Pour le bien de l'humanité

Chapitre 18 : Karma

2174 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/10/2020 17:25

Papyrus chantait à tue-tête en balançant de vieilles poupées de droite à gauche. Charlie avait fui la chambre depuis longtemps maintenant, agacé, ce qui n'était pas le cas de Sans, couché dans le lit de la chambre, les yeux perdus sur le plafond. Les mots de Toriel remuaient dans sa tête, et en particulier à propos du karma. Il s'agissait d'une magie violette, très efficace, qui produisait des dégâts équivalents au niveau de violence de la personne contre laquelle elle était utilisée. Si elle n'avait tué personne, l'attaque faisait un dégât, mais si un meurtrier se tenait en face de lui, il perdrait de la vie à retardement, siphonnée par sa culpabilité. Sans ne maîtrisait que la magie bleue, mais Toriel lui avait assuré qu'avec un peu de travail, il pourrait s'emparer de ce trait de magie. Elle en connaissait les bases et avait accepté de lui apprendre, afin d'augmenter sa puissance d'attaque.


Depuis, Sans s'interrogeait sur les dégâts qu'il pourrait faire à Gaster. Assurément, il n'était pas innocent, et encore moins dénué de violence. Il avait combattu par le passé, il avait forcément tué des humains... Et peut-être même des monstres, pour ce qu'il en savait. Etant donné la facilité qu'il avait à sacrifier ses propres enfants sans le moindre remord, combien de personnes avaient succombé avant eux à ses manipulations ?


"Nyeh eh eh ! s'enthousiasma Papyrus. Maintenant, tu n'as pas le choix ! Tu vas devoir me faire un câlin et devenir gentil, car moi, le grand Papyrus, te l'ordonne ! Et je n'hésiterais pas à utiliser mon attaque spéciale... Noooon ! Je suis vaincu ! dit-il en changeant sa voix et en frappant l'autre poupée avec la première. Attaque surprise ! Nyeh !"


Il s'écroula sur le dos et roula plusieurs fois à terre en imitant des bruits de bataille magique. Sans ne put s'empêcher de pouffer devant cette vision assez irréelle, et puis il se figea. Depuis quand n'avait-il pas entendu Papyrus s'amuser pour de vrai ? Sourire pour de vrai ? Son petit frère semblait insouciant, il ne l'avait même pas entendu se moquer de lui, plongé dans son petit monde trop optimiste. Son grand frère préférait le voir comme ça. Il ne méritait pas d'être tout le temps inquiété par des préoccupations d'adulte.


"Oh non ! Sans ! Il m'a eu ! Viens me sauver !"


Il attrapa une deuxième poupée et jeta celle au costume blanc contre le mur. Sans réalisa que les trois poupées étaient Gaster, Papyrus et lui-même. Il ne sut pas s'il devait se sentir flatté ou très inquiet de le voir jeter son père de cette façon. Mais sur le moment, ça le fit sourire. Karma, songea-t-il. Après tout, son père ne pouvait pas toujours le traiter comme un chien et s'attendre à ce qu'il le pardonne à chaque fois aussi facilement. Papyrus était très observateur et loin d'être idiot. Peut-être en savait-il plus que ce que Sans le pensait sur le sujet.


"Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Papyrus en se tournant vers lui. Il y a un problème ? s'inquiéta-t-il.

— Non, non, continue. Je me disais simplement que ça faisait longtemps que je ne t'avais pas vu jouer comme ça.

— C'est parce qu'on était sur les routes. Il n'y a pas de poupées sur les routes, Sans."


Fier de sa réflexion, il replongea la tête dans son jeu de rôle et reprit là où il en était. Le squelette descendit du lit. Il lui gratta gentiment la tête avant de quitter la pièce pour aller prendre des nouvelles des autres. Dans le salon, Undyne lisait sur un coussin près du feu, l'air concentré. Dans le fauteuil derrière elle, Toriel en faisait de même, même si son livre était bien plus épais et sans images. Une odeur de pizza flottait dans l'air, annonçant le menu du soir. Papyrus allait être content. Sans regarda autour de lui à la recherche de Charlie, mais l'humain ne semblait pas dans les parages.


"Il y a un problème, Sans ? demanda Toriel sans lever le nez de son livre. Tu as besoin de quelque chose ?

