Nio - celui au fléau - se trouve à la balustrade du balcon. Avec sa faucille, au bout de sa longue chaîne, qui vient de traverser le lobby comme en fendant la lumière jaunâtre. Droit dans ma direction.
Diego n'a pas le temps de réagir, choisissant par réflexe de protéger Lila qui était sur le chemin avant que - *Crac !* - elle emprunte le pouvoir de Max, et les téléporte plus loin tous les deux.
*Clic !*
Son pouvoir est validé, mais l'arme me percute en pleine poitrine. Perforant près de mon sternum, à un endroit où jamais aucune lame de métal n'aurait dû entrer. Je suis propulsée en arrière par le choc, mon dos venant frapper contre la console en fer à cheval. Je me rends intangible, mais trop tard, et dans ma douleur, je me rematérialise aussitôt.
"RIN !"
"OMEGA !"
Klaus repousse Reginald qui se cachait derrière lui, littéralement comme derrière un bouclier immortel. En un instant, il est à genoux à côté de moi dans un froissement de satin et de toile cirée.
Plus loin, le Nio soulève à nouveau sa chaîne, la fait tournoyer autour de sa tête une fois, deux fois, avant que Diego ne tente de la dévier et qu'elle s'encastre dans le comptoir de la réception. Et moi je tremble. Sous le coup de la sidération, de la douleur. Et de l'air qui s'échappe en m'empêchant de respirer.
"Rinny, non..."
Klaus a toujours été très négligeant de tout ce qui pouvait arriver à son propre corps, à l'exception de ses cheveux. Au point souvent de se faire du mal, ou de laisser les autres lui en faire. En revanche, mon intégrité à moi était pour lui comme une constante. Ses mains cherchent maladroitement à m’agripper, à comprimer la plaie, mais je sens juste ses doigts glisser sur le sang chaud.
"Klausie..."
Quelques secondes passent, que Max remonte, au milieu du combat qui se joue toujours derrière nous. Juste un peu. Juste assez pour donner à Diego la meilleure fenêtre pour rediriger la trajectoire du fléau. Mais déjà, ma propre matière me trahit, et pas seulement : mon énergie aussi, celle de ma vie. Je m'asphyxie. Je fixe Klaus, haletant, essayant de m'accrocher à lui, ses iris vert marais ne reflètent que les miens, bruns et terrifiés.
"Rinny, non, reste avec nous !"
Sa voix se brise.
"Reste avec moi..."
"NE PERDEZ PAS CONSCIENCE, OMEG-".
*SHLACK !*
La lame au bout du fléau vient entailler les jambes de Reginald au dessus des genoux, et il tombe sur la moquette déjà tâchée de mon sang, juste avant que Diego parvienne à rediriger la chaîne, et faire s'encastrer l'arme dans la tête du Nio. Il s'effondre, et Reginald se traîne, bien vivant mais furieux :
"OMEGA, JE VOUS INTERDIS DE MOURIR MAINTENANT !"
Peu importe l'injonction de l'homme au Monocle. Son processeur est en train de s'éteindre. Ma main qui tenait l'avant-bras de Klaus sur le parapluie retourné se relâche, sans force. Il implore à nouveau, et je l'entends maintenant comme au travers de coton.
Mais quelque chose s'allume.
Oui. Même si ma conscience s'éteint, le dernier sens qui me reste est celui de l'énergie, et je les vois : les Marigolds de Klaus. Ses Aethers, brillant de façon incandescente sous ses doigts tâchés de mon sang. Il a déjà regardé Dave s'éteindre, une fois, impuissant. Il a échoué à l'en empêcher, parce qu'il n'en avait pas les moyens.
Oui, quelque chose a changé.
Il, a changé. Il a grandi. Et il est en train de soigner la plaie. De la résorber, en transmettant son propre pouvoir de régénération, tandis que j'agis sur mon énergie pour tenter de l'empêcher de me quitter.
Au fond, je m'étais doutée que son pouvoir de refaçonner la vie et la mort - lorsqu'il se maîtriserait - ne resterait pas cantonné à sa propre personne. Qu'il serait un jour ce soigneur immortel, qu'il jouait quand nous jouions à D&D. Celui qui m'avait aussi ramenée par instinct, lors de notre toute première rencontre, quand nous avions seize ans. Celui en lequel j'ai toujours cru.
