Pour le bien de l'humanité

Chapitre 16 : La cabane dans les bois

2641 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/10/2020 16:57

Les jambes trop courtes de Sans peinaient à progresser dans l'épaisse couche de neige qui lui arrivait aux fémurs. Il essayait tant bien que mal de suivre les pas de Toriel, mais le poids de son petit frère endormi sur son dos et le froid mordant qui le fouettait sa pitié ne rendait pas la tâche aisée. Ils marchaient depuis près de six heures maintenant sous de gros flocons et la nuit était tombée depuis fort longtemps. Undyne, Charlie et Papyrus avaient montré des signes de fatigue deux heures plus tôt, et ils avaient dû les prendre tous les trois à bras pour éviter de s'arrêter pour de bon. Toriel portait la fillette-poisson et l'humain, accrochés en koala devant et derrière elle. Sans avait décidé de garder Papyrus pour la décharger, se sentant encore capable de tenir quelques temps.


Il commençait à regretter sa décision. Ses jambes lui faisaient mal et son petit frère était bien plus lourd que lorsqu'il jouait à "Dada" plus jeune. Néanmoins, il ne pouvait tout simplement pas le déloger. Confortablement installé, il avait enfoui son visage dans la capuche duveteuse de Sans et ne cessait de le serrer dans ses bras pour se rassurer, ce qui lui fendait le coeur en deux. Il ne tenait plus que pour lui.


"Nous sommes bientôt arrivés, l'encouragea doucement Toriel en attendant patiemment qu'elle le rejoigne. Nous allons bientôt pouvoir nous reposer."


Sans ne répondit pas. Il économisait son souffle pour la dernière ligne droite. Ils arrivèrent sur les lieux une heure trente plus tard. Des cabanes de bois apparurent à l'horizon et la reine ralentit l'allure. Elle réveilla les enfants et les reposa au sol près du squelette, toujours éveillé et à bout de souffle. Ils attendirent patiemment qu'elle inspecte les environs avant qu'elle ne les encourage à la rejoindre sur le porche d'un grand châlet. Elle ouvrit la porte et les fit rentrer tous les quatre dans la maisonnette plongée dans le noir. Confiante, elle s'avança vers la cheminée éteinte. Ses yeux luirent d'une lueur dorée et une boule de feu vint embraser les quelques bûches qui y traînaient, illuminant faiblement l'espace.


"Je vais aller activer le générateur de secours. Restez près du feu et réchauffez-vous."


Les enfants ne se firent pas prier. Sans décrocha doucement son petit frère et l'allongea dans le grand canapé face au feu. Il ne réagit pas plus que ça, profondément endormi. Le squelette aida ensuite Undyne et Charlie à se débarrasser de leurs vêtements trempés, avant d'en faire de même avec Papyrus, le plus délicatement possible pour ne pas le réveiller. Lorsqu'il en fit de même avec ses propres vêtements, la lumière du salon s'alluma et Toriel les rejoignit. Elle sourit aux enfants avant de se diriger vers la cuisine.


Sans posa les vêtements de leur petite troupe devant le feu et partit s'asseoir sur le canapé, à côté de son frère qui ne tarda pas à serrer sa taille en sentant sa présence. Charlie et Undyne montèrent difficilement sur celui d'en face, chacun dans un coin avec un bon mètre de distance entre eux. A côté de lui, Papyrus remua légèrement avant de lever des yeux ensommeillés vers son frère.


"On est arrivés, le rassura-t-il. Tu peux dormir, je suis là.

— Bonne... Bonne nuit, Sans, approuva-t-il en baîllant à s'en décrocher la mâchoire."


