Le Royaume des Rats

Chapitre 12 : De drôles d'oiseaux de proie

7700 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/07/2019 21:49

Filles et Fils du Rat Cornu,

 

Je vous prie d’excuser ce retard, mais j’ai eu quelques petits problèmes de santé. Rien de bien grave, aujourd’hui, je suis guéri, mais ça m’a empêché de réfléchir pendant plusieurs jours.

 

J’ai aussi le plaisir de vous annoncer que j’ai été accepté définitivement dans la fonction publique française. J’espère pouvoir être muté vers une bibliothèque, et avoir un métier dans lequel je m’épanouirai plus que l’actuel. Mais au moins, mon avenir professionnel est assuré.

 

Enfin, j’ai remarqué que personne ou presque ne faisait de commentaire depuis bientôt dix mois que j’ai commencé à publier cette fanfiction. Je vous en prie, n’hésitez pas à vous exprimer, c’est très important pour moi d’avoir des retours, positifs ou négatifs, pourvu qu’ils soient émis dans un but constructif. J’espère que ce n’est pas parce que le ton général vous déplaît. Je vous promets que l’action va ENFIN venir.

 

Merci de votre attention, et Gloire au Rat Cornu !

 

 

-         On y est, les gars !

 

La douzaine de cavaliers s’arrêta. Walter Klingmann tendit le doigt vers un petit fortin construit sur une colline à l’entrée du village.

 

-         Voici la caserne de Klapperschlänge.

 

Ladite caserne était un petit bâtiment sombre et austère, conçu avec le minimum de fioritures. La région, en réalité, était la moins fortunée du Royaume des Rats, et chaque pistole d’argent était précieuse. Elle avait malgré tout son lot de Skavens adoptés, le Prince avait décidé de ne pas refuser aux paysans volontaires d’agrandir leur famille s’ils avaient les moyens de subsister, aussi modestes fussent-ils.

 

Est-ce raisonnable ? songea Kit, qui ne l’avait jamais pleinement approuvé. En tant que petit-fils du Prince, il n’avait jamais connu autre chose que l’opulence, à la maison. Son expérience sur le terrain l’avait habitué à l’austérité des casernes, aux repas frugaux et aux nuits sous une tente. Mais laisser des gens pauvres la charge d’un Skaven lui paraissait une erreur. Chaque fois qu’il y pensait, son côté perfectionniste à outrance lui murmurait que les Skavens Libérés étaient trop précieux pour être confiés à des gens incapables de joindre les deux bouts.

 

Il secoua la tête, voulant chasser ces idées parasites de son esprit. D’autres problèmes beaucoup plus concrets et autrement plus graves menaçaient la paix sur son royaume. Il se retourna vers les hommes, et sentit ses moustaches frémir quand il vit l’un d’eux avec un regard vague.

 

-         Hé, Pol ? Un problème ?

 

Pol Demmler sursauta. Il était un très bon ami de Walter, même davantage. On voyait rarement l’un sans l’autre. C’était un homme au poil gris foncé et aux grands yeux clairs. Adopté par le couple propriétaire de l’une des auberges les plus prospères de Steinerburg, il en avait bien profité. Sans doute beaucoup trop, car il était très corpulent, à tel point que cela pouvait être handicapant. L’influence de ses parents et le faible nombre de Skavens miliciens avaient sans doute davantage contribué à son acceptation dans l’armée que ses capacités d’homme d’action. En tout cas, sans oser le dire à haute voix, Kristofferson en était convaincu.

 

-         Euh ! Excuse, Kit, mais je pensais à quelque chose.

-         Ah oui ? Quoi donc ?

-         Tu disais « les gars ».

-         Oui, et alors ?

-         Ben, ça prouve qu’on n’est que des hommes.

-         Eh bien ? Exprime-toi.

 

Après une courte hésitation, Pol éclata :

 

-         Y a pas assez de gonzesses, dans cette armée ! Des filles, des filles !

 

Quelques hommes ricanèrent. Kristofferson, en revanche, fit une grimace contrariée.

 

-         Pol, tu sais bien que ce n’est pas possible ! En tout cas, pas encore !

-         Oh, je rigolais ! répliqua le gros Skaven sombre. Détends-toi !

-         C’est vrai, Kit, intervint Walter. Tu prends toujours tout au sérieux !

 

Kit se tourna vers son meilleur ami.

 

-         T’as fait des récoltes avec moi, Wally. Tu sais comment les filles sont traitées chez les Sauvages. Contrairement à vous autres, j’ai une chance énorme : j’ai deux sœurs et une mère de sang. Penser à ce qu’elles pourraient devenir entre leurs pattes me rend malade.

