Le Royaume des Rats
Chapitre 109 : Quel avenir pour Vereinbarung ?
6993 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 23/09/2025 16:39
Dans le plus grand parc du Quartier de la Balance, la fête en l’honneur des héros de Vereinbarung se terminait avec l’après-midi. Le soleil commençait à se coucher, et la plupart des invités étaient déjà rentrés chez eux. Mais pour Kristofferson, l’heure du départ était venue bien trop vite. Il marchait d’un pas vif aux côtés de Marjan. Celle-ci n’était plus qu’à quelques yards de la grille d’entrée.
- Pourquoi se presser autant ? On fête la victoire, mon amie ! Ta victoire, entre autres !
- Oui, et j’en suis touchée, mais les mondanités de ce genre, ce n’est vraiment pas mon truc. La cérémonie est terminée, et j’ai assez profité de la fête. Nous repartons vers le Cathay, et cette fois pour de bon. Cinq heures viennent de sonner, si nous quittons la ville maintenant, nous serons au relais avant la tombée de la nuit.
- Vous serez absent pendant des années ! T’es sûre que tu ne veux pas rester encore un peu ?
- Non. Plus tôt on partira, moins ce sera difficile, et mieux ce sera.
Kristofferson baissa la tête, et ses oreilles se rabattirent. La jeune femme le sentit dépité.
- Hé, pas de raison que ça ne se passe pas bien ! On va juste prendre quelques témoignages. Nos gars sont assez nombreux, on n’aura pas à craindre les assauts de bandits. Ce petit cornichon de Karhi nous a fait perdre assez de temps comme ça. On aurait dû partir depuis longtemps, on l’aurait fait si ton grand-père n’avait pas insisté pour me décorer publiquement. Il faut qu’on y aille, notre mission est vraiment importante !
- J’aurais tellement voulu partir avec vous.
- Tu sais que ce n’est pas possible, Kit ! Le numéro des Skavens en cage, ça a marché dans l’Empire, mais les habitants de ces pays n’ont pas les mêmes mœurs, ni les mêmes lois. Tout ce que nous savons, c’est qu’ils détestent les Skavens autant que les Impériaux. Comme notre mission est diplomatique, nous ne pouvons pas prendre le risque de tout faire capoter !
- Comment comptez-vous explorer les terriers Skavens Sauvages sans nous ?
- On va surtout consulter les écrits des temples, les faire traduire, ce genre de chose. Et toi, tu as bien mieux à faire ici que crapahuter à l’autre bout du monde.
Le Skaven brun fit un pas vers la jeune femme.
- Peu importe où je vais, tant que c’est avec toi et Jochen.
Marjan poussa un petit soupir, et se passa une main dans les cheveux.
- Rappelle-toi que ta mère attend un enfant. Quand il sera né, elle comptera sur toi, encore plus qu’avant, pour t’impliquer dans la gestion du royaume. Sigmund va voyager de caserne en caserne, ce sera à toi d’assister ton père, au moins pour un temps.
- Oui… tu as raison.
- Allez, tout ira bien, je te dis. Je dois y aller, je n’ai pas envie de faire attendre Jochen.
Kristofferson prit alors délicatement les mains de l’Humaine entre ses doigts duveteux.
- Marjan, je…
- Oui ?
Le jeune homme-rat la regarda dans les yeux, et murmura :
- Fais bien attention à toi, surtout.
Puis il tourna les talons, et repartit vers le centre du parc. La voix de Marjan le rappela :
- Kit !
Il se retourna mollement. La jeune femme se jeta contre lui et le serra dans ses bras.
- Et toi, veille bien sur ta famille !
- Je le ferai.
Ils relâchèrent leur étreinte. Le Skaven sentit son cœur se serrer quand il vit que la grande Humaine avait les larmes aux yeux.
- Chaque mois, j’enverrai un rapport à ton grand-père. Je te promets que je joindrai un courrier rien que pour toi, d’accord ?
- Je répondrai à chacune de tes lettres.