Oui, nos pouvoirs conjugués sont bien plus que la somme de ce qu'ils sont individuellement. Et c'est valable aussi, tout simplement pour nos vies.
L'air me revient, d'un coup, comme s'il reprenait la place qu'il n'aurait jamais dû quitter. Empestant le clou de girofle et l'huile d'eucalyptus. Alors même que mon fantôme était déjà en train de me contempler, depuis l'extérieur de moi.
"RINNY".
Je hoquette, je tousse, je me sens vidée de mes forces comme si j'étais morte pour de bon. Mais je respire. Et je tente de lui dire, alors qu'il fond en larmes, sous le contrecoup :
"Tu... tu rafistoles les cadavres, maintenant ? Tu es le Dr Frank'N Furter jusqu'au bout ?"
Je lui souris, et il pleure à nouveau, même s'il a réussi. Alors j'essaye de l'attraper, et je prends une ample respiration.
"Je suis okay, Klaus... grâce à toi. Et il t'est arrivé bien pire : tes intestins à toi sortaient".
Au milieu de ses larmes, il laisse filer un trait de rire qui se change aussitôt de nouveau en sanglot.
"Je sais, j'en garde une des mes cicatrices les plus sexy. Mais j'ai eu tellement peur, Rinny".
Pas pour Oblivion, pas pour le reset, qui préoccupe tant Reginald, même avec ses jambes hors d'usage. Pour moi. J'accroche son regard, juste un instant, achevant de réinscrire mon énergie et ma matière dans le grand registre des âmes en vie.
*Clic, clic !*
Nous entendons le téléphone rouge, sur le comptoir de la console, valider le pouvoir de Klaus, puis le mien. Les derniers.
Face à Oblivion, nous sommes à présent légitimes.
Et au complet.
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'Pour réussir, il ne suffit pas de prévoir. Il faut aussi savoir improviser'.
Je crois que c'est Asimov qui a écrit ça, dans le Cycle de Fondation, et je soupèse ces mots, aujourd'hui. Tout autant que Reginald Hargreeves, qui a pourtant passé sa vie à tenter de tout optimiser.
Je suis épuisée, je ne suis pas capable de tenir debout. Je ne pourrai pas opérer sur les écrans de la console Omega, même si je serai capable de m'y apparier. Reginald ne le peut pas non plus : ses jambes luisent du liquide verdâtre de son sang.
Mais nous avons un atout, indispensable et précieux. L'un des 'modules universels' de la machine-univers, justement destiné à manoeuvrer le chaos et l'improvisation, dans les rouages du cosmos. British. Avec des bottes de vinyle rouge sombre. Qui se tient à présent debout au dessus de la console, me surplombant moi aussi. Prête à accomplir ce pourquoi son pouvoir de mimique est fait.
"Bon sang. Quand je pense que je n'ai déjà jamais su faire fonctionner correctement l'interface de la télé".
Je lève la tête, je la regarde, ma main sur ma poitrine cicatrisée, mais courbaturée comme jamais.
"Dès que tu auras copié mon pouvoir, tout ça te paraîtra limpide, Lila. Peu importe la complexité des machines. Je sais toujours les faire fonctionner, au travers de l'énergie".
Je cligne des yeux.
"Surtout celle-là".
"CONNECTEZ VOUS !"
J'ignore Reginald, qui fit contre le pilier rétro-éclairé, un peu plus loin, les autres ne s'approchant même pas de lui. Je fixe Lila, soucieuse de ne pas reproduire nos erreurs du passé.
"Tu sauras quoi faire. Tu auras surtout à déplacer les formes correspondant à nos pouvoir dans les slots du Sigil, jusqu'au dernier".
Lila acquiesce.
"Celui de l'élagage des timelines. Celui qui ramènera l'univers à une seule, celle que nous allons programmer".
J'hoche la telle.
"Le slot de Ben est le dernier".
Son regard se fait immédiatement résolu, et elle pose sa main sur la surface plane de la console en fer à cheval, qui - pour l'instant - est encore en stand-by.