 

Puis il revint à Pol.

 

-         C’est pourquoi j’attends des gens avec qui je travaille qu’ils se comportent comme de vrais citoyens, et pas comme ces fous furieux qui voient les femmes comme de simple vide-couilles. Et j’en profite pour te rappeler à quel point nos filles sont encore rares, et donc elles ont beaucoup trop de valeur ! Dans une génération, si on constate qu’il y a autant de garçons que de filles, celles qui auront envie de s’enrôler dans l’armée le feront – et je suis certain qu’elles sont tout autant capables que les gars. Mais pour le moment, on ne peut pas prendre le risque de laisser notre race mourir faute de filles !

 

Walter tapota amicalement l’épaule de Pol.

 

-         Ton problème, c’est pas le manque de femmes dans l’armée, mon pote. C’est que tu n’en as pas encore une !

 

Une nouvelle fois, les membres de la compagnie ricanèrent.

 

-         Pol est un gros frustré !

-         Il a le feu à la queue !

 

Pol, tout honteux, baissa la tête. Walter ne voulut pas le laisser dans cette humeur.

 

-         Maintenant qu’on est rentrés pour de bon, tu peux y travailler.

-         Hum… Les femmes, ça aime bien les soldats, non ? répondit l’autre avec un regard humide d’espoir.

 

Enfin, le visage de Kristofferson se dérida.

 

-         Un beau mec comme toi, bien apprêté, elles vont se bousculer à ta porte.

 

Les rires fusèrent de nouveau, mais se firent moins moqueurs. Walter lança à l’aîné Steiner :

 

-         Eh ben, tu vois, quand tu veux, tu sais encore te marrer !

-         Trêve de marrade, Wally. On doit y aller, le capitaine Müller nous attend.

 

Et la petite compagnie reprit son chemin vers la bâtisse.

 

 

Rudy Müller était un grand Humain maigre, au visage émacié barré d’une moustache grisonnante et soutenu d’une barbe bien taillée. Autrefois capitaine dans l’armée de l’Empire, il avait conservé son vieil uniforme et son pectoral, sans jamais oublier de bien les entretenir. Sa rapière et son arquebuse étaient à son image : impériales, usées, mais encore prêtes à servir. Il accueillit Kristofferson et sa milice au garde-à-vous, au milieu de la cour poussiéreuse.

 

-         Capitaine Müller, à votre service ! C’est un honneur.

-         Repos, capitaine, je n’ai pas l’autorité d’un commandant, je suis juste le représentant du Prince.

-         Cela fait de vous une haute autorité, monseigneur !

-         Vous restez le capitaine de Klapperschlänge.

 

Les Skavens mirent pied à terre. Quand Kit se trouva devant le capitaine, il remarqua que l’Humain était plus grand que lui.

 

-         Alors, capitaine, dites-moi quel est le problème ?

-         Une créature monstrueuse nous fait vivre un enfer, monseigneur.

 

Le Skaven brun considéra l’Humain de la tête aux pieds.

 

-         Je ne comprends pas. Mon second, Maître Klingmann, ici présent, m’a dit que vous lui aviez envoyé une missive, et que vous ne saviez pas quoi faire ?

-         Si fait, monseigneur.

-         Pourtant, vous m’avez l’air d’être un gaillard qui a vécu plus d’années dans l’armée que tous les autres soldats réunis dans cette caserne ! J’ai entendu que vous étiez un « novice fraîchement nommé à ce poste », mais vous avez tout du vétéran !

 

Müller prit son inspiration, et mit quelques instants à réfléchir avant d’oser expliquer :

 

-         Cela me gêne de vous contredire, mais en fait, j’ai toujours été à des postes… sans histoire. En plein centre de l’Empire, pas de grosse campagne militaire à mon actif… je peux même vous dire qu’à la Tempête du Chaos, j’étais déjà trop vieux, on m’a prié de rester dans ma caserne. Et puis, le médecin m’a conseillé un climat meilleur. Alors, je suis parti tenter ma chance dans les Royaumes Renégats, et il y a six mois, on m’a demandé de remplacer le capitaine Falsch.

-         Je vois… Qu’est-il arrivé au capitaine Falsch ?

-         Il est tombé du haut d’une échelle, monseigneur.

-         Ah… Pas de chance.

 

Le grand homme regarda le jeune Skaven brun dans les yeux :

 

-         Monseigneur, je ne suis qu’une vieille baderne. Mais les citoyens de Klapperschlänge me font confiance, je veux en être digne.

