Pour le bien de l'humanité

Chapitre 4 : La mort en marche

1630 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/09/2020 11:09

Papyrus aimait beaucoup son grand frère. Beaucoup, beaucoup. Mais il avait un défaut : quand il dormait, tant qu'il ne l'avait pas décidé, il était impossible de le réveiller. Sans le tenait fermement contre lui et ne le lâchait pas malgré ses protestations. Mais en même temps, le jeune squelette n'était pas certain de vouloir être lâché. Lorsqu'il s'était réveillé en pleine nuit, seul, il avait cru qu'on l'avait abandonné. Que Sans l'avait abandonné. Ou pire, qu'il était... Comme sa mère, comme tous ceux qui avaient compté depuis sa naissance.


Il n'avait plus énormément de modèles sur qui compter. Les squelettes avaient été le premier front contre les humains. Ils étaient tous tombés. C'est ce que son père avait à Asgore, le roi des monstres. Il ne restait plus qu'eux trois : Sans, son père et lui. Même si la survie de l'un d'entre eux demeurait incertaine. 


Papyrus ne se souvenait plus vraiment de ce qui s'était passé ces derniers jours, mais il s'en fichait. Tant que Sans était à ses côtés, tout irait bien. Sans savait toujours quoi faire. Même dans ce matelas qui ne lui appartenait pas, dans cette tente qu'il n'avait jamais vu, son frère gardait ses arrières. Il n'avait rien à craindre.


"Sans ? appela-t-il d'une petite voix. Tu es réveillé ?"


Un grognement intelligible lui répondit. Papyrus se retourna dans le sac de couchage pour lui faire face. Ce simple mouvement raviva légèrement la douleur derrière sa tête. Il posa une main sur son crâne : un bandage recouvrait presque entièrement l'os. Papyrus poussa un petit gémissement de douleur. Quand il releva la tête, Sans le dévisageait avec inquiétude. 


"Pap', tu es réveillé ? Depuis quand ? Tu vas bien ?

— Je... Je crois que ça va. Où est papa ?"


Le regard de Sans s'assombrit légèrement.


"Il... Euh... Il va bientôt revenir. J'en suis sûr. Ne t'inquiète pas de ça, tu dois te reposer. D'accord, petit frère ?"


Il ne répondit pas, pensif. Papyrus n'était pas un idiot, il savait. Il avait vécu la mort de sa mère comme une trahison. Gaster et Sans avaient fait l'erreur de le tenir à l'écart trop longtemps, pour ne pas que ce soit trop douloureux. Mais le squelette avait fini par l'apprendre de la pire des façons par la bouche des commères du quartier. Sans ne l'avait jamais vu aussi triste et en colère que ce jour-là. Il avait refusé de manger pendant plusieurs jours, avant de finalement craquer dans les bras de son frère en lui faisant jurer de ne plus jamais lui mentir. 


Papyrus le regarda longuement dans les yeux pour s'assurer qu'il ne mentait pas. Sans resta impassible, quand bien même son coeur lui hurlait de lui avouer qu'il devait se préparer au pire. Il était trop jeune, trop innocent pour accuser la nouvelle. Son monde se fissurait déjà, il ne voulait pas être le marteau qui ferait voler le reste de sa vie en éclat. Il se contenta de serrer son petit frère contre lui pour le rassurer. Que pouvait-il faire d'autre ?


Le voile de la tente s'ouvrit. Les malades se mirent à gémir en choeur et tendre des mains vers la créature qui se promenait entre les lits. Le chaman, une espèce de dinosaure orange, servait les bols de nourriture en rationnant scrupuleusement chaque portion. Sans se cacha légèrement derrière son frère. Il avait presque oublié qu'il n'avait absolument rien à faire ici. Undyne avait-elle déjà remarqué son absence ?


Le monstre ne tarda pas à remarquer sa présence. Ils se regardèrent dans le blanc des yeux un moment avant qu'il ne claque la langue d'agacement. 


"Toryne ! rugit-il."


La mère d'Undyne ne tarda pas à apparaître à l'entrée. Il pointa un doigt accusateur sur Sans, mais le squelette affermit sa prise sur son frère. Toryne soupira et traversa la tente pour le récupérer. Elle lui prit le bras de force. Sans résista.


"Non ! hurla-t-il. Je reste avec Papyrus !

— Sans, c'est dangereux ici. Ne reste pas là.

— Si c'est dangereux, alors Papyrus part avec moi.

— Mon enfant, ne rend pas les choses plus compliquées qu'elles ne le sont. Ton frère a besoin de..."


Elle se tourna vers l'extérieur avec inquiétude, avant de renifler l'air comme un chien sur la piste du gibier. Son visage se fit inquiet et le chaman le remarqua directement.


"De la poudre d'arme à feu, dit-elle précipitamment. Des humains arrivent.

— Il faut partir d'ici ! réagit immédiatement le chaman. 

— Nous n'aurons pas le temps de remballer le matériel. Et certains blessés ne peuvent pas marcher."


