Le Royaume des Rats

Chapitre 28 : Terreur divine

8420 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/05/2020 23:26

-         Qui es-tu ?

-         Je suis… je suis…

 

Le Prophète Gris Vellux attendait la réponse, bras croisés, l’œil sévère. Chitik, Diassyon, Klur et Moly le fixaient avec appréhension.

 

Psody était encore sur la scène du Temple. Au-dessus de lui, l’immense idole du Rat Cornu cracha des flammes vertes en rugissant. La foule des Skavens de Brissuc, massée au pied de la scène, retenait aussi son souffle. Cette fois-ci, le Skaven Blanc était pleinement conscient qu’il n’était pas là où il devait être. Mais il était âgé seulement de quatre ans, dans ses nippes d’apprenti, et tout ce qu’il pouvait ressentir dans ses veines était quelques étincelles timides de la Magie Warp. Ses actions, tout comme ses choix, semblaient limités.

 

-         Je suis en plein cauchemar !

-         Tu es sur le point de devenir un vrai citoyen-citoyen de l’Empire Souterrain. Grâce à moi !

-         Non ! Je suis Prospero Steiner, le Maître Mage de Vereinbarung !

-         Pourquoi rejeter-nier ce que tu es vraiment, Psody ? Mon élève, ma plus grande fierté… tu m’attristes affreusement.

-         Je ne suis plus ton élève-disciple ! Je ne suis plus un Skaven Sauvage !

-         Tu es un Fils du Rat Cornu, Psody. Ton père, c’est moi, et le Rat Cornu.

-         Non-non ! Tais-toi donc ! Je ne t’écoute plus !

-         Pourtant, tu l’écoutes toujours, lui…

 

Vellux leva le doigt vers l’immense statue dans un geste théâtral.

 

-         Le Rat Cornu n’est-il pas le seul unique-vrai dieu de ce monde ? N’est-ce pas sa voix que tu entends, qui te parle-ordonne ?

 

Psody serra les dents.

 

-         Non… Non ! Quand je t’ai brûlé à Gottliebschloss, j’ai cessé de l’entendre, justement !

-         Pendant un long moment-moment. Mais il a décidé de te rappeler à l’ordre ! Tu es un Fils du Rat Cornu, Psody, et non pas un animal dressé-castré par les choses-hommes !

 

Le jeune homme-rat ne pouvait plus le supporter. Il repéra l’ouverture entre les deux rideaux sous la statue. Il fila à travers les étoffes moisies en bousculant au passage une vague silhouette en robe. Puis il courut, courut à travers les couloirs, et franchit une porte qu’il claqua derrière lui.

 

Il était dans une petite pièce sombre au milieu de laquelle se trouvait un brasero. Près de lui, il y avait un grand siège de bois qu’il pouvait voir de dos. Il pouvait cependant voir le bras de quelqu’un installé dedans sur l’accoudoir. Une voix grave, assurée et impérieuse résonna.

 

-         Inutile, Psody. Tu ne peux pas échapper à ton destin.

 

Le Skaven Blanc sentit ses oreilles palpiter de perplexité. Il ne savait pas pourquoi, mais cette voix lui disait quelque chose. Aussi curieux qu’anxieux, il s’avança pour pouvoir faire face au fauteuil. Il eut un hoquet de surprise. Devant lui était assis un grand Humain, complètement chauve, avec un regard perçant et des lèvres charnues qui se plissèrent en un sourire cynique.

 

-         Toi ?! Ce n’est pas vrai-possible !

-         Et pourquoi pas ?

-         Tu es mort-mort ! Tu t’appelles Klaus, tu habitais un village que j’ai ravagé-détruit avec mes frères ! Tu m’as aidé à sauver Chitik, et je t’ai tué-tué !

-         Non, tu vas être nommé citoyen de Brissuc. Ce n’est qu’après que tu vas me rencontrer et me tuer.

-         Alors qu’est-ce que tu fiches ici ? Ce n’est pas cohérent !

-         Tu as raison, mais il y a une explication logique : c’est ton avenir que tu as vu par bribes. Bientôt, tu me rencontreras pour de bon, et tu accompliras ton devoir.

-         Comment ça, « mon avenir » ?

-         Retournons dans la salle de prière, je t’expliquerai tout, et tout sera dévoilé.

 

Le pauvre Skaven Blanc savait très bien ce qui l’attendait dans la grande salle de cérémonie. Et pourtant, il se doutait aussi que la seule façon d’être délivré de ce cauchemar était de le vivre jusqu’au bout. Alors qu’ils étaient en route, la rumeur de la foule des Skavens se faisait de plus en plus claire.

 

« Tout ceci n’est pas réel, Psody. Ce n’est qu’un rêve. Tu es sur le point de te réveiller. Le Prophète Gris Vellux t’a fait goûter à la malepierre. Tu es resté inconscient pendant des semaines, durant lesquelles tu as imaginé des choses. Toi, chez mes semblables ? Toi, avec une pondeuse non traitée ? Toi, avec des ratons élevés comme les Humains ? Toi, à voler les enfants de l’Empire Souterrain ? Non, Psody. Rien de tout cela n’est arrivé. Ce que tu vois, c’est une version possible de ton avenir. »

 

Ils étaient à présent derrière le rideau. Klaus releva le pan, et invita l’homme-rat à le franchir.