"Nous sommes prêtes", dis-je aux autres qui nous contemplent depuis la moquette étoilée. Viktor près d'Allison, Ben soutenant Klaus qui a aussi vidé ses forces en me sauvant. Ses frères et soeurs ont comprit ce qu'il a fait. Diego lui a même dit que - finalement - il méritait son titre de prophète à la noix.
"Bon", souffle Luther. "Alors on le fait, ou quoi ?"
Nous nous regardons tous, une dernière fois, puis le regard de Lila se plante dans le mien. Une seconde. Deux. Trois. Avant que j'ouvre la porte, qu'elle s'y engouffre. Que nos pouvoirs en synergie se conjuguent et se parlent.
Puis se connectent à Oblivion.
D'un coup, la console réagit, avec le déclic d'une amorce. Comme si le réel venait d'être branché sur un transistor, à nos sens conjugués. Lila ressent cette puissance remonter dans ses nerfs et ses Aethers, cette exaltation numérique, elle rit, avec toutes ses dents.
"Mortel".
Tout s'aligne, dans le poste de contrôle de la machine-univers tandis que nous fusionnons avec lui : les ports, les bus, les relais. Le double-processeur que nous sommes. Prêt à opérer, dans un bruit de condensation électrique.
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Dans l'instant, les données se mettent à affluer : celles de l'univers : des timelines, des réalités, des apocalypses et des âmes. Nous nous y sentons raccordées, à elles aussi, comme si le réseau du Métro de Max - en cet instant - faisait sens, et partie de nous. Mais il y a autre chose.
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La Purge.
Elle a commencé, elle est en marche, en parallèle de nos actions ici. Plus proche de consumer les Aethers de nos Doppelgänger que jamais : léchant déjà littéralement leurs pieds dans la lumière rougeoyante de la Fin.
"EN POSITION, VITE !"
Au sol contre le pilier, Reginald tonne.
"Vous en premier, Numéro Trois !"
Il presse Allison, car elle est plus importante que tout, pour finaliser - enfin - ce reset parfait qui a mobilisé toute sa vie. Celui qu'il a touché du doigt, il y a six ans, avant de le voir à nouveau compromis. Il l'a enfin, sa deuxième chance, la dernière. Et il ne compte pas la laisser s'envoler.
"OBTEMPÉREZ !"
Là, sur la moquette, les motifs étoilés que Cinq avait mis tant de temps à repérer la dernière fois luisent presque à nos yeux : appelant les plu-gins du système à prendre la place qui est la leur. Allison se tourne vers celui qui n'est plus son père depuis longtemps, lentement.
"Oh, je vais le faire, vieillard".
Elle décroise ses bras, laisse glisser son regard sur lui, et prend place sur l'étoile centrale.
*Clang !* 'Référentiel du réel'.
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Lila comme moi, sentons ce module s'activer au creu de la machine, tandis que le slot s'éclaire sous Allison.
"Bien sûr que je vais le faire".
"ET VOUS ALLEZ HONORER NOTRE CONTRAT".
Tandis que Reginald tente de se relever, et échoue, Luther et Diego se placent à leur tour sur deux slots étoilés, avec un regard conjoint de défi pour ce père qui a si souvent tenté de les dresser l'un contre l'autre.
*Clang !* 'Forces / Gravité / Trajectoires'.
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"Vous avez tout calculé, tout prévu", lui dit Allison depuis l'endroit où elle se trouve, la lumière de l'étoile du Sigil l'éclairant par dessous.
"Vous avec lutté pendant toute notre vie pour nous contrôler, et vous l'avez fait. Aujourd'hui encore, physiquement".
*Clang !* 'Energie / Matière / Ondes'.
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Viktor. Ses bras serrés contre lui, mais plus solide que jamais face à cette homme, au sol, qui lui a fait tant de mal dans sa vie.
"Il y a pourtant une chose que vous avez oublié, espèce d'enfoiré égoïste et maltraitant, pendant que vous étiez occupé à regarder votre nombril au travers de votre monocle".
*Clang !* 'Vies et âmes / Psyché / Plans'.
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Ben vient de lâcher Klaus, et tous deux se sont répartis sur deux des trois étoiles restantes, qui viennent s'illuminer.
"Vous avez peut-être réussi à nous contraindre physiquement de vous accompagner ici. Mais il y a une chose que vous ne contrôlerez plus jamais".
