Le Royaume des Rats

Chapitre 27 : Marée verte

8950 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/03/2021 23:51

Filles et Fils du Rat Cornu,

 

En France, le confinement a pris fin le lundi 11 mai. Forcément, le rythme de parution va reprendre une allure plus normale. Mais ne vous en faites pas, l’inspiration est toujours au rendez-vous, et l’histoire continuera.

 

Je souhaite que les Pestilens ne vous aient pas trop tourmenté, et je vous remercie pour votre fidélité.

 

J’aimerais aussi vous parler d’un artiste en particulier qui affiche ses œuvres sur plusieurs sites, dont DeviantArt : Ziegelzeig. J’ai repéré Ziegelzeig grâce à ses nombreux dessins mettant en scène les personnages de Zootopia. Je l’ai contacté il y a un mois pour lui proposer une commission, qu’il m’a envoyée. Le résultat m’a paru tout simplement magnifique. Vous pourrez le découvrir sur la page DeviantArt ChildrenOfPsody.

 

J’ai décidé de demander à Ziegelzeig un autre dessin sur le même sujet : l’un des membres de la famille Steiner. Sauf que c’est vous qui allez le choisir ! Donc, d’ici septembre, je ferai une nouvelle commande à Ziegelzeig, et je vous invite à me dire dans votre prochaine review quel personnage vous souhaiteriez voir prendre corps grâce à ce talentueux artiste. Choisissez, et exprimez !

 

 

Lettre de Sœur Carolina Kuhlmann, prêtresse du Temple de Shallya de Wüstengrenze, à Sœur Judy Hoffnung, prêtresse du Temple de Shallya de Steinerburg, écrite le neuf Sommerzeit de l’année deux mille cinq cent trente du Calendrier Impérial.

 

Ma chère bienfaitrice,

 

J’ai le plaisir de vous annoncer que le chantier de Klapperschlänge est pratiquement terminé. Avec le retour du beau temps, le terrain est redevenu plus stable, et les prêtresses de Shallya ont eu moins de graves accidents à gérer. Hélas, nous avons cependant dû faire face au décès d’un des ouvriers. Maître Otto Fröbe, l’un des assistants de Maître Gottwald, s’est retrouvé écrasé sous une poutre qui a cédé. Heureusement, il n’aura souffert que quelques minutes. Morr ait pitié de son âme.

 

Nous avons dû l’inhumer sur place, Shallya me pardonne, il était en trop mauvais état pour qu’on puisse le déplacer, encore moins le ramener à sa famille. Comme j’étais la seule prêtresse sur le chantier – les trois consœurs qui m’accompagnaient aujourd’hui sont encore toutes trois initiées – c’est à moi qu’a échu la triste tâche de procéder au cérémonial funèbre.

 

Toute l’équipe est arrivée de Wüstengrenze pour dire adieu à Maître Fröbe. Je remercie la Déesse de la Compassion de m’avoir communiqué les mots qu’il fallait en ce difficile moment, et je me félicite d’avoir eu à mes côtés des gens chaleureux qui m’ont soutenue, et donc permis de mener à bien cette cérémonie jusqu’à son terme. C’était ma première fois, je sais que ce ne sera pas la dernière, j’espère juste que je n’aurai pas à renouveler cette expérience trop souvent.

 

Sur le chemin du retour, j’ai chevauché aux côtés de Kristofferson, et aussi de Dame Franzseska Gottlieb. J’ai pu ainsi faire davantage connaissance avec l’Intendante de son Altesse le Prince Ludwig le Premier. Autrefois mariée au seigneur Wilhelm Gottlieb, elle a perdu son mari à cause des Skavens Sauvages. Quand je lui ai dit que j’étais une des orphelines de Nuln, elle a ironisé « ha ! Cela nous fait au moins deux choses en commun ! » Je lui ai demandé quelle pouvait être la deuxième chose, la première étant l’influence des Skavens sur notre vécu, elle m’a répondu : « vos opinions, Sœur Carolina. Avant de venir ici, Sœur Judy m’a un peu parlé de vous. Vous souhaitez une société où les hommes et les femmes auraient les mêmes droits et la même importance. C’est une idée qui me séduit. » « Vous êtes sans doute bien placée pour l’approuver, vous, une femme dans votre position », me suis-je autorisée à répondre. « Détrompez-vous, mon enfant », a-t-elle répondu. « J’ai connu des épouses de seigneur parmi les relations de feu mon mari qui étaient très satisfaites de se limiter au rôle de "procureuse d’héritiers". En fait, elles estimaient que vouloir faire plus était de l’indécence, voire de l’anarchisme. » J’ai soupiré. Je ne pensais pas que les gens de la haute société, ayant généralement reçu une éducation plus élab…

 

Sœur Carolina leva les yeux. Quelque chose venait de la faire sursauter. Un bruit inquiétant, lointain, qu’elle n’avait jamais entendu.

 

Ou plutôt, si.

 

Une réminiscence lui glaça le cœur. Ce bruit était le son caractéristique émis par une corne, le genre de corne qu’on utilisait pour donner l’alarme. Le son qu’elle avait entendu au milieu du tintamarre assourdissant de toutes les cloches de Nuln la nuit tragique où son existence avait définitivement pris une autre direction.