 

Psody se retrouva de nouveau sur la scène. Vellux n’avait pas bougé. En revanche, Chitik, Diassyon, Klur et Moly, accompagnés d’une demi-douzaine de Vermines de Choc, entouraient les membres de sa famille. Heike, Kristofferson, Sigmund, Bianka, Gabriel et Isolde, nus, étaient blottis les uns contre les autres, et tremblaient de terreur.

 

Le Prophète Gris leva la main. L’une des Vermines de Choc agrippa Bianka par le bras et la jeta aux pieds de Vellux. Psody avança d’un pas décidé, mais aussitôt la Vermine de Choc le saisit. Un deuxième Skaven Noir l’attrapa, et les deux guerriers plaquèrent le Skaven Blanc au sol, sur le bois de la scène. Psody se contorsionna, mais la poigne de fer des deux guerriers lui broya les os.

 

-         Pose ta sale patte sur elle, et je te tue !

-         Nous savons que tu n’en feras rien, expliqua calmement Klaus. Tu n’es pas en mesure de faire quoi que ce soit.

 

L’Humain s’accroupit près du jeune homme-rat, et empoigna ses cornes. Il le força à garder la tête face à Vellux. Celui-ci fit un autre geste. Aussitôt, les quatre Vermines de Choc restantes se jetèrent sur les Steiner. L’une d’elles souleva Heike à bout de bras et la jeta dans la fosse. La deuxième saisit Isolde par la peau du cou, et l’envoya sur les spectateurs. Enfin, Vellux souleva sa robe en ricanant, et bondit sur Bianka, l’écrasa de tout son poids. La jeune fille-rate hurla. Les trois garçons se faisaient étriper par Chitik, Klur, Moly et Diassyon, sous l’œil amusé des Vermines de Choc. Psody finit d’être terrifié lorsque la voix doucereuse de Klaus s’insinua dans son esprit.

 

« Cette possibilité d’avenir déplaît grandement au Rat Cornu, ton dieu. Ce Royaume des Rats, cette descendance impie… Tant de blasphèmes qui doivent à tout prix être évités. Mais il est encore temps de te rattraper. D’ici peu, tu seras sorti de cette torpeur, et tu seras ce que tu as toujours été destiné à être : un vrai Prophète Gris, le fidèle serviteur du Rat Cornu. Mais surtout, il faut bien que tu prennes conscience de ton vrai rôle, et que tu effaces pour de bon ce qui t’empêche d’accomplir ta destinée. Détruis les derniers délires de ton cerveau ! »

 

Psody se débattit de toutes ses forces, mais les deux Skavens Noirs le tenaient toujours fermement sur le plancher. Comprenant qu’il ne pouvait rien faire que subir, il eut le réflexe de tourner la tête. L’Humain serrait encore ses cornes. Le Skaven Blanc se força à faire pivoter ses yeux le plus loin possible de Bianka. Son regard tomba sur l’interstice entre les deux rideaux, derrière l’idole. Soudain, il vit quelque chose qui finit de le perturber. Hébété, hypnotisé, la voix de sa fille le fit sursauter.

 

-         Réveille-toi !

 

 

Psody chuta de son lit avec un glapissement effrayé. Le cœur battant à tout rompre, les yeux exorbités, le souffle caverneux, il sentit tous les poils de sa fourrure se hérisser. Les cris de terreur, les râles de souffrance et les grognements lubriques retentissaient encore dans ses oreilles aussi clairement que si les tortures se déroulaient devant lui.

 

Il se leva péniblement, et secoua la tête. Sa respiration rauque résonna. Ses yeux affolés papillonnèrent. Peu à peu, ce qu’il pensait être la réalité lui revint en mémoire : il était dans une petite cellule du temple de Shallya de Steinerburg, engoncé dans une camisole aux manches cousues. Il n’y avait dans la pièce qu’un lit rudimentaire et un pot de chambre. Une terrible sensation de vide lui étreignit l’intestin, comme s’il n’avait pas mangé depuis quinze jours. Des démangeaisons furieuses l’agacèrent.

 

Les runes, bien sûr !

 

Le Magister Brisingr Mainsûre avait appliqué sur les murs extérieurs de la cellule des symboles destinés à bloquer les vents de magie. Quelqu’un d’habitué à les ressentir se retrouvait donc victime d’un état de manque, comme une personne brutalement privée de l’un de ses sens.

 

Et pourtant, ça ne tourne pas rond !

 

Le Skaven Blanc ne put retenir ses larmes. Il tomba à genoux, et se frappa la tête contre le sol de pierre. Du moins, il essaya, mais la petite cage crânienne qui enserrait sa tête l’en empêcha. Il roula sur le dos, et cria de désespoir.

 

La clef tourna dans la serrure, et la porte s’ouvrit sur Heike, plus inquiète que jamais.

 

-         Psody !

 

Le Skaven Blanc sursauta en entendant la voix de la jeune femme-rate. Il se releva, s’assit sur le lit, et tenta de reprendre son souffle. Heike approcha lentement de son compagnon, s’assit près de lui sur le matelas, et lui caressa l’épaule.

 

-         Ce n’était qu’un cauchemar, mon amour.

-         Pas la première-seule fois que je le vois.

-         Qu’est-ce que tu as vu ?

 

Le Maître Mage fit mine de ne pas avoir entendu la question. Sa compagne insista :

 

-         Qu’est-ce que c’était, Psody ? Qu’est-ce qui t’a fait peur au point de te mettre dans cet état ? Je t’en prie, dis-moi tout, ça te soulagera.

