Pour le bien de l'humanité

Chapitre 11 : Le scientifique royal

2592 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/09/2020 18:06

Sans s'éveilla bien après les autres, alors que le soleil était déjà haut dans le ciel. Il ne pouvait pas nier cependant que la nuit avait été réparatrice. Il se sentait plus calme et serein, contrairement aux autres jours. Il prit appui sur le matelas pour se redresser dans le lit, le cerveau encore embrumé par le sommeil. Les enfants étaient tous là. Papyrus et Charlie jouaient silencieusement avec des puzzles sur le tapis vert, Undyne était assise dans son lit, un livre sur les genoux, concentrée. Ils allaient bien. En tout cas physiquement.


Il se laissa glisser au sol et traîna des pieds jusqu'à la porte. Alors qu'il s'apprêtait à l'ouvrir, Toriel le devança. La reine lui offrit un grand sourire et rentra dans la pièce. Papyrus lâcha ses poupées pour venir prendre la main de son frère et écouter ce qu'elle avait à dire, curieux.


"Ravie de voir que vous avez meilleure mine, dit-elle dans un grand sourire. Je suis venue chercher Papyrus et Undyne, pour qu'ils aillent essayer leurs nouveaux uniformes de travail.

— Wowie ! s'enthousiasma Papyrus. Sans ! Tu viens avec moi ?

— Oh non, mon ange, le reprit doucement Toriel. Ton frère va devoir rester ici, ton père a besoin de lui. Mais tu le reverras en rentrant tout à l'heure, je te le promets."


Le regard de Sans s'assombrit légèrement au rappel de cet événement déplaisant à venir. Il se reprit cependant bien vite. Ne rien montrer, surtout ne rien montrer. Il offrit un sourire réconfortant à Papyrus, déjà sur le point d'argumenter pour qu'il vienne.


"Tu te débrouilleras très bien tout seul, l'encouragea son frère. Et puis Undyne sera avec toi. Il faut bien quelqu'un pour surveiller Charlie."


Se retrouver seul avec l'humain pendant plusieurs heures lui plaisait encore moins. Mais il devrait faire avec. Papyrus finit par hocher la tête et prendre la grande main poilue que Toriel lui tendait. Undyne vint se greffer à son petit frère. Elle lança un petit sourire à Sans et tous les trois quittèrent la chambre. 


Quand la porte se ferma, le squelette ressentit immédiatement un vide immense dans son âme. Il n'aimait pas être séparé de son frère, et Gaster le savait parfaitement. Pourquoi l'avoir mis à l'écart ? Pour ne pas qu'il puisse l'aider ? Pour l'empêcher d'assister à quelque chose qui n'allait vraiment pas lui plaire ? Il se mit immédiatement à faire les cent pas dans la pièce, comme un lion en cage. Et si quelque chose arrivait à Papyrus ? Et s'il ne le revoyait plus ? Et si son père l'envoyait faire cette mission pour se débarrasser de lui ? Les pires hypothèses se succédaient dans son cerveau et il se sentit perdre peu à peu les pédales.


Son œil vira soudainement au bleu, et avant qu'il n'ait eu le temps de réaliser, il se téléporta juste devant Papyrus... En haut des escaliers. Il bascula en arrière et poussa un cri en dévalant les marches une à une. A chaque coup dans les côtes, il sentit son âme se fissurer un peu plus. Il atterrit violemment en bas dans un bruit d'os brisé, et il poussa un hurlement de douleur en s'aperçevant qu'un morceau de son bras droit s'était brisé net et gisait quelques mètres plus loin.


"Sans ! hurla Papyrus, complètement paniqué. Sans ! Sans ! Tu t'es fait mal ? Oh non, non, pitié, ne meurs pas, se mit-il à pleurer. Ne meurs pas Sans, t'as pas le droit. Papa ! Papa ! hurla-t-il, hystérique. 

— Undyne, dit calmement Toriel, emmène-le avec toi dans le salon, je vais m'occuper de lui."


La fillette essaya de le saisir au bras, mais Papyrus se dégagea violemment et se jeta protectivement au-dessus de son frère. Ses deux yeux virèrent au orange et une énorme tête d'animal squelettique se matérialisa derrière lui. La bête ouvrit grand la gueule et cracha un rayon de magie qui pulvérisa le canapé, le tapis et la table basse qui se trouvait sur son chemin. Toriel se le prit partiellement en poussant Undyne de la trajectoire. Plusieurs monstres accouraient de tous les côtés pour essayer de calmer son petit frère, mais Papyrus n'entendait plus rien. Aveuglé par la peur et la colère, il se mit à tirer au hasard tout autour de lui, touchant aléatoirement les murs, le sol, les meubles ou les gardes royaux.


Sans prit sur lui pour se calmer. Il devait arrêter Papyrus avant qu'il ne commette l'irréparable. Il leva une main tremblante vers lui.


"P...Pap', je suis là. Regarde."


L'enfant baissa les yeux vers lui et accrocha son regard. Sans toucha son visage et essuya ses larmes.