 

Elle posa la plume, se leva de son bureau et quitta sa chambre. Tout en traversant le couloir du petit temple de Shallya, elle rajusta ses manches pour affronter la fraîcheur de la soirée. Elle n’avait pas encore pris soin de se préparer pour la nuit, et portait encore sa bure propre et ses sandales.

 

Comme si ç’avait une importance ! pensa-t-elle nerveusement quand elle vit les soldats cavaler entre les bâtiments alors qu’elle sortit du lieu de culte. Elle jeta un rapide coup d’œil vers les remparts, à quelques centaines de yards d’elle. De l’autre côté de la muraille de pierre, dans une direction précise, elle distingua la lueur orangée émise par des flammes. Effrayée par le bruit de sa propre respiration devenue haletante, elle resta crispée sur place, ne sachant pas si elle devait aller voir d’où venait cette lumière ou si elle foncerait se réfugier à l’abri des murs de son temple. La curiosité fut plus forte, elle marcha d’un pas vif vers l’escalier qui menait au chemin de ronde.

 

Une fois sur le rempart, elle repéra un petit groupe, et reconnut rapidement Kristofferson, Pol Demmler, Walter Klingmann, le capitaine Müller et Dame Franzseska Gottlieb. Tous les cinq semblaient pour le moins affairés. La jeune fille tourna la tête vers l’extérieur, et fut frappée net par une vision de cauchemar.

 

Au pied du plateau sur laquelle était bâtie la ville, il y avait un immense rassemblement dont émergeaient de nombreux grognements, couinements et autres cris gutturaux. Plusieurs tentes rudimentaires avaient été dressées çà et là. De nombreux feux de camp et torches éclairaient le tableau, et par intermittence, Carolina distingua de lourdes silhouettes grossières, humanoïdes pour certaines, bien plus porcines pour d’autres. De temps en temps, un râle résonnait plus fort, cela évoquait vaguement quelques mots difficilement compréhensibles qui ressemblaient vaguement à du reikspiel sans en être. Et parfois, l’œil de la prêtresse captait les reflets de diverses pièces de fer au-dessus des flammes.

 

-         Carolina !

 

La jeune Humaine sursauta. Kristofferson était face à elle, l’air affolé.

 

-         Baissez-vous !

 

Il posa sa main sur son épaule et la força à s’agenouiller avec lui.

 

-         Ils n’ont pas encore attaqué, mais on s’attend à ce qu’ils le fassent !

-         Ce sont les Orques, n’est-ce pas ?

-         Oui, et cette fois, ils sont au moins dix fois plus nombreux qu’à Klapperschlänge !

 

Les deux jeunes gens rejoignirent le petit groupe, en tâchant de s’abriter derrière les créneaux. La grande femme blonde fit la grimace en voyant Carolina.

 

-         Vous auriez dû rester au temple, ma Sœur.

-         Il fallait que je sache, ma Dame !

-         Eh bien, maintenant, vous savez ! Par contre, je ne sais pas comment nous allons nous sortir de là !

-         Sommes-nous encerclés ?

-         Non, ils ne se trouvent qu’ici, mais compte tenu de la configuration des lieux, ils auront vite fait de repérer quelqu’un qui rentrerait ou sortirait, et qui s’éloignerait de quelques yards !

-         D’autant plus qu’à cause des formations rocheuses, il n’est pas possible de descendre de cette colline autrement que par la route principale ! ajouta Müller.

-         Parlons franchement, capitaine : avons-nous la moindre chance en cas de combat direct ?

 

Le vieux capitaine eut un air navré.

 

-         J’ai bien peur que non, ma Dame. Nous pourrions tenir quelques jours s’ils se contentaient de rester là, mais connaissant les Orques, une fois qu’ils seront prêts, ils chargeront tous en même temps !

-         Pol, tu vois quelque chose ?

 

Le gros Skaven sombre avait posé son arquebuse sur le rebord de la muraille. Il surveillait attentivement le camp.

 

-         Hum… Ils ont l’air plus en train de s’installer que d’être sur le pied de guerre, Kit !

-         Je n’aime pas ça, marmonna Walter.

-         Pourquoi donc, Maître Klingmann ? demanda Carolina. Ils vont nous assiéger, quoi d’étonnant ?

-         Ce n’est pas tellement dans leurs habitudes, répondit Müller. Contrairement aux Skavens Sauvages ou aux légions du Chaos, les Orques n’ont absolument aucune stratégie plus développée que « on passe et on casse tout ».

-         Peut-être qu’ils expérimentent une nouvelle méthode ?

-         Dans ce cas, mon enfant, vous m’excuserez de ne pas être folle de joie à l’idée d’être le sujet de cette expérience !

 

Dame Franzseska jeta un coup d’œil, et resta à regarder le camp.

 

-         Il y a du nouveau. Quelqu’un vient !

 

Les deux Humains et les trois Skavens se rassemblèrent autour de l’intendante, et virent tous la même chose : une silhouette gigantesque, haute de plus d’une dizaine de pieds, et au moins moitié aussi large, approchait à pas lourds. Son corps était entièrement recouvert d’une lourde armure sombre, composée de pièces de métal hétéroclites. Cet Orque brandissait une hache presqu’aussi grande qu’un adolescent Humain. Ses yeux rouges brillaient avec malveillance. Il avait d’énormes canines inférieures presque aussi grandes que les défenses d’un des sangliers derrière lui.