Ils restèrent à se regarder, face à face, mains dans les mains, puis Marjan s’éloigna, tourna des talons et quitta les lieux sans regarder derrière elle.
D’autres invités quittaient les lieux par grappes. Ce fut au tour de Gabriel de voir partir une amie chère. En effet, il était temps pour Branwen de regagner le temple de Taal et Rhya. Ils marchaient côte à côte vers la sortie, Mère Luanne les suivait placidement.
- Tu viendras me voir au temple, hein, Gab ?
- Oui, bien sûr, répondit maladroitement le petit Skaven gris clair.
La petite jeune fille fit une grimace de reproche.
- Tu vas pas passer tes journées à travailler sur tes inventions, hein ? Des fois, faut bien prendre l’air !
- Euh… peut-être, oui, tu as raison.
- Tes inventions sont super, mais faut pas négliger Mère Nature, non plus !
Gabriel voulut se ressaisir. Autant il désirait rester courtois avec une représentante du beau sexe, autant il était intransigeant lorsqu’il s’agissait de parler science. Aussi prit-il le risque de lui répondre :
- Et si tu venais dans mon laboratoire, de temps en temps ? Peut-être que tu pourrais devenir mon assistante ? Et quand je serai Maître Ingénieur, tu pourras diriger une de mes équipes ?
La réaction de Branwen ne fut pas longue à se produire.
- Beurk ! Toute la journée enfermée dans une pièce pleine de machines bruyantes, de fumée et d’étincelles ! J’aime regarder tes inventions, mais je ne veux pas me séparer des plantes et des animaux !
Elle ponctua son argument d’une bourrade qu’elle voulut amicale, à laquelle Gabriel n’osa pas répliquer. Quand ils arrivèrent à la grille, Branwen fit une accolade bien campagnarde à Gabriel, et fit claquer un gros baiser sur sa joue, avant de le quitter aux côtés de Mère Luanne. Le petit Skaven gris clair resta un long moment sur place, hébété, les pommettes en feu.
Les Finston furent parmi les derniers à rentrer au bercail. Psody, Heike et Gabriel, qui était revenu à la fête, raccompagnèrent les trois paysans jusqu’à une charrette sur laquelle Nedland attendait en sifflotant. Heike expliquait aux parents :
- Notre homme de confiance va vous emmener jusqu’à la caserne. Là, une escorte se joindra à vous, et vous pourrez retourner à Hemsbach en toute sécurité. Ce serait quand même dommage de subir une attaque de brigands alors que vous êtes réunis après une telle épreuve, vous ne croyez pas ?
- La bénédiction d’Rhya soit sur vous, Dame Heike, répondit Erika. Votr’ générosité a pas d’limite !
Le Skaven Blanc s’adressa à Gustavus.
- Bien, à présent, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de vivre tous ensemble une vie très longue-heureuse. Et n’oubliez pas que je serai toujours présent si Emil a besoin de réponses.
- Au r’voir, Maitr’Mage, répondit avec humilité le brave paysan.
- Que Taal et Rhya vous bénissent, mon bon seigneur ! ajouta sa femme.
La femme-rate fit un clin d’œil à Gabriel.
- J’crois qu’y a quelqu’un qui veut t’saluer, Gabriel.
Elle souleva précautionneusement Emil du panier dans lequel il était allongé, et le présenta à Gabriel. Le petit raton geignit de protestation, mais se calma quand il vit le Skaven gris clair devant lui.
Gabriel, hésitant, murmura juste :
- Au revoir, Emil. Deviens un magicien pour faire le bien, surtout !
- On f’ra tout pour ça, répondit Erika avec bienveillance.
Sans savoir pourquoi, Gabriel tendit l’index et tapota le museau du bébé. Alors, Emil lui saisit le doigt, le regarda fixement d’un air très concentré, et babilla :
- Ab’ ! Ab’ !
- T’as entendu ? Il a dit « Gab » ! Y s’rappelle ton nom ! s’exclama Gustavus en éclatant de rire.
Le petit Skaven gris clair sourit malgré lui. Tout le monde se salua une dernière fois, puis les jeunes parents embarquèrent sur la charrette, et repartirent vers leur vie ordinaire.
