Une dernière promesse

Chapitre 2 : Retour au bercail

2873 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 01/09/2020 15:37

Contrairement aux villes humaines où se promener à l'extérieur était déconseillé pour tout monstre avisé, à Nouvelle Nouvelle Maison, ces préoccupations n'existaient pas pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait pas d'autres transports en commun en ville. Si quelqu'un devait traverser la ville, il le faisait en vélo ou à pied. De jolies fleurs dorées bordaient les entrées de la gare où la foule encore nombreuse se pressait. Papyrus huma l'air un moment avant de se mettre en route vers l'artère bondée du centre-ville, son passager humain toujours campé sur ses épaules.


Frisk fut ravi de retrouver l'ambiance si particulière de cette ville qui lui avait tant manqué. Tous les monstres qu'ils croisaient les hélaient à grands signes de bras, parfois nombreux, juste dans l'attente d'un sourire. Cela changeait des meetings et autres réunions de l'ambassade où l'enfant ne recevait que haine et insultes de la part des représentants de sa propre espèce. Parfois, il avait du mal à se dire qu'il appartenait à leur peuple. Quelque part, ce n'était plus le cas. Depuis le mont Ebott, il n'y avait pas un jour où il s'était senti "humain" de nouveau... Si l'on écartait ces quelques lignes temporelles auxquelles il n'aimait pas penser. Sans l'avait de toute façon dissuadé à sa manière de redevenir ce type d'humain de nouveau. Même s'il pensait le contraire, ces longues heures passées dans le dernier corridor lui avait servi de leçon pour l'éternité et plus encore.


"Tu es bien pensif, humain Frisk. Le manque de spaghettis t'as rendu muet ? Je savais que ce n'était pas une bonne idée de vous laisser partir."


Malgré le ton en apparence jovial de la remarque, Frisk discerna très clairement une pointe d'amertume. L'adolescent tapota gentiment sur le crâne du squelette avant de poser sa tête sur son crâne.


"Je n'ai pas trouvé un seul restaurant capable d'égaliser avec tes chefs d'oeuvre culinaires. Ces humains sont vraiment nuls.

— Bien évidemment, chantonna-t-il. Aucun humain n'est capable de rivaliser avec mon génie absolu en matière de cuisine. Même Undyne le reconnaît."


Ce n'était pas si faux. Personne ne pouvait rivaliser avec cette capacité à placer des spaghettis dans n'importe quelle recette de cuisine, quand bien même elle n'en nécessitait pas. Frisk se rappelait encore du jour où Sans et lui avaient tenté de le dissuader maladroitement de ne pas présenter ses fabuleux spaghettis au chocolat et à la moutarde à Grillby pour soi-disant "améliorer sa carte et la rendre moins graisseuse". Le pauvre barman avait vomi ses tripes inexistantes pendant trois jours après ça et forcé Sans à payer ses dettes juste pour se venger. Enfin... Sans avait très fortement encouragé Frisk à utiliser son salaire d'ambassadeur pour la payer à sa place. Toriel n'avait pas apprécié du tout et mit à la porte une nuit entière. Au moins, cette mésaventure lui avait appris à payer ses consommations plus régulièrement. Tout espoir n'était pas perdu après tout.


Au souvenir fulgurant de sa mère, Frisk se contorsionna pour voir si elle suivait le rythme. Elle était loin derrière, arrêtée tous les deux mètres par les passants enthousiastes. Eh oui, les Dreemur passaient rarement inaperçus en ville, en particulier après six mois d'absence. Papyrus se stoppa lui aussi et se retourna de manière peu discrète.


"Elle semble en avoir pour un moment. Glace ?

— Glace, répondit Frisk, enthousiaste."


Le squelette le déposa au sol et se dirigea vers la petite cabine du vendeur le plus proche, les grosses valises de Frisk derrière lui. Le lapin bleu qui le tenait écarquilla les yeux en apercevant l'humain qui le salua d'un petit geste de main. Quelques pièces d'or et deux cônes à la vanille plus tard, l'humain et le squelette s'installèrent sur un des nombreux bancs publiques entouré de fleurs dorées. Celui qu'ils avaient choisi donnait une vue imprenable sur la vallée encore ensoleillée. Malgré l'installation des monstres, elle avait su garder cet air sauvage et inhabité grâce à son immense forêt où seul le tube de verre du train laissait planer l'existence d'une civilisation.


