L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 33 : "Je suis le seigneur du château"

6340 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 11:17

Tout était réglé. Il n’avait fallu que quelques dizaines de minutes aux Fils du Rat Cornu pour commettre un carnage. Bien sûr, les choses-hommes avaient résisté avec un acharnement aussi honorable qu’exaspérant, et les Skavens avaient essuyé plus de pertes que prévu. Mais personne n’avait la moindre chance de résister à la fureur légitime du Rat Cornu. Tous les Skavens survivants étaient rassemblés dans la cour. Ils couinèrent de joie au passage de leur chef, le Seigneur de Guerre Vodaj du Clan Skryre.

 

Le grand Skaven beige se conduisait comme s’il venait de devenir un Seigneur de la Ruine. Il paradait, faisait de grands sourires, bénissait la foule d’un petit geste de la main de temps à autre.

 

-         Le Rat Cornu est content-content de vous, Skavens de Treecil !

 

Vellux marchait à ses côtés. Sans oser le montrer, il fulminait de rage. Le Seigneur de Guerre se montrait de plus en plus arrogant, minimisait le rôle des Skavens de Brissuc, et pire encore, il se permettait de prétendre connaître la parole du dieu des Skavens, alors qu’il n’était pas un de ses élus ! Ce n’était pas seulement une grave insulte, c’était aussi un blasphème. Il était temps de remettre les choses au point.

 

-         Seigneur de Guerre Vodaj, vous avez raison, mais je vous prie de rester prudent dans vos paroles ! Le Rat Cornu parle directement à ses élus-élus, ceux qui portent sa marque. Est-ce que vous portez cette marque ?

 

Le grand Skaven tripota nerveusement sa moustache.

 

-         Hum… Oui, c’est vrai, Prophète Gris. C’est l’enthousiasme ! Je suis sûr-certain que votre présence a poussé le Rat Cornu à nous aider.

-         Il vous pardonne, Seigneur de Guerre.

 

Le Skryre tapota l’épaule du Skaven Blanc.

 

-         Et si nous restions ensemble ? Treecil n’a pas de Prophète Gris, et Brissuc n’a pas de Seigneur de Guerre digne de ce nom. En unissant nos forces, nous serons invincibles !

-         Excellente idée, puissant Vodaj.

 

Toutes les choses-hommes n’avaient pas été tuées. Celles qui restaient étaient rassemblées dans un coin de la cour, sous la menace des Vermines de Choc.

 

-         Esclaves ! Guerriers des Clans ! Ramenez les cages ici ! ordonna Vodaj.

 

Les Skavens désignés s’exécutèrent, et coururent vers le campement extérieur. Un quart d’heure plus tard, ils avaient traîné les lourdes cages de fer jusqu’à l’intérieur des remparts. Zowie et les autres Maîtres de Meute firent claquer les fouets, et enjoignirent les Humains à s’entasser à l’intérieur des cages.

 

Vellux et Vodaj assistèrent à la scène avec satisfaction, lorsqu’un petit Coureur d’Égout se planta devant eux.

 

-         Maître, maître ! Ô Prophète Gris ! Il reste quelques choses-hommes ! Cachées-retranchées dans la grande tour !

 

Le Skaven Blanc eut un coup de sang. Une seule personne pouvait être suffisamment maligne pour savoir où et quand se mettre à l’abri.

 

La chose-femme qui commande !

 

Il était temps de lui faire payer son arrogance. Soudain, il entendit Vodaj dire :

 

-         Ah oui ? Je vais les chercher !

 

Vellux en eut assez. C’était lui qui avait décidé d’attaquer ce château, de faire alliance avec Vodaj, il n’allait pas laisser ce prétentieux lui voler sa victoire et ses prisonniers ! Une fois encore, il dut faire appel à toute sa volonté pour ne rien laisser transparaître.

 

-         Seigneur Vodaj, pourquoi perdre votre temps avec ces futilités ? Je vais m’en occuper moi-même. Rassemblez-rassemblez vos guerriers, et laissez-moi vous décharger de cette besogne.