*
Gabriel était déjà profondément endormi. Heike sourit en voyant qu’il avait toujours la lourde médaille autour du cou. Elle ferma doucement la porte de la chambre, et retrouva son mari et son père dans le cabinet de ce dernier.
Psody était accoudé à la fenêtre, et regardait rêveusement Mannslieb qui brillait d’un éclat d’argent dans le ciel étoilé. Le Prince, installé au bureau, finissait d’écrire une correspondance. La voix de sa fille lui fit relever les yeux.
- Je vous remercie, Père. Cette cérémonie était une idée merveilleuse. Non seulement cela a rendu le sourire au peuple, mais en plus, je n’avais jamais vu Gabriel aussi heureux de toute sa vie !
- En fait, mon trésor, c’était l’idée de ton mari. Nous aurions pu remettre les décorations dans un cadre plus formel, mais il a proposé de faire quelque chose de vraiment festif, pour les raisons que tu as énoncées.
- C’est vrai ? Alors, c’était une magnifique idée, mon amour !
Psody tourna la tête vers son épouse. Celle-ci eut un coup au cœur quand elle vit son expression lasse et désabusée, bien loin de la réjouissance qu’il aurait dû partager.
- J’ai tenté de me rattraper, au moins un peu. J’ai brisé le rêve d’un de mes garçons. Autant exaucer celui d’un autre, pendant que c’était possible. Gabriel avait besoin de reconnaissance, on a pu la lui donner.
- Ne t’en fais pas, mon petit. On trouvera bien un compromis pour Sigmund.
- J’approuve-apprécie votre optimisme, Père, mais je vous avoue que je ne vois pas trop comment ?
- Nous avons le temps d’y réfléchir, maintenant. Il pourrait… je ne sais pas, moi. Au moins rendre visite à Gottfried de temps à autre. L’aider financièrement, afin qu’il ait un précepteur, ou qu’il puisse fréquenter les cours du temple de Verena de son village. Et puis, par la suite, on verra comment vont les choses. Quand Gottfried sera un peu plus grand, il pourra être son aide de camp, quelque chose comme ça, ou toute autre profession qui pourra le mettre en contact avec Sigmund. Enfin, si tel est son souhait, bien sûr. Autrement, Sigmund pourrait tout simplement l’aider à faire ce qu’il souhaite faire. Nous verrons bien. Ne vous en faites pas, mes enfants. Ludwig Steiner fait toujours tout pour contenter tout le monde.
Heike poussa un soupir de soulagement.
- Eh bien, entre la jalousie de Gabriel, l’envie de Sigmund, la rancune de Vaucanson, la perfidie de Yavandir et la rage de conquête de Karhi, on peut dire que cette saison aura été riche en émotions fortes !
- C’est vrai. Mais d’une certaine façon, ce conflit nous a permis de faire le ménage, aussi bien dans le royaume que dans notre famille. Désormais, tout va aller mieux.
- Pour la famille, je suis d’accord, Père, mais en ce qui concerne le royaume, ce n’est peut-être pas si facile-simple.
- Que veux-tu dire ?
Le Skaven Blanc se mordit la lèvre.
- Depuis qu’on a arrêté ces fanatiques de la Main Pourpre, j’ai cette question qui tourne régulièrement en rond dans ma tête : quel avenir pour Vereinbarung ? Par moments, j’aimerais penser que tout ceci n’était qu’un rêve-leurre. Nous avons tous été soumis à de rudes coups de pression. Pas seulement notre famille, mais aussi les citoyens de Vereinbarung. Il y a eu des mots durs-durs, et des gestes aussi durs. Bianka, Gabriel, Sigmund, mais aussi leurs amis, des collaborateurs, d’autres personnes… J’ai senti comme une sorte de vent désagréable énerver-échauffer tout le monde, ces dernières semaines. Ce serait tellement simple si ce climat désagréable, cette mauvaise humeur montante, ces haussements de ton, n’étaient tous que le fruit d’une malédiction lancée par Karhi ou par la Main Pourpre, une malédiction qui se serait évanouie-dissipée maintenant qu’ils sont tous hors d’état de nuire. J’aimerais me promener dans les rues de Steinerburg demain, et voir tous les citoyens heureux-prospères. Hélas, ça ne marche pas comme ça. Rendre son optimisme au Royaume des Rats risque d’être une tâche harassante-compliquée.
