Pour le bien de l'humanité

Chapitre 14 : Imprévus

2375 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/09/2020 16:44

"Sans ! Sans, debout ! Saaaa-aaans !"


Le squelette grogna d'insatisfaction et essaya de repousser la nuisance sonore en cachant l'intégralité de son corps sous la couverture bleue moelleuse qui l'accompagnait depuis le début de la nuit. Malheureusement, Papyrus n'était pas de ceux qui avaient assez de compassion pour laisser son pauvre grand frère dormir. D'un geste sec, il lui arracha la couette des mains et le découvrit entièrement. Sans l'entendit prendre de l'élan, avant qu'un poids ne s'abatte sur ses côtes.


Tiré de son sommeil réparateur, il poussa un long soupir avant d'ouvrir les yeux pour incendier Papyrus du regard, à califourchon sur son col du fémur, les bras croisés et le visage déterminé. Il n'y avait plus rien à débattre, sa nuit était terminée. 


"Os' secours, je suis attaqué, se plaignit-il d'une voix exagérément désespérée.

— Sans ! Arrête tes mauvais jeux de mots ! Nous avons une mission de la plus haute importance ! Le roi Asgore a demandé à l'humain Charlie d'aller cueillir des champignons pour la reine. Undyne et moi, nous allons l'aider, mais... Ce serait bien que tu viennes aussi, au cas où il y a des chiens ou je ne sais quoi. J'aime pas les chiens. Ils essayent toujours de me ronger les jambes...

— Tu as peur ? Toi ?

— Je n'ai pas peur ! réagit brusquement son frère. Je... Je demande juste des renforts ! A quatre, on ira beaucoup plus vite ! On part dans quinze minutes. Si tu n'es pas prêt d'ici là, je te traîne dans la neige, le menaça-t-il d'une voix sombre."


Il lui offrit ensuite un grand sourire et disparut en quelques secondes dans le couloir en criant après l'humain et Undyne. Sans se redressa dans son lit et prit quelques secondes pour s'étirer. Il était déjà presque midi. Si son père n'était pas venu le chercher, il n'aurait pas besoin de lui pour la journée. Il se leva, passa ses pieds dans ses pantoufles roses et se traîna jusqu'à la salle de bain pour faire un brin de toilette et se changer. 


Il avait meilleure mine que les jours précédents. Les traces des quelques jours dehors s'effaçaient peu à peu. Pour ce qui était du mental, il s'agissait toujours d'un travail en cours. Il se sentait apte à "faire semblant" devant Papyrus, mais il n'osait pas imaginer les résultats d'une autre entrevue avec son père aujourd'hui. Il secoua la tête. Tant qu'il était cloîtré dans son laboratoire, il ne faisait de mal à personne. Il devait se raccrocher à cette idée.


Il enfila un T-Shirt et un pantalon propre, puis passa au-dessus son gros manteau bleu, lavé par Toriel la veille. Il n'avait même plus une égratignure. La reine avait recousu les cicatrices de son passage dans les bois. Il enfila une écharpe bleue autour de son cou et descendit rejoindre son frère qui braillait son nom depuis l'entrée.


Papyrus, enveloppé dans son manteau orange pimpant assorti à sa longue écharpe rouge qui lui tombait jusqu'au genoux, était en train d'enrouler une écharpe verte autour du cou d'Undyne sous l'oeil bienveillant d'Asgore qui suivait la scène depuis le petit salon. Charlie ramena trois gros paniers d'osier et en tendit un à la fillette-poisson et à son petit frère.


"Où est-ce que vous allez tous les quatre ? demanda le roi d'une voix étrangement alerte.

— Nous accompagnons notre ami humain cueillir des champignons dans les bois, s'enthousiasma Papyrus."


Sans se figea en voyant le visage poilu du monarque se métamorphoser. Il l'interrogea du regard, mais Asgore ne le remarqua pas. Comme si ça ne suffisait pas, au moment où Papyrus ouvrait la porte, Gaster entra. Son regard froid balaya les enfants, un à un, avant que son visage n'affiche une contrariété manifeste. Il échangea un regard avec le roi, qui y répondit en levant les mains en l'air. La situation ne plaisait vraiment pas à Sans, qui se rapprocha légèrement de son petit frère.


"Papa ! lança joyeusement Papyrus en s'accrochant à son pantalon. On va... Tu..."


Le scientifique le décrocha sèchement et se rapprocha du roi sans plus lui accorder d'attention. La déception qu'afficha le regard de son petit frère serra le coeur de Sans. Le scientifique n'avait jamais manifesté de grand intérêt pour lui, mais jamais de manière aussi violente. Papyrus était encore trop jeune pour comprendre, et Sans savait qu'il lui trouvait des excuses pour chaque recadrage. 