 

Kristofferson regarda encore un peu le capitaine. Celui-ci avait l’air d’être quelqu’un qui prenait ses fonctions très au sérieux. Peut-être n’était-il plus bon à grand-chose, mais il semblait au moins capable de s’appliquer pour bien faire.

 

-         Avez-vous envoyé un rapport au commandant du fort de Wüstengrenze ?

-         Oui, monseigneur. Mais le commandant ne m’a pas pris au sérieux. Je suis même allé le voir en personne, il m’a ri au nez.

-         Que vous a-t-il dit, exactement ?

 

Le capitaine cracha de dégoût.

 

-         Je lui ai dit : « Nous sommes à la frontière de Vereinbarung, et le danger peut très bien venir de par-là ». Mais il m’a répondu « Dans cette direction, il n’y a que du sable, de la poussière et du soleil. Personne ne serait assez fou pour traverser le désert et remonter jusqu’ici. Votre Mutant, c’est des bandits. » Et, bien entendu, je suis rentré bredouille.

-         Si nous réussissons à prouver à ce commandant que vous aviez raison, je tâcherai de lui rappeler ce que c’est, la confiance envers ses semblables de l’armée. Bien, pouvez-vous nous mener au bourgmestre ?

-         Tout de suite, monseigneur !

 

Müller s’empressa d’enfourcher un vieux cheval fatigué. Les membres de la compagnie le suivirent.

 

Klapperschlänge correspondait à l’idée qu’on se faisait du petit village en pleine campagne : une douzaine de maisonnettes étaient rassemblées autour de l’unique puits. L’une des maisons, la seule à posséder un étage supplémentaire, était celle du bourgmestre, Reiner Kästner. Kästner était un brave homme, plutôt costaud, habitué aux travaux des champs. Il accueillit la petite compagnie avec soulagement.

 

-         C’est tellement agréable de voir enfin le pouvoir en place se déplacer pour aider le peuple ! s’exclama l’Humain.

-         Quand les sujets du Prince ont des problèmes, le devoir du Prince est de les aider à résoudre ces problèmes, répliqua Kristofferson. Alors, il paraît que vous avez des sales bêtes ?

-         Je suis sûr, complètement certain, que ce sont des animaux sauvages qui s’en prennent à notre bétail !

-         Vous avez une idée de ce que peuvent être ces animaux ?

-         Au début, j’ai pensé à des loups, mais le troisième soir, on a entendu des cris. Et ces cris, c’était pas un loup. Ni un ours. Ni rien de ce genre. Habituellement, quand il fait beau, on laisse les bêtes dehors la nuit, mais on a finalement décidé de les rassembler toutes dans la grange. Hier soir, c’était un vrai cauchemar. « Il » a été très en colère. On a un bœuf qui est mort de peur.

-         Vous n’avez pas eu le courage de vérifier ce que c’était ? demanda Walter.

 

Le bourgmestre n’osa pas répondre. Kristofferson voulut le rassurer.

 

-         Vous avez fait ce qu’il fallait faire. Maintenant, nous sommes là. Et on va vous débarrasser de cette chose.

-         Vous pouvez nous montrer la grange ? demanda Müller.

 

Kästner emmena le groupe jusqu’au grand bâtiment situé en périphérie du village. La compagnie en fit le tour, et les Skavens constatèrent l’ampleur des dégâts. Le toit avait été lacéré par quelque chose ayant sans doute de grandes griffes. Plusieurs bûches qui constituaient les murs étaient complètement éclatées, comme sous des coups de massue. Des éclats de bois, certains longs comme un bras, étaient éparpillés aux alentours. Kit siffla, impressionné.

 

-         Et ça dure comme ça depuis longtemps ?

-         Environ trois semaines. Au début, c’était juste une bête qui disparaissait tous les trois jours, mais maintenant… on dirait que cette… « chose » s’enhardit. Il y a deux jours, le vieil Egbert a disparu, lui aussi.

-         Il n’a pas quitté le village, tout simplement ?

-         Il ne serait jamais parti sans emmener ses affaires, ni sans me prévenir.

-         Bon. Il est temps de lever le voile sur ce mystère. Nous allons rester là jusqu’à ce que cette créature se montre.

 

Les hommes de la compagnie ne paraissaient pas rassurés. Fritz Hafner, en particulier, suait à grosses gouttes.

 

-         Euh… Kit ?

-         Ouais ?

-         T’es sûr qu’on a besoin de rester là ? On a vu que c’était dangereux, donc on s’en va, on peut prévenir les renforts.

 

Cette attitude déplut fortement au Skaven brun.