 

Il se planta à quelques dizaines de yards de la muraille, se campa fermement sur ses deux pieds, leva un poing gros comme une meule à aiguiser, et beugla d’une voix surexcitée :

 

-         Holà, les Zoms ! Vous êtes tous perdus ! Vous avez tué ma vouivre et résisté à mes Boyz, mais maintenant, on est tous là, et vous allez tous crever !

 

 

Carolina se recroquevilla contre la paroi du rempart, et trembla de tout son corps. Elle cacha son visage entre ses mains, réprimant difficilement ses sanglots terrifiés.

 

-         Quelle horreur ! Ils vont tous nous massacrer !

-         Pas tant que je serai là, rétorqua durement Dame Franzseska. Allez, retournez vous mettre à l’abri au temple, votre place n’est pas ici.

 

La jeune Humaine renifla, acquiesça de la tête, et fit mine de se relever.

 

-         Voulez-vous que je vous accompagne ? lui demanda la douce voix de Kristofferson.

-         Non, je vous remercie, je saurai me débrouiller, répondit-elle.

 

Elle secoua la tête, redescendit prudemment l’escalier de pierre, et courut aussi vite qu’elle put jusqu’au temple de Shallya.

 

L’intendante siffla d’agacement.

 

-         Gentille fille, mais elle ne sait pas toujours où est sa place.

-         C’est pour ça qu’elle est là, Dame Franzseska, répliqua Kristofferson.

-         Et… qu’est-ce qu’on fait de lui ? demanda Pol.

 

Dame Franzseska grimpa sur la muraille, et toisa l’Orque géant.

 

-         Qui êtes-vous, Peau-Verte ?

-         Je suis Targhân Trwadwa, le plus grand chef de tous les Orques qui aient jamais existé ! Gork et Mork veulent cette ville, je la prendrai pour leur donner ! Et je couperai en morceaux tous ses habitants ! Et je jetterai les morceaux aux Squigs ! Et je…

 

Targhân continuait inlassablement ses invectives. Indisposée par le spectacle, Dame Franzseska se tourna vers Pol. Le gros Skaven gris sombre surveillait le chef Orque, l’œil collé à la lunette de son arquebuse.

 

-         Demmler ?

-         Oui, ma Dame ?

-         Vous l’avez dans votre viseur ?

-         Parfaitement, ma Dame.

-         Abattez-le !

 

Pol pressa sans hésiter la gâchette. La balle fila droit vers le crâne de Targhân. Mais alors qu’elle n’était plus qu’à un pouce d’atteindre sa cible, elle ricocha dans un crépitement d’étincelles sur quelque chose d’invisible.

 

Targhân ricana encore plus fort.

 

-         Ha ! C’est bien les Zoms, ça ! Tous des lâches et des minables trouillards ! Venez vous battre comme de vrais guerriers !

 

Sur ordre de l’intendante qui se laissa tomber du créneau, Pol se mit à l’abri. Il en profita pour recharger son arme. Walter Klingmann serra les dents de rage.

 

-         Comment il a fait ça ?

-         C’est de la magie. Il doit y avoir un chamane quelque part dans cette foule.

-         Alors, il faut le liquider ! Pol, tu peux le repérer ?

-         T’es marrant, Wally ! T’as vu combien ils sont ? Je crois qu’il est pas con, il se cache en arrière !

 

Kristofferson soupira de résignation.

 

-         Bon, alors il ne reste plus qu’une solution : le battre en duel.

-         Quoi ? C’est de la folie ! s’exclama Walter.

-         Wally, tu sais comme moi que c’est la meilleure chose à faire ! Si quelqu’un bat leur chef devant eux, ils fuiront tous.

-         Ouais, et si c’est leur chef qui gagne ?

-         Ils nous attaqueront, et on devra se défendre. Mais au moins, on aura essayé.

-         T’es sûr que même si on bat cet ours enragé, ils ne nous rentreront pas dans le lard ?

-         Ce n’est pas dans leur psychologie. Sans leur chef, ils n’ont plus aucun esprit combatif.

 

Baldur Gottwald arriva alors à son tour.

 

-         Que se passe-t-il, ma Dame ?

-         Restez caché, Gottwald ! ordonna Dame Franzseska. Les Orques sont là, et il va falloir que l’un de nous batte leur chef en combat singulier.

-         Par le marteau de Sigmar ! Savons-nous qui va défier cette brute ?

-         Voyons, Maître Gottwald, c’est évident : moi.

 

Kristofferson avait répondu avec une telle désinvolture que le capitaine Müller en eut le souffle coupé.

 

-         Monseigneur, avec tout le respect que je dois à votre rang, je ne peux pas vous laisser faire ! C’est à moi de prendre ce risque !

-         Capitaine, vous êtes un homme courageux, mais regardez les choses en face : vous ne tiendrez pas une minute face à lui. Vous avez de l’expérience, mais les années qui vous l’ont donnée vous ont pris votre vigueur en retour. Vous n’êtes plus en condition d’affronter un chef Orque au mieux de sa forme. Au moindre coup, il vous cassera en deux.

-         Alors, laisse-moi y aller ! répliqua Walter. Tu sais te battre, mais tu es diminué avec ta main cassée !

-         Je peux me battre avec la gauche !

-         Et si la droite reprend un mauvais coup et qu’elle recasse ? La douleur risque de te clouer au sol ! Et moi, je suis peut-être moins agile que toi, mais je suis plus costaud, et j’ai l’habitude d’être lourdement protégé par mon armure !