Le squelette décida de prendre les choses en main. Il en avait marre de cette ambiance oppressante. Il posa une main derrière la tête de son frère et lui pointa la porte. Papyrus retrouva le sourire et l'ouvrit en grand. Les enfants quittèrent la maison ensemble. 


Dans le camp, l'ambiance était étrange. Sans ignorait si cela faisait suite à la méfiance vis à vis du comportement du roi et de son père, mais il lui sembla que tous les gardes royaux qu'ils croisaient les suivaient du regard. Les trois autres enfants ne remarquaient rien, alors il mit ça sur le compte de la paranoïa, mais ce sentiment que quelque chose de mal allait se passer ne le quitta pas avant qu'ils n'aient quitté les barricades. 


"Sans, tu m'écoutes ?"


Le squelette recentra son attention sur son petit frère. Les mains sur les hanches, il était de toute évidence contrarié. Sans se gratta l'arrière de la tête avec un sourire désolé.


"Rah ! Je disais que, pour plus d'efficacité, Charlie et moi partons à gauche, et toi et Undyne, vous partez à droite. On se rejoint ici dans une heure ! Et je suis sûr que j'aurais trouvé plus de champignons que vous deux. Après tout, le grand Papyrus est toujours meilleur dans tout ce qu'il fait, nyeh eh eh !"


Il saisit la main de Charlie et le tira de force dans la direction qu'il avait décidé. Sans le regarda partir nerveusement, avant que Undyne ne lui saisisse la main à son tour pour se mettre au travail, l'esprit tout aussi compétitrice. S'il devait être parfaitement honnête avec lui-même, Sans ne fit pas grand chose. La petite fille arrachait les champignons à une allure folle et les jetaient dans le panier que le squelette tenait. Une fois une zone éclaircie, elle courait vers une autre et il la suivait en traînant des pieds, peu enthousiaste. Autour de lui, la forêt avait quelque chose de menaçant. Il ne se sentait pas très à l'aise et il n'arrivait pas à oublier entièrement la conversation de son père et du roi. Que se passait-il ? Pourquoi avaient-ils l'air si contrariés de les voir partir avec l'humain ?


 D'un coup, il se plia en deux, frappé par une douleur inexplicable. Il s'écroula lourdement au sol et posa une main sur sa poitrine. Dans le même temps, un cri strident d'enfant retentit au loin. Papyrus s'était pris des dégâts importants, il pouvait le sentir. Complètement paniqué, il se releva sur ses jambes et courut en direction de la voix. Il entendit les pas d'Undyne juste derrière lui, ce qui le rassura quelque peu.


"Papyrus ! Pap ! s'époumona-t-il."


Il déboucha sur la parcelle de forêt occupée par son petit frère en quelques secondes. Il le retrouva assis sur un tronc d'arbre, maintenu maladroitement par Charlie, en larmes. Il s'arrêta net. Même s'il avait l'air sonné, il ne semblait pas mal en point physiquement. Il pleurait et tremblait, mais se remettait déjà du choc.


"Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Sans d'une voix encore tremblante d'adrénaline.

— J'en sais rien ! cria Charlie, paniqué. On marchait, et puis Papyrus a heurté un mur invisible et il a été projeté en arrière."


Sans s'accroupit devant son frère et essaya de voir s'il y avait des dégâts. Son petit frère repoussa sa main en grognant, signe qu'il allait bien. L'aîné le laissa reprendre ses esprits et s'approcha du fameux "mur invisible" décrit par l'humain. Il tendit la main devant lui, invoqua un os et avança jusqu'à sentir une résistance. Des crépitements électriques retentirent autour de l'arme, dévoilant à leurs yeux un fin bouclier psychique qui les encerclaient. Tout le monde pouvait rentrer, personne ne pouvait sortir. Ils avaient foncé tête baissée dans un piège. 


Le squelette garda le silence quelques seconde le temps de réfléchir à un plan. S'il montrait qu'il avait peur, les enfants allaient paniquer et la situation déraperait forcément. Il prit le temps de calmer sa respiration avant de se tourner vers les enfants qui attendaient qu'il parle comme s'il était le Messie.


"Restez bien derrière moi, ordonna Sans, luttant pour garder son sang froid. Quelque chose ne va pas."


Il invoqua un cercle d'os bleus translucides tout autour d'eux et les agrandit pour créer un bouclier de fortune contre d'éventuels projectiles. Undyne vint lui prendre la main nerveusement, Papyrus se redressa pour se cacher derrière son frère. Ils attendirent quelques secondes dans cette position, immobiles, avant que des pas ne se fassent entendre dans les environs, crissant dans la neige. Des gardes royaux surgirent soudain des buissons, armes à la main. Ils parurent au moins aussi surpris que les enfants, comme si quelque chose dans leur plan ne s'était pas déroulé comme prévu. Sans ne put s'empêcher de faire un lien directement avec l'expression contrariée de son père à leur départ. Qu'est-ce qu'il avait encore fait ?