- Hum… « Harassante », probablement, « compliquée », il y a de grandes chances, mais « impossible », non. Que ce soit dans un cercle familial ou pour tout un peuple, tous les conflits peuvent être arrangés, pour peu que chacun y mette du sien.
Le Prince bourra sa pipe, l’alluma, et tira quelques bouffées.
- Et d’ailleurs, puisque nous parlons de ça… je suis peut-être en train de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais j’ai une suggestion concernant votre plus jeune fils.
- Quoi donc, Père ?
- On pourrait lui demander d’avoir quelques responsabilités par rapport au bébé à venir, juste ce qu’il faut pour qu’il se sente important, qui soit à sa portée, pour qu’il ait conscience de son rôle de grand frère et qu’il le remplisse. Et surtout, créer un lien entre eux. Ce qu’il a fait vis-à-vis d’Emil, ce serait merveilleux qu’il fasse de même avec le petit nouveau. Montrons-lui qu’on compte sur lui.
- Nous tâcherons de lui en parler avant le grand jour, répondit Heike. Psody, qu’est-ce que tu en penses ?
Comme elle n’entendit pas de réponse, elle lui tapota l’épaule.
- Mon amour ?
- Oh, désolé pardon, je pensais à quelque chose qui me chiffonne un peu.
- Quoi donc ?
- Ça ne colle pas.
- Qu’est-ce qui ne colle pas ?
La mère-rate frissonna en voyant une étincelle inquiète dans l’œil rose de son compagnon.
- Va t’installer dans le Salon des Murmures, je vais chercher Bianka et ses grands frères. Père, vous pouvez nous y rejoindre ?
*
Lettre de Kristofferson Steiner, Steinerburg, à Sœur Carolina Kuhlmann, temple de Shallya de Wüstengrenze,
Aubentag 9 Brauzeit 2530,
Ma chère amie,
J’aimerais te remercier d’avoir accepté de me prêter ton oreille et ton épaule ces dernières semaines. Comme tu as dû le penser au fur et à mesure de notre correspondance, la situation à la capitale s’est considérablement tendue, jusqu’à l’explosion. Heureusement, l’explosion n’a pas été celle de notre Royaume, ni de ma famille, mais celle des méchants. Notre ennemi a été un Archidémon du Dieu Tzeentch qui a utilisé ses pions pour pouvoir pénétrer notre réalité et y répandre le chaos et les mutations en pagaille. Nous avons eu des pertes, mais nous nous sommes montrés plus forts et plus déterminés encore que ces fanatiques. Et si quelques-uns de mes frères d’armes sont malheureusement tombés au combat, je n’ai aucune perte à déplorer dans ma famille et parmi mes meilleurs amis, Verena soit louée.
L’information n’a probablement pas encore eu le temps de circuler à travers tout Vereinbarung, mais les nouvelles sont parvenues aux grandes villes, et je suppose que tu sais déjà que mon père est vivant.
Tout ceci n’était qu’un coup monté pour encourager les conspirateurs de Tzeentch à sortir de l’ombre pour passer à l’action, une action que nous avons su contenir juste à temps. La rumeur va se répandre comme quoi c’était une machination pour préserver la couronne, mais je tiens à ce que tu saches ceci par ma main.