-         J’ai vu… ta mort. Et celle de nos enfants.

-         C’était si horrible ?

 

Le Maître Mage renifla, et raconta son rêve. À la fin de son récit, la jeune femme-rat se blottit contre lui.

 

-         Mon pauvre amour… C’est ce genre de chose qui t’empêche de dormir ?

-         Et c’est encore pire ! Maintenant, j’ai des visions-hallucinations en plein jour ! C’est épouvantable, Heike ! Écoute, je… vous êtes tous ma famille ! Ma vie ! Je ne suis plus un Skaven Sauvage, et je ne veux plus l’être ! Je t’aime, j’aime nos enfants, et jamais-jamais je ne vous ferai de mal !

-         Je le sais bien. Ce ne sont que de mauvais souvenirs, rien de plus. Et encore, ce sont des souvenirs faux ; ton passé est mélangé à notre présent, si tu nous vois alors qu’au moment où c’est censé arriver, aucun de nos enfants n’était né. Ce n’est pas arrivé.

-         J’ai blessé Bianka !

-         Tu l’as juste un peu bousculée, et c’était un accident. Elle comprendra, et Siggy aussi. Mais depuis quand ça dure, tout ça ?

-         Depuis notre retour de la dernière Récolte.

 

Heike se releva, l’œil réprobateur.

 

-         Tu veux dire que tu vois ça régulièrement depuis des semaines ? Mais enfin, il fallait me le dire tout de suite ! Pourquoi tu me l’as caché ?

-         Parce que… parce que…

-         Je suis ta femme ! Même si nous ne sommes pas mariés aux yeux des dieux, ça fait partie du contrat ! Tu veilles sur moi, mais moi aussi, je veille sur toi ! Alors quoi ? Il y a forcément un moyen pour que ça arrête de te tourmenter ! Autre chose que de repousser le problème avec du Nectar Apaisant d’Esméralda !

-         Oh… tu sais pour ça ?

-         Oui, je sais.

-         Comment tu as fait ?

-         Après ce qui s’est passé, ça devrait être le cadet de tes soucis ! Enfin… j’ai fait parler Romulus quand j’ai senti le nectar que tu mettais dans ton thé. Il m’a dit que c’est parce que tu étais encore sous le choc de ta dernière Récolte, mais je ne savais pas si je devais le croire. Alors, il a menti ?

-         Non, mon cœur. Il a dit ce qu’il croyait être vrai. C’est moi qui lui ai menti.

-         Tu lui as… enfin, Psody ! Romulus est ton meilleur ami, je suis la mère de tes enfants, nous pouvons et nous devons t’aider ! Tu comptais nous cacher ton problème combien de temps ?

-         Jusqu’à pouvoir l’arranger.

-         Eh bien, te voilà bien ! Tu te rends compte qu’on aurait peut-être déjà tout réglé si tu n’avais pas attendu ? Que tu n’aurais pas fait peur à nos enfants ? Et Bianka ?

 

Le Skaven Blanc ne répondit rien, complètement meurtri par les paroles pleines de vérité de son épouse. Celle-ci décida de prendre les choses en main.

 

-         Heureusement, maintenant, on va pouvoir tout faire pour te délivrer de ces affreuses angoisses ! Et tout va redevenir comme avant. Nous serons une famille unie et heureuse !

 

Le Skaven Blanc eut un air navré.

 

-         Mon amour, ce n’est pas si facile-simple. Je suis un Skaven Blanc. Cela veut dire que mon dieu me parle. Cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps, mais ces visions qui me dérangent depuis mon retour, c’est un message. Le Rat Cornu parle régulièrement à ses élus-élus. J’en suis toujours un, à ses yeux, et peut-être qu’il est contrarié-offensé par ce que je fais. Il a décidé de me montrer qu’il n’est pas content du tout ! Je crains que ce ne soient des avertissements-avertissements ! Alors que dois-je faire ? M’éloigner de vous ? Vous abandonner ? Je ne peux-veux pas ! Mais si je reste ici, que peut-il arriver ? Les minables comme Larn ne me font pas peur. Mais une malédiction divine ? Je ne pourrai que subir la colère du Rat Cornu. S’il le faut, je me soumettrai-plierai à son jugement, mais je n’ai pas envie de vous mettre en danger, toi et les enfants ! C’est ça qui me fait peur. Et s’il me punissait en se vengeant sur vous autres ? S’il me faisait égorger Isolde pendant son sommeil ? C’est pour ça que je ne vous ai rien dit. C’est une affaire qui doit rester entre le Rat Cornu et moi !

 

Dehors, six coups de cloche sonnèrent. Le Skaven Blanc se leva.

 

-         Le jour va se lever. Je ne pense pas réussir à retrouver le sommeil J’ai besoin de réfléchir-penser.

-         Très bien, comme tu voudras.

 

La pauvre femme-rate avait les larmes aux yeux, mais elle n’osa rien dire de plus. Le pouvait-elle seulement ? Elle sortit à reculons de la cellule, la clef tourna dans la serrure, puis plus rien d’autre que le souffle rauque de Psody.

