Pour le bien de l'humanité

Chapitre 19 : Entre deux feux

2059 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/11/2020 20:39

Lorsque Sans sortit enfin de l'espèce de transe où il s'était lui-même plongé, il était bien trop tard. Autour de lui, un paysage boisé et enneigé l'encerclait de partout. Il l'étouffait. Avec le recul, sa petite fuite dans les bois ne lui paraissait plus une si bonne idée que cela. Certes, elle lui avait permis de reprendre ses esprits et, partiellement, le contrôle de sa magie, mais il était maintenant perdu, sans aucune idée d'où se rendre pour rentrer au chalet. La nuit tombait, il n'avait pas entendu une seule fois la voix de Toriel, qui devait certainement le chercher, et il commençait à avoir peur.


Pour commencer, il n'avait pas de quoi passer la nuit, ni abri, ni nourriture, ni manteau. Dans son petit pull, trouvé dans une des penderies du chalet, il était frigorifié. La neige qui s'était remise à tomber depuis quelques minutes transperçait la laine et l'humidité coulait le long de ses os. Désorienté, ses propres traces disparaissaient peu à peu, ce qui n'arrangeait pas la situation.


Malgré tout, il essayait de garder la tête froide. Céder à la panique ne l'aiderait pas à rentrer à la maison. Il avait commencé à tracer des croix avec des bâtons sur les arbres qu'il croisait afin d'être certain de ne pas tourner en rond. Il avait eu du mal à ne pas le faire dans un premier temps, mais avançait désormais en ligne droite, sans savoir s'il empruntait la bonne direction. Il pouvait très bien être en train de revenir sur ses pas ou s'éloigner encore plus pour ce qu'il en savait.


Lorsque le soleil se coucha, la situation devint complètement ingérable. La tempête de neige repartit de plus belle et Sans se retrouva perdu dans un océan blanc. Il serra ses vêtements trempés contre lui et se mit en quête d'un abri. Un grand sapin au sol encore sec lui sembla une bonne initiative temporaire. Il rampa sous les épines et vint s'asseoir contre le tronc. Il serra ses jambes contre lui et décida de profiter de ce temps de pause pour se reposer. Il se coucha sur le sol froid et dur et ferma ses orbites pour essayer de dormir.


La nuit fut cauchemardesque. Entre le froid et les bruits de la forêt, Sans ne parvint à accumuler que quelques dizaines de minutes de vrai sommeil. A l'aube, la neige cessa de tomber, mais les températures restèrent glaciales. Sans claquait des dents, roulé en boule sous son arbre, et se frottait frénétiquement les bras dans une tentative inutile de se réchauffer. Il se figea net lorsque des pas retentirent non-loin de là.


Dans un premier temps, il songea que Toriel l'avait peut-être retrouvé, mais son instinct lui dicta de rester à couvert pour le moment. Les pas semblaient bien lourds pour appartenir à la reine au pas habituellement plus léger. A bien écouter, il en déduisit même que plusieurs personnes marchaient, et se rapprochaient de différentes directions, à l'est et à l'ouest. Aux premières paires de bottes visibles, Sans comprit qu'il s'agissait d'humains. Il recula vers le tronc au maximum et pria silencieusement pour que la dense couverture d'épines qu'il avait au-dessus de la tête suffirait à le garder à couvert. Ils se stoppèrent devant l'arbre et plusieurs hommes partirent vers les buissons. Plus inquiétant, l'un d'eux monta dans le pin où il se trouvait. Sans calma sa respiration et essaya de se détendre. La situation était catastrophique.


Seule une paire de bottes resta à découvert. Les autres pas continuèrent de se rapprocher. L'humain se crispait au fur et à mesure de leur avancée, comme si leur vue n'avait rien de plaisant. Sans en comprit la raison rapidement. La capes d'Asgore, les bottes noires de Gaster et plusieurs pattes blanches canices de gardes royaux se stoppèrent à quelques mètres de distance. Le squelette avait foncé droit dans la gueule du loup. Terrifié à l'idée qu'un chien le repère, ou pire, son père, il commença à regarder autour de lui avec affolement, dans l'espoir de trouver une piste dégagée vers laquelle se replier si la situation dégénérait.