— Pas vraiment... Je venais juste voir si je pouvais aider à faire quelque chose. Je m'ennuie un peu."


Elle abaissa son livre et réfléchit un instant.


"Eh bien, il y a de la vaisselle à faire si vraiment tu t'ennuies.

— Je peux aider aussi, lady Toriel ? demanda Undyne d'une petite voix.

— Bien sûr !"


Elle lâcha son livre et accompagna Sans jusqu'à la cuisine. Ce n'était pas exactement ce à quoi songeait le squelette, mais il y vit une occasion de discuter un peu avec la fillette. Ils allèrent récupérer deux tabourets sur l'évier et grimpèrent dessus. Sans fit couler l'eau et tendit un chiffon à Undyne, pour qu'elle essuie. Il commença par les assiettes, encore rouge de la bolognaise du midi. Sans songea qu'il n'avait pas mangé de spaghettis aussi bons depuis fort longtemps. Depuis la mort de sa mère, pour tout dire. Gaster n'était pas vraiment le "papa-cuisto" idéal. Son travail de scientifique royal faisait qu'il les avait nourri de plats simples et rapides à cuisiner : pizzas, pâtes, boîte de conserve, frites, burgers. Une chance que les squelettes n'avaient pas de langue ou ils seraient déjà tombés malades.


Il rinça les premières assiettes et les déposa sur l'égouttoir. Undyne prit le relai avec le sourire et commença à les essuyer frénétiquement, comme si c'était la meilleure chose qu'elle faisait de la journée. Quelque part, elle était très similaire à Papyrus. La moindre petite chose l'enthousiasmait. Sans avait l'intuition que ces deux-là allaient vite devenir inséparables, un fois que tout serait terminé.


"Alors, dis-moi, qu'est-ce que tu penses de Papyrus ? Il est cool, hein ? l'interrogea Sans malicieusement.

— Oui, il est gentil. Il veut toujours parler et jouer avec moi. Il est drôle, et mignon, et... Je l'aime bien, dit-elle en rougissant furieusement.

— Je crois qu'il t'aime bien aussi, tu sais. Il n'a pas l'occasion de jouer souvent avec d'autres enfants. Ca lui permet de penser à autre chose. Mon petit frère est le plus cool. Il est toujours là pour t'écouter quand ça ne va pas, il te tire du lit le matin... Il a des défauts, c'est sûr... Il n'aime pas mes blagues, pour commencer, c'est un défaut majeur, ça me brise le coeur. Mais sinon, sur tout le reste, il est imbattable."


Elle poussa un petit rire cristallin qui réchauffa le coeur du squelette. Touché. Elle se déridait de jour en jour et ça lui faisait plaisir, quelque part. Elle ne méritait pas d'être malheureuse. Sans avait fini par s'attacher à elle et il se sentait mal de lui infliger encore plus d'épreuves comme celles qu'ils vivaient actuellement. Tout comme les deux frères, la pauvre avait vécu une rude aventure. Quelque part, il était sûr que cela les lierait à vie. On ne peut pas oublier des choses pareilles, il en était convaincu.


"Merci pour tout ce que tu as fait pour moi, dit-elle comme si elle lisait dans ses pensées. C'est gentil de m'avoir soutenue après... Ce qui s'est passé. Je suis contente d'être avec vous deux.

— Moi aussi, Undyne. Je ne sais pas comment j'aurais fait pour aider mon frère si j'étais pas tombé sur toi et ta maman. Je suppose qu'on est quittes. Tu peux rester avec nous, tu sais, quand tout sera terminé. On ne te laissera pas tomber. C'est pas... Ma famille est pas parfaite, mais comme c'est un peu moi qui m'occupe de tout le monde, Gaster a rien à dire. Je sais même pas si j'ai envie de le revoir.

— Maman disait souvent que la guerre rend les gens idiots. Peut-être qu'il est simplement...

— J'aimerais le croire, répondit Sans dans un demi-sourire. Mais je sais très bien que ce ne sera pas le cas. Rien ne sera plus pareil avec lui. Il ne peut pas juste... Nous utiliser pour ses expériences et attendre de Papyrus et moi qu'on ferme les yeux dessus. Ce n'est pas comme ça que fonctionne la confiance. Pap' pourrait lui pardonner, mais il ne ferait que l'utiliser contre moi juste pour me mettre de nouveau sous son contrôle. Certaines personnes ne sont pas de bonnes personnes."


