Pour le bien de l'humanité

Chapitre 12 : Contre le reste du monde

2068 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/09/2020 11:00

Sans essuya rapidement les larmes qui coulaient de manière discontinue sur ses fossettes d'un coup de manche. Il ne devait pas inquiéter Papyrus. Il pouvait encore l'aider, tout n'était pas perdu. Un garde lui avait dit que Toriel avait emmené les enfants dans le centre du camp. Le petit squelette errait au hasard parmi les monstres, en espérant tomber sur eux. Personne ne faisait vraiment attention à lui, tout le monde avait une tâche bien précise ici et peu de temps pour s'en écarter. Il l'avait bien compris.


Un cri de joie familier lui indiqua naturellement la route à suivre. Il poussa la toile d'une grande tente mauve, dévoilant Toriel assise dans un grand fauteuil, et Undyne et Papyrus qui se pavanaient devant le miroir dans des uniformes flambants neufs. Celui de son frère était noir, assorti d'épaulettes cuivre. Un "M" de la même couleur que celles-ci était tissé dans son dos. Undyne portait le même, ainsi qu'une sacoche à courrier qui pendait le long de sa cuisse. Sans sentit son cœur se serrer légèrement. Son petit frère était trop enthousiaste, il ne comprenait pas la situation et c'était dangereux pour lui. En temps de guerre, messager n'était pas un métier sans risques.


"Sans ! cria son cadet. Regarde ma nouvelle combinaison ! Elle me va trop bien !"


L'intéressé sourit timidement, mais le coeur n'y était pas. Papyrus le remarqua immédiatement, lui aussi. En se tournant, il se figea et devisagea longuement le visage de son frère. Sans n'eut pas de mal à comprendre pourquoi. Quand il leva les yeux vers le miroir, il remarqua sans mal les traces un peu noires qu'avaient creusées ses larmes sur ses joues. Pour la discrétion, c'était raté. Il tenta de rattraper le coup en détournant le visage, mais le mal était fait : l'inquiétude brillait dans les yeux de son petit frère. Pourtant, il ne dit rien et retourna à son essayage. Ils discuteraient ensuite.


Toriel aussi avait remarqué les marques. Elle invita Sans à le rejoindre sur le fauteuil, et attendit que les deux enfants disparaissent dans les cabines d'essayage pour se tourner vers lui.


"Que s'est-il passé ? Il t'as fait du mal ?

— Non, répondit le squelette un peu trop brusquement. C'est... C'est compliqué. Vous ne pouvez pas comprendre."


Il ne voulait pas en parler, et à son grand soulagement, elle n'insista pas. Elle se contenta de mettre son immense main poilue sous la sienne bien frêle. Ce geste le réconforta quelque peu. La séance d'essayage dura encore quelques minutes. Papyrus essaya deux autres tenues plus voyantes, dont l'une d'elle qui plut particulièrement à son frère : un haut blanc où était gravé le deltarune, symbole de la dynastie Dreemur, assorti à une écharpe-cape, des gants et des bottes rouges. Il avait l'air d'un super-héro dans ce costume, et le regard fier qu'il arborait réchauffa le coeur de son frère. Sans surprise, ce fut celle-ci qu'il choisit. Undyne préféra elle la première tenue noire, qui lui permettait de se camoufler plus facilement. Son petit frère étant déjà blanc pimpant de nature, le rouge n'y changeait pas grand chose. Toriel signa les papiers et emballa soigneusement les armures. Elles leur seraient livrées le lendemain dans leur chambre.


"Rentrons, leur dit-gentiment Toriel.

— Sans et moi, on va aller se promener, annonça Papyrus. J'ai envie d'une glace. 

— Oui, répondit son frère en entrant dans son jeu. On ne rentrera pas trop tard, promis."


Elle finit par hocher la tête, et les enfants quittèrent la tente, main dans la main. Pour éviter d'attirer sa suspicion, Sans s'arrêta devant le marchand de glace et acheta deux cornets à la vanille. Son petit frère le prit joyeusement et ils se dirigèrent tous les deux vers un coin plus tranquille, au bord de la petite rivière qui coupait le village. Ils mangèrent quelques instants en silence avant que Papyrus, n'y tenant plus, ne lui jette la première pierre.