Pendant de longues minutes, personne ne parla. Une certaine tension régnait entre les deux groupes que ne pourrait effacer ni le temps, ni la paix. La guerre en était à un stade bien trop avancé pour que les choses puissent redevenir un jour comme avant. Trop de faux pas, de coups en traîtres, de couteau dans le dos pour que les deux peuples puissent de nouveau vivre ensemble sans craindre l'ordre. Il faudrait plusieurs générations pour effacer les horreurs commises. Pour les humains à l'espérance de vie courte, quelques dizaines d'années suffiront. Pour les monstres, dont la plupart ne vieillissait pas ou très peu, c'était une toute autre histoire. Si tant est qu'il resta des monstres une fois la crise passée...


"Ainsi, vous avez le culot de venir me voir sans ce que je vous ai demandé, entama l'humain d'une voix autoritaire."


Sans voir son visage, Sans reconnut l'intonnation typique des militaires : sec, carré, froid, sans émotion. L'homme se tenait également dans un pseudo garde-à-vous, les pieds alignés aux milimètres et les mains derrière le dos.


"Nous avons besoin de plus de temps, répondit sèchement Gaster. Un contretemps est venu modifier nos plans.

— Allons, docteur Gaster, répondit l'homme d'une voix criante de sarcasme, n'est-ce pas toujours le cas ? Depuis combien de temps est-ce que je vous demande la livraison de l'enfant ? Trois mois, quatre mois ? Je vais finir par croire que vous mijotez quelque chose contre nous et m'impatienter.

— Assez ! intervint Asgore. Nous vous avons promis l'enfant en échange d'un traité de paix, et nous tiendrons parole. Nous vous demandons simplement plus de temps. La magie est quelque chose de délicat, nous ne pouvons nous permettre de négliger des détails afin que, justement, les événements ne dérapent pas."


L'humain poussa un soupir de résignation.


"Je veux des garanties, où en est le sujet ? Vous disiez lors de notre dernière entrevue que des tests étaient en cours pour garantir sa fiabilité.

— Il maîtrise de mieux en mieux sa magie et développe même de nouvelles capacités comme la téléportation, répondit le scientifique royal. Il est l'un des seuls sujets à tenir la détermination et à l'utiliser pour faire muter son propre ADN et créer des pouvoirs uniques que nul autre monstre ne peuvent reproduire. A taille adulte, nul doute qu'il devienne puissant.

— Vous en parlez comme s'il allait devenir adulte un jour, se moqua le soldat. C'est mignon."


Asgore serra les poings.


"Montrez un peu de respect, monsieur Jolanger, ordonna le roi. Nous parlons d'un sacrifice pour que cette guerre cesse enfin, nous ne vous offrons pas un jouet que vous pourrez briser comme vous le voulez.

— Sauf votre respect, votre Majesté, votre peuple ne mérite ni compassion, ni humanité à mes yeux. Si nous signons la paix, ce ne sera pas sans d'autres contraintes, à commencer par votre enfermement définitif dans le Mont Ebott, comme nous en avons déjà parlé.

— Je vous demande pardon ? s'emporta le roi. Ce n'est pas ce qui était convenu !

— Les temps changent, monsieur Dreemur. Vous êtes celui qui n'avait pas respecté votre part du contrat. Il est normal que nous demandions des intérêts pour compenser le temps précieux que vous nous faites perdre.

— Vous n'êtes qu'un crétin arrogant, siffla Gaster, mauvais.

— Mesurez vos mots, vous pourriez le regretter amèrement, docteur, le menaça l'homme. Nous vous accordons trois jours supplémentaires. Si l'enfant n'est pas livré lors de notre prochaine réunion, nous raserons le reste de votre espèce sur votre pitoyable petit camp. Bonne journée, messieurs."