Le paysage restait aussi beau que le jour où les monstres avaient posé les yeux dessus, cinq ans plus tôt. Le temps était passé si rapidement... Toute cette histoire lui paraissait parfois irréaliste ou sortie d'un rêve, mais il n'en regrettait pas la sueur, les larmes, les rencontres effectuées sous cette montagne qui avait changé sa vie.


"Comment va Sans ? demanda Frisk, légèrement inquiet.

— Je ne sais pas trop, avoua Papyrus, visiblement soulagé de pouvoir se confier à quelqu'un. En apparence, il va bien, mais... Il a des périodes assez étranges en ce moment où il refuse de sortir de sa chambre, d'autres où il se met soudain à trembler comme une feuille... Bien sûr, il se braque dès que je commence à poser des questions, mais tu sais comment il est...

— Tu veux que je lui par...

— Oui ! ... S'il te plaît, se reprit-il en détournant le visage. Je sais qu'il te raconte plus de choses qu'à moi... Pour une quelconque raison... Mais je pense que parler à quelqu'un lui fera du bien."


Il n'en fut pas exactement plus rassuré. Sans avait toujours eu ce penchant pour les secrets, mais il camouflait habituellement mieux ses signaux d'alarme que cela. Et si cela cachait quelque chose de plus grave ? Frisk allait devoir creuser la question.


Lorsque Toriel les rejoignit enfin, ils se remirent en route vers la maison de Papyrus. Le squelette étant l'un des premiers à avoir emménagé à l'extérieur, ses quartiers ne se trouvaient pas si loin du centre ville. Leur habitation se détachait du paysage sa couleur rose fuschia, dernière folie de Papyrus qui avait absolument tenu à peindre la façade lui-même. La pauvre maison ressemblait à une tomate trop mûre sur le point d'exploser... Au moins autant que les spaghettis de son occupant. Deux boîtes aux lettres, une trop pleine et l'autre désespérément vide entouraient l'allée qui menait à la porte d'entrée. La décoration du jardin était... originale. Sans, n'ayant pas eu le courage d'aller récupérer des fleurs dans la montagne comme la majorité des habitants, avait simplement planté des os dans le sol sur lequel le mot "Fleur" était écrit au marqueur. Ce n'était pas exactement du goût de son frère, mais pour une raison obscure, Papyrus n'y avait pas touché. Peut-être parce que Frisk avait personnalisé les "créations" de Sans de multiples dessins, comme cette Undyne beaucoup trop longue et plate qui le jugeait avec tristesse ou ce Metatton carbonisé qui n'aurait pas impressionné grand monde à la télévision. Du grand art.


"J'espère que Sans n'a pas tout dérangé pendant que je n'étais pas là, grogna Papyrus en tournant frénétiquement la clé dans la serrure de sa porte. S'il a encore ramené cette chaussette dans le salon alors que je l'ai jeté ce matin..."


Il poussa la porte et tira les deux énormes valises derrière lui. Il les rangea soigneusement au pied de l'escalier et laissa Toriel et Frisk déposer leurs manteaux sur les crochets trop chargés des deux squelettes, entre les filets de chasse au papillon et le fémur de rechange de Sans. Frisk ressentit immédiatement une immense joie en posant les yeux sur le mobilier familier de ses amis. Les squelettes ne s'étaient pas vraiment foulé au niveau de l'aménagement, très semblable à celui de leur vieille maison à Snowdin. La plupart des meubles étaient les mêmes, à l'exception du canapé que Sans avait jeté par la fenêtre lors du déménagement pour prouver que sa magie était utile et qui s'était brisé en deux à l'impact. Les squelettes avaient toutefois ajouté quelques nouveautés à la décoration, telles que les consoles de jeu qui traînaient près de la télévision, ou encore le mobilier de cuisine tout automatisé qui avait sauvé la vie de nombreuses personnes en créant des spaghettis plus ou moins mangeables.


L'adolescent se laissa tomber sur le nouveau sofa, aussi bleu que le gilet que Sans portait la plupart du temps, et souffla d'aise, ravi d'être enfin arrivé. En hôte exemplaire, Papyrus s'occupa pendant ce temps de monter les valises à l'étage, dans les chambres, au nombre de trois.


