Pour le bien de l'humanité

Chapitre 13 : - GASTER -

1730 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/09/2020 21:16

Asgore posa les deux tasses de thé sur la table et s'installa en face du scientifique royal, perdu dans ses pensées. Comme toujours, deux mains squelettiques invoquées gribouillaient sur des calepins. Avec le squelette, le temps filait trop rapidement pour le gâcher. Le roi des monstres toussa légèrement, pour le ramener à la réalité. Les yeux de son ami se posèrent sur lui, puis sur la tasse qu'il saisit doucement pour la porter à ses lèvres.


Pétales de fleurs dorées, son parfum préféré. Cela devrait le mettre de bonne humeur pour la discussion lourde que les deux s'apprêtaient à avoir. Dehors, la guerre faisait toujours rage et chaque jour les humains devenaient plus pressants. Plus violents.


"Quelles sont les nouvelles du front ? demanda le scientifique d'une voix froide et maîtrisée.

— Mauvaises. Nous avons encore perdu des soldats dans la dernière charge, et le nombre de gardes royaux qualifiés ne se compte plus que sur les doigts d'une main, soupira-t-il. Ils continuent d'insister. Ils ne cesseront le combat que lorsque nous leur aurons livré un enfant de notre peuple pour leurs sordides expériences."


Gaster prit une grande inspiration et posa la tasse sur la table. Asgore croisa son regard et se figea. Le roi savait parfaitement ce qu'il avait à l'esprit, et c'était hors de question. 


"Tu sais très bien ce que j'en penses, lui reprocha-t-il immédiatement. Cette proposition est ridicule. 

— Pourtant, les relevés effectués pendant sa cavale montrent qu'il est prêt. Il ne sait pas encore comment activer sa pleine puissance, il manque encore de détermination. Mais je sais au fond de moi que Sans peut faire la différence. Il est né dans ce but. 

— Arial se serait opposé à ton projet. Bon sang, Gaster, tu t'entends parler ? Nous parlons de sacrifier ton fils. Ce n'est pas un jeu ou une de tes expériences, il n'y aura pas de retour en arrière. Tu serais prêt à le livrer yeux dans les yeux à l'ennemi en sachant ce qu'ils vont lui faire subir ? Ils veulent une arme facilement manipulable à retourner contre nous. Sans est puissant, plus puissant que beaucoup de monstres, certes, mais je n'ai aucune garantie qu'il soit assez fort pour lutter seul contre une armée entière. Il est trop jeune."


Le squelette sourit tristement. Il se leva et s'approcha des bouquets de fleurs dorées sur les balcons des fenêtre de l'habitation royale. Ses doigts effleurèrent délicatement les fines pétales alors qu'il inspirait leur odeur chimique. Ces petites plantes ne valaient leur survie qu'à lui. Sans son aide, elles se seraient éteintes depuis longtemps.


"C'est pour cela que nous devons leur livrer Papyrus avec."


La tasse d'Asgore claqua la tasse sur le bois. Elle se fissura et le liquide encore chaud commença à se répandre autour d'elle. Gaster l'entendit se lever et se rapprocher de lui. Il lui saisit le bras et le força à lui faire face. Le visage du squelette resta inexpressif.


"Qu'est-ce qui ne va pas, Gaster ? Depuis que tu as échappé à l'ennemi, tu es différent, plus froid. Où est passé le jeune squelette amoureux qui me débarquait dans ma chambre les joues rouges pour me demander comment il devait faire la cour à une dame ? Je ne te reconnais plus.

— La guerre change les cœurs. Nous n'avons plus le choix, Asgore. Dans quelques semaines, il sera trop tard. Il ne restera plus assez de monstres pour faire face à l'ennemi, et que se passera-t-il à ce moment là ? Je ne compte pas rester les bras croisés pendant que notre peuple agonise sous leurs armes. Alors oui, si je dois sacrifier ce qu'il reste de ma famille pour les sauver tous, je le ferais sans même cligner des yeux. Deux vies ne valent rien face aux centaines qui ont besoin de notre aide. J'ai le temps de refaire des enfants dans le futur. Mais notre peuple n'a pas assez de temps devant lui pour croire aveuglément en une utopie où humains et monstres vivraient heureux sous le soleil."


Le roi le lâcha. Son visage exprimait deux sentiments violents et contradictoire : le dégoût, la colère qu'il éprouvait face à cette décision abjecte, et la tristesse face à l'impossibilité de faire autre chose. Gaster avait raison. S'ils ne se battaient pas maintenant, s'ils n'abattaient pas leurs dernières cartes, il ne resterait bientôt plus grand chose à sauver si ce n'était qu'un tas de poussières.


Asgore poussa un soupir et passa ses mains sur son visage. Il détestait son rôle. Il détestait tout ce qui venait avec celui-ci. Diriger un peuple en perdition était tout sauf relaxant. 


"Pourquoi utiliser ton autre fils ? demanda-t-il d'une voix plus sombre. Il est encore plus jeune que son frère, il... Il ne pourra rien contre eux.