"Qu'est-ce qui s'est passé avec Papa ? Il est en colère à cause de... ce que j'ai fait tout à l'heure ? Je suis désolé Sans, je ne voulais pas t'attirer des ennuis...


— Ce n'est pas de ta faute, ne t'inquiète pas. C'est juste que... Papa m'a dit qu'il voulait commencer ton entraînement.


— Wowie ! Je vais apprendre à utiliser ma magie comme toi ? Mais c'est génial ! Je vais pouvoir me téléporter, et jeter des os, et frapper des méchants, et... Sans ? Pourquoi... Pourquoi tu pleures ?"


Son grand frère essuya rapidement les larmes qui s'étaient remises à couler involontairement. Si seulement ce n'était que ça, si seulement il voulait leur apprendre à utiliser leur magie sans risques, mais Sans savait que ça ne serait jamais le cas. Ils n'auraient jamais un entraînement normal comme les autres enfants. Leur magie était trop complexe, bien plus puissante qu'eux, pour qu'ils ne l'utilisent sans risques. 


"Papyrus... Tu sais que je t'aime, pas vrai ? Que je serais toujours là pour toi ? 

— Oui, mais... 

— Alors écoute-moi attentivement. Papa... Papa n'est pas quelqu'un de bien. Il ne l'a jamais été. Ma magie, ta magie, dit-il en posant une main sur sa poitrine, n'est pas comme celle des autres. Quand on était petit, il a injecté de la détermination dans notre âme, c'est... C'est ce qui permet aux humains de nous tuer plus facilement, de nous faire du mal. La plupart des monstres ne peuvent rien faire à son contact, sauf nous deux, parce qu'on y est soumis depuis qu'on est petits. Cela nous a rendu plus... forts. Mais aussi plus fragiles. A trop grosse dose, ça pourrait nous tuer, juste comme les autres, ou provoquer des mutations impossibles à enlever. Les pouvoirs que je développe, c'est à cause de ça. Je ne suis pas censé les avoir. Tout comme tu n'es pas censé avoir une magie autant destructrice."


Papyrus assimila les informations, le regard un peu perdu. Sans poursuivit.


"Lorsque j'ai commencé à développer des pouvoirs, Papa a essayé de les pousser à leurs limites, pour voir jusqu'où j'étais capable d'aller. Mais je ne peux pas les contrôler, et plus je pousse, plus... Plus ça fait mal. Il ne le fait pas uniquement pour nous aider, Pap'. Papa veut... Se servir de nous pour quelque chose d'autre. Quelque chose de plus grand. Mais ce n'est pas notre rôle, et je ne veux pas qu'il te fasse subir tout ce qu'il m'a fait subir. Parce que pour déclencher tes pouvoirs pour de bon, pour que tu puisses le contrôler, il faut que tu expérimentes un choc psychologique. Quand c'est arrivé pour moi, Maman venait de... Et il en a profité."


Il prit une grande inspiration. Il savait que ce qu'il allait lui annoncer serait compliqué à entendre pour lui.


"Toi et moi, on a développé un lien très fort. Quand je suis pas bien, quand tu es pas bien, on le sent immédiatement, là, dans notre âme. C'est une force, je ne le regrette pas une seconde. Mais pour te faire déclencher tes pouvoirs, Papa va essayer de le briser. Parce que tu es trop attaché à moi, Papyrus, et que ça te rend faible. Il va essayer de te retourner contre moi, peut-être même de nous monter l'un contre l'autre. Alors je te le répètes, d'accord ? Quoi qu'il arrive, je serais toujours là pour toi. Ne le laisse jamais essayer de te faire du mal. Ne te laisse pas faire. Jamais. Je peux encaisser pour nous deux. Tu n'as pas à subir ça."


Papyrus resta silencieux, puis se jeta soudainement dans les bras de son frère. Sans serra la prise autour de lui. Leurs deux âmes se mirent à briller un peu plus fort au contact de leurs deux torses. Le cadet resta un long moment contre lui avant de relever la tête vers lui.


"Sans ? Pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ? J'aurais pu... t'aider...