"Je... Je vais bien. Mais tu dois laisser Toriel m'approcher pour qu'elle puisse... m'aider, dit-il en pointant son morceau de bras de la tête. Calme-toi Papyrus. Je vais bien, je te le promets."


Papyrus continua de renifler bruyamment pendant quelques secondes, avant de finalement s'écrouler de fatigue sur son frère et de se mettre à pleurer à chaudes larmes. Son invocation disparut dans une explosion de magie. De son bras valide, Sans le serra contre lui pour le rassurer. C'était la première fois qu'il utilisait ce type de magie, lui aussi. Et elle était plutôt féroce. 


Toriel sortit de sa couverture, derrière un fauteuil, et dépoussiéra sa robe mauve. Elle s'assura dans un premier temps qu'Undyne, collée à ses jambes, n'avait rien, avant de se rapprocher à vive allure de Sans. Elle récupéra son bras et, le plus délicatement possible, le remit à sa place. Elle serra ensuite la prise dessus et une lumière verte réparatrice vint le ressouder à sa place originelle. Les fractures étaient communes chez les squelettes, par chance, elle savait comment les traiter. Sans se contenta de serrer les dents et d'attendre que la douleur s'estompe. 


"Qu'est-ce qui s'est passé ici ?"


La voix sèche et autoritaire tétanisa le squelette sur place. Papyrus, inconscient du danger, s'empressa de courir vers son père, toujours chamboulé par tout ce qui venait de se produire. Il s'empressa de tout lui raconter dans les moindres détails, et Sans sentit le regard de Gaster posé sur son cou. Il n'avait pas besoin de le regarder dans les yeux pour savoir que ce qui l'intéressait tant n'était pas son état mais la façon dont il avait réussi à se téléporter.


Sans se tourna légèrement vers lui. Son père avait déjà repoussé Papyrus comme s'il s'agissait d'un animal de compagnie inutile et se rapprochait de lui. Trop tard pour fuir. A côté de lui, Toriel fronça les sourcils à mesure que l'enfant se contractait d'appréhension.


"Je vais m'en occuper, lâcha Gaster.

— C'est déjà fait, répliqua froidement Toriel. Ce dont cet enfant a besoin, c'est de repos.

— Je vais m'en occuper, répéta son père d'une voix plus menaçante."


Sans se releva sur ses deux jambes et prit la main que Gaster lui tendait. Il remercia tristement Toriel du regard avant de suivre le scientifique royal à l'extérieur. En passant, il chuchota à Papyrus de rester sage. Le petit squelette fit une croix silencieuse sur son cœur et rejoignit la reine et Undyne. 


La route vers le laboratoire se fit dans un silence pesant. Sans n'osait pas relever le regard vers son père et essayait de s'adapter à sa cadence malgré la douleur. Toriel avait soigné les gros dégâts, mais il sentait toujours les fissures désagréables de son âme. Gaster posa sa main sur le digicode à l'entrée, et ils entrèrent tous les deux dans le lieu froid et vide.


Le nouveau laboratoire était encore plus blanc que l'ancien. Tout sentait le neuf, plusieurs tables et inventions étaient d'ailleurs toujours soigneusement emballées sous des bâches. Les disciples de son père, des monstres choisis de sa main pour leur intelligence et surtout leur niveau bas de compassion, erraient dans les couloirs, des calepins et des objets étranges à la main, tous vêtus de cette immonde blouse blanc-gris où leur numéro de matricule était gravé. Personne n'avait de nom ici, à part bien sûr Gaster, l'égo de ce dernier étant bien plus important que celui de ses travailleurs.


Le scientifique l'emmena dans une salle d'examen qu'il reconnut immédiatement comme spécialisée dans les âmes : ses murs étaient tapissés de moniteurs et un énorme extracteur-distributeur de détermination était pendu au-dessus de la table en métal. Sans eut un frisson désagréable à sa vue. La machine ressemblait comme deux gouttes d'eau au blaster produit par Papyrus quelques minutes plus tôt à peine, en bien plus gros et bien plus menaçant. Sans ne connaissait que trop bien ses effets.


"Monte sur la table, ordonna son père."


Pendant qu'il enfilait sa blouse, Sans poussa l'escabeau et escalada difficilement la table, sur laquelle il se coucha docilement. Des bracelets de métal claquèrent autour de ses poignets et de ses chevilles. Gaster se rapprocha, un masque sur la bouche, et commença à poser des électrodes sur le crâne et la poitrine de Sans, sans que celui-ci ne trouve rien à redire, habitué à ces manipulations.


"Qu'est-ce qui t'as pris ? le réprimanda immédiatement son père. Tu aurais pu te tuer stupidement là bas. Je vais mettre ça sur le compte de la fatigue, mais tu n'as pas intérêt à me refaire un coup comme ça. Encore moins après les incroyables résultats que j'ai relevé sur ton moniteur de voyage. Tu es précieux, Sans, même si tu ignores encore pourquoi."


Le petit squelette le laissa monologuer. Il ne servait à rien de répondre. Il n'y avait d'ailleurs rien à répondre. Sans tira la grimace lorsque son père saisit son âme à deux mains et la fit glisser hors de sa cage thoracique. Le petit cœur bleu pâle avait bien souffert. Une large fissure le parcourait de haut en bas, et la partie supérieur avait même commencé à se déchirer. Il avait vraiment eu chaud. Un peu plus, et il se serait brisé en deux parties impossibles à ressouder. On ne collait pas une âme comme l'on recolle un os. 