Toriel revint avec quelques paquets de gâteaux qu'elle déposa sur la table basse et qui attira immédiatement les enfants affamés. Elle sourit et fit la distribution en expliquant que la nourriture provenait de la réserve du camp, abandonnée la dernière fois que les monstres avaient fui le refuge. Après ce bref interlude, tout le monde décida d'aller se coucher. Le châlet contenait deux chambres. Sans décida de dormir avec Papyrus, tant pour éviter de déranger le squelette collé à lui que par confort pour Undyne, qui prit le lit d'en face. Toriel et Charlie purent ainsi profiter d'un lit chacun dans la chambre d'en face. Épuisés, les enfants sombrèrent en quelques minutes dans un sommeil profond et sans rêves.


*********


Les rayons du soleil tirèrent bien trop vite Sans du cocon de couverture dans lequel il s'était emmitouflé. Papyrus avait déserté le lit dès les premières lueurs de l'aube, trop impatient de fouiller leur nouveau lieu d'habitation, mais c'était loin d'être le cas du squelette. Toujours épuisé par le voyage, le moindre mouvement lui arrachait une grimace de douleur. Il avait tout donné la veille, peut-être même un peu trop pour sa faible condition physique.


Il grappilla quelques heures de sommeil supplémentaires si bien que lorsqu'il ouvrit de nouveau les yeux, midi pointait le bout de son nez. La maison sentait bon la sauce tomate, et aux cris enthousiastes de Papyrus qui lui parvenait, il en déduit que des spaghettis étaient impliqués dans cette affaire. Doucement, il poussa sa couverture et se redressa sur son lit. Il s'étira longuement et tous les os de son dos craquèrent un à un pour se remettre en état de marche. Ses pieds glissèrent dans deux pantoufles roses un peu trop grandes mais toutes douces, laissées là à son attention.


Il traîna des pieds jusqu'à la cuisine d'où les éclats de voix provenaient. Dressé sur un tabouret dans un tablier bien trop grand pour lui, Papyrus était concentré sur une grande casserole qu'il touillait comme si sa vie en dépendait, sous le regard bienveillant de Toriel. Charlie et Undyne était déjà installé autour de la table en bois, chacun une assiette devant eux. Sans conclut que l'une des trois dernières dressées était pour lui. A en juger par l'écharpe qui pendait de l'une d'entre elle, Papyrus avait déjà choisi sa place. Il décida de s'installer à côté.


"Oh, Sans, tu es réveillé ! s'enthousiasma la reine. Tu as été très brave hier soir, je t'ai laissé dormir, tu en avais besoin.

— Regarde, Sans ! J'ai fait des spaghettis tout seul ! cria Papyrus, surexcité. Je... Je me suis dit que ça te ferait plaisir.

— Tu es le meilleur, frangin, répondit son frère d'une voix pâteuse en levant ses deux pouces vers le haut."


Papyrus lui offrit un sourire resplendissant, quand bien même il manquait de conviction. Son petit frère était nerveux, et il ne pouvait pas lui en vouloir. Cela faisait beaucoup à encaisser en si peu de temps. Leur fuite précipitée, le plan inconcevable de son père, Sans ne savait plus où il en était.


La motivation de Gaster ne paraissait pas connaître de limite, dans quelques heures, quelques jours peut-être, il pourrait même bien les retrouver. Il le faisait toujours, d'une manière ou d'une autre. Parfois, Sans avait l'impression de n'être qu'un objet à sa disposition, une chose dont il pouvait disposer à toute heure du jour ou de la nuit juste parce qu'il l'avait décidé. Il ne renoncerait pas. Papyrus était en danger. Sans n'avait plus tellement le choix : il allait devoir lui apprendre à se battre et à utiliser sa magie avec ses faibles compétences. Mais comment faire, quand lui-même maîtrisait à peine sa propre magie ? Pire, comment faire alors que son potentiel magique n'était pas encore figé, comme l'arrivée de ces téléportations mystérieuses le laissait présager ?


Une assiette chaude de spaghettis le tira de ses pensées. Toriel le dévisagea avec inquiétude avant de poser une main sur son front.


"Oh, Sans, tu as de la fièvre ! C'est de ma faute, tu as dû attraper froid dehors. Mange, nous allons voir comment arranger ça après.

