Pour le bien de l'humanité

Chapitre 2 : Dans le froid

1716 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/09/2020 15:32

Sans se redressa difficilement, sonné. Le monde tanguait autour de lui et il n'était pas certain de savoir où il se trouvait exactement. Le soleil brillait de nouveau dans le ciel, signe que la nuit sanglante s'était finalement achevée. Autour de lui, il n'y avait plus un bruit, plus un mouvement. Il ne restait que des ruines et des cadavres par centaines. Le quartier entier avait été détruit, il n'en restait plus rien.


"Papyrus ! se reprit-il, horrifié."


Il se força à se mettre sur ses jambes et regarda autour de lui, paniqué. Il était serré contre lui, il en était certain. Il ne pouvait pas avoir disparu ! Les larmes lui montèrent aux yeux alors qu'il s'acharnait sur les débris autour de lui. Il soulevait des pans de murs plus grands que lui, poussait les corps, fouillait le moindre recoin : il n'était pas là. Et s'il était mort ? Il ne pouvait même pas le savoir. Lorsqu'un monstre mourrait, il se transformait en cendres. Avec le vent qui soufflait ce matin, il ne pourrait retrouver sa trace. 


Terrifié à l'idée d'avoir perdu son petit frère, Sans s'effondra et se mit à hurler de détresse. Les larmes coulaient sur son crâne noirci par la poussière et y traçaient de longs sillages blancs. 


"S-Sans ? appela une petite voix, quelque part derrière lui."


Il se figea, avant de faire volte-face. Une petite forme avançait courageusement dans les décombres. Toujours recouvert par sa couverture bleue aux motifs d'ours en peluche, Papyrus boitait dans sa direction. Il ne marchait pas très droit et à chaque pas, il vacillait, poussé en avant par le poids du drap. Et soudain, il s'effondra. Sans accourut à ses côtés. Il prit le petit squelette et le serra contre lui de toutes ses forces, rassuré de le sentir sous ses mains. Papyrus était dans un sale état, mais il était vivant, et c'était tout ce qui importait à son frère actuellement. Le cadet rendit le câlin fermement, mais se laissa bientôt simplement porter, incapable de lutter.


"Tu es blessé ? demanda Sans doucement. Pap', tu as mal quelque part ?

— Je... J'ai mal à la tête... répondit l'enfant d'une petite voix.

— Eh, eh, ça va aller, d'accord ? On, on va trouver de l'aide. On doit partir dans la montagne. Tu te souviens ? C'est ce que Papa nous a expliqué. Quelqu'un pourra nous aider là bas. Tout ira bien. C'est juste... C'est juste toi et moi, d'accord ? Je veille sur toi. Tu n'as rien à craindre."


Quelque chose n'était vraiment pas normal dans l'attitude de son petit frère. Sans voulut le relever mais il tenait à peine debout. Il était mou, tout son corps reposait sur ses mains. Inquiet, il baissa doucement sa tête pour regarder l'état de sa blessure et hoqueta d'effroi. Elle parcourait désormais plus de la moitié de son crâne sur la longueur, et était même ouverte sur un côté. Sans n'y connaissait rien, mais savait que c'était grave. Papyrus avait besoin de soin et rapidement. 


Maladroitement, il passa une main sous ses jambes, une autre sous sa tête et le souleva doucement. Papyrus ne réagit pas plus que ça, et ne tarda d'ailleurs pas à fermer les yeux et se laisser bercer par son frère. Sans parcourut les ruines du regard et buta sur le grand sac noir donné par son père, à quelques mètres de lui. Il s'en saisit difficilement et le passa autour de son autre bras pour équilibrer le poids. Il tâta ensuite sa poche. La seringue était toujours là, il pouvait la sentir. Ils ne s'en sortaient pas si mal, finalement.


Le cœur rempli d'un peu plus de détermination, il commença à avancer vers la montagne. Plus vite il arriverait à destination, plus vite son petit frère irait mieux. Il ne comptait pas le laisser tomber.


********


Il marchait depuis plus de deux heures maintenant et chaque pas était une torture. Il neigeait. Le froid glacial traversait les os des deux petits squelettes qui grelottaient, recouverts simplement par les manteaux laissés par leur père et la couverture de Papyrus. Sans l'avait enroulé dedans pour le protéger des mouvements un peu trop brusques. Son frère alternait les phases d'éveil et celles de somnolence, de plus en plus nombreuses et longues. Il n'aimait pas ça. Il cherchait à le maintenir éveillé en lui racontant des histoires et des blagues, mais depuis quelques minutes, même les plus drôles d'entre elles ne le faisaient plus sourire ou lever les yeux au ciel.


Sans savait qu'il ne tiendrait plus longtemps. Inconscient, le poids de son cadet lui pesait sur les bras. Ses os tremblaient sous l'effort intense, son frère puisait dans ses dernières forces pour le porter. Ils allaient devoir faire une pause s'ils voulaient aller plus loin. Mais où ? Ils avaient quitté la ville depuis longtemps et seule une forêt dense les entouraient désormais.


"Sans ? appela Papyrus d'une voix faible. Je... Je me sens vraiment pas bien."