 

Le Skaven Blanc ferma les yeux, et se concentra de toutes ses forces. Il était temps de comprendre. Analyser, puis réfléchir, interpréter, et décoder cette macabre énigme. Depuis quelques semaines, une voix le poussait à renier sa famille, son éducation humaine, tout ce qu’il avait appris de son père adoptif, de la vieille Katel, et de Romulus. Et pour mieux appuyer cette invective, il assistait, impuissant, au massacre de ceux qui comptaient le plus pour lui, en ce bas monde.

 

Mais pourquoi ? Est-ce que… est-ce que le Rat Cornu finit par contester ma façon de vivre ?

 

Depuis six ans qu’il vivait comme un Humain, pas une seule fois depuis son installation à Vereinbarung le Rat Cornu n’avait clairement affirmé son désaccord. Au contraire, Psody lui adressait chaque jour une prière, et tout s’était passé comme il avait toujours souhaité. Mais peut-être que les choses avaient changé ? Et si la purification du Domaine Nichetti avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase ?

 

Et les figures de son passé revenaient le hanter. Ses frères, tous morts à l’exception de Chitik qui avait complètement disparu. Klaus, le paysan. Et Vellux, encore et toujours Vellux, qui avait l’audace de s’en prendre à sa fille. Mais qu’est-ce que cela signifiait ? Le Rat Cornu les avait rassemblés, tous les trois, pour sa plus grande…

 

Trois ? Comment, trois ? Ce jour-là, ils n’étaient que deux ! Lui et son maître !

 

Deux quoi ? Par le Rat Cornu !

 

Il se concentra de toutes ses forces, convaincu d’effleurer la clef de l’énigme. Il se revit sur la scène. Effrayé, il prit la fuite, et franchit le rideau. Il bouscula quelqu’un au passage… mais ce quelqu’un était… Oui, le souvenir lui revint : dans ce rêve qui paraissait tellement réel, il avait entr’aperçu une tête bien caractéristique. Et cette tête était apparue encore entre les rideaux, pendant que Bianka subissait les assauts enragés de Vellux, une ombre aux yeux verdoyants, avec la forme d’une paire de cornes.

 

Un autre Skaven Blanc !

 

*

 

Quelques heures plus tard, en milieu de matinée, Maître Brisingr Mainsûre était dans la cellule. Psody n’avait plus l’air complètement égaré. Au contraire, il semblait avoir repris possession de ses moyens. Il lui raconta son rêve avec tous les détails qu’il put mentionner.

 

-         Et Klaus me dit que tout ceci n’est qu’un rêve ! Si ça se trouve, vous n’êtes pas réel-réel. Pas plus que ce royaume ou ma famille. Et je suis peut-être en train de délirer à cause de la première malepierre que j’ai avalée !

-         Vous voulez dire que tout ce que vous auriez vécu depuis votre fuite de Brissuc ne serait pas arrivé ?

-         Je n’aurais même pas fui Brissuc ! Peut-être qu’en ce moment, je suis allongé par terre dans une cave sombre-humide, et Chitik veille sur moi, il attend que je me réveille !

-         Depuis quand vous faites ce genre de cauchemar ?

-         Depuis que… depuis que les visions sont revenues.

-         C’est-à-dire ?

-         La première fois que Vellux m’a permis d’aller voir une pondeuse, j’ai vécu un instant de mon avenir ; une conversation avec mon fils Gabriel. Il y a quelques semaines, quand nous sommes rentrés de la dernière Récolte, j’ai revécu brièvement le moment où j’étais avec la pondeuse.

-         Et alors, qu’en pensez-vous ? Serais-je donc juste une illusion, en ce moment-même ? Et vous allez reprendre connaissance à Brissuc ?

-         C’est pourtant contradictoire ! Je me souviens de tout ce que j’ai fait. Aurais-je rêvé ces six années ? Avec tant de détails ? Tant de choses différentes ? Un rêve ne peut pas contenir tant de choses !

 

Brisingr se frotta le menton.

 

-         Il m’est déjà arrivé de rêver quelque chose de complètement différent de ma vraie vie, et pourtant, cela paraissait tellement vrai que tout était comme fondamentalement acquis ; par exemple, si je rêvais être le serviteur préposé aux latrines du Roi Phénix, tout était alors fait autour de moi pour aller en ce sens. Dans mon esprit, j’étais ce serviteur, avec le vécu, la condition sociale, et tout semblait alors aller de soi. Les rêves marchent selon leur propre logique, mais quand on comprend cette logique, tout s’explique. Pour vous, les choses sont différentes. De mon point de vue, tout est bien vrai. Vous êtes le Maître Mage Prospero Steiner, vous avez une femme et cinq enfants, c’est un fait. Et je me souviens très bien de notre première rencontre à Altdorf, chez Steiner. En outre, vous avez souffert, vous vous êtes battu pour être ce que vous êtes. Or, généralement, pendant un rêve, un rien peut vous réveiller. La moindre gifle, le moindre son violent, et vous vous retrouvez soudain dans votre lit, et la réalité vous revient en tête. Et donc, vous pensez que c’est le Rat Cornu qui vous envoie des messages ?

-         C’est ce que je craignais quand j’ai bl… quand Bianka…

-         Laissez, je comprends. Donc ?

-         Depuis, j’ai eu le temps d’y réfléchir. Je sens que dans cette vision, trop de choses ne sont pas conformes-conformes ! Quand Vellux a fait de moi un citoyen à part entière, je n’avais pas rencontré Klaus. Et ça, j’en suis certain !

-         C’est un petit détail qui est peut-être la clef de tout.