— Non, répondit Sans un peu brusquement. On... On doit apprendre la magie. Pour... Papyrus, il doit...

— Chaque chose en son temps. Il n'est pas bon de pratiquer la magie en étant malade, en particulier à ton âge et avec ta particularité. Sans, tu es en sécurité pour l'instant, et ton frère aussi. Il ne peut pas te faire de mal. Nous avons du temps devant nous."


Sans baissa la tête. Elle avait raison. S'il ne faisait pas attention et qu'il se blessait à cause de la fatigue, il pourrait se faire bien plus que mal. Papyrus s'installa à ses côtés. Sensible au stress qui émanait de son grand frère, il se mit à s'agiter nerveusement pour trouver une position plus confortable pour manger ses spaghettis.


"Papyrus et Undyne sont plus en forme que moi, argumenta le squelette d'un ton suppliant. Au moins... Au moins les bases.

— S'ils en ont envie, bien sûr. Mais Sans, tu as besoin de repos. Cesse donc de penser à tout ça. Tu es bien trop jeune pour endosser de telles responsabilités. Tu as besoin d'un adulte pour t'apprendre à être un enfant, ça en dit long sur ce que ton père a... soupira-t-elle. Je te promets que nous sommes en sécurité. S'il y a un problème, je vous défendrai jusqu'au dernier fragment de mon âme, alors il n'y a rien à craindre pour l'instant. Fais-moi confiance. Prends soin de toi, parce que quelqu'un d'autre tiens réellement à toi, dit-elle en pointant de la tête Papyrus qui avait suivi leur échange avec inquiétude."


Undyne, mal à l'aise, décida de dévier légèrement le sujet.


"On va vraiment apprendre la magie ? demanda-t-elle, la voix plein d'espoir. Maman m'a déjà montré quelques petits trucs. J'ai même déjà ma forme de projectiles !

— Wowie ! s'enthousiasma Papyrus pour l'encourager. Moi... Papa ne veut pas que j'utilise ma magie. Il dit que c'est trop dangereux. Mais je m'entraîne avec Sans en cachette le soir. Une fois, j'ai même réussi à créer un os si grand qu'il a cassé une fenêtre ! Mais... Je fais souvent des os très grands et je m'emporte trop vite et je casse tout.

— Ce n'est que le début, bro, rit Sans. Tu verras, plus tu grandiras, mieux tu les maîtrisera.

— Sans peut changer les gens en bleu ! J'aimerai bien pouvoir faire ça ! C'est possible, Lady Toriel ?"


La reine haussa un sourcil.


"Eh bien, les attaques de couleur sont très inhabituelles chez de jeunes monstres. Certains sont précoces, bien sûr, mais à ce point, je n'en ai jamais vu. La magie bleue est une magie principalement défensive. Elle empêche l'ennemi d'avancer et permet de modifier la gravité. C'est une magie rare et héréditaire. Cela dit, votre père maîtrisant deux magies de couleur, je ne suis pas étonnée.

— Il fait ça ? s'étonna Papyrus.

— Oui, il maîtrise aussi la magie orange. C'est une magie semi-défensive qui permet de faire reculer un ennemi en le fatiguant. S'il s'arrête de bouger, il perd de la vie. Je pense d'ailleurs que tu en as hérité. C'est un trait que l'on retrouve chez les monstres les plus énergiques. Tout comme Undyne héritera probablement de magie verte, par hérédité.

— Oui, Maman et Papa maîtrisaient la magie verte. Elle permet de figer un ennemi sur place pour l'empêcher d'esquiver !

— En effet, c'est une magie très puissante, et très caractéristique de la garde royale. Beaucoup de soldats ont cette faculté qui rend difficile la fuite des ennemis et facilite l'arrestation des gêneurs. Mais je ne doute pas une seconde que ta mère t'as déjà appris tout ça. C'était l'une de nos meilleures mages et commandantes, dit-elle avec une pointe de regret, et une de mes amies proches. Elle va manquer terriblement à notre peuple.