Elle le fixe, elle irradie de calme, là où la colère aurait pu la saisir une dernière fois. Il comprend immédiatement qu'il l'a perdue, qu'il ne l'a en vérité jamais convaincue de se ranger à nouveau de son côté. Et alors que Max sourit, prêt à se téléporter enfin sur le dernier slot, elle ajoute :
"C'est notre âme. Et notre libre arbitre, vieil enfoiré".
*Crac !* *Clang !* 'Espace-temps'.
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*ZZZZZZZMMMMMMMM*
"Geronimo !"
Avec un éclat de rire, Lila pivote en même temps que la console Omega, qui se met à briller d'une lueur dorée. Partout, l'énergie enfle, tandis que les corps des gardiens au sol se désagrègent une fois de plus en une nuée de cafards. Partout dans le lobby, et jusqu'au plus haut de l’architecture de l'Hôtel, des sillons dorés d'énergie pure se déversent, remontant le long des piliers et s'envolant vers le cosmos.
Reginald n’exulte plus, il n'enrage même plus, il est tout simplement terrifié, son monocle au sol. La phase opérationnelle d'Oblivion est en marche, à présent, et il n'est plus qu'une brindille, emportée par le vent implacable d'un reset dont il ne fera pas partie.
La sphère bleutée de contrôle de l'interface se déploie, son écran affichant le Sigil, et les différents slots prêts à être validés. Lila sait ce qu'elle a à faire, tandis que je la regarde depuis le sol, ma main sur ma poitrine endolorie. Simplement faire glisser les modules uns après les autres sur leurs emplacements, celui de Ben en dernier.
Mais elle se retourne, et capte le regard de Diego, de Klaus, de tous, qui sont déjà en train de sentir les premiers picotements de leurs êtres, prêts à nourrir la machine-univers. Car Oblivion est une machine auto-alimentée, à usage unique, se consumant elle-même pour s'approvisionner en énergie. Et la seule chose la faisant fonctionner : c'est nous.
"Laissez-vous faire, ne résistez pas, laissez-vous aller", souffle Max tandis que les premières particules se détachent de son être.
*SHRRRR*
"Ça chatouille".
Klaus serre ses deux avant-bras contre-lui, mais me fixe avec un regard en paix, confiant. Et Luther hoche la tête ardemment, ému mais prêt, impatient de retrouver Sloane.
"Je le sens aussi. Ça va aller. Accrochez-vous, d'accord ? C'est presque terminé".
Cette fin n'en est pas une. Elle porte le message de la Tour, et du Dix d’Épées, les tarots de Klaus nous l'avaient toujours dit. Nous allons devoir mourir, ce soir : c'est déjà en train d'arriver. Pour renaître dans le réel que sommes en train non pas de réimplémenter, mais simplement de patcher. Imparfait, douloureux, parfois injuste. Mais humble, et ouvert à notre renouveau.
"Merci de me laisser faire partie de votre drôle de famille", souffle Lila, sa main déplaçant déjà le premier slot, celui d'Allison.
Ses yeux sont mouillés de larmes, mais elle porte un sourire plein d'espoir, elle aussi, que lui rend Viktor don les Marigolds commencent à être emportés.
"Je suis content qu'on soit tous ensemble", dit-il, ignorant Hargreeves, qui vient de retirer son monocle, et de le laisser rouler au sol. Allison tourne la tête vers lui dans sa propre souffrance heureuse.
"On se retrouve très bientôt", dit-elle, et Diego sourit sous sa moustache.
"Pour le brunch du dimanche".
Max rit, avant de que son visage se crispe sous le coup de la douleur de son délitement.
"Avec plaisir".
*SHRRRR*
Lila se retourne finalement vers la sphère de contrôle, ses larmes coulant sur ses joues. Ses doigts pianotent une fois, son bracelet de perle glisse un peu plus bas sur son bras, par dessus le tatouage du parapluie retourné. Et puis sa main se pose sur l'écran, et commence à faire glisser les slots, un par un.
Je ferme les yeux, je les ressens, au plus profond de mon être. Je laisse les données couler à travers moi, et à travers la mécanique universelle.