Il ne leur laissa pas le temps de répliquer et quitta les lieux. Ses soldats sortirent des buissons pour le suivre. Une paire de bottes atterrit juste devant Sans, puis le reste d'un humain. Dès qu'il croisa le regard du squelette, il eut un mouvement de recul et braqua son arme sur lui. Sans paniqua et tendit les mains devant lui dans un réflexe défensif. L'âme du soldat vira au bleu et il fut projeté en arrière, droit vers les pieds d'Asgore et Gaster, qui s'apprêtaient eux aussi à partir. Il y eut un silence, avant que le scientifique royal ne s'abaisse pour regarder sous le pin. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise avant que son visage ne se fasse plus sévère.


"Sans... Sans, je t'interdis de bouger."


L'enfant détourna la tête et courut dans la direction opposée. Il entendit Gaster hurler aux gardes royaux de le suivre. Son âme vira brièvement au bleu, mais il réussit à s'éloigner de la zone de contrôle de son père avant que ce dernier ne parvienne à l'immobiliser. L'enfant traça entre les armes, en essayant de se remémorer les conseils de Toriel sur la route qu'ils avaient empruntés. Faire plusieurs fois demi-tours, zigzaguer entre les arbres, effacer les traces dès qu'il le pouvait. La neige épaisse rendait difficile sa course, mais avait au moins l'avantage de ralentir également ses poursuivants. Il entendait la chef de la garde royale aboyer sauvagement, sur sa piste.


Paniqué, Sans décida de prendre plein est, là où la neige était moins profonde. Ses sens s'alarmèrent quand il se rendit compte qu'il laissait beaucoup de traces derrière lui, mais il n'avait pas le temps de s'en inquiéter. Déjà au loin, les armures grises des gardes royaux apparaissaient. A quatre pattes, ils allaient beaucoup plus vite que lui. Mais il ne comptait pas se laisser prendre. Il continua à courir, le coeur battant à la chamade. Il bondit hors des buissons et coupa la route à la légion humaine qui attendait encore. Il reconnut sans mal l'homme avec lequel Asgore et son père discutait.


Toutes les armes se braquèrent sur lui. Sans se figea net, terrifié. Asgore et Gaster arrivaient par le nord, et un autre contingent de la garde royale arrivait par là où il était censé fuir. Pris au piège, il se mit à tourner sur lui même. Gaster leva la main et son âme vira au bleu. Il ne pouvait plus bouger. Un soldat au moins aussi effrayé que lui tira. Le squelette ne dut sa survie qu'à l'instinct de Gaster qui le poussa du chemin.


"Ne tirez pas ! hurla le soldat humain. Asgore, qu'est-ce que ça signifie ? Est-ce que c'est l'enfant ?

— Sans ! Sans, calme-toi, tenta Gaster en s'approchant lentement."


Sans braqua son regard sur lui. Non. Pas comme ça. Il refusait d'abandonner de cette manière. Son oeil vira au bleu et une pluie d'os translucides vola partout autour de lui. Les gardes royaux se jetèrent devant le roi pour éviter les dégâts, tandis que les humains, affolés, entraient dans une rage meurtrière. Le petit squelette hurla et invoqua deux immenses blasters qui se mirent à tirer à vue sur tout ce qui bougeait pour le protéger. Gaster se prit un tir en pleine poitrine et vola sur plusieurs mètres. A défaut, cela lui fit lâcher l'emprise qu'il avait sur son fils. Sans recula d'un pas, avant de reprendre sa course folle sous une pluie de balles de fusils. Excités comme des chiens de chasse, les soldats humains tiraient maintenant sur lui et sur le roi. En se retournant, Sans eut juste le temps de voir Asgore saisir maladroitement son père avant de se mettre à couvert.


Le squelette ne fit pas attention où il mit les pieds et sentit soudain le sol se dérober sous lui. Avant qu'il n'eut le temps de réaliser, il se cogna brusquement contre un pan de roches. Il chuta de plusieurs mètres comme ça, de rochers en rochers, en sentant à chaque fois son âme se fissurer un peu plus à chaque coup. Il s'écroula sur le sol boueux d'une caverne, à bout de forces, mais toujours en vie.



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