 

Walter regarda tour à tour Kristofferson, Dame Franzseska et le capitaine Müller.

 

-         Faites-moi confiance. Je peux le battre.

-         Je vous crois, soldat, répondit le capitaine.

-         Tous nos espoirs reposent sur toi, mon frère ! déclara gravement Pol.

 

L’intendante haussa les épaules.

 

-         Ne prenez aucun risque inutile. Ce tas de merde n’en vaut pas la peine. Et on ne joue pas avec la merde, on l’écrase.

-         À vos ordres, ma Dame.

 

Walter grimpa à son tour sur le rempart.

 

-         Hé, Targhân Unecouille ! Je n’ai pas peur de toi ! Si t’es un vrai chef Orque, alors accepte mon défi, et battons-nous en duel, comme de vrais guerriers !

 

L’immense Orque leva la tête, et son horrible figure se plissa sous l’effet d’une profonde réflexion. Les camarades de Walter attendaient avec anxiété la réponse. Enfin, Targhân aboya :

 

-         Je relève aucun défi, moi ! Vous êtes trop nuls pour que je salisse ma hache sur vous ! Pas les gros rats ! Les gros rats, je ne me bats pas avec, je les écrabouille !

-         Nous avons aussi des guerriers Humains à votre disposition ! cria Baldur, prêt à en découdre.

-         Je m’en fous ! Vous êtes tous des minables qui savent pas se battre ! Ouvrez les portes qu’on vous massacre tous, ou crevez de faim !

 

Il partit d’un ricanement guttural, immédiatement imité par les guerriers derrière lui. Puis il recula jusqu’au campement, et disparut dans la foule d’Orques hilares.

 

*

 

Les principaux dirigeants de Wüstengrenze s’étaient retranchés à la caserne. Harald Emmerich, le bourgmestre, un gros homme à peau sombre avec une petite moustache bien taillée, suait par litres.

 

-         Alors, ça y est ! Cette fois, nous sommes tous fichus !

-         Un peu de courage, Emmerich ! ordonna Dame Franzseska. Pour l’instant, ils nous assiègent. Ils n’ont encore rien tenté.

-         Ce n’est pas normal, dit alors Müller.

 

Le capitaine était complètement désemparé… et furieux.

 

-         Je n’y comprends rien ! Un siège, un chamane qui protège le chef, et celui-ci qui refuse un duel… Ce n’est pas comme ça que les Orques agissent, normalement !

-         Vous en avez beaucoup combattu, capitaine ?

-         Non pas, messire Demmler, mais pendant ma formation, on m’a enseigné leurs tactiques, et nombre de soldats avec qui j’ai patrouillé m’ont confirmé ces leçons quand ils m’ont parlé de leurs propres rixes avec les Orques !

-         Chose que je vous confirme, capitaine, déclara alors Franzseska. Quand j’habitais Gottliebschloss, nous avons dû repousser les Peaux-Vertes une fois ou deux ; ils ne sont pas du genre à laisser leurs proies mourir de faim. Ils font tout pour tuer tout le monde au plus vite. Même s’ils assiègent, ils ne se contentent pas de couper les voies de communication et d’attendre, ils utilisent des catapultes et des trébuchets. Ils ne laissent rien debout, ils n’épargnent personne, ce sont des créatures qui ne vivent que pour détruire.

 

Emmerich gémit encore.

 

-         Qu’allons-nous faire ? Qu’allons-nous faire ?

 

La grande femme blonde lui jeta un regard glacial.

 

-         D’abord, garder notre calme. Paniquer ne sert à rien.

-         Mais qu’est-ce qu’on attend ? On leur fonce dedans et on les tue tous ! gronda Baldur.

-         Messire Gottwald, vous n’avez peut-être pas bien vu combien ils sont ? Wüstengrenze est une ville d’un millier d’habitants, dont la moitié est composée de vieillards, de femmes et d’enfants, et en face, ils sont une bande d’au moins le même nombre. Mille brutes deux fois plus fortes qu’un homme contre nous, à votre avis, les chances sont de quel côté ?

-         On va mourir ! Nous sommes perdus ! cria le bourgmestre.

 

Dame Franzseska lui envoya un coup de poing au menton. Emmerich s’écroula comme une poupée de chiffon. Affolée, Sœur Carolina s’agenouilla près de lui pour l’examiner.

 

-         Merci de vous en occuper, ma sœur. Quelqu’un d’autre a besoin d’une mise au point ? Non ? Bon, je reprends. Nous devons réfléchir à la situation. Müller, vous avez une carte ?

-         Oui, ma Dame.

 

Le capitaine Müller déroula une grande carte sur une table.

 

-         Je suis ici depuis quelques semaines seulement, je ne connais pas la région aussi bien que vous, capitaine. Pouvez-vous me décrire un peu la configuration de Wüstengrenze ?

-         Certainement, excellence.

 

Et le capitaine Müller prit son inspiration pour se lancer dans une explication précise.