Les deux mains frêles de Papyrus encerclèrent sa taille et il sentit son frère cacher son visage dans son manteau. Le traumatisme récent de ce qu'il s'était passé à la caverne leur restait amèrement en mémoire. Il sentait la panique grandissante de son frère au plus profond de lui. Ils allaient devoir agir et vite. Les soldats avançaient vers eux, armes à la main, et les encerclaient peu à peu. Prisonniers du champ de force, les enfants ne pouvaient rien faire qu'attendre qu'ils déclinent leurs intentions. 


"Livrez-nous l'humain et tout se passera bien, ordonna sèchement une femme-chien dans son armure noire. Nous ne voulons pas vous faire de mal.

— Pourquoi faire ? demanda Sans d'une voix sombre. 

— Ça ne te regarde pas."


L'un des gardes fit un pas vers eux. Sans tapa du pied et un os frôla une créature reptilienne qui bondit en arrière et l'évita de justesse. Ce serait leur seul avertissement. Sans savait très bien qu'ils n'avaient aucune chance contre l'intégralité de la garde royale, mais il ne pouvait pas se résoudre à leur donner ce qu'ils voulaient. Papyrus ne lui pardonnerait jamais s'il obéissait. Il ne restait qu'une solution : se téléporter le plus proche possible du camp avec tous les enfants. S'ils l'atteignaient, s'ils trouvaient la reine, ils seraient protégés. Son père avait peut-être réussi à corrompre le roi, mais Toriel lui avait bien fait comprendre qu'elle se méfiait de Gaster. Il était tant d'utiliser cela à son avantage.


Il serra la prise sur les mains de son petit frère pour le rassurer, puis se tourna vers Undyne et Charlie.


"Accrochez-vous à moi et ne lâchez pas.

— Vous êtes encerclés ! reprit le canidé, alerte. Rendez-vous ou nous devrons user de la force !"


Sans se concentra et essaya de visualiser la manière dont il l'avait fait les fois précédentes, puis le camp. Il sentit une énergie bleue l'encercler, et soudain, ils disparurent dans un concert de cris de rage. Quand Sans rouvrit les yeux, essoufflé, ils se trouvaient au beau milieu du salon de Toriel, choquée, une tasse de thé à la main. Elle posa doucement sa boisson sur la table basse et vint à leur rencontre. Sans haleta bruyamment, avant de se laisser tomber au sol, épuisé. Papyrus courut à sa rencontre et se jeta dans ses bras, avant d'éclater en sanglots.


Ils avaient encore réussi à s'en sortir. Combien de temps encore pourraient-ils jouer avec le feu de cette façon ?


"Tout va bien, c'est fini, murmura son grand frère.

— Pourquoi ils voulaient Charlie ? demanda Undyne d'une petite voix, en s'asseyant à côté d'elle."


Toriel s'assit les jambes croisées entre les enfants, attentive. Elle posa une main douce sur l'épaule du squelette et une douce magie verte rendit peu à peu ses forces à l'enfant. Sans la remercia d'un signe de tête, puis jeta un regard vers l'humain. A l'écart, Charlie avait le visage fermé et restait terriblement silencieux, son panier de champignons désormais vide toujours serré contre lui.


"Les enfants, demanda Toriel d'une voix posée et calme, que s'est-il passé ?

— Des gardes royaux nous ont attaqué dans les bois, s'empressa de raconter Sans. Ils en avaient après Charlie. Je... Je crois que c'est de la faute de mon père."


Le visage de la reine se ferma lui-aussi. Elle n'ajouta rien, mais le regard plein de rancoeur qu'elle arborait suffit à convaincre le squelette qu'elle était de leur côté. Son père et le roi allaient passer un sale moment. Papyrus se mit à hoqueter, se libéra de l'emprise de Sans puis se jeta dans les bras de Toriel en larmes et complètement paniqué.


"On a... On a oublié les champignons, je suis désolé Lady Toriel, se mit-il à chouiner, profondément affecté par la nouvelle. Vous n'allez pas pouvoir faire de soupe.

— Ce n'est pas grave, Papyrus. L'essentiel, c'est que vous allez bien, tous les quatre. Venez avec moi. Je connais un endroit où vous serez en sécurité le temps que je mette cette histoire au clair. Mes pauvres enfants, vous devez être épuisés."


La femme-chèvre se releva et porta Papyrus dans ses bras, inconsolable quant au sort des champignons. Undyne soutint Sans, encore faible, et ils lui emboîtèrent le pas, Charlie sur les talons, toujours silencieux.


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