-         Je peux vous en donner un autre : pendant le massacre de ma famille, j’ai vu un Skaven Blanc nous regarder derrière le rideau. Or, à ce moment, Vellux et moi étions les deux seuls Skavens Blancs de toute la colonie de Brissuc !

-         Vous êtes sûr ? C’était il y a longtemps, vous étiez jeune, peut-être qu’il y avait un autre Prophète Gris en visite, et que vous l’avez oublié ?

-         Non, je vous assure ! On n’oublie pas le jour où on se fait taillader l’oreille !

-         Hum… oui, sans doute. Concentrez-vous, cette somme de détails peut effectivement trouver une explication logique. Vous êtes sur l’estrade, et vous voyez la tête d’un Skaven Blanc par l’interstice du rideau, alors que la statue du Rat Cornu éclaire l’assemblée. Autre chose ?

-         Oh ! Maintenant que j’y pense, il n’y avait pas de rideau, non plus ! Ni d’estrade, encore moins d’idole de mon dieu ! Ce jour-là, nous étions sur la place publique, et pas dans le temple !

-         Ah, intéressant ! Encore une incohérence.

-         Ça prouve que ce n’est pas une vision envoyée par le Rat Cornu. Mon dieu ne se serait jamais trompé. Et cela conforte mon opinion !

-         Qui est… ?

 

Psody fit quelques pas, et agita les mains de plus en plus nerveusement.

 

-         C’est un autre Skaven Blanc qui essaie d’entrer dans ma tête !

-         Oui, je crois aussi. Et ça expliquerait la présence d’un autre Skaven Blanc derrière le rideau. Vous le savez, chaque sort porte la marque de celui qui le lance. L’empreinte de l’esprit de ce Skaven Blanc réside forcément quelque part dans la vision qu’il vous a envoyée. Généralement, un magicien qui veut vous faire peur en vous envoyant ce genre d’ensorcellement ne se montre pas, mais il peut arriver qu’on le perce à jour à travers l’illusion, à moins qu’il ne soit trop arrogant pour rester caché. Vous l’avez donc repéré. Et si j’en crois ce que vous m’avez raconté, il n’a rien d’amical. Il tente plutôt de vous faire perdre l’esprit !

-         Oui ! Mais comment a-t-il pu forcer mon esprit, à votre avis ?

-         Il a dû ressentir un remous dans les flux de magie Warp au moment où votre esprit a touché l’esprit de Psody le Prophète Gris d’il y a six ans !

-         Le Rat Cornu m’a connecté aux énergies magiques à ce moment-là. Les deux âmes des deux Psody ont dû échanger leur place pendant un bref moment !

-         Et cet intrus a perçu ce moment, peut-être par hasard, peut-être qu’il vous surveillait ? Peu importe, il en a profité pour pénétrer votre psyché.

-         Comment aurait-il pu me faire voir des choses aussi précises ? Ma famille, mon maître, et ce pauvre villageois que j’ai tué-tué d’une balle dans le dos ?

 

Brisingr passa sa main dans ses cheveux.

 

-         Vous savez, ce n’est pas très difficile. Il suffit d’établir un rituel qui permettra de titiller la mémoire de sa victime. C’est exactement comme quand vous prenez une substance hallucinogène : elle agit directement sur votre cerveau pour réveiller vos craintes, vos fantasmes, vos hontes les plus intimes. Pas besoin de composer un médicament personnalisé pour chaque individu ; le poison se contente de piocher dans votre âme, et votre imagination fait le reste. Ce Skaven Blanc n’est pas un grand génie maléfique, mais rien d’autre qu’un sale petit violeur.

-         Mais… attendez, vos runes de rétention auraient dû empêcher-arrêter ça, non ?

 

L’Elfe soupira.

 

-         Je suis désolé, Psody. J’ai peint des runes pour bloquer les vents de magie du Collège Impérial, pour vous éviter d’utiliser vos pouvoirs n’importe comment. Mais ces enchantements n’étaient pas efficaces contre d’autres formes de magie, comme la magie du Warp. C’est ma faute.

-         Pas grave. Au contraire, ça me rassure. Ce n’est pas le Rat Cornu qui me fait ça, mais un Prophète Gris très joueur… je vais lui montrer que ce jeu se joue à deux !

-         À trois, Maître Mage.

-         Vous n’avez pas à vous mêler de ça, vous savez.

-         Sûr que si ! J’ai promis à votre père de veiller sur Heike et sa famille proche, c’est-à-dire ses enfants et vous. Face à un Prophète Gris qui n’hésitera pas à utiliser les pires traîtrises, nous ne serons pas trop de deux.

-         D’accord, je veux bien votre soutien-aide pour contrer ses troupes, il ne sera sans doute pas seul. Mais je veux l’affronter, moi, face à face !

 

Le Skaven Blanc regarda l’Elfe dans les yeux, gravement.

 

-         Une fois de plus, vous m’avez aidé à y voir clair. Je vous en remercie-remercie.

 

L’Elfe rendit son regard au Skaven Blanc.

 

-         Une fois de plus, je n’ai fait que vous donner un petit coup de pouce. Or, cette fois, je veux faire davantage. Ce Prophète Gris vous a poussé à faire des choses impardonnables. D’habitude, j’essaie de rester objectif, mais aujourd’hui, par votre intermédiaire, quelqu’un s’en est pris à l’une des rares personnes que j’estime vraiment en ce bas monde. Je refuse de lui laisser ne serait-ce qu’une chance de nous échapper.