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Un retour à la timeline originelle, à l'identique sauf petites mentions, qu'Allison porte avec elle. Fidèle à ce que nous avions convenu ensemble. Sans Reginald. Mais avec nous.
Bientôt, il ne reste plus qu'un plug-in, celui de Ben, et je peux sentir à quel point le temps presse. Les créatures d'Eldritch sont prêtes à quitter leur plan, à se déverser dans la timeline de la Purge, au travers du portail monstrueux et rougeoyant que Ben et Jennifer ont ouvert. Mais nous y sommes. Nous allons leur faire élaguer les timelines, mais le faire avec nous. Et juste à temps.
"Je tenais à vous dire..."
Cette voix, c'est celle de Klaus, qui s'élève tandis que Lila pose ses doigts sur le module de Ben. Le déplace. Le valide sur le Sigil, qui se trouve immédiatement remplacé par un bouton doré de validation final, très loin du bouton rouge que j'avais brandi de façon désespérée sous les yeux d'Allison, la dernière fois.
"Pendant longtemps, j'ai pensé que tout ce que l'Umbrella Academy savait faire avec l'amour, c'était le foutre en l'air..."
Il rit au milieu de ses larmes et de sa douleur, alors qu'il ne reste presque plus rien de lui. Et en serrant les longs cils de ses paupières, il ajoute :
"Maintenant, je pense que nous n'avons jamais cessé d'apprendre, à ce sujet".
*SWEEEEEEP*
Lila vient d'appuyer sur le bouton, et d'un seul coup, la lumière emporte tout, à l'exception de nos souvenirs.
Ceux de nos voyages en Métro.
Du bruit de la machine à tatouer de Ben.
Des verres de kombucha entrechoqué.
Des rires des mômes à Lil'Monkeys.
Les danses, malgré le grondement du Kugelblitz.
La playlist terrible du bal du mariage de Luther et Sloane.
Le jazz rétro de l'Obsidian Bar où nous trinquions.
Les bagarres endiablées, avec les Sparrows.
L'unité malgré le froid sonique, sur les maïs du Texas.
Les retrouvailles au milieu des télés vintage et des postes de radio.
Les communions avec la musique des Enfants du Destin.
Les oeillets d'inde sur le Gange, emportés par les eaux.
Notre persévérance, malgré les débris de Lune, fonçant vers le Théâtre Icarus et la Terre.
Quelques pop-corn partagés à la barbe des fusillades de bowlings.
La lumière au travers des vitraux du Grand Escalier, les cookies de Grace.
Les murmures et le café du matin, dans le 'Salon des Enfants'.
Les squats.
Les gaufres.
Les larmes.
Les silences.
Les cellules, comme au matin du monde.
Le sourire de ma mère, et Granny.
Sur le plan du Métro de Max, les lignes se réduisent une à une, emportant les apocalypses, les luttes et les souffrances. Rendant au temps une cohérence, une stabilité. Effaçant la timeline de La Purge. Nos Marigolds. Et le début de notre vie.
Débouchant sur une timeline unique, flambant neuve. Libre.
Une dernière courbure de l'espace-temps.
Où nous ne demandons qu'à être nous.
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Notes :
Nous voici à la fin. Et au début. Reginald l'aura compris, trop tard : l'humanité de ses 'Enfants', celle qu'il a toujours considéré comme leur plus immense faiblesse, aura finalement été leur plus grande force, et ce qui les aura rassemblés.
J'aime cette idée que peu importe qu'il tente de les contrôler physiquement, il n'a plus d'emprise sur leurs âmes, et l'équipe unie qu'ils sont devenus. Allison aura bien fait de laisser planer le doute en lui, jusqu'au bout. Ce qu'elle avait à réimplémenter, elle le portait déjà avec elle. Sans lui.
La fin du chapitre se déroule pendant la scène de la Purge, dans la série, au moment où les Hargreeves commencent à se faire emporter. Les dialogues entre eux sont les mêmes, ici, à quelques ajustements prêts. A l'exception de la dernière ligne de Klaus, un écho de son sentiment dans la Saison 2.
Chaque saison de cette histoire a compté 30 chapitres. Exactement.
Celle-ci... en comptera un de plus.
Rendez-vous très vite pour l'épilogue.
Tout commentaire fera ma journée ♡