Avant d’aller plus loin, je tiens à te préciser que je n’ai pas été complice de ce mensonge. Tu me connais, je ne suis pas du genre à cacher la vérité, surtout pas à une de mes meilleures amies. Si j’avais été dans la confidence, j’aurais reconnu t’avoir raconté des choses fausses ici dans cette lettre. Mais nous avons tous été pris au dépourvu. Moi, mes frères, mes sœurs… Ma mère, mon grand-père, les Jumeaux Gottlieb, Nedland Grangecoq, le Magister Vigilant Brisingr Mainsûre et le Prieur Romulus étaient au courant, mais ils ont choisi de nous cacher ses informations, à mes frères, mes sœurs, et moi. Ce n’était pas dans un but malveillant, ils ont cherché à nous protéger le plus possible. Mon père mort, les sectaires de la Main Pourpre ont cru pouvoir agir selon leur plan, alors qu’ils ne faisaient qu’exécuter celui mené discrètement par le Prince.
Enfin… Tout est terminé, nous venons de fêter l’événement. Mes deux frères ont été décorés, ainsi que le capitaine Weller, et Marjan Gottlieb. La paix est déjà en train de revenir à Steinerburg, d’ici quelques mois, il ne restera plus que quelques cicatrices que le temps finira d’estomper.
Je te l’avoue, ç’a été très difficile pour moi, aussi, même si je ne souhaite pas le reconnaître publiquement, j’aurais l’air d’un faible. D’autant plus que je ne suis pas celui qui a le plus souffert. Bon, ce n’est pas une compétition et je ne compterai pas les points, mais je suis à peu près sûr que chaque membre de ma famille a encaissé sa part de douleur. Heureusement, aucun d’entre nous n’a été définitivement renversé, et avec le temps, tout rentrera dans l’ordre parmi nous. Mais j’insiste : sans tes courriers encourageants et bienveillants, je n’aurais pas tenu le coup. En tout cas, pas aussi bien que je pense l’avoir fait.
J’aimerais surtout te remercier d’avoir joué le rôle de « confidente de cœur ». Maintenant, je le sais, j’en suis sûr : je sais exactement quel type de femme me fait tourner la tête. Il me faut une femme forte, loyale, juste et sans pitié inutile. Une femme qui s’avèrerait bien plus désirable sur un champ de bataille qu’au cours d’une soirée dansante, même si l’un n’empêche
- Kit ?
La voix du Skaven Blanc tira le jeune homme-rat de sa rédaction. Il reposa sa plume dans l’encrier.
- Oui, Père ?
- Tu veux bien venir avec moi ? Il y a quelque chose dont je souhaite m’entretenir avec les autres.
Docilement, le Skaven brun suivit son père. Ils furent rejoints par Bianka et Sigmund, les deux plus petits étaient déjà au lit et un peu trop jeunes pour la conversation qui allait suivre dans le Salon des Murmures. En entrant, ils croisèrent un serviteur qui venait d’apporter sur ordre du monarque un plateau avec une cafetière et suffisamment de tasses pour tout le monde.
Une fois les cinq Skavens et le Prince installés à table, le maître mage parla ainsi :
- Quand j’ai quitté Brissuc, Vellux n’avait pas été chez les reproductrices depuis très longtemps. S’il s’est accouplé après mon départ pour avoir des descendants à qui transmettre-enseigner son savoir, il n’a pas eu le temps de les élever – tout au plus a-t-il pu leur donner un nom à chacun. Il s’est passé environ six mois entre ma fuite et sa mort-disparition. Si vraiment Iapoch et Karhi étaient les fils de Vellux, ils n’ont pas été assez longtemps avec leur père pour bien le connaître, et apprendre à utiliser les flux de magie.
- Iapoch te l’avait reproché, rappela Kit.
- Ouaip, mais surtout, j’ai senti qu’il y avait autre chose. Même si je ne la pratique plus depuis des années, je suis toujours capable-capable de reconnaître la magie du Warp. Or, ce que j’ai vu, ce n’était pas cette magie-là. Ce n’est pas celle que m’a enseignée Vellux.
Pendant leur échange, Bianka servit le café à son grand-père, puis aux autres.
- Quelle magie maîtrisaient-ils, mon fils ?
- Père, c’était la magie du Clan Pestilens. Iapoch avait les jambes pourries, le ventre de Karhi était rongé par la maladie. Il est impossible d’apprendre-utiliser cette magie sans en payer le prix : les traces sur votre corps.