 

« À l’origine, Wüstengrenze a été construite par le peuple des Nains. C’est vrai, les alliés de l’Empire préfèrent rester dans leurs Karaks, mais il y a eu quelques tentatives de colonisation à l’air libre. Enfin, nous parlons de choses qui se sont produites il y a des milliers d’années, ça fait longtemps qu’il n’y a plus de Nains par ici, bien que leurs constructions soient toujours debout. Or donc, la ville se trouve sur une sorte de plateau, et ce plateau est entouré de formations rocheuses qui interdisent l’accès à une armée vers la ville, sauf par le sud-ouest, la direction où nous attendent les Orques. Ils se sont installés sur la seule route praticable qui mène à la ville. Un bon grimpeur pourrait éventuellement atteindre les remparts opposés à la porte d’entrée, mais certainement pas un contingent d’Orques. Tant que la porte sud-ouest tient bon, donc, ces Orques ne pourront pas entrer. »

« Maintenant, regardez l’agencement de l’intérieur de la ville : Wüstengrenze est divisée en deux grandes parties, la partie ouest et la partie est. La partie ouest est plus petite et plus modeste, c’est là où sont logés les paysans et les roturiers. Les habitations y sont moins solides, et construites plus en bois qu’en pierre. En fait, il est très probable que ce quartier ait été rajouté par les Humains après le départ des Nains. Toute la partie ouest devait avoir une autre utilité que le logement, mais peu importe. La limite entre la partie ouest et la partie est est très claire : une rivière. Cette rivière coule à plusieurs centaines de yards en contrebas. En fait, vous le savez déjà, le plateau entier a été fendu en deux sur toute sa longueur, du nord au sud. Ce gouffre mesure environ deux cents pieds. Les Nains ont bâti, grâce à leur savoir-faire unique, un grand pont qui recouvre cette longueur, tout en mesurant une centaine de pieds de large. Ce pont est particulièrement solide, et nous avons déjà retrouvé des traces de tentatives de destruction, qui ont échoué. Pour détruire ce pont, il faudrait placer des charges explosives à des endroits stratégiques, chose dont les Orques sont bien incapables. »

« Au-delà du pont, il y a un autre rempart avec une lourde porte. Ce sont les limites de la ville d’origine, avec la caserne où nous nous trouvons actuellement. C’est aussi là où se trouve le manoir du bourgmestre, ainsi que les commerces les plus riches. D’après nos estimations, si jamais la porte extérieure venait à céder, nous pourrions tous nous rassembler à l’intérieur de la ville riche, même si nous serons plutôt serrés. En fait, ma Dame, je pense qu’il serait plus raisonnable d’évacuer les personnes qui ne sont pas aptes à se battre directement dans le quartier est, nous gagnerons du temps au cas où les Orques changeraient d’avis et tenteraient de prendre d’assaut la ville. Ils seront à l’abri, cette fois. »

 

Il y eut un court silence gêné, rompu par Dame Franzseska.

 

-         Nous le ferons une fois cette entrevue terminée. Continuez, capitaine.

-         Oui, ma Dame.

 

« La rivière irrigue suffisamment le coin pour que nos puits nous fournissent de l’eau sans risque d’assèchement. Le problème, bien entendu, ce sera la nourriture. Tant que les Orques seront là, il ne nous sera pas possible d’accéder aux champs en bas de la colline ou de chasser le gibier. D’ailleurs, il y a de grandes chances qu’il n’y ait déjà plus de gibier, et qu’ils aient incendié les champs. Vous avez déjà fait l’inventaire de nos réserves, ma Dame, et au vu des quantités de vivres dont nous disposons, je dirais que nous pouvons tenir une semaine, peut-être une dizaine de jours, si nous établissons correctement les rationnements. Dix jours avec les Orques à nos portes, j’ignore si c’est beaucoup trop long, ou bien trop court… »

 

Tout le monde avait écouté avec attention, et ainsi, personne n’avait pris garde à ce qui se passait dehors. Et donc, personne n’avait remarqué une silhouette dégingandée qui s’était approchée, et avait aussi entendu les consignes.

 

Bande d’abrutis… On n’en serait pas là si j’avais pu faire comprendre à ces saloperies d’Orques qu’on est chez nous !

 

Le bourgmestre gémit de douleur, et ouvrit les yeux, surpris de sentir les genoux de Sœur Carolina sous sa nuque.

 

-         Qu’est-ce qui s’est passé ?

-         J’ai coupé court à votre égarement, rétorqua froidement Dame Franzseska.

 

Emmerich se releva péniblement, et se frotta le dos, entre les épaules, avec une grimace de douleur.

 

-         Alors, que devons-nous faire ?

-         J’allais poser la question au capitaine Müller. Quelle solution préconisez-vous ?

-         Comme vous l’avez dit à Maître Gottwald tout à l’heure, nous n’avons aucune chance de l’emporter si nous les affrontons de front. S’ils parviennent à entrer, nous pourrons peut-être encore les retenir au niveau du pont, et gagner encore un peu de temps. Mais nous devons absolument demander de l’aide, et prévenir les villages alentour.

-         En particulier Steinerburg, que le Commandant Schmetterling puisse mobiliser l’armée ! ajouta Kristofferson.

-         Pour cela, nous devons donner l’alerte. Vous avez des pigeons voyageurs ?

-         Hélas non, ma Dame. Kreutzer les a interdits.

 

L’Humaine blonde se tourna vers le bourgmestre avec un soupir exaspéré.

 

-         Et on peut savoir pourquoi, Maître Emmerich ?

-         Heu… Parce que… parce qu’il ne voulait pas « dépendre de la volaille ».

-         Alors, comment faites-vous pour transmettre un message ?

-         Eh bien, par cavalier.

-         Il nous faut donc envoyer un cavalier ! déclara Walter.

-         Il se ferait massacrer par les Orques ! gémit Pol.