 

-         C’est nous, les renforts, Fritz. Ces gens comptent sur notre aide. Quelque chose sème la terreur dans le coin et attaque les bêtes et les gens, et je veux savoir ce que c’est.

 

Le gros Pol se gratta la tête, et pensa à voix haute :

 

-         Mais si elle est assez grande et forte pour embarquer un bonhomme, comment cette bête fait pour ne pas laisser de traces ? Le champ est intact !

 

Kristofferson leva le nez, et plissa les yeux.

 

-         Elle passe par les airs. Cette chose peut voler. C’est même la première chose que m’a dite Walter quand il m’a parlé de cette histoire.

-         Je suis certain que c’est un Mutant ailé, approuva Kästner. L’autre nuit, quand elle s’est défoulée sur la grange, j’ai cru entendre un battement d’ailes. Comme une chauve-souris, ou un énorme oiseau !

 

Le fils Steiner se frotta le menton.

 

-         Vous avez enfermé toutes vos bêtes dans la grange ?

-         Oui, monseigneur.

-         Donc, ce monstre ne peut plus se nourrir. C’est pour ça qu’il est enragé. Il a dû prendre l’habitude de piocher dans votre bétail, et comme il ne peut plus les enlever, il va s’énerver.

-         Peut-être qu’il va essayer de se nourrir ailleurs ? espéra Kästner.

-         Vaut mieux pas, car ça ne ferait que déplacer le problème. Non, nous devons la faire venir ici. On va l’appâter.

 

Le bourgmestre frissonna, à l’idée de devoir laisser un villageois à la merci de la bête.

 

-         Oh, non ! Ne me demandez pas ça, monseigneur ! Tous mes villageois sont de braves gens !

-         Du calme, Maître Kästner. Personne ne va faire l’appât. Vous aviez dit qu’un bœuf était mort de peur ?

-         Dame, comme s’il avait été frappé par la foudre !

-         Alors, on l’a, notre appât. Sa viande n’a pas dû avoir le temps de trop pourrir. Vous allez le découper et laisser la carcasse en plein milieu d’un champ éloigné des maisons. Si cette bête a encore faim, elle viendra.

 

Kästner avait les larmes aux yeux.

 

-         Vous êtes sûr que mes concitoyens ne craignent rien ?

 

Les villageois, attirés par la curiosité, entouraient la compagnie. Les regards étaient tantôt interrogateurs, tantôt anxieux, tantôt clairement effrayés. Kristofferson voulut les rassurer.

 

-         Écoutez, vous autres : il n’est pas question que qui que ce soit parmi vous prenne le moindre risque. Vous allez tous rester chez vous, et barricader vos portes et vos fenêtres. Nous resterons cachés dans le champ pour surprendre le fauve et le terrasser nous-mêmes. Je vais aussi envoyer un messager vers le fortin de Wüstengrenze. S’ils reçoivent une lettre écrite et signée par moi, ils interviendront.

 

Il pivota vers Kästner.

 

-         Où avez-vous mis le bœuf mort ?

-         On l’a mis dans un coin de la grange, sous des chiffons et de la paille, rapport à l’odeur.

-         Ça doit puer la mort ! ronchonna Walter.

-         Bah, c’était ça ou prendre le risque de se faire à nouveau attaquer, messire ! On n’est pas des guerriers !

-         Surveillez votre langage, rétorqua le Skaven tacheté. Nous sommes là pour vous !

-         Oui, et c’est pour ça que c’est sur la bête qu’on va s’énerver, et pas sur vous, ajouta Kristofferson, qui sentit la tension ambiante monter d’un cran.

 

Le jeune homme-rat fit quelques pas en regardant les villageois un par un. Puis il donna ses directives d’une voix forte.

 

-         Vous allez tous rentrer chez vous et vous barricader. Restez calmes, ayez confiance, et je vous promets qu’on va vous débarrasser de cette menace. Capitaine Müller, je veux que vous m’ameniez vos trois meilleurs soldats.

-         Je vais les chercher tout de suite, messire, répondit fermement l’Humain.

 

Müller sauta sur son cheval, et galopa vers la caserne. Chemin faisant, il manqua de basculer de sa selle plusieurs fois. Kristofferson n’y prit pas garde, et continua de donner des directives.

 

-         Je veux trois volontaires pour venir avec moi, préparer notre appât, et le mettre sur un endroit adéquat. Maître Kästner, y a-t-il un endroit espacé où l’on peut attirer et piéger cette chose ?

-         Le champ du vieil Egbert, juste là, répondit le bourgmestre en montrant du doigt un lopin de terre mal entretenu.

-         Parfait. Trois avec moi. Les autres, rassemblez-vous en cercle autour du périmètre.

