Pour le bien de l'humanité

Chapitre 15 : Une lumière dans le noir

2442 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/09/2020 14:20

A l'abri dans la chambre de Toriel et Asgore, les enfants patientaient. Des éclats de voix violents provenaient du salon, étouffés par les épais murs. Assis en tailleur dans le lit, Sans angoissait. A chaque cri, il sursautait et menaçait de s'effondrer, lui aussi. Il avait peur, il n'avait même jamais eu aussi peur. Pourtant, il maintenait sa façade de grand frère calme et détendu pour Papyrus. Fragile, le petit squelette n'avait pas quitté ses bras depuis qu'ils étaient arrivés. Assis à côté de lui, il le serrait comme un bébé koala serra sa maman. Sans avait tout essayé pour le calmer : lui lire des histoires, faire des jeux de société, jouer au Papa et à la Maman... Mais la discussion des adultes s'éternisait et il était sérieusement à cours d'idée.


Il lança un regard vers Undyne. Calme, elle lisait un livre dans un coin de la chambre, silencieuse. Elle se tenait à l'exact opposé de Charlie, de l'autre côté de la pièce, qui faisait les cent pas comme un lion en cage. Sans n'osait pas l'exprimer à voix haute, mais il n'aimait vraiment pas le comportement de l'humain. Il inquiétait tout le monde avec ses allers-retours incessant et le squelette n'était pas certain de pouvoir le supporter encore longtemps. 


Un bruit de verre brisé arracha un nouveau sursaut à Sans, suivi de nouveaux cris. Cette fois-ci, les mots furent intelligibles : le roi et la reine s'insultaient sans aucun filtre. Sans fit une grimace avant de poser ses mains de chaque côté de la tête de Papyrus. Le petit squelette rit à sa tentative misérable de protection, d'autant plus vaine que les squelettes n'avaient pas d'oreilles. A défaut, son sourire illumina un peu le coeur de son frère. Tant que son cadet souriait, il y avait de l'espoir.


"Sans, est-ce que Papa est en colère après nous ? demanda le petit squelette. On a... On a fait une bêtise ?

— Non, ne t'inquiète pas pour ça. Je pense plutôt que c'est Papa qui a fait une bêtise et Lady Toriel est en train de lui passer un sacré savon."


Peu convaincu, il fit une petite moue avant de descendre du lit pour rejoindre Charlie. Sans le laissa partir, rassuré. Papyrus récupéra la boîte bien trop grande pour lui d'un gigantesque puzzle et s'installa dans un coin pour le commencer, en invitant l'humain avec insistance à le rejoindre. Charlie déclina dans un premier temps, mais ne résista pas bien longtemps au regard terriblement culpabilisant du petit squelette et partit le rejoindre. Undyne releva la tête vers eux, avant de se décider à son tour d'aller s'asseoir près de Papyrus. Elle gardait toujours un peu d'écart avec l'humain, mais les choses tendaient à s'améliorer entre eux. Sans la vit même esquisser quelques sourires aux remarques de Charlie. Si cela pouvait l'aider à passer outre l'horrible meurtre de sa mère, Sans ne pouvait que l'encourager à continuer sur cette voie.


Libéré de ses devoirs de grand frère pour quelques minutes, le squelette se laissa tomber dans le lit massif et opta pour une sieste. Si la situation venait à s'aggraver plus qu'elle ne l'était déjà, il voulait accumuler assez d'énergie pour y faire face. Son escapade dans la nature, les manigances de son père et maintenant l'attaque de la garde royale avaient eu raison de son courage. Il voulait bien être un héros de temps à autres pour son frère, mais il s'agissait de beaucoup trop de responsabilités pour un jeune squelette de huit ans. Quand bien même il avait conscience de ne pas être comme les autres enfants de son âge, il espérait toujours, au fond de lui, pouvoir apprécier un peu plus ses années "d'innocence" à un moment ou un autre, loin de son travail de cobaye de laboratoire ou de survivant de la guerre. Il voulait simplement aider Papyrus à faire du vélo sans les petites roues et lui apprendre à faire des crêpes, comme tous les grands frères étaient censés le faire. Pas juste le protéger des dangers du monde et de son propre père. 