- Donc, leur mentor n’est pas un Skaven Blanc ? récapitula Bianka.
- Non, ma chérie. Vraiment, je pense que ces deux lascars ont été dressés par quelqu’un d’autre qui n’est sans doute pas un Prophète Gris.
- Alors, qui ce serait ? demanda Sigmund.
- Aucune idée, mon grand.
- Y avait-il un autre Skaven qui pratiquait la magie, à Brissuc ? demanda le Prince.
Alors qu’elle allait remplir la tasse d’Heike, Bianka suspendit son geste après un petit hochement négatif de tête de sa mère. Psody se tourna vers son père adoptif.
- Le seul qui pouvait utiliser la magie à Brissuc sans être un élu-élu du Rat Cornu était le Diacre de la Peste Soum.
- Ça pourrait être lui, alors !
- Impossible, Kit. Nous savons qu’il est déjà mort-mort. Nedland et Hallbjörn l’ont brûlé devant nous à Gottliebschloss.
- Pas de sorcier du Clan Eshin ?
- Non, Père. Je sais qu’ils sont plutôt rares, et on ne les trouve pas dans les petits terriers comme Brissuc, encore moins quand celui-ci est dominé-dirigé par les Pestilens. Non, c’est encore quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui a engagé Tweezil du Clan Eshin, et qui a loué des mercenaires Humains pour évacuer les ratons et les cacher avant de les revendre à Karhi.
Heike sentit son cœur se serrer quand elle entendit le nom de la Grande Cape.
- Tweezil, c’est cet horrible assassin aux yeux noirs ?
- Oui, mon amour. Il s’est enfui après la bataille de Gottliebschloss, et c’est tout le contraire d’un imbécile-idiot, il peut très bien avoir trouvé un autre terrier où assassiner. D’ailleurs, c’est probablement lui qui a incité Karhi à me voler mon masque par l’intermédiaire de Yavandir, il en connaissait l’existence-existence. La question demeure, néanmoins-cependant : qui a élevé ces deux Skavens Blancs ? Qui les a montés contre moi-nous ?
Le Skaven Blanc regarda tous les membres de sa famille, l’un après l’autre, avant de continuer.
- À Brissuc, Vellux avait le pouvoir. J’étais le deuxième dirigeant. Après, il y avait Soum, Tweezil, Furghân, Mabrukk, et Skilit. Nous savons que Mabrukk, Soum et Skilit sont morts à Gottliebschloss. Je n’ai pas vu Furghân parmi les morts-morts à Gottliebschloss, par contre. C’est peut-être lui ?
- Pourquoi pas Tweezil ?
- Non, Heike. Même si cette Grande Cape est encore en vie, je ne la crois pas capable-capable de diriger un terrier. Tweezil est juste un exécutant. Un excellent exécutant, certes-certes, mais il reste un exécutant, pas un dirigeant. Et pourtant… il faut bien quelqu’un pour mettre en place tout ce plan, et avoir élevé deux Skavens Blancs. Et si ça se trouve, ce quelqu’un est en train d’ourdir un nouveau complot ? Quoi qu’il en soit, ce qui s’est passé ces six derniers mois, c’est en partie de ma faute.
- Ne dis pas de conneries, Père ! cracha Sigmund.
- C’est moi qu’ils voulaient atteindre, Siggy.
Steiner poussa un profond soupir de réflexion.
- Bien. Il faudra nous montrer prudents, à l’avenir. Mais pour l’heure, nous devrions relâcher la pression. Ces bandits de Skavens Blancs sont morts tous les deux, leurs troupes sont dispersées, et tu ne les as pas délibérément attirés à nous, mon fils. Et l’union des Humains et des Skavens s’est montrée plus efficace que ces manigances odieuses. Vereinbarung a gagné.
Bianka murmura d’une voix un peu hésitante :
- Et… Opa, comptez-vous retrouver… notre tante ?
- Garog a-t-il seulement dit la vérité ? répondit le Prince.