-         Alors, que faisons-nous ?

-         Je crois avoir un plan. Pour l’heure, je préfère vous laisser ici, au cas où notre Prophète Gris tenterait de nouveau quelque chose. Donnez-moi un peu de temps, et on va le coincer.

 

*

 

La lumière du soleil était filtrée par les vitraux de la petite chapelle. Psody pouvait voir dans les rayons colorés des grains de poussière. Il n’y avait que le silence, la pièce secrète était bien isolée.

 

Le Maître Mage avait pris soin de se laver, se parfumer, et s’était paré de beaux habits. Après deux jours dans cette cellule, avoir de nouveau l’air d’un citoyen équilibré lui avait fait le plus grand bien. Mais si le corps était remis à neuf, l’esprit restait tumultueux.

 

Il s’agenouilla devant la grande fenêtre ouvragée qui représentait le Rat Cornu au-dessus des deux peuples, le sien et celui des Humains. Sous sa main bienveillante, juste au milieu, on pouvait voir la silhouette de Cuelepok. Psody n’avait plus jamais entendu la voix de Cuelepok depuis son exploit à Gottliebschloss. Même lorsqu’il avait purifié le Domaine Nichetti, le masque était resté muet. Mais Cuelepok, aussi sage fût-il, n’était qu’un mortel, et son âme avait probablement enfin trouvé le repos.

 

Les Skavens Sauvages m’ont appelé « Grand Blasphémateur »… Je me demande s’ils lui avaient trouvé un tel surnom-surnom ? Je l’appellerais bien « illuminé », « conciliateur »…

 

Mais l’heure n’était pas à ces questions. Psody devait à présent agir pour comprendre pleinement ce qui se passait, et remédier à ce problème.

 

Il s’agenouilla cérémonieusement devant le vitrail, inclina la tête avec humilité, et parla dans sa langue natale :

 

-         Ô Rat Cornu, puissant-éternel parmi les dieux, je prie ton nom sacré-sacré ! Je suis victime de visions que je ne comprends pas. Je réfléchis-réfléchis depuis des jours, mais plus rien ne vient ! Je ne t’entends plus, mais je vois des choses qui n’ont aucun sens ! Des choses horribles ! Je ne comprends vraiment plus rien…

 

Il resta immobile pendant une longue minute. Au moment où il pensa à se remettre debout, une voix brisa alors le silence. Une voix sourde, rauque, très grave.

 

-       TU NE MANQUES VRAIMENT PAS DE TOUPET-CULOT, PSODY !


Le Skaven Blanc sursauta, et leva le nez. Son sang se figea lorsqu'il vit la silhouette du Rat Cornu dans le vitrail se mettre à bouger. Les couleurs autour du personnage divin muèrent pour prendre une teinte intégralement verte.


-        TANT DE TEMPS À TRAHIR MES ORDRES-ORDRES, ET TU TE DEMANDES POURQUOI ?


Un puissant courant d'air balaya la petite pièce. L'homme-rat entendit le bruit caractéristique du verre en train de se fissurer. Hébété, il vit la forme du Rat Cornu s'extraire de la fenêtre pour se tenir devant lui.


-        TU ES UN SACRILÈGE-BLASPHÉMATEUR, PSODY !

-        Je… je ne comprends pas, ô Rat Cornu !

-        ET EN PLUS, TU ME PRENDS POUR UN IDIOT ?


L'apparition balaya l'air d'un geste large du bras, renversant au passage un candélabre. Le Skaven Blanc couina de terreur.


-        J'ai toujours écouté-suivi tes instructions, ô Rat Cornu !

-        NON! TU AS FAIT TOUT LE CONTRAIRE DE CE QUE JE DIS À MES FILS !

-        J'ai interprété les visions, les images, tout ! Et je permets aux Skavens de s'épanouir !

-        TU AS MULTIPLIÉ LES COMPORTEMENTS INSULTANTS ! TU AS OSÉ PACTISER AVEC LES CHOSES-HOMMES ! LES CHOSES-HOMMES !TE RENDS-TU COMPTE DE CE QUE CELA SIGNIFIE ? LES CHOSES-HOMMES SONT DES ÊTRES INFÉRIEURS ! LEUR PLACE EST SOUS NOS PIEDS, OU DANS NOS ESTOMACS, ET TOI, TU LES A CONSIDÉRÉES COMME DES... ALLIÉES! TU N'AS RIEN À FAIRE AVEC ELLES, PSODY, MON ÉLU-ÉLU! ET TOUTE CETTE FOLIE DE ROYAUME DES RATS EST LE PIRE DES AFFRONTS QUE TU AIES PU ME FAIRE !


Le Rat Cornu se dressa de toute sa hauteur. Dans le même temps, il prit pleinement forme, et cessa d'être un assemblage de fragments de verre ouvragé pour devenir un avatar de chair et de sang.


-        TU AS FAIT DES CHOSES ABERRANTES, TU AS EU DES IDÉES QUE MÊME LES CERVEAUX LES PLU DÉVORÉS PAR LA MALEPIERRE N'OSERAIENT PAS CONCEVOIR ! ET, PIRE QUE TOUT, TU T'ES RÉVOLTÉ CONTRE L'UN DE MES PLUS FIDÈLES SERVITEURS ! LE PROPHÈTE GRIS VELLUX, CELUI QUI T'A TOUT APPRIS !