 

Le regard du jeune Skaven brun se fit plus dur.

 

-         Quoi que ce soit, ce soir, ça ne sera plus.

 

*

 

Trois heures avaient passé. Trois heures durant lesquelles personne n’avait osé dire le moindre mot. Le bœuf mort, dépecé, était bien en vue au milieu du champ d’Egbert, tout sanglant, comme la promesse d’un carnage à venir. Tous les habitants s’étaient cloîtrés chez eux. Et les quinze soldats Humains et Skavens attendaient. On n’entendait que le bourdonnement des mouches, et le chant des oiseaux, inconscients du drame qui allaient se jouer. Quelques corbeaux vinrent se nourrir sur la carcasse qui pourrissait au soleil couchant.

 

Le ciel était orangé, et les premières étoiles parurent. Müller, allongé dans l’herbe aux côtés de Kristofferson, se frotta la moustache.

 

-         J’espère sincèrement que vous ne serez pas venus pour rien.

-         Soyez tranquille, capitaine. Cette saloperie va venir. Après tout, les attaques ont bien eu lieu la nuit, n’est-ce pas ?

-         Oui, c’est vrai.

 

Le jeune Steiner s’appuya sur le coude pour se tourner vers l’Humain.

 

-         Vous dites que vous n’avez jamais été confronté à du sérieux. Mais bon, vous avez quand même une formation ?

-         Bien sûr, monseigneur.

-         Vous avez bien eu des conflits à résoudre ? Des bagarres d’ivrogne, des maraudeurs, ce genre de chose ?

-         Une fois ou deux, oui. Mais je n’ai jamais négligé mon devoir, et aujourd’hui encore, je m’entraîne réguli…

 

Un cri déchirant les cieux interrompit le capitaine. Un crissement fort, bien trop puissant pour émerger d’une gorge familière au commun des mortels. Toutes les têtes se levèrent simultanément, les yeux s’écarquillèrent, les bouches se tordirent. Deux créatures battaient bruyamment de leurs ailes de chauve-souris au-dessus du village. Les derniers rayons de soleil faisaient luire leurs écailles reptiliennes. L’envergure de la plus grande des deux s’étirait sur plus de vingt-cinq pieds, tandis que l’autre accusait une quinzaine de pieds. Leur corps était long, sinueux et musculeux comme celui d’un gigantesque serpent, et des serres longues d’une demi-douzaine de pouces saillaient à l’extrémité de leurs pattes arrière. Leur queue était longue et fuselée, leur tête allongée, leurs yeux immenses et brillant d’une lueur malveillante, mais le plus effrayant restait leurs crocs acérés et menaçants comme autant de poignards.

 

Le capitane Müller s’écria :

 

-         Des vouivres !

-         Pol ! appela Kristofferson.

 

Le gros Skaven avait au moins un talent particulier : il était bon tireur. Formé par Nedland Grangecoq, il était capable d’atteindre sa cible à bonne distance avec n’importe quelle arme de tir. Il avait emmené son arquebuse, certes moins performante que celle de l’éclaireur Halfling, mais plus efficace que la moyenne. D’un geste précis, il orienta son arme vers la vouivre la plus petite. Il prit quelques longues secondes pour viser la tête du monstre, et pressa la gâchette. La détonation fit sursauter le vieux capitaine, qui hurla de joie.

 

-         Bien joué !

 

En effet, la balle avait atteint la créature à la tempe. Pas assez pour la tuer, mais elle bascula dans un glapissement surpris, déconcentrée par le choc. La joie des hommes d’armes fut de courte durée quand la vouivre s’abattit sur l’une des petites maisons dans un grand fracas. Le toit de chaume et de branches s’écroula sous son poids.

 

-         Taal ! s’exclama Walter.

 

Un gémissement répondit à cette invective. La porte de la cabane, encore debout, s’ouvrit à la volée, et une vieille femme hors d’haleine la franchit en courant aussi vite que pouvaient courir ses frêles jambes. Un odieux crissement creva de nouveau le crépuscule. La grande vouivre affamée venait de repérer un gibier à sa convenance. Déjà, elle se mettait en position pour fondre sur sa proie, les pattes en avant, les serres prêtes à déchirer.

 

-         En avant ! ordonna Kristofferson.