Parfois, il se demandait si la situation serait la même si sa mère était toujours en vie. Elle s'était toujours farouchement opposée au fait que Gaster l'utilisait pour ses petites magouilles scientifiques. Il avait beau avoir promis de ne jamais abuser de ses propres enfants, il n'avait pas fallu attendre après la mort de celle-ci pour que toutes les belles promesses tombent à l'eau. Si elle savait qu'il envisageait désormais de s'en prendre à Papyrus, elle lui aurait cassé les deux jambes et ils seraient partis de la maison. Loin. Même s'ils essayaient de faire office de famille parfaite devant le roi et Papyrus, plus rien n'allait entre les deux adultes depuis fort longtemps. Aussi loin que Sans s'en souvenait, il avait toujours connu ses parents en conflit permanent. Et il détestait ça. Parfois, lorsque les casseroles et les expériences de laboratoire se mettaient à voler dans la maison, il courait juste se réfugier dans le lit de Papyrus, à peine âgé de quelques semaines à l'époque, et il lui chantait des chansons pour le rassurer, et se rassurer par la même occasion. Le rare souvenir heureux des années où sa famille était complète, c'était la naissance de Papyrus. 


Lorsque sa mère avait montré les premiers signes d'accouchement, Gaster travaillait. Sans avait dû rester seul au chevet de sa mère pour lui tenir la main alors que son âme projetait sa magie dans celle minuscule de son petit frère. Tous les monstres naissaient comme ça, comme une extension de l'âme de leur mère. Le petit squelette avait suivi, émerveillé, chaque étape de la création du petit corps frêle de Papyrus. Il était le premier à avoir pu le prendre dans ses bras. A son contact, quelque chose s'était produit, d'impossible à décrire. Leurs petites âmes s'étaient mises à briller et à pulser à l'unisson, alors qu'ils se découvraient pour la première fois. Ce jour-là, inconsciemment, Sans sut qu'il n'y aurait que lui et uniquement lui à l'avenir. 


A bien y réfléchir, même ce moment unique, son père n'avait pas été là pour y assister. Il était rentré le lendemain matin, avait pris le petit squelette dans ses bras et avait versé quelques larmes, certes, mais il s'agissait peut-être d'une des rares formes d'appréciation qu'il avait éprouvé à son égard depuis. Privé de sa mère, enlevée par la guerre, puis de son père, trop occupé pour lui accorder de l'attention, Papyrus avait jeté tout son amour sur la seule personne réceptive : son frère. Et jamais, pour rien au monde, Sans se promit de briser cette confiance. Si son père voulait briser son frère, il allait devoir lui passer sur le corps.


Des pas résonnèrent dans le couloir et le tirèrent de son demi-sommeil. Sans ouvrit les yeux et se redressa sur le lit, nerveux. Les enfants n'avaient rien remarqué et jouaient toujours en silence. La porte s'ouvrit et la reine entra comme une furie avant de fermer à clé derrière elle. Aux marques noires qui coulaient dans ses poils blancs, Sans comprit qu'elle avait pleuré. Quelqu'un toqua derrière la porte.


"Tori, s'il te plaît... Ne rends pas la situation plus compliquée qu'elle ne l'est déjà...

— Ne m'adresse plus la parole, Dreemur ! hurla Toriel, la voix emplie d'une rage qui surprit les enfants. Je ne participerais pas à ton meurtre organisé ! Et tu peux dire à Gaster que s'il veut ces enfants, il devra me confronter, ajouta-t-elle sombrement. Ils sont sous ma protection.

— Tori... supplia la voix d'Asgore. Je vois que tu as besoin d'espace. Nous en reparlerons plus tard."


La reine s'effondra derrière la porte et se mit à pleurer. Non pas de tristesse, mais d'horreur. Elle était horrifiée par quelque chose, et Sans sut immédiatement que ça les concernait tous les quatre. Papyrus, empathique, s'approcha à pas de loups de la reine avant de lui serrer gentiment l'avant-bras pour la consoler. Elle se figea avant de baisser les yeux vers le minuscule squelette qui menaçait de pleurer lui aussi par pure incompréhension. Elle effaça ses larmes d'un coup de manche et sourit à la petite créature, avant de la serrer contre elle. 


Sans, inquiet, se laissa glisser jusqu'en bas du lit et se rapprocha de Toriel et de son frère. Le regard qu'elle leva vers lui ne fit qu'amplifier son angoisse. Sans avait toujours été très doué pour lire dans les yeux des autres, sans jamais savoir d'où ce don lui venait exactement. Et ce qu'il lut dans les siens ne lui plut vraiment pas : un mélange de colère, de tristesse et de pitié. Mais ces sentiments ne lui étaient pas adressés, même si ils le concernaient d'une manière ou d'une autre. Confus, il demanda silencieusement des explications.


"Oh, mes pauvres tout-petits, murmura Toriel. Je vous promets que vous serez en sécurité avec moi. Je ne laisserais personne vous faire du mal. Tout... Tout va bien se passer, ajouta-t-elle en essuyant une larme vagabonde."


Undyne et Charlie se rapprochèrent à leur tour pour rejoindre l'étreinte de Toriel. Sans resta à l'écart, pensif. Pour la mettre dans des états pareils, à quel point la situation était-elle désespérée ? Il ne voulait plus être mis à l'écart. D'autres coups, plus secs, résonnèrent à la porte.