-         Pas forcément. Un cavalier avec une monture rapide pourrait les semer. Il devra juste les passer.

 

Dame Franzseska demanda à Müller :

 

-         Y a-t-il un moyen de descendre par la falaise ?

-         Oh… théoriquement, je pense, mais il faudra plusieurs heures pour ça.

-         Et on ne peut pas passer par la rivière ?

-         Non, c’est trop dangereux : d’abord, elle est à plusieurs dizaines de yards en contrebas, et elle n’est pas très profonde, le plongeur a une bonne chance de heurter le sol s’il saute directement du haut du pont. Ensuite, le courant est violent et il y a beaucoup de rochers à cet endroit, le risque de se fracasser sur une pierre est trop important. À la rigueur, en bas de la colline, la rivière s’élargit, mais c’est au-delà du campement des Orques.

 

Dame Franzseska leva les yeux, et regarda tous les membres de l’assemblée.

 

-         Je propose qu’on envoie deux personnes : l’une d’elles tentera de forcer le blocus à cheval, l’autre passera par la falaise et tâchera de rallier la plus proche ville où il pourrait y avoir des pigeons voyageurs. Capitaine Müller, quelle pourrait être cette ville ?

-         Eigeltingen, ma Dame. C’est au nord d’ici. C’est assez grand, mais c’est à une bonne journée de marche.

-         Et à l’ouest, au-delà de Klapperschlänge ?

-         Ulricingen.

-         Parfait. Sœur Carolina ?

-         Oui, ma Dame ?

-         Veuillez emmener Maître Emmerich au temple, je suppose qu’il a besoin d’un remontant.

 

La jeune prêtresse conduisit le bourgmestre hors de la pièce. L’intendante continua :

 

-         Capitaine, vous allez tout de suite organiser le regroupement des citoyens dans la partie est de Wüstengrenze. Et trouvez-moi deux volontaires, un pour la course à cheval, l’autre pour l’escalade.

-         Un seul volontaire suffira, déclara Kristofferson. Je partirai à cheval.

 

La grande femme blonde se tourna vers le Skaven brun.

 

-         Vous en êtes sûr, jeune homme ? Je n’en attendais pas moins de vous, mais vous êtes le fils de ma meilleure amie, je m’en voudrais de vous envoyer à la mort !

-         Je ne suis plus un enfant, ma Dame. Vous oubliez que j’ai participé à plusieurs Récoltes. Je pourrai semer ces gros balourds.

-         Vous saurez tenir les rênes avec une main ?

-         J’ai ceci, répondit Kristofferson en agitant le bout de sa queue à hauteur de son coude.

 

Dame Franzseska fit un petit signe de tête.

 

-         Surtout, n’allez pas prendre des risques inutiles. Une fois à Ulricingen, vous envoyez le pigeon à Steinerburg, et vous ne bougez plus. Ou alors, vous retournez directement auprès de votre grand-père.

-         Quoi ? Mais je veux vous aider !

-         Et c’est ce que vous ferez en donnant l’alerte. Je vous demande néanmoins de ne pas jouer au héros. Vous n’arriverez à rien si vous revenez tout seul. Par contre, je vous verrai avec plaisir si vous faites partie des renforts.

-         Je m’y engage, ma Dame. Pour vous, et pour vous, Capitaine Müller.

 

Et pour Carolina !

 

Kristofferson se pencha vers la carte.

 

-         Je sais déjà comment je vais faire. Le principal danger, c’est la plaine autour de la colline. Par contre, regardez, il y a un bois, ici. Si j’arrive à ce bois, leurs cavaliers ne pourront pas me suivre. Leurs sangliers sont trop massifs, tout comme les Orques assis dessus, ils seront ralentis par les branches. Je doute qu’ils aient l’habitude de chevaucher en forêt, contrairement à moi.

-         Cela me paraît une bonne stratégie, mon garçon.

-         Je vais préparer mon cheval.

-         Quand donc partirez-vous, excellence ?

-         Au plus tôt, Capitaine Müller. La moindre ouverture, la moindre occasion, je devrai être capable de la saisir immédiatement.

-         Maintenant, allez donc rassembler les citoyens, et n’oubliez pas l’autre volontaire !

-         À vos ordres, ma Dame. Bonne chance, monseigneur.

 

Le capitaine Müller s’inclina et sortit à son tour, laissant l’homme-rat seul avec l’intendante.

 

-         Je vais me poster près de la porte principale, en me tenant prêt à foncer. On verra, peut-être qu’à un moment de la nuit, il y en aura plus en train de dormir ? Idéalement, il me faudrait une opportunité.

 

Cette phrase n’avait pas échappé à la triste figure avachie sous la fenêtre ouverte. Péniblement, elle se releva et s’éloigna en zigzaguant.

 

Pauvre crétin de rat géant… Je vais t’en foutre, une opportunité !

 

Kristofferson allait franchir la porte, lorsque Dame Franzseska lui dit encore :

 

-         Je le répète, Kristofferson, je tiens trop à vous pour vous perdre bêtement. Je devine que vous tenez à vos amis, vous aussi, qu’ils soient Humains ou Skavens, et c’est tout à votre honneur, mais il est inutile de vous jeter à la mort pour rien. Vous devez garder la tête froide, ainsi vous pourrez agir au mieux.

-         Ce n’est pas mon genre de foncer tête baissée, ce serait plutôt Sigmund.