Gaster fit une pression désagréable dessus, puis y passa une très fine aiguille qui fit se cabrer son fils de douleur. Il brancha ensuite l'aiguille à un des fils qui pendaient de l'immense machine au-dessus de lui. Un bouclier magique se souleva autour de lui et le "soin" commença. La détermination à trop forte dose était mortelle pour tout monstre normalement constitué, mais elle avait aussi la capacité de réparer les dommages liés aux âmes lorsqu'elle était correctement maîtrisée. Gaster était l'un des rares à en être capable, mais il abusait de ce pouvoir et le manipulait à des fins qui ne plaisaient vraiment pas à Sans. Pendant que son âme se "rechargeait", Gaster partit chercher une chaise et s'installa à côté de lui.


Les questions désagréables pouvaient commencer.


"Ce ne sera pas une surprise pour toi si je t'annonce que le moniteur que je t'ai donné était en vérité une machinerie d'analyse sophistiquée. Eh bien, ce qu'elle a relevé est fascinant. Outre tes pics d'énergie quand tu as utilisé ta magie, il y a celui-ci, dit-il en pointant un grand trait sur un schéma, qui m'a beaucoup intéressé. Vois-tu, pendant quelques secondes, tu as disparu de la réalité. J'ignore comment tu as fait, et je déteste ignorer quelque chose. De plus, tu viens de reproduire à l'instant ce petit exploit, ce qui m'indique que ce n'était pas un accident. Comment es-tu capable de te téléporter, Sans ?"


Le squelette poussa un long soupir et leva les yeux en l'air.


"Pourquoi ça t'intéresse ? Pour pouvoir copier encore une fois mes pouvoirs et t'en servir dans ta stupide guerre ?

— Ne sois pas insolent, tu sais que je n'aime pas ça.

— Je ne sais pas comment ça marche. Je le fais, c'est tout, grogna-t-il."


Gaster positionna ses deux mains sous son menton, plongé dans une grande réflexion. Derrière lui, deux autres mains invoquées écrivaient frénétiquement sur deux calepins noirs. Sans détourna le regard, mal à l'aise et se reconcentra sur son âme. Les fissures s'estompaient peu à peu et il se sentait un peu mieux.


"Comment va ton œil ? demanda soudainement son père, changeant complètement le sujet. Tu as encore mal quand tu utilises ta magie ?

— Oui, mais c'est supportable, répondit Sans d'une petite voix.

— Bien, bien. Nous regarderons tout ça en détails dans les jours qui viennent. Nous allons aussi devoir parler du cas délicat de Papyrus. Sa magie est hors de contrôle. Je t'ai laissé t'amuser avec, lui apprendre à sortir des os, mais je vais devoir reprendre les choses en main rapidement si nous voulons éviter d'autres... accidents comme celui d'aujourd'hui. Et je vais avoir besoin de toi pour le tampériser. Pour qu'il apprenne à la contrôler, je vais devoir le retrancher dans ses pires limites, et nous savons tous les deux qu'il ne va pas bien le supporter."


Sans ne répondit pas, mais eut l'impression de sentir son âme se glacer à cette annonce. Il avait tout fait pour éviter ce moment, mais cette fois, il savait que son père ne lâcherait pas l'affaire. Papyrus avait fait des vagues, et Gaster en tant que scientifique royal ne pouvait pas laisser passer ça. Ses enfants devaient forcément rentrer dans le rang.


"Promets-moi que tu ne lui feras pas de mal, articula difficilement Sans. 

— C'est de la science, pas de l'éducation, Sans, je ne peux pas faire l'un sans l'autre, spécialement dans le domaine de la magie. La magie est douloureuse. Tu ne peux pas enfermer ton frère dans un cocon et attendre de lui qu'il s'y tienne. Sa magie, comme la tienne, est anormale et dangereuse. S'il ne l'utilise pas correctement, il finira par mal l'utiliser et face à un humain, que crois-tu qu'il va se passer ? Je ne peux pas me permettre d'avoir un élément faible dans la famille, Sans. Papyrus est un poids mort. Je suis scientifique royal, tout le monde dehors, chaque humain dehors connaît mon visage et veut ma mort. Par extension, vos morts. Si ton frère ne s'adapte pas à cette réalité, un jour ou l'autre, il en mourra."


Sans sentit des larmes d'impuissance couler le long de ses joues. Non pas parce qu'il savait que son père avait raison, mais parce que son père allait jouer de la confiance aveugle que Papyrus avait placé en son frère pour le briser de la pire des façons. Et si Papyrus se détournait de lui, il n'était pas sûr du tout de pouvoir y réagir de manière calme et posée.


Dès que Gaster en eut fini avec son âme, Sans n'attendit pas son autorisation pour fuir hors du laboratoire et rejoindre son frère. S'il devait profiter de leurs derniers instants tous les deux, alors il n'y avait plus une seconde à perdre.

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