 

Tous les guerriers, Humains et Skavens, s’élancèrent en criant vers la créature volante. Celle-ci, surprise, ralentit sa plongée. Walter, qui était pile derrière elle, en profita pour tenter un coup qu’il estima audacieux, mais qu’il jugerait démentiel par la suite. Il repéra la longue queue sinueuse de la vouivre, courut vers le monstre, puis lorsqu’il fut à portée, fit un immense saut, bras tendus en avant, et saisit à deux mains l’appendice pointu. Pleinement coupée en plein élan, la vouivre rugit de frustration. Ses serres se refermèrent dans le vide. La vieille femme ne ralentit pas sa course pour autant. Bientôt, tous les soldats haranguèrent la créature, essayèrent de percer son manteau d’écailles.

 

Kristofferson, resté en arrière, s’apprêta à passer à l’attaque à son tour. Il dégaina sa rapière, la brandit, et fit trois foulées vers la mêlée, mais se figea. Il jeta un bref coup d’œil à son arme, et grogna. Autant il pouvait trouver le point faible d’une armure, autant cette fine lame ne pouvait pas grand-chose contre un tel adversaire. Il chercha rapidement aux alentours quelque chose de plus adapté, et son regard tomba sur une hache de bûcheron plantée dans une souche non loin de lui. Il siffla alors son cheval, courut vers la hache et s’en empara. Un instant plus tard, sa monture était arrivée près de lui. Il bondit sur le cheval sans selle, et le fit galoper vers la vouivre. Son destrier, entraîné à ce genre de situation, ne flancha pas.

 

Kristofferson tourna autour de la bête, puis quand il se trouva face à son dos, fit courir son cheval dans sa direction, puis il se mit debout, en équilibre sur le dos de sa monture, et bondit sur la vouivre, pour se raccrocher fermement à l’un des piquants sur son dos.

 

La bête affamée sentit le choc. Elle crissa, se secoua aussi fort qu’elle put, essaya de s’envoler de nouveau, mais elle était trop alourdie par les deux Skavens qui la retenaient. Kristofferson leva la main, et abattit la hache sur la clavicule de la vouivre. Elle gémit effroyablement, ses pattes arrière touchèrent le sol. La vouivre se contorsionna en battant des ailes, repoussant les soldats qui l’encerclaient. Le jeune Steiner n’en relâcha pas sa prise pour autant, et il frappa de plus belle. Au quatrième coup, il coupa l’aile droite de la vouivre. Ivre de douleur, déséquilibrée, elle bascula en avant. Le Skaven brun sauta à terre et évita de justesse un coup de queue. Il se redressa, et s’empressa de rejoindre ses camarades.

 

Toute la compagnie entourait la vouivre, et la rouait de coups. Le monstre couina de douleur, essaya désespérément de repousser ses assaillants, sans succès. Kristofferson leva la hache à deux mains et fracassa la tête de la bestiole. Enfin les cris se turent, enfin elle cessa de se convulser.

 

Un grand silence plana sur le village. Kristofferson balaya rapidement du regard les membres de la compagnie. Pas un seul n’avait été gravement blessé, tout au plus y avait-il eu des contusions. Walter, en particulier, avait été traîné au sol plutôt violemment, mais il semblait déjà se remettre. Le jeune Steiner dressa le poing vers le ciel avec un cri de victoire, aussitôt imité par tous les autres.

 

-         Bien joué, les gars ! Vous avez été…

 

Il fut interrompu par un nouveau croassement. Toutes les têtes se tournèrent vers la cabane sur laquelle la petite vouivre était tombée. Pendant l’assaut contre la grande, elle s’était tant bien que mal extirpée de la petite maison, et à présent, elle reprenait son envol. Les soldats les plus vifs couraient déjà dans sa direction, mais elle ne les attaqua pas. Au contraire, elle s’envola dans la direction d’où elle était venue aussi vite qu’elle pouvait.

 

Les soldats restèrent pantois. Müller s’approcha de Kristofferson.

 

-         Nous pourrons l’arrêter quand elle reviendra, monseigneur.

-         Si elle revient, marmonna Pol. Peut-être bien qu’elle a compris la leçon.

 

Kristofferson s’approcha du cadavre sanguinolent de la grande vouivre, et plissa les yeux.

 

-         Ce n’est peut-être pas si simple.

 

Il regarda encore aux alentours, et comme il ne vit rien de suspect, il jugea que le danger était passé.

 

-         Vous pouvez venir, les monstres sont partis !

 

Les villageois sortirent de leurs habitations, et congratulèrent chaleureusement les soldats. Les plus hardis s’approchèrent avec hésitation du corps de la bête, et l’un d’eux osa même toucher ses écailles.

 

Kästner approcha de Kristofferson.

 

-         Vous êtes de vrais héros !

-         Merci, Maître Kästner. Hélas, j’ai peur que les ennuis ne soient pas terminés pour autant.

-         Vous pensez que l’autre bête va revenir ?