-         Oui, c’est vrai. Allez, je vous accompagne au moins jusqu’à la porte, je ferai le guet.

 

*

 

Une demi-heure plus tard, Franzseska, Müller, Walter et Pol étaient postés sur le rempart, au-dessus de la grande porte d’entrée de Wüstengrenze. Comme toutes les constructions Naines, c’était une porte monumentale dont les battants s’ouvraient grâce à de lourdes machineries à base de leviers, de poids et de chaînes. Müller avait expliqué qu’il fallait une bonne demi-minute entre le moment où l’on commençait à tourner la roue et le moment où la porte bougeait. Chaque battant était indépendant, il fallait donc au moins deux opérateurs si on voulait la maintenir grande ouverte.

 

Kristofferson faisait face aux énormes panneaux de bois renforcé.

 

Sûr, même si les Orques changent d’avis et attaquent la ville, ils vont avoir du mal à passer !

 

Il se tourna vers son cheval, et lui flatta doucement le cou.

 

-         Ça ne me plaît pas, mais il va falloir que tu galopes comme tu n’as jamais galopé.

 

Dame Franzseska appela le jeune homme-rat.

 

-         Est-ce que ça ira ?

-         Il le faudra bien, ma Dame.

-         J’ai confiance en vous, tout comme j’ai confiance en Gottwald.

 

Le brave contremaître s’était porté volontaire pour transmettre le message à Eigeltingen, au nord. Kristofferson n’avait aucune inquiétude sur sa capacité à descendre la falaise. Le vrai problème était le temps. Le temps risquait de manquer, et lui ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre un moment propice. Il leva les yeux. Les torches crépitaient le long du chemin de ronde, et éclairaient les silhouettes de ses compagnons d’armes. Le ciel était noir complètement recouvert de nuages.

 

-         Ils ont l’air calmes pour l’instant, commenta Walter.

-         Mais ils se relaient, précisa Pol. Peut-être qu’il faudrait attendre encore une heure ou deux ?

-         Les Orques sont des créatures diurnes, expliqua Dame Franzseska. Ils préfèrent attaquer au grand soleil, même s’ils ne dédaignent pas de prendre les armes pendant la nuit. Il y aura bien un moment où… mais qu’est-ce que c’est que ça ?

 

Pol écarquilla des yeux surpris.

 

-         Que se passe-t-il ? Oh ! Bon sang !

 

Devant les portes, Kristofferson se fit nerveux.

 

-         Quoi, quoi ?

-         Il y a quelqu’un qui approche du camp Orque, répondit Walter. Je n’arrive pas à voir qui c’est.

 

Une voix qui contenait tout le dédain et le fatalisme du monde déchira le silence qui planait au-dessus de la pente entre le camp des pillards et Wüstengrenze.

 

-         Ho ! Les barbares arriérés ! Vous m’entendez ?

 

Müller sentit son sang s’enflammer.

 

-         Kreutzer ? Comment il est venu là ?

-         Il a dû passer par-dessus le rempart, supposa Walter.

 

C’était bien le grand Humain osseux, qui s’approchait du campement Orque en criant d’une voix bien alourdie par l’alcool :

 

-         Allez, connards à peau verte ! Faut une « opportunité », j’en donne une ! Venez me chercher !

 

Il sortit un pistolet de son ceinturon et tira en l’air. La détonation finit d’attirer l’attention des Orques. Satisfait, il ricana et courut à leur rencontre.

 

-         Bordel, qu’est-ce qu’il fabrique ?

 

Pol suivit l’action à travers la lunette de son fusil. Il vit l’ancien capitaine brandir à deux mains un objet cylindrique. C’était un tonnelet. Le Skaven au pelage anthracite sentit sa fourrure se hérisser quand il reconnut l’un des barils de poudre à canon de la réserve de munitions de la caserne.

 

-         Il va se faire exploser !

-         Il est fou ! grinça Walter.

-         Non, il n’est pas fou du tout ! réalisa Franzseska.

 

Lorsqu’il vit les premiers Orques approcher de lui, Kreutzer infléchit sa course, et tourna à gauche. Il courut aussi vite qu’il put, tout en sortant de sa poche son briquet. Il s’arrêta, à bout de souffle, et alluma la mèche.

 

-         C’en est fini de lui… murmura Müller.

-         Oui, mais regardez, il a attiré leur attention ! constata Dame Franzseska.

 

La grande Humaine se jeta sur la roue, et commença à la faire tourner, rapidement aidée par Walter et Müller. Toute la mécanique s’ébranla lentement et bruyamment.

 

En bas, Kristofferson comprit immédiatement. Il s’apprêta à enfourcher sa monture, lorsqu’une voix claire l’appela.

 

-         Kristofferson !

 

Le jeune homme-rat tourna la tête, et vit la silhouette de Sœur Carolina qui courait vers lui dans sa bure blanche, hors d’haleine. La surprise le fit un peu hésiter quand il lui dit :

 

-         Je dois partir seul, c’est trop dange…

-         Je sais !

 

Elle se jeta à son cou, et lui colla une petite bise sur la joue. Larmes aux yeux, elle murmura :

 

-         Pour te porter chance !

 

Le Skaven lui répondit par un petit sourire confiant. Sans plus attendre, il bondit sur la selle de son cheval, et le talonna aussi fort qu’il put. Il franchit la porte au grand galop, et entendit au-dessus de sa tête ses amis lui souhaiter bonne chance.