"Je suis presque impressionnée, dit Toriel. Aucune chaussette à terre, la plupart des poussières réellement faites... Ils se sont donnés à fond.

— Ou tout est caché dans un placard comme la dernière fois, se moqua Frisk."


C'était la méthode de rangement favorite de Sans. Il jetait tout dans un placard et celui qui avait la malchance de l'ouvrir derrière lui avait la chance de tout ranger de nouveau. La douce voix de Papyrus leur parvint rapidement depuis l'étage.


"Sans ! Espèce de sac à os ! Tu n'as même pas bougé de la matinée ! Frisk et Lady Toriel sont arrivés. ... Bien sûr que tu vas descendre ! Tu as cinq minutes pour bouger ton tas d'os où je te balance depuis la mezzanine ! Sans ! Sans, arrête avec tes vannes pourries et obéis ! Et aère ta chambre, ça sent le fauve !"


La porte claqua avec tant de force que les murs en tremblèrent. Papyrus dévala les marches et les rejoignit dans le salon. Il resta un instant dans l'entrée, avant de faire un tour sur lui-même et de courir vers la cuisine. Frisk et Toriel le regardèrent faire, légèrement perplexes. Il revint quelques minutes plus tard avec un plateau transportant du jus de pomme et des biscuits.


"Servez-vous ! Je les ai fait ce matin, enfin cette nuit. Ils sont tous frais ! J'ai suivi la recette au pied de la lettre. Sans vouloir me vanter, je deviens meilleur et meilleur de jour en jour, même Sans a tendance à ne plus aller à Grillby's pour manger. Enfin... Il ne sort plus trop de sa chambre. Mais il sera là d'une minute à l'autre ! J'espère qu'il aura changé de vêtements...

— Ils sont très bons, le complimenta Toriel en goûtant l'un des cookies."


Frisk, qui avait attendu de voir si sa mère allait mourir sous ses yeux suite à une intoxication alimentaire, finit par se saisir lui aussi d'un des gâteaux. A sa grande surprise, il était vraiment bon. Se pouvait-il que Papyrus aie enfin appris à cuisiner pendant leur absence ? Le squelette se triturait les mains dans l'attente nerveuse de son jugement. L'adolescent leva ses deux pouces en l'air et un grand sourire pétillant illumina son visage.


Un point d'énergie bleu brilla derrière les cookies, avant qu'un squelette plus trapu et petit que le premier n'apparaisse dans un petit "zap". Les yeux encore ensommeillés, il fit main basse sur deux des gâteaux avant de lever le regard vers Frisk, Toriel et Papyrus.


"Yo, les gratifia-t-il timidement.

— Sans ! cria Frisk."


L'adolescent abandonna son goûter pour se jeter sur le squelette qu'il étouffa dans un câlin. Aussi bien lui que Sans furent surpris de la grandeur de l'humain. Même si Frisk était petit, il n'avait jusqu'à présent jamais dépassé Sans en taille. Pourtant, il le dépassait maintenant de dix bons centimètres. Le squelette lui rendit son étreinte maladroitement, tout en absorbant la paire de cookies à travers ses dents.


"Il faut arrêter de grandir maintenant, ou tu vas passer un sale moment, le menaça gentiment le squelette au creux de son oreille. Salut, Tori', dit-il à l'attention de sa mère."


Frisk relâcha le squelette qui alla saluer la femme-chèvre, sous le regard insistant de Papyrus. Il avait l'air de bien se porter. En apparence, songea tristement Frisk. Comme toujours. Une fois les retrouvailles passées, il alla s'effondrer dans le canapé et revissa sa capuche sur sa tête. Papyrus poussa un profond soupir mais ne lui en tint pas rigueur. A la place, il sortit un grand calendrier d'un tiroir et l'accrocha au mur avec un os magique qui créa une large fissure dans le béton.


"Puisque mon frère n'y a pas pensé, j'ai organisé le planning des vacances. Il y a des sorties, des séances de cuisines, du sport, dit-il en insistant sur le mot, des soirées anime, et j'y ai même ajouté tes rendez-vous d'ambassadeur pour que tu ne les oublies pas. Demain, on va à la plage ! J'ai prévu dix-huit sortes d'activités amusantes pour passer le temps. L'une d'entre elle consiste à m'enterrer dans le sable."