- Il avait l’air sûr de ce qu’il disait, expliqua Psody. Je ne crois pas que ce benêt soit assez doué pour jouer la comédie ou me mentir, surtout sous la menace d’être écrasé-broyé par des mains de pierre géantes. Le problème est que je n’ai aucun autre indice ; elle n’a pas de nom, et sans doute pas de personnalité. Elle peut être n’importe où dans l’Empire Souterrain, ou ailleurs. Si des Humains l’ont achetée il y a six ans, qui sait où ils l’auraient emmenée ? D’ailleurs, puisqu’elle a mon âge, il n’est même pas sûr-certain qu’elle soit encore de ce monde.
- Les filles des terriers vivent en moyenne une demi-douzaine d’années, rappela Bianka. Elle aurait dix ans aujourd’hui.
- Pour un Skaven Sauvage, ça commence à faire beaucoup, en effet, observa le Prince. Pour une pondeuse, ça me paraît surréaliste. Je ne sais pas si c’est une bonne idée de vouloir la retrouver ?
- J’ai bien peur-peur d’être de votre avis, Père.
- On ne peut pas abandonner quelqu’un de notre sang comme ça ! s’exclama Sigmund.
- On ne sait même pas par où commencer ! rétorqua le Prince. Si on avait une piste, ou mieux une preuve qu’elle soit vivante, je lancerais une expédition, mais on n’a rien de tout ça !
Le Skaven Noir insista.
- Père, tu ne pourrais pas la retrouver, avec tes pouvoirs ?
- Non, hélas. Je ne peux sentir que les Skavens Blancs.
- Et si elle était Blanche ? supposa Bianka.
- Oh, ça n’est jamais arrivé, ma chérie.
- Oui, mais ça ne veut pas dire que ça n’arrivera jamais, non ?
Psody haussa les épaules.
- De toute façon-façon, ça ne change rien. Il me faudrait une touffe de poils, une odeur, un premier contact pour créer un lien. Or, je n’ai jamais été en contact avec elle. Dès sa sortie du flanc de notre pondeuse, elle a été mise dans une pouponnière spéciale réservée aux femelles, ça ne m’a pas laissé le temps de la connaître.
Kristofferson claqua du doigt et leva l’index.
- Iapoch ne te connaissait pas, et pourtant il t’avait bien parlé, non ?
- Il avait d’abord profité d’une perturbation de mon esprit, puis il a renforcé son emprise grâce à un de mes vêtements volé par l’intermédiaire de Schmetterling, je te rappelle.
- Une perturbation ? répéta Sigmund.
- Oui, quand nous sommes rentrés de notre dernière Récolte. Rappelle-toi, j’ai vécu un moment que j’avais déjà vu en vision, quand nous sommes arrivés à Vereinbarung – je m’étais vu en train de parler à Gabriel. Iapoch me guettait depuis quelque temps, il a sauté sur l’occasion. Pour cette… ta tante, je ne peux malheureusement rien faire à cette heure. Non, vraiment, je crois qu’il vaut mieux renoncer. Je suis d’accord avec vous, Père : si j’avais un moyen concret-concret de retrouver cette sœur, je partirais à son secours tout de suite.
- Nous le savons, Père, assura Bianka.
Le Skaven Blanc avala sa salive, et s’adressa à sa fille.
- Autre chose me dérange-perturbe, ma chérie : même si elle est encore vivante-vivante, si nous la retrouvons, nous ne pourrons probablement pas la sauver. À mon avis, elle n’aura aucune conscience de nos liens de sang, et le seul réconfort que je pourrais lui apporter, c’est le repos de la mort. C’est dur, mais il vaut mieux ne plus y penser. Si quelqu’un nous apporte un nouvel élément, on s’en occupera. D’ici là, continuons à gérer le Royaume des Rats au lieu de nous torturer avec des suppositions-interrogations.
- Tu as parfaitement raison, mon petit. Je n’aurais pas dit mieux !
Kristofferson secoua la tête.
- Je repense à Wally. Le pauvre, il ne méritait pas ça.