 

Les Orques avaient pratiquement rattrapé Kreutzer, à gauche. Kristofferson allait donc passer le plus à droite possible du camp, compte tenu de la barrière rocailleuse qui n’allait pas lui permettre de prendre une autre direction. Il lança sa queue en avant pour attraper fermement les rênes du côté gauche, et tira sa monture vers la droite avant de foncer de plus belle.

 

Un fracas assourdissant éclata derrière lui, et un éclair lumineux illumina les alentours pendant une fraction de seconde.

 

Je ne vous regretterai pas, mais je ferai honneur à votre geste !

 

Les Orques avaient étiré leur camp sur un périmètre assez large, mais il y avait encore quelques dizaines de yards entre les tentes et les rochers. Sa monture fila, le vent siffla à ses oreilles, et du coin de l’œil, il vit les tentes s’éloigner sur sa gauche. Hélas, comme il s’y attendait, des beuglements de rage ne tardèrent pas à résonner dans son dos. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, et repéra les six formes sombres et grossières des chevaucheurs de sanglier lancés à sa poursuite.

 

Le cheval hennit de panique. Kristofferson était fermement décidé à échapper au danger. Il donna encore des coups de talon, et poussa même un furieux « Ya ! » Il focalisa son regard sur la ligne noire formée par les arbres de la forêt. Le temps sembla ralentir, il n’entendit plus les mugissements des Orques, pas plus que les hennissements affolés du cheval. Il sentait presque le souffle des Peaux-Vertes sur son échine…

 

Rien que mon imagination, mon destrier est bien plus rapide que ces pourceaux !

 

Et enfin, il pénétra dans le bois comme une flèche. Il fit zigzaguer sa monture entre les arbres, et n’hésita pas à basculer sur le côté pour éviter les branches les plus basses. Sa queue serrait fermement le cou du cheval, sans l’étrangler.

 

Son audace s’avéra payante. Rapidement, le jeune homme-rat sortit de l’autre côté de la zone boisée, sans être suivi. Comme il s’y attendait, les Orques n’avaient pas pu le suivre jusqu’au bout. Il permit à sa monture de ralentir un peu, et ricana de soulagement.

 

-         Ouais ! Et merci pour la course, fils de…

 

Il fut interrompu par un crissement abominable qui déchira ses tympans. Il n’eut pas le temps de lever la tête qu’il sentit une paire de pattes griffues l’agripper par le dos de sa tunique, et le soulever avec une force irrésistible. Le battement furieux de deux ailes membraneuses finit de dissiper ses doutes : il était en train de se faire emporter par la jeune vouivre qui leur avait échappé à Klapperschlänge ! Pas assez grande pour faire une monture, elle n’en était pas moins capable de capturer une proie de bonne taille !

 

L’infortuné Skaven tenta de résister, et serra la prise autour du cou du cheval aussi fort qu’il put, mais ça ne suffit pas. Halluciné, il vit son cheval partir sans lui, puis la vouivre fit demi-tour vers le camp des Orques, et le sol s’éloigna, s’éloigna…

 

Trouver une solution. VITE !

 

Le jeune Steiner regarda partout, chercha quelque chose pour lui donner une idée, bonne ou mauvaise. Il repéra alors, à quelques centaines de yards de sa position, la rivière qui dévalait la colline de Wüstengrenze. Ce fut une inspiration. Sans doute pas la plus sensée de sa vie, mais il n’avait pas le temps d’y réfléchir.

 

Il tira sa rapière, et la plongea sans hésiter dans le cou de la vouivre. La lame s’enfonça entre deux écailles. La créature couina de douleur et secoua la tête si fort que Kristofferson en lâcha presque le pommeau de son arme. Il insista, et poussa encore. Soudain, la lame cassa dans un tintement sec. Kristofferson laissa tomber l’épée cassée, agrippa fermement la patte gauche de la vouivre de sa main gauche, puis enroula sa queue autour de la serre droite, et il tira comme un forcené par à-coups dans la direction de la rivière.

 

-         Par ici, sale bête ! Tombe par ici, allez !

 

Cette stratégie était audacieuse, folle, complètement irréfléchie… mais elle marcha. La vouivre perdit de l’altitude, et déploya ses ailes pour éviter de chuter trop durement. Sous les impulsions de sa proie réticente, elle obliqua finalement vers les eaux tumultueuses, et s’écrasa dans l’eau.

 

Kristofferson repoussa de toutes les forces qui lui restaient la carcasse encore remuante de la créature. Emporté par le courant, il tenta de remonter à l’air libre. Il fendit la surface de l’eau, et inspira une profonde goulée d’air. Mais il comprit immédiatement qu’il n’était pas encore tiré d’affaire.

 

Le courant de l’eau était bien plus tumultueux qu’il n’avait prévu, et déjà il voyait des rochers saillir çà et là. Il voulut résister à la force qui l’emportait, et nagea du mieux qu’il put avec le bras qui lui restait. Il repéra alors un petit passage où l’onde semblait moins furieuse. Mais alors qu’il se lança en avant, son genou heurta un gros caillou sous l’eau. Il n’avait pas poussé un juron qu’il percuta déjà un autre rocher, sur le flanc droit. Une douleur inouïe lui enflamma le bras, cette fois il cria. Juste une demi-seconde. Il sentit un choc encore plus violent sur sa tête, et perdit connaissance.

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