"Vous vouliez que je vous confronte, votre Majesté ? Eh bien me voilà. Cela ne change rien à ma décision. Si vous ne me livrez pas cet humain, je le prendrais par la force d'ici quelques minutes."


Sans sentit chacun de ses os se paralyser en reconnaissant la voix de son père derrière la porte, froide et calculatrice. Il vit aussi les yeux de Charlie s'écarquiller de surprise. Toriel ne répondit pas. Elle se leva dignement, mit un doigt sur sa bouche pour encourager les enfants à garder le silence, puis les guida silencieusement vers le fond de la pièce, devant une grande penderie. Elle entra la première, Papyrus dans les bras, et fit coulisser le mur arrière, dévoilant un passage qui s'enfonçait dans les ténèbres. Elle fit passer les enfants devant, puis ferma l'armoire et le passage derrière eux.


Désorientés et inquiets, les enfants décidèrent de lui faire aveuglément confiance et de descendre sans poser plus de questions les marches de l'escalier interminable qu'ils sentaient sous leurs pieds. En haut, un bruit sourd retentit, suivi d'éclats de voix et d'aboiements colériques. Sans reconnut à la voix la femme-chien de la garde royale. Toriel lui pressa gentiment l'épaule pour l'encourager à poursuivre la descente. Ils débouchèrent dans un grand tunnel illuminé par des torches au feu magique, qui s'étendait à perte de vue. La reine les fit prendre à droite et ils s'engagèrent vers les profondeurs.


"Ce sont les tunnels d'évacuation, expliqua-t-elle d'une voix calme. Ils mènent jusqu'à la montagne. Il y en a un dans chaque bâtiment du camp, mais leur position est cachée à tous, sauf à Asgore et moi-même, au cas où quelqu'un nous trahirait. Nous ne devrions pas être suivis ici.

— Où est-ce qu'on va ? demanda Papyrus d'une voix inquiète. On va avoir des problèmes ?

— Non, bien sûr que non, lui répondit-elle avec douceur. Je vais vous protéger. Nous allons nous réfugier dans les bois, là où se trouve notre ancien camp. Personne ne viendra nous chercher là bas. Vous... Vous allez devoir être très courageux, dit-elle à l'ensemble des enfants. Nous allons marcher quelques heures.

— Mais... Et s'il y a des humains ? s'inquiéta Undyne. Ils... Ils vont...

— Il n'y aura pas d'humains, je te le promets."


Elle déposa Papyrus au sol, et ils se mirent tous les cinq en route dans un silence pesant. Très vite, Toriel laissa Papyrus, Undyne et Charlie prendre de l'avance et força Sans à ralentir l'allure, jusqu'à le stopper complètement. Elle s'accroupit face à lui et le regarda dans les yeux.


"Je suis désolée de te demander ça, mais tu vas devoir être très, très brave, Sans. Je... Ton père en a bien après Charlie, tu avais raison sur ce point. Il veut le tuer pour utiliser sa détermination. Mais pas pour faire le bien. Il veut l'utiliser sur toi, Sans, pour te rendre plus puissant et te livrer aux humains avec ton frère. Il veut le sacrifier pour que tu... Pour que tu fasses beaucoup de mal aux humains avec ta magie."


Le regard de Sans se troubla et il recula d'un pas, en secouant la tête. Non, son père ne pouvait pas vraiment vouloir ça. Il ne pouvait pas simplement décider de sacrifier son petit frère de cette façon. Il lança un regard vers Papyrus, plus loin, inconscient du danger. Il résista à l'envie soudaine de lui prendre la main et de courir le plus loin possible d'ici, loin de ce pays, loin de la guerre. Loin de lui. 


Toriel lui prit doucement la tête entre ses mains et le força à la regarder dans les yeux. Elle effaça du doigt les larmes qui perlaient au coin de ses yeux et lui sourit tendrement.


"Arial ne s'est pas sacrifiée sur le champ de bataille pour que tu sois livré à eux comme un vulgaire paquet, Sans. Je... Je vais t'apprendre à utiliser ta magie, à l'utiliser de manière plus efficace et plus contrôlée. Je ne sais pas combien de temps nous avons devant nous, avoua-t-elle. Mais si je suis incapable de vous protéger pour une raison ou une autre, je veux que tu aies toutes les armes entre tes mains pour sauver ton petit frère, Undyne et Charlie. Mais pour ça, tu dois rester déterminé. D'accord ?"


Sans renifla, avant de relever le regard vers elle.


"C'est d'accord, accepta-t-il d'une voix ferme."


Elle lui sourit et lui tendit la main. Ils reprirent la route à la suite des autres enfants qui les attendaient un peu plus loin, le cœur lourd, mais empli d'une détermination sans faille.


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