-        Je… j'ai fait ce que font tous les Prophètes Gris à leur maître !

-        SILENCE, INSOLENT !rugit deux fois plus fort le dieu en frappant le sol du poing. LE PROPHÈTE GRIS VELLUX AVAIT PLUS DE VALEUR-VALEUR QUE TOI ! IL ÉTAIT PUISSANT, OBÉISSANT, BIENVEILLANT, ET TU L'AS LÂCHEMENT TUÉ SANS MÊME RESPECTER NOS TRADITIONS-TRADITIONS ! JE NE SAIS PAS CE QUI ME RETIENT DE TE DÉTRUIRE ICI-MAINTENANT !


Psody était à genoux par terre, tremblant jusqu'au bout de la queue, larmes aux yeux.


-        Je suis… tellement… désolé, ô Rat Cornu ! Que puis-je faire pour me rattraper ?

-        AH, TU VEUX TE RATTRAPER, GRAND BLASPHÉMATEUR ? TU VEUX TE RATTRAPER ? TU TE MOQUES DE MOI ?

-        Jamais-jamais, ô puissant-sublime-magnifique lumière de ma misérable existence ! Je t'en supplie ! Donne-moi une dernière chance !


Le Rat Cornu s'immobilisa. Il pencha la tête en avant vers le Maître Mage. Sa bave crépita sur le tapis.


-        UNE DERNIÈRE CHANCE…

-        Je sais combien tu es généreux-magnanime envers tes fidèles, ô Rat Cornu ! Laisse-moi te prouver que j'en suis un !


La divinité secoua lentement la tête, et un sourire cruel étira son faciès.


-        JE SUIS EN EFFET MAGNANIME. JE VEUX BIEN T'ACCORDER UNE DERNIÈRE CHANCE, PSODY. JE PEUX TE FAIRE REVENIR DANS UNE COLONIE, OÙ TU POURRAS REPRENDRE TA PLACE.

-        Je le savais ! Merci, ô grand-clément Rat…

-        MAIS IL Y AURA DEUX CONDITIONS, PSODY ! coupa le Rat Cornu.

-        Lesquelles, ô mon dieu ?


Une fois encore, le Rat Cornu se redressa de toute sa hauteur.


-        TU VAS QUITTER CE ROYAUME. TU VAS RETOURNER DANS L'EMPIRE SOUTERRAIN AUQUEL TU APPARTIENS. ET UNE FOIS QUE TU SERAS REDEVENU UN VRAI PROPHÈTE GRIS, TU FERAS TOUT POUR DISSOUDRE CE... "ROYAUME DES RATS". LES CHOSES-HOMMES FUIRONT OÙ ELLES VOUDRONT, ET LES VRAIS SKAVENS DEVRONT TOUS RÉINTÉGRER L'EMPIRE SOUTERRAIN COMME ESCLAVES, OU MOURIR !


Psody avala sa salive. Le prix de son rachat lui parut vraiment élevé. Mais il restait encore un détail.


-        Et… l'autre condition, ô suprême-infinie grandeur divine ?

-        CETTE PONDEUSE N'A RIEN À FAIRE EN CE MONDE, PAS PLUS QUE LES CINQ REJETONS QU'ELLE A ÉJECTÉS DE SON VENTRE ! TOUS SONT LA PREUVE DE TA TRAHISON ET LE RÉSULTAT DE TON BLASPHÈME ! ALORS, SI TU VEUX REDEVENIR UN VRAI PROPHÈTE GRIS, TU VAS TOUS LES TUER !


Le cœur du Skaven Blanc se retrouva emprisonné dans un compresseur de glace.


-        Non ! Pas ça ! Pas ma famille-famille, pitié !


Tous les murs de la chapelle s'écroulèrent en même temps. L'homme-rat se jeta à terre. Quand il eut le courage de relever la tête, son pelage se hérissa quand il vit que la réalité même avait été fracassée. Tout autour de lui, ce n'était qu'un tourbillon de nuages de vapeur verts, des traînées de fumée qui formaient une spirale tourbillonnante autour de la maigre surface qui restait du carrelage de la chapelle.


Le Rat Cornu était devenu gargantuesque. Son corps était plongé dans le tourbillon, et seule sa tête émergeait encore pour être pile à la hauteur du Maître Mage. Le Rat Cornu ouvrit ses mâchoires, révélant des crocs luisants de bave, et une bouche si grande qu'elle pouvait gober le malheureux Skaven Blanc sans le mâcher.


-        AUCUNE PITIÉ, PSODY ! TU VAS ARRACHER-MANGER LE COEUR DE CHACUN D'ENTRE EUX, OU BIEN C'EST MOI QUI TE MANGERAI !


Psody ne parvint qu'à pousser un gémissement désespéré. Il se recroquevilla sur le fragment de plancher, enfouit sa tête dans ses mains, et ne bougea plus. Il entendit une dernière fois la voix de l'apparition lui dire :


-        JE T'ACCORDE UNE LUNE, PSODY LE PROPHÈTE GRIS. PENDANT CE LAPS DE TEMPS, TU VAS TE DÉBARRASSER DE TA PROGÉNITURE ET LA FEMELLE QUI LES A FABRIQUÉS, PUIS TU VAS DÉTRUIRE TOUTES LES VILLES OÙ LES FILS DU RAT CORNU VIVENT AVEC LES CHOSES-HOMMES. SEULS LES SKAVENS RESTERONT EN VIE, ET HONORERONT NOTRE SEUL ET UNIQUE DIEU. MAIS SI TON ROYAUME DES RATS N'EST PAS DEVENU UNE CONTRÉE DIGNE DE L'EMPIRE SOUTERRAIN DANS UNE LUNE, ALORS JE FERAI PLEUVOIR DESSUS UN OURAGAN DE MALEPIERRE PENDANT MILLE SAISONS !