Frisk se rapprocha du morceau de papier bariolé de couleurs. Il avait réellement tout noter, y compris les jours où Sans était sorti de sa chambre la semaine précédente... Une seule fois. L'adolescent lança un coup d'oeil vers Sans, ce dernier détourna rapidement le regard, pris sur le fait, et se reconcentra sur un nouveau show sans grand intérêt de Mettaton. Papyrus, fier de lui, posa une main sur l'épaule de l'adolescent. Il examina le programme du jour : atelier crêpes avec Papyrus. Ils allaient peut-être manger correctement ce soir. Il offrit un grand sourire au squelette et le suivit dans la cuisine étant donné qu'ils étaient déjà en retard sur le programme. Toriel décida pendant ce temps d'aller défaire leurs affaires à l'étage. Sans resta sur le canapé, indifférent à ce qui se passait.


L'après-midi passa rapidement. L'adolescent apprit à Papyrus à faire des crêpes, étant donné qu'il n'avait aucune idée de comment les faire, et ils se mirent au travail en discutant de choses et d'autres. Frisk lui fit le récit des six derniers mois, ses progrès à l'école, les tensions entre les humains et les monstres dans la grande ville. Il avait toujours eu plus de facilités à se confier à Papyrus sur les sujets vides de la vie quotidienne. Le squelette s'enthousiasmait pour tout et n'importe quoi avec une facilité déconcertante qui réchauffait l'âme et gonflait le moral à bloc. De son côté, ce dernier lui raconta encore une fois son entrée dans la police avec les yeux brillants. Il l'avait fait au moins une fois par jour depuis qu'il y était entré. Frisk était heureux pour lui. Son rêve se réalisait enfin, même si ses tâches étaient loin d'être extraordinaires. A vrai dire, il maternait surtout ses coéquipiers, répondait au téléphone et s'occupait des petites infractions, mais les choses lui convenaient comme ça. De toute manière, ni Undyne, ni Frisk, ni Sans n'apprécieraient de le mettre plus en avant au point de risquer sa vie. Papyrus faisait partie de ces monstres qui avaient trop foi en l'humanité, au point que ça en devienne dangereux pour eux. Il en avait déjà fait les frais par le passé.


Toriel les rejoignit une heure plus tard, attirée par l'odeur qui émanait de la cuisine. Ses crêpes furent immédiatement meilleures que les leur. En tout cas, elles ne restaient pas collées au plafond comme celles de Papyrus qui les récupérait une à une lorsque la gravité les rattrapait. Leur petite activité s'acheva à l'heure du goûter. Après avoir avalé quelques autres cookies de Papyrus, Frisk décida d'aller faire un tour dans le quartier, histoire de saluer les voisins et prendre des nouvelles.


"Attends, gamin, je viens avec toi."


Sans se redressa du canapé où il avait passé l'après-midi et suivit l'enfant à l'extérieur, à la grande surprise de Papyrus qui s'empressa de le noter sur son calendrier en rose fluo. Une fois la porte fermée, Frisk se tourna vers son ami, qui poussa un grand soupir.


"Viens, je connais un endroit où l'on va pouvoir parler plus calmement."


Il tendit la main et un portail bleu apparut devant eux. Frisk fronça les sourcils en s'apercevant que sa main tremblait légèrement, comme s'il effectuait un effort intense.


"Sans... Est-ce que c'est... grave ? demanda l'enfant d'une voix inquiète."


Après tout, les rares fois où Sans avait tenu à parler avec lui en tête à tête n'avaient pas été des parties de plaisir : une menace masquée de ce qui allait arriver s'il touchait à son frère à Snowdin, la vérité sur pourquoi il avait pu aller si loin dans les Souterrains dans le MTT Resort, son jugement dans le corridor, la grande discussion sur les resets après sa dernière course pacifiste, et maintenant cela. Ces discussions n'étaient en rien anodines. Sans lui ébouriffa les cheveux et lui sourit tristement.


"Oui. Mais cette fois, tu n'y es pour rien. Je vais t'expliquer."


Il lui prit la main et l'accompagna dans le portail, qui disparut derrière eux dans un "zap" discret.


Laisser un commentaire ?