— Papyrus ne survivra pas, en effet. Mais il le faut. Sans et Papyrus sont liés par quelque chose de fort. La détermination a des effets secondaires, elle a tendance à augmenter les perceptions des sentiments. J'ignore exactement la nature de leur lien, mais j'ai pu observer par le passé que si l'un est blessé, l'autre le ressent immédiatement. Nous savons que Sans est impulsif, il réagit à l'instinct. Le jour où sa mère est morte, même s'il ne s'en souvient pas, il a presque détruit le laboratoire. Sa détermination a décuplé ses pouvoirs et l'a rendu comme inarrêtable. Depuis la mort d'Arial, j'ai volontairement laissé Sans noyer sa colère dans le lien qu'il entretient avec son petit frère. Si ce lien venait à se briser violemment par la mort de Papyrus, Sans pourrait bien devenir une machine à tuer. Plus il prendra de vies dans le camp adverse, plus notre tâche sera facile ensuite."


Le visage du roi resta fermé et inexpressif. 


"Que se passera-t-il pour Sans ensuite ?

— Il sera tué par ceux qui survivront à son attaque."


Une larme coula le long de la joue d'Asgore. Il se retourna et l'effaça d'un geste la main. Gaster resta inexpressif, les mains serrées. 


"Comment sont apparues ces cicatrices sur ton visage ? demanda le roi. Qu'est-ce qui s'est passé, Gaster ? Je ne peux pas croire qu'un tel niveau d'insensibilité soit possible, même chez quelqu'un qui a la tête froide comme toi."


Le scientifique baissa la tête, et passa un doigt sur les fissures de son crâne. L'une montait de son oeil gauche jusqu'en haut de son crâne, l'autre de son œil droit jusqu'à sa mâchoire. Un sacrifice nécessaire.


"Correct, annonça le scientifique. Lorsque j'ai compris que j'allais devoir sacrifier mes enfants, je me suis injecté une dose de détermination presque mortelle. Je ne voulais plus rien ressentir pour eux. Mes apprentis ont réalisé une ablation de la partie de mon cerveau qui gère les émotions. Je dois le faire, Asgore. Il n'y a plus d'autre choix. Ne sois pas triste pour eux, ou pour moi. Leur sacrifice sera oublié au moment où nous reprendrons le contrôle de ces terres, pour un meilleur futur.

— Un futur planté au-dessus d'une montagne de cadavres. Est-ce vraiment ce que tu veux ?

— Nous n'avons pas le choix. J'ai foi en mes calculs. Tu dois me faire confiance."


Le roi poussa un soupir et baissa la tête. D'un signe de la tête, il donna son accord à Gaster. Le scientifique se redressa, puis sortit un dossier de sa veste. Il le posa sur la table, à côté de la tasse de thé désormais froide de son monarque. Il expliqua en quelques mots qu'il avait mis à l'écrit l'intégralité de son plan et comment le mettre en place. Chaque étape devrait être suivie scrupuleusement. Cela commençait par mentir. Mentir à Toriel lorsqu'il faudrait livrer les enfants à l'ennemi, mentir aux enfants en leur disant que tout se passerait bien, droit dans les yeux, mentir à ses conseillers et à la garde royale, qui ne devait pas être avertis du plan avant son exécution. Tout reposerait sur la capacité d'Asgore à rester impassible.


Gaster, au garde-à-vous, le regarda minutieusement éplucher chaque page, lunettes sous le nez. 


"J'ai une dernière faveur à demander. Elle est délicate."


Le roi leva les yeux vers ce qui fut un jour le meilleur espoir de leur peuple pour lier les humains et les monstres. Le squelette n'avait plus rien du brillant jeune docteur insouciant qui avait créé le Core, la source d'énergie qui permettait aux monstres de s'auto-alimenter sans l'aide des humains. Ce n'était plus qu'une coquille vide, une âme aux sombres desseins rongés par le remord. Gaster avait raison : la guerre changeait les coeurs de la plus horrible des manières.


Et il n'était pas au bout de ses surprises.


"Pour donner une chance supplémentaire à Sans, je vais devoir lui injecter une forte dose de détermination. Hors, la détermination artificielle n'est pas suffisante. Elle n'est pas assez puissante pour accélérer ses pulsions magiques. Il me faut de la détermination humaine, et il se trouve justement que nous avons un jeune humain sous la main en ce moment. 

— Tu veux tuer cet enfant ?

— Il nous faut son âme, oui. Le plus tôt sera le mieux. Envoyez-le dans les bois, chargez la garde royale de l'abattre. Ce sera rapide et passera pour un accident. La reine n'en saura jamais rien, si c'est ce qui vous inquiète. Si vous voulez que le sacrifice de Sans serve vraiment à quelque chose, il faudra le faire. La décision vous revient, votre Majesté. Je serais dans mon laboratoire."


Gaster s'inclina légèrement et quitta les lieux, ses deux mains magiques flottant derrière lui, toujours en train de prendre des notes. Asgore baissa la tête, avant de poser ses mains sur son visage, désespéré. 


Il était pris au piège. Il n'avait plus le choix.


Il allait devoir le faire et affronter la colère de Toriel lorsqu'elle finirait tôt ou tard par le découvrir.


Ainsi étaient les devoirs et les décisions d'un roi.


Pour le bien de son peuple et de l'humanité.


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