 

La tempête fit rage autour du Skaven Blanc. Il resta prostré, à sangloter doucement, jusqu’à ne plus rien entendre d’autre que ses propres gémissements.

 

Heike et Brisingr entrèrent dans la chapelle, et trouvèrent Psody dans la même posture. L’Elfe regarda à droite, à gauche, puis eut un sourire satisfait.

 

-         Vous pouvez vous relever, il est parti.

 

Les sanglots discrets se muèrent peu à peu en un rire qui s’amplifia quand le Skaven Blanc se releva. Heike se blottit contre lui, et tous deux rirent ensemble.

 

D’un pas assuré, Brisingr se dirigea vers l’un des coins de la chapelle. Il ramassa avec précaution un cristal posé par terre, et le contempla sous tous ses angles.

 

-         Maintenant, nous allons savoir qui est notre ennemi, et où il se cache !

 

*

 

Pendant le souper suivant, le Magister récapitula aux enfants ce qu’il avait fait. Ceux-ci n’avaient pas encore été mis dans la confidence.

 

-         J’ai placé quatre cristaux spéciaux dans les quatre coins de la salle de prière privée de votre père. Ce sont des morceaux de quartz vierge. Avec un traitement approprié, ces cristaux peuvent devenir extrêmement réceptifs aux vents de magie, et enregistrer la moindre empreinte. Lorsque notre ami Prospero est entré dans sa chapelle, il a fait mine d’invoquer son dieu. C’est là que notre petit farceur a décidé de passer à l’attaque. Il a envoyé une illusion de taille à votre père.

-         Qu’est-ce que tu as vu ? s’inquiéta Sigmund.

-         Un tour de passe-passe ridicule-grotesque, répondit Psody avec un petit rire. J’ai vu le Rat Cornu qui m’a menacé de me dévorer-avaler si je n’obéissais pas à ses ordres !

-         Et donc, à quoi servent vos cristaux ? demanda Bianka d’un ton neutre.

-         Quand notre proie a cru jouer les prédateurs avec ses artifices, les cristaux de quartz enchanté se sont imprégnés des vents de magie nécessaires à la création de l’illusion. Votre père a tout fait pour gagner le plus de temps possible, car plus le sortilège durait longtemps, plus les cristaux étaient marqués. Après des menaces d’une banalité affligeante, l’illusion s’est dissipée. J’ai récupéré les quatre cristaux de quartz.

-         Et vous allez pouvoir les exploiter ? demanda le Skaven Noir.

-         Oui, jeune homme ! Idéalement, j’aurais eu besoin d’une heure entière, mais les résultats de quatre cristaux combinés feront l’affaire. Il va me falloir quelques heures de calculs, mais normalement, demain soir au plus tard, je devrais pouvoir déterminer avec précision le point d’origine de ces effluves de magie !

-         Et c’est quelle magie ? murmura la petite voix d’Isolde.

-         Une magie qui sent très mauvais, mon enfant ! Je n’ai pas réussi à déterminer précisément laquelle, mais il est évident qu’elle est chargée de malepierre !

-         C’est une magie de Skaven Sauvage, alors ?

-         J’en suis pratiquement sûr, Siggy, répondit Psody. J’ai moi-même regardé ces cristaux. Je ne saurai pas faire les mêmes calculs que Maître Mainsûre, mais j’ai reconnu l’odeur. Il y a de la magie Warp, mais il y a aussi autre chose. Je ne saurais pas dire quoi.

-         Ah bon ? Pourtant, tu as manié la magie Warp ? s’étonna Heike.

-         Oui, mon cœur, mais il existe d’autres formes de magie dans l’Empire Souterrain, et comme je ne les ai jamais pratiquées, je ne saurais pas les reconnaître-identifier avec certitude.

-         Espérons que ce ne soit pas une nouvelle forme de magie ? soupira Bianka.

-         Raison de plus pour arrêter-neutraliser ce Prophète Gris ! J’avoue qu’il m’a fait vraiment peur un instant : il veut que je tue tous les membres de ma famille !

 

Les trois enfants à table se regardèrent avec inquiétude.

 

-         Ah… Réflexion faite, je ne suis pas sûre d’être impatiente de te voir aller jusque-là, Père.

-         Le seul Skaven que je vais tuer, c’est ce petit salopiaud ! Et contrairement à lui, je ne vais pas attendre une lune pour le retrouver !

 

Maître Mainsûre s’adressa au Prince.

 

-         Je ne sais pas encore précisément où se trouve notre oiseau, mais je peux déjà vous affirmer que sa magie vient du nord. Votre Altesse, je préconise d’utiliser maintenant vos meilleurs pigeons voyageurs.

-         Il faut rappeler Kristofferson, déclara Psody. Son aide nous sera précieuse.

-         Ce sera fait. Qui d’autre, Maître Mage ?

 

La bouche de l’Elfe se plissa en un rictus ironique.

 

-         Vos meilleurs amis à ce jour !

Laisser un commentaire ?