— Quand je serai grande, je serai chef de la garde royale, comme elle, répondit la petite, déterminée."


Toriel sourit tendrement.


"Je n'en doute pas une seconde."


Charlie releva la tête de son assiette, la bouche couverte de sauce tomate.


"Et vous ? demanda-t-il à la reine. Vous maîtrisez une magie de couleur ?

— En effet. Elle est discrète et les Dreemur sont les seuls à la posséder : la magie blanche. Elle sert principalement à maîtriser le feu, la foudre, mais sa fonction principale est de soigner. Mon mar... Asgore l'utilise davantage de manière offensive. Pour ma part, je préfère préserver mes forces, d'autant plus que je ne suis pas seule dans cette guerre."


Elle posa une main sur son ventre et Sans écarquilla les yeux en comprenant où elle voulait en venir. Son père disait toujours qu'un héritier donnerait de l'espoir aux monstres et l'envie de gagner la guerre. Le squelette n'avait jamais vraiment compris pourquoi un enfant aurait cet effet, d'autant plus que la guerre ne les avaient aucunement épargnés depuis le début. Mais si le scientifique était assez fou pour aller jusqu'à sacrifier ses propres enfants, pouvait-il avoir des plans sur l'héritier de la couronne ? Oserait-il aller jusque là ?


A la fin du repas, les enfants partirent jouer dans le salon. Sans se coucha sur le grand canapé pour somnoler un peu, tout en les gardant à l'oeil le temps que Toriel s'occupe de la vaisselle. Papyrus et Charlie avaient porté leur dévolu sur des casse-têtes en bois sur lesquels ils s'acharnaient. Undyne avait repris la lecture de son livre, assise à l'autre bout de son fauteuil. De temps en temps, elle s'arrêtait pour observer les autres, fronçait les sourcils et se replongeait dans les lignes.


"Tu devrais aller jouer avec eux, l'encouragea Sans.

— Non, je ne veux pas les déranger. Et puis...

— Je sais, tu n'apprécies pas beaucoup l'humain. C'est à cause de ce qui s'est passé dans les bois ?"


Elle posa son livre à côté d'elle et replia ses jambes contre elle, pensive. Sans se releva et s'assit en tailleur en face d'elle.


"Tu n'as pas à avoir honte de ne pas avoir envie d'être avec lui et d'avoir peur. Ou même de pleurer. Ce qui est arrivé est horrible, et tu as le droit d'être en colère et triste.

— Mais... Charlie n'a rien fait de mal, je me sens mal de ne pas... De ne pas être gentille avec lui.

— Tu n'as pas à l'être si tu ne te sens pas prête. Je suis sûre que si tu lui expliques calmement ce que tu ressens, il fera plus attention et te laissera un peu plus d'espace. Quand... Quand j'ai perdu ma maman, j'étais aussi très en colère contre les humains. Papa m'a dit que si j'avais des choses à leur dire, je n'avais qu'à imaginer qu'ils étaient un des arbres de notre jardin et les insulter et les frapper jusqu'à ce que je me sente mieux. Il se trouve que ça a fonctionné. Je pourrais t'apprendre ça, si tu veux."


Elle fit mine de réfléchir puis haussa timidement la tête avant de se réfugier dans ses bras. Sans sourit doucement et la serra contre lui pour la rassurer.


"Merci Sans, tu es le meilleur grand frère que j'ai jamais eu."


Le squelette sentit son coeur fondre alors que ses yeux brillaient de joie à ce compliment inattendu. Toriel vint interrompre ce petit moment de complicité, plusieurs bâtons de bois à la main.


"Bien, si vous voulez pratiquer un peu la magie, suivez-moi."


Papyrus bondit sur ses jambes et courut après elle, rapidement suivi par le reste de leur petite troupe.

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