Le chaman lança un regard dédaigneux à Papyrus. Le petit squelette serra son frère un peu plus fort. 


"On n'a pas besoin de les emmener. Ils ralentiront les hommes et on pourra fuir.

— C'est hors de question, trancha Toryne avec agressivité. Je ne me suis pas battue pendant des heures pour les sauver pour rien.

— Ils vont nous conduire à notre perte !

— Je préfère crever l'épée à la main plutôt que de vivre avec leurs âmes sur la conscience."


Le monstre siffla bruyamment.


"Fais ce que tu veux. Moi, je n'attendrais pas la mort. Alphys !"


Une petite créature orange, semblable à son père en petit format, apparut de derrière un lit.


"On s'en va d'ici. Rassemble les médicaments.

— Quoi ? enragea Toryne. Vous allez nous laisser sans vivres ?! 

— Ma fille compte plus que toutes les personnes dans ces lits."


Impuissante, les poings serrés, Toryne ne pu que les regarder emballer leurs affaires. Sans, nerveux, serra un peu plus son petit frère contre lui. La mention des humains l'avait effrayé. Papyrus serait-il encore capable de fuir ? La question tournait dans sa tête, encore et encore. Le petit squelette posa une main sur le bras de son grand-frère.


"Sans, est-ce qu'on va mourir ?"


Il hoqueta face au regard si innocent et triste de son frère. Il le serra fort contre lui.


"Non, bien sûr que non. Toi et moi, on est des battants. Tu es le meilleur, Papyrus, ne l'oublie pas."


Il ne croyait pas à ses propres mots, mais cet hideux mensonge calma son frère quelques temps. Toryne leur sourit avant de sortir de la tente. Les enfants l'entendirent crier de remballer les affaires. Ceux qui pouvaient ou voulaient partir devaient suivre le père d'Alphys. Peu de monstres se portèrent volontaires. La plupart accueillirent la menace de l'attaque des hommes avec un calme inquiétant. Même s'ils n'étaient pas des soldats, Sans sut qu'ils se battraient pour l'ensemble du groupe.


En une heure, une partie du camp avait levé les voiles. Il ne restait que d'anciens combattants, les malades, et Undyne. La jeune fille-poisson avait reçu comme consigne de veiller sur Sans et Papyrus. Elle prenait son rôle à coeur et avait même tissé un début de lien avec le cadet. Toryne avait décidé de les mettre tous les trois en sécurité dans une grotte un peu plus loin, qu'elle avait camouflé grâce à un sort magique et quelques branchages. Les blessés les plus graves les avaient rejoint rapidement.


Dans un silence religieux, tous attendaient avec appréhension la suite des événements.


"Tout ira bien, tenta de se convaincre Undyne. Maman va leur exploser la figure, et ensuite on ira dans la montagne rejoindre les autres. Ma maman, c'est le monstre le plus fort de tous les autres monstres, se vanta t-elle dans un grand sourire."


Sans espérait vraiment qu'elle avait raison. Papyrus s'était endormi contre lui. Il tremblait légèrement sous la brise froide qui passait le bouclier magique par moments. Son grand frère avait fini par retirer son manteau pour le couvrir un peu plus. Pendant les longues heures qui suivirent, il se demanda s'il reverrait un jour son père. Il avait de la ressource, certes, mais pouvait-il vraiment tenir face à plusieurs humains ? Son poste de scientifique royale ne lui accordait pas plus d'immunité qu'un autre monstre. Ces titres ridicules n'avaient d'ailleurs plus aucune signification. Aujourd'hui, ils étaient tous des soldats.


Il leva la tête vers Undyne. Assise près d'un grand flocon de neige vivant, elle lui parut en pleine détresse. Alerté, Sans déposa doucement son frère au sol et s'approcha. Le monstre haletait bruyamment.


"Qu'est-ce qu'il a ?

— Je ne sais pas ! cria la petite. Tout allait bien, et puis... Et puis c'est arrivé..."


Sous leurs yeux, il tomba soudainement en cendre. Les deux enfants restèrent silencieux, choqués par cette mort aussi brutale que inattendue. Les autres blessés n'étaient pas assez conscients pour se rendre compte du drame qui venait d'avoir lieu. Sans posa une main sur l'épaule d'Undyne, toujours penchée au-dessus du tas de poussière.


"On ne peut plus rien faire pour lui, je suis désolé.

— Mais, il ne devait pas... Je devais le surveiller... J'ai... J'ai échoué... C'est de ma faute, je..."


Ses épaules se soulevèrent alors que des larmes dévalaient ses joues. Sans s'accroupit et lui fit un câlin pour la consoler. Elle pleura longuement contre lui.


Ils furent interrompus par plusieurs cris, puis des coups de feu. Papyrus se réveilla en sursaut, tout comme la plupart des monstres endormis. Parmi tous les bruits qui existaient, celui-ci était connu d'eux tous : le bruit de la mort en marche.

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