-         Elle ne sera peut-être pas seule. Venez voir.

 

Le bourgmestre accompagna le jeune homme-rat qui se plaça à côté du flanc de la vouivre.

 

-         Regardez, dit-il en pointant quelque chose du doigt.

 

Ce quelque chose était une étrange marque sur les écailles luisantes, quelque chose de trop net pour être une simple marque de naissance.

 

-         On dirait… un tatouage ?

-         Je crois aussi, Maître Kästner.

-         Quelqu’un aurait réussi à tatouer cette horreur ?

-         Sortie de l’œuf, je suppose. J’ai lu quelque part qu’il était possible d’apprivoiser une vouivre si l’on s’y prend assez tôt. Ces animaux peuvent être facilement dressés, pour peu qu’on sache s’y prendre.

-         Alors, vous voulez dire que cette chose appartient à quelqu’un ?

-         Je pense, oui.

-         Et qui donc est le maître de ces vouivres, à votre avis ?

-         Je ne sais pas, je n’ai jamais vu un tatouage de ce genre avant aujourd’hui. Mais je suis sûr d’une chose : quand il verra une seule de ses deux vouivres rentrer au bercail, il risque de ne pas être content et de venir lui-même.

-         Qu’allons-nous faire ? gémit le bourgmestre.

 

Le capitaine Müller leva la main.

 

-         Pas d’inquiétude, Maître Kästner. À présent, nous avons la preuve que ces attaques étaient le fruit de quelque chose de bien plus dangereux que de simples bandits en vadrouille. Le capitaine de Wüstengrenze ne pourra plus rester sourd à notre appel au secours, et devra laisser des hommes sur place avec les miens jusqu’à ce qu’on soit sûr qu’il n’y ait plus de danger.

-         Nous lui ramènerons la tête de cette vouivre, continua Kristofferson. Et s’il rechigne encore à vous aider, je m’occuperai personnellement de lui trouver un remplaçant plus compétent.

 

L’euphorie générale retomba, et avec elle les certitudes, pendant que les inquiétudes remontaient. Kristofferson voulut rassurer les habitants de Klapperschlänge.

 

-         Braves gens, nous avons terrassé la bête, mais nous allons attendre les renforts ici. Nous logerons à la caserne. Si jamais l’un d’entre vous voit ou entend quelque chose de bizarre, il devra aller nous prévenir sur-le-champ. Restez tous unis face à l’adversité comme vous l’avez fait, et je vous promets que votre village sera bientôt délivré de cette menace.

 

Le jeune homme-rat vit alors du coin de l’œil quelque chose qui lui serra le cœur. La vieille femme qui avait échappé à la vouivre était à genoux devant les restes de sa maison, en pleurs. Kristofferson s’approcha d’elle, et s’accroupit à son côté.

 

-         Ma Dame, dès demain matin, on reconstruira votre maison. En attendant, vous passerez la nuit chez quelqu’un qui pourra vous loger. Maître Kästner ?

-         Oui, monseigneur ?

-         Vous avez la plus grande habitation du coin. Vous pourrez loger cette personne d’ici demain ?

-         Bien sûr.

-         Parfait. Allons tous nous coucher, la journée a été longue et forte en émotions. Nous brûlerons cette carcasse demain, d’ici là, personne ne doit y toucher.

-         Et pourquoi ? demanda un paysan.

-         On ne sait jamais, le sang de vouivre ou les vapeurs de putréfaction peuvent être toxiques. Reposez-vous, et merci à tous !

 

Sur ces paroles, les habitants de Klapperschlänge regagnèrent leurs pénates. Le capitaine Müller aborda Kristofferson. Il avait l’air malheureux.

 

-         Monseigneur, je suis vraiment navré.

-         Et pourquoi donc, capitaine ?

-         Parce que je n’ai pas eu le courage de me battre comme vous l’avez fait.

-         Je vous ai vu aux côtés des autres. Vous avez fait ce que vous avez pu, compte tenu de votre âge, vous vous êtes bien débrouillé. Capitaine, je sens que vous manquez de confiance en vous, mais peut-être que c’est parce qu’on ne vous a pas assez fait confiance par le passé ? D’accord, vous n’êtes pas à la tête de la légion d’un Comte Électeur, mais vous avez couru vers la vouivre, et pas en sens contraire.

 

Le vieil Humain ne répondit pas. Kristofferson lui tapota l’épaule.

 

-         Ça ira mieux demain.

 

Et les combattants retournèrent à la caserne. Le dortoir était suffisamment grand pour loger temporairement Kristofferson et sa compagnie. Ils s’appliquèrent à loger, nourrir et soigner leurs chevaux, nettoyèrent leurs armes, et allèrent se coucher sur les paillasses.