L'aîné s'approcha d'un sapin aux larges branchages qui couvraient un petit espace sec. Il posa doucement Papyrus contre le tronc. Le petit squelette maintint difficilement sa tête droite, les yeux vaseux. Sans posa son sac à dos et sortit un paquet de gâteau. Il ouvrit le sachet et en tendit un à son petit frère.


"Tout va bien, tu dois... Tu dois juste avoir faim, mentit-il pour le rassurer. On va faire une pause, il faut que tu manges un peu. D'accord ?" 


Papyrus hocha faiblement la tête et commença à grignoter son biscuit. Sans hésita un instant avant de s'écarter un peu. Il fit le tour des environs, comme son père le faisait lorsqu'ils allaient faire du camping avant qu'il ne devienne le scientifique royal. Une boule se forma immédiatement dans sa gorge en pensant à lui. Avait-il survécu à la bataille ? Peut-être même était-il en train de les chercher ? Sans avait toujours été débrouillard. Si son père était sur ses traces, il savait qu'il se dirigeait vers la montagne. Ils tomberaient forcément dessus à un moment ou un autre.


Tout du moins, il l'espérait.


Il retourna au chevet de Papyrus, bredouille. Pas de grotte, pas de cabanes, pas d'abri pour la nuit. Ils allaient devoir supporter la morsure du froid jusqu'à l'aube. Son petit frère s'était endormi, recroquevillé sur lui-même. Sans en profita pour fouiller le sac-à-dos. Son père avait une formation militaire, ce qui se trouvait à l'intérieur était forcément utile. Il y avait de la nourriture pour environ une semaine et de l'eau. Plusieurs bandages traînaient dans le fond. Il saisit une bande et l'enroula soigneusement autour de la blessure de son petit frère. Une lumière rouge attira son regard. Un petit appareil se trouvait là. Il ressemblait à un vieux téléphone auquel une grande antenne était attaché, avec un capteur rouge qui clignotait. Un grand écran recouvrait la face avant du mécanisme. Sans tâta les différents boutons avant de trouver celui qui allumait l'appareil. Il glapit de surprise.


SANS : 0,74/1 HP

PAPYRUS : 11/35 HP

GASTER : SIGNAL PERDU

ARIAL : SIGNES VITAUX INEXISTANTS


D'autres indications s'affichaient, mais l'aîné ne pouvait quitter des yeux ces quatre lignes si petites et pourtant si précieuses. Son père avait toutes sortes de bibelots, à l'utilité plus ou moins discutables. Celui-ci mesurait de toute évidence les points de santé des membres de leur famille. 


Sans était né avec la particularité de n'avoir qu'un seul point de vie. Il avait dû s'y habituer très tôt. Un rhume, une chute, un coup accidentel pouvait lui être fatal. Son père avait fait au mieux pour combler cette lacune en lui apprenant à fractionner son âme. Il pouvait ainsi se sortir de situations complexes sans énormément de dommages. Mais chaque fragmentation avait de lourdes conséquences sur sa santé mentale, physique et psychique, si bien qu'il préférait éviter le combat. Il avait eu beaucoup de chances de s'en sortir lors de leur fuite hasardeuse, mais il devait désormais faire attention. Manger pourrait régler son niveau de vie, mais il voulait penser à Papyrus avant lui. Ce n'était pas catastrophique, il pouvait encore tenir.


En revanche, les points de santé de Papyrus étaient alarmants. Il avait perdu plus de la moitié de sa santé, et Sans craignait que cela ne continue s'il ne soignait pas rapidement sa fissure. Son regard buta ensuite sur le relevé de sa mère, mais il se reprit rapidement et effaça les larmes qui menaçaient de couler. Sans, tu es un grand garçon, lui avait dit son père. Les grands garçons ne pleurent pas pour des choses aussi futiles. Pense à Papyrus. Il a besoin de toi. Et le sujet avait été clôs. Depuis la mort de sa mère, toutes ses tentatives de partager sa détresse avec son père s'étaient achevées par un échec. Il ne montrait jamais ses émotions, il les considérait comme une faiblesse. Et Sans n'avait pas le droit de les montrer non plus, au péril de sa propre vie. Alors il s'était tû et avait refoulé sa tristesse.


Et voilà qu'après seulement quelques jours, Papyrus risquait lui aussi de devenir une victime de la guerre. Il ne pouvait pas le supporter. Il était la dernière chose qui le rattachait à ce simulacre qu'avait pu être sa famille encore une semaine auparavant. S'il le perdait, il n'était pas certain de s'en remettre. Il posa un regard bienveillant sur son frère et s'interdit de pleurer. Papyrus était trop jeune, trop faible pour s'en sortir seul. Tout reposait sur lui désormais.


Il renifla bruyamment et défia le paysage des yeux. Il sauverait Papyrus. Il en était capable. Il rejoignit son petit frère et le colla contre lui. Les deux petits bras l'encerclèrent. Sans s'assoupit quelques minutes à ses côtés. Ils allaient avoir besoin de forces pour passer la nuit : ils pouvaient bien s'accorder une petite sieste.



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