- Jamais je ne l’ai obligé à quitter ses fonctions, Kit, rappela le Prince. Il est le seul artisan de son malheur.
- Comment auriez-vous réagi à sa place, Opa ?
- Du temps où j’étais commerçant, j’ai moi-même subi des trahisons de ce genre. Pas par mon père, je te l’accorde, mais par des cousins qui avaient pourtant toute mon estime. Un Capitaine de la Garde se doit de garder la tête sur les épaules dans ce genre de péripétie, autrement il n’est pas digne de son rang. Même après son « coup d’éclat », j’aurais été disposé à garder Walter à son poste, il a choisi de le quitter.
- Peut-être qu’il regrette son geste ? J’aimerais le croire, en tout cas.
- La prochaine fois que tu le verras, tu lui diras que la porte n’est pas définitivement verrouillée. Qu’il reconnaisse qu’il a fait démonstration d’un comportement indigne, je lui donnerai une chance de se racheter. S’il profite au mieux de cette chance, il reprendra sa place dans les hautes fonctions du Royaume. Il ne sera pas Capitaine de la Garde puisque j’ai accordé ce titre à Weller, mais on pourra toujours lui trouver un poste à sa mesure.
- Je lui répéterai vos paroles, Opa. En espérant qu’il accepte de les écouter.
- J’ose l’espérer, Walter Klingmann a la même intelligence que son père. Laissons-lui quelques jours encore, tu tenteras de lui parler dans une semaine.
- Je ferai selon vos consignes. Y a-t-il autre chose, Opa ?
- Non, rien.
- Père ?
- Non-non, j’en ai fini aussi.
Le grand homme fit un geste de la main :
- Tu peux donc disposer, Kit.
- Je vous souhaite une bonne nuit.
Le Skaven brun s’inclina, et quitta le salon d’un pas un peu pressé, talonné par sa sœur. Sigmund se leva à son tour.
- Vraiment, je suis soulagée que tout soit terminé, soupira Heike.
- Pourras-tu nous pardonner, ton mari et moi, après tout ce que nous avons fait ?
- Vous avez déjà mon pardon, Père. Pour moi, tout va pour le mieux.
- Et toi, Sigmund ?
Le Skaven Noir, qui était sur le seuil, resta muet quelques instants, puis il murmura :
- Il est encore trop tôt, Opa. Mais ça viendra. Un jour ou l’autre.
- Quand ?
Sigmund répondit avec un petit sourire :
- Vous m’avez appris la patience, non ? Appliquez vos leçons, et vous ne serez pas déçu.
Et le Skaven Noir quitta la pièce. Psody fit juste une petite moue, avec un hochement de tête.
- J’ai confiance-confiance.
Heike lui caressa la joue.
- Tu peux, mon chéri. Sigmund a son caractère, mais c’est un bon fils.
Elle posa une petite bise sur sa joue. Alors, comme elle se sentait mieux, elle se servit enfin une tasse de café noir bien chaud.
FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE
Filles et Fils du Rat Cornu,
Nous y voilà, c’est la fin de la deuxième partie, commencée il y a plus de quatre ans. J’espère que vous aurez apprécié autant que moi de voir ces personnages se débattre dans une intrigue démoniaque, lutter, pour finalement triompher, même si le prix est élevé.
Vous l’avez compris comme nos amis de Vereinbarung, l’histoire est loin d’être terminée, et d’autres menaces finiront par pointer leur vilain museau… mais ce ne sera pas pour tout de suite.
En effet, j’aimerais profiter de la coupure pour faire une petite parenthèse, et travailler sur une autre histoire qui me trotte en tête depuis un long moment. Vous saurez de quoi il s’agit en surveillant ma page d’histoires, car je la mettrai en ligne sur ce site aux côtés des autres, bien entendu.
Je ne vous révélerai pas ce que c’est précisément, vous le saurez en temps voulu, mais je peux toutefois vous révéler qu’il s’agira d’une histoire d’un style différent, qui prendra place dans un endroit sobrement appelé « Univers Zéro ».
Merci de votre fidélité, et Gloire au Rat Cornu !