 

*

 

Kristofferson se réveilla en sursaut. Il regarda nerveusement tout autour de lui, en haleine pendant quelques instants, puis il se détendit, et ronchonna.

 

Encore ! Faut que ça cesse !

 

Il savait très bien ce qui venait de se passer. Cela lui arrivait quand il était nerveux. Alors que son esprit flottait dans les limbes du sommeil, quelque chose le ramenait brusquement à la réalité. Généralement, c’était un bruit sec, fort et très bref qui résonnait directement dans ses oreilles, et qui le réveillait aussitôt par réflexe. Un aboiement de chien, un coup de fusil, un craquement de tonnerre, un cri, ou tout autre son du même genre. Heureusement, il n’avait pas beaucoup de mal à se rendormir quand cela lui arrivait. Il se rallongea, ferma les yeux, et attendit le sommeil.

 

Soudain, son oreille remua légèrement.

 

Il entrouvrit les yeux. C’était un autre réflexe qu’il connaissait bien, aussi. Celui qui lui indiquait qu’il avait ressenti quelque chose d’inhabituel.

 

Je dors dans une caserne d’un village que je ne connais pas… évidemment, que je vais ressentir des choses inhabituelles !

 

Une nouvelle fois, il sentit tiquer son oreille. Il releva la tête. Cette fois-ci, il avait entendu clairement quelque chose. Et ce n’était pas dans ses rêves, ni une illusion quelconque. Le bruit recommença. C’était distant, mais suffisamment caractéristique pour être reconnu avec certitude.

 

C’est quoi, ça ? Un cochon ?

 

Oui, c’était bien les cris d’un cochon. Le jeune homme-rat soupira. Quoi de plus normal que des cris de cochon à la campagne ? Il se retourna sur le matelas, voulant ne plus y penser. Mais quelque chose de tenace le maintenait éveillé. Une petite impression, la présence d’un tout petit détail anodin, mais qui pouvait…

 

Kristofferson se releva d’un bond.

 

Il n’y a pas de cochons, ici !

 

Le bétail du village de Klapperschlänge était composé de vaches et de bœufs uniquement. Le fils Steiner passa son gilet de cuir, reprit ses armes, et se dépêcha de monter sur le chemin de ronde. Il aborda l’un des soldats.

 

-         Holà ! Avez-vous vu quelque chose ?

-         Non, monseigneur.

-         Je crois que… attendez ! Écoutez !

 

Les deux hommes firent silence. Pas de doute, des cris de cochons s’élevèrent sous la voûte étoilée.

 

-         Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda le soldat.

-         Regardez, là ! répondit fermement le Skaven brun.

 

Les couinements porcins venaient de derrière une colline. Et à présent, une lueur orangée poignait de cette direction.

 

Kristofferson ordonna prestement :

 

-         Sonnez l’alerte !

 

Il n’eut pas besoin de le répéter. Le soldat saisit la corne qu’il portait à la ceinture et souffla dedans. Les autres gardes lui répondirent. Dans la caserne, ce fut le branle-bas de combat. Il ne fallut que deux minutes à l’ensemble des gens d’armes pour être rassemblés dans la cour. Le capitaine Müller, au garde-à-vous devant ses troupes, demanda à Kristofferson qui était toujours sur le chemin de ronde :

 

-         Monseigneur, de quoi s’agit-il ?

 

Le jeune homme-rat pivota de nouveau vers la colline, et sentit un frisson lui électriser l’échine. Il pouvait voir se détacher les silhouettes massives de grands humanoïdes portant des pièces d’armure hétéroclites, des casques garnis de pointes et de cornes, et des armes lourdes grossières. Certains tenaient des torches allumées, les autres se mirent à frapper leur bouclier avec leur massue, la poignée de leur épée ou le manche de leur hache. Les flammes éclairaient par intermittence des faciès haineux, des yeux brûlants, des crocs saillants. Kristofferson en compta rapidement une centaine, presque quatre fois plus que tous les soldats de la caserne. Une vingtaine d’entre eux étaient montés sur d’énormes sangliers. Il n’en avait jamais vu de sa vie, mais les reconnut immédiatement. Son sang ne fit qu’un tour. Il baissa le museau vers la cour, et cria :

 

-         Préparez-vous, soldats de Klapperschlänge ! Votre village est attaqué par les Orques !

 

Comme pour confirmer cette terrible affirmation, les cris de guerre de la Waaagh éclatèrent dans la nuit, et les Peaux-Vertes chargèrent.

Laisser un commentaire ?