— Tu es trop petit pour assumer ça maintenant. Je ne veux pas te mettre en danger pour rien. Je sais comment tu prends les choses à cœur, et j'avais peur que tu... Que tu cherches à intervenir. Mais tu ne dois pas le faire. Même si c'est dur. Même si ça ne te plaît pas. Laisse-moi gérer tout ça, seul."


Papyrus resserra la prise autour de la taille de son frère. 


"Je t'aime, Sans. Promets-moi que tu feras attention.

— Tu sais bien que je déteste faire des promesses.

— Sans...

— Je te le promets."


Sans baissa la tête vers son petit frère. Il le regardait lui aussi, les yeux brillant d'admiration et d'inquiétude. Le squelette tapota gentiment sa tête et lui sourit, franchement cette fois.


"On devrait rentrer. Toriel et Undyne vont s'inquiéter. 

— J'aime bien Undyne, elle est cool. Quand je serais grand, elle m'a promis qu'elle m'apprendrait à me battre comme sa maman. Et après je rentrerais dans la garde royale, et c'est moi qui empêcherait Papa de te faire du mal. 

— Doucement, soldat, le calma Sans. Un pas à la fois. Tu as encore le temps de grandir.

— Tu as raison. Maman a dit que pour grandir, il fallait manger de la soupe. Tu me feras de la soupe ? La même qu'elle faisait, avec les spaghettis dedans.

— Je me disais aussi qu'il manquait les spaghettis. Ça devient une addiction, tu sais.

— Dit mon grand frère amateur de bouteilles de ketchup.

— Chut."


Sans se releva, puis tendit une main à son frère. Ils terminèrent rapidement leurs glaces avant de se remettre en route vers leur logement de fortune. Le squelette se sentait un peu mieux qu'avant, mais l'épée de Damoclès qui pesait sous son frère continuait de lui opprimer la poitrine. Cette petite discussion de coeur à coeur avait au moins eu pour effet de dissiper temporairement ses craintes. Gaster pensait à tort que Papyrus était faible, mais Sans savait que c'était faux. Il était gentil et un peu naïf, certes, mais il serait loin d'être aussi facile à briser que ce que son père croyait. Son petit frère avait beau avoir été nourri à la détermination, cette dernière était assez naturelle chez lui. C'était un battant. 


En passant près de l'entrée, une tâche orange attira l'attention de Sans. Un monstre se démenait dans sa charrette, entouré de gardes royaux qui l'aidaient à décharger sa marchandise. Le squelette mit un peu de temps à le reconnaître, mais se figea net dès que ce fut le cas. Le médecin le remarqua, lui aussi. Son visage se décomposa et il jeta un regard nerveux aux gardes.


Une jeune femme-lézard, curieuse suite à son changement de comportement, se tourna vers les enfants. Si Sans décida qu'il n'en valait pas la peine et s'apprêtait à repartir en direction du camp, Papyrus en décida autrement.


"Sans, c'est lui le médecin qui nous a abandonné ? Undyne dit que c'est de sa faute si Toryne est morte."


Les yeux de la femme-lézard s'écarquillèrent, et elle pivota mécaniquement vers le médecin, qui se fit tout petit. Elle aboya un ordre, et deux gardes le saisirent aux bras avant de le tirer vers l'intérieur du camp. Sans ne s'en émeut pas. Certains monstres ne valaient pas mieux que les humains. Celui-ci en faisait partie. La fille de ce dernier, Alphys, resta près de la charrette, paniquée et en larmes. Papyrus, coupable, fit un pas vers elle, mais Sans le retint.


"Ce n'est pas notre problème, viens."


Le petit squelette résista un peu, mais finit par obéir à contre-coeur. Ils avaient assez de problèmes comme ça, et pas assez de temps pour tous les régler. Arrivés devant leur nouvelle habitation, Papyrus marqua un temps d'arrêt. Il se tourna vers Sans et lui sourit.


"Quoiqu'il arrive, on sera toujours tous les deux, répéta-t-il avec conviction."


Le squelette passa une main sur son crâne et poussa la porte. Il avait raison. Ils étaient tous les deux contre le reste du monde.

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