Elle garda le silence. Sans avait besoin de vider son sac. Il ne s'en rendit même pas compte, plongé dans sa rancoeur.


"Quand il m'a emmené dans son laboratoire, il a dit qu'il voulait que Papyrus apprenne à maîtriser sa magie. Pas parce qu'il veut lui apprendre comme Toriel, mais parce qu'il commence à comprendre qu'il n'est peut-être pas seulement un élément gênant, mais un pion qu'il peut utiliser à son avantage dans sa foutue guerre. Il n'a jamais aimé Papyrus, il ne lui a jamais montré un geste d'affection ou offert un sourire, il n'a jamais voulu faire attention à la manière dont son regard change à chaque fois qu'il le repousse. C'est de sa faute s'il est comme ça, s'il est mal à l'aise avec les autres, s'il a autant de mal à se faire des amis. Tu es l'une des seules avec qui il a eu des contacts extérieurs depuis... depuis que Maman est partie."


Ses doigts se crispèrent sur le plat qu'il tenait dans les mains. Son oeil gauche vira au bleu pâle et une fumée écarlate s'échappa de plus en plus fort de sa cavité orbitaire. Undyne eut un mouvement de recul, légèrement effrayée.


"Et un jour, il paiera pour ça. Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment, mais ça finira par le rattraper. On ne peut pas être mauvais et vivre au-delà de toute conséquence. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Ce n'est pas... juste."


Un crâne d'animal se matérialisa doucement derrière lui. En comprenant qu'il perdait les pédales, Undyne bondit du tabouret et courut alerter Toriel dans le salon. Sans ne la vit même pas partir. Devant lui se tenait maintenant le fantôme de tous ses problèmes, la source de sa haine et de sa colère. Il lui tournait le dos, tellement fragile. Il pourrait juste... Mais serait-ce raisonnable ? Etait-ce la bonne solution ? Comment réagirait Papyrus ?


Papyrus n'était pas là. Il ne pouvait pas le voir. Juste une fraction de seconde, un coup en plein coeur. C'est tout ce dont il avait besoin. Il leva la main. Gaster, surpris, tourna la tête vers lui. Une pluie d'os translucide s'abattit sur lui et le transperça comme un vulgaire sac de farine. Il hurla, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Le blaster s'approcha de sa proie, les yeux brillants de la même lueur bleutée que son incanteur.


"Ce... n'est... pas... juste."


Il tira. Le coeur de Gaster vola en éclat sous la puissance de l'attaque. Et puis, soudainement, il se souvint. Le scientifique n'était pas là. Il ne pouvait pas leur faire de mal. Alors sur quoi avait-il tiré ? Il décrocha de sa transe presque instantanément. La table de la cuisine était transpercée d'os translucides et un blaster gigantesque planait derrière lui, la gueule encore fumante. Le mur qui menait au jardin n'existait plus et de petites flammes mourantes accompagnaient les briques traînées par le sort dans la cour.


Sous le choc, il resta un long moment à regarder le trou devant lui, puis ses mains. Qu'est-ce qui s'était passé ? Il hoqueta, effrayé, avant de reculer d'un pas. Ses jambes tremblèrent et il tomba à genoux sur les restes du carrelage. Toriel se précipita à ses côtés. Sans ne l'avait même pas remarquée. A l'abri sous un champ de force, Undyne et Papyrus étaient serrés l'un contre l'autre. Papyrus était en larmes, totalement paniqué. Il devait se calmer.


"Tout va bien, murmura Toriel d'une voix douce. Ce n'est rien. Ta psyché a sans doute réagi à celle de Papyrus tout à l'heure et a eu besoin de s'exprimer. Tu es en sécurité.

— Non ! hurla Sans, totalement hystérique. Non ! J'aurais pu vous tuer ! Je... Je ne sais pas ce que... Je ne peux pas... Il faut...

— Tu fais une crise de panique, calme-toi.

— Pap... Je suis dangereux... Je dois... Désolé !"


Il se leva et courut vers le trou. Toriel essaya de l'attraper, mais son blaster se mit sur la route et poussa un long grondement dissuasif. Il entendit Papyrus hurler son nom, mais il ne s'arrêta pas. Il courut. Tout droit. Toujours tout droit. Jusqu'à ce que ses jambes ne puissent plus le porter.

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