 

Une fois encore, le ton mielleux et les mimiques serviles du Skaven Blanc s’avérèrent convaincants. Le Seigneur de Guerre haussa les épaules.

 

-         Comme vous voudrez. Je vais demander à mes Skavens de rentrer les machines de guerre. Mabrukk ? Diassyon ?

 

Vellux supposa que les trois Skryre allaient passer quelque temps à réparer les véhicules. Il allait pouvoir mener les choses à sa façon. Il désigna trois Vermines de Choc parmi ses troupes.

 

-         Toi, toi et toi ! Venez avec moi, on va capturer la chose-femme !

 

 

Les dignitaires de Gottliebschloss étaient rassemblés dans la salle du trône, dont la porte était lourdement barricadée. Le régisseur Augustus Gessler, aidé des domestiques, avait poussé quelques-uns des meubles devant la seule issue. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. L’épouse du défunt seigneur Gottlieb restait droite et digne. Ses deux enfants, un garçon et une fille à l’aube de l’adolescence, étaient serrés contre elle. Elle tenait d’une poigne ferme un pistolet ouvragé. En dehors de la famille seigneuriale et d’elle-même, il ne restait que trois servantes dans la pièce. Les hommes avaient dû descendre se battre, aucun n’était revenu. Et maintenant, ils attendaient avec angoisse la suite des événements, ne sachant pas s’il restait des survivants dehors ou s’ils avaient déjà été dévorés.

 

Gessler avait effectué un court passage sur le toit, le temps de retrouver la dépouille calcinée du mage de métal, Helmut Kaufmann. Le spectacle de la cour débordant de ces hommes-bêtes à tête de rat lui avait été insupportable. Il n’avait rien dit à Dame Franzseska Gottlieb, il n’en avait pas eu le besoin ; son visage pâle comme la mort avait été suffisamment éloquent.

 

Tous sursautèrent en entendant une voix furibarde glapir derrière le bois de fer :

 

-         Rendez-vous, choses-hommes ! Ne m’obligez pas à venir vous chercher-prendre !

 

Personne ne bougea. Dame Franzseska leva la main et murmura :

 

-         Personne ne parle, personne ne bouge.

-         Dernière sommation ! cria l’homme-bête.

 

Le silence était oppressant, et étouffait presque les Humains. Quelque chose gratta à la porte. Dame Franzseska sentit la sueur glisser le long de ses pommettes. Cela ressemblait au bruit caractéristique des rats creusant dans le bois de la porte d’un garde-manger pour voler de la nourriture, en plus fort. Elle sentit ses enfants se blottir contre elle, tremblants de terreur.

 

Soudain, un coup terrible ébranla toute la pièce. La barricade vibra sous l’impact. L’une des servantes cria. Un deuxième coup plus violent retentit. Les gonds de la porte craquèrent au troisième choc. Les meubles s’avérèrent bien dérisoires contre la force irrésistible de la créature qui l’enfonça. Les enfants hurlèrent en voyant l’énorme homme-bête au pelage noir, de plus de six pieds de haut. Leur mère réagit rapidement. Elle brandit son pistolet vers l’agresseur, et lui tira une balle dans l’épaule. Le monstrueux homme-bête recula sous l’impact, et regarda le sang gicler de sa blessure. Il hurla, tapa du pied et sa bouche se mit à écumer. Gessler gémit de peur et courut se réfugier derrière le trône. La Dame Gottlieb se plaça devant ses deux enfants pour les protéger. L’homme-bête bondit vers elle, lorsqu’un éclair d’étincelles vertes le frappa à la tête, et le fit tomber à la renverse, juste devant ses pieds. Elle contempla avec stupeur le corps tressautant de l’homme-rat, puis elle releva les yeux, et son regard croisa celui de l’homme-rat blanc qui semblait être le chef. Deux autres hommes-rats noirs l’accompagnaient.

 

-         Alors, chose-femme, enfin je te vois de près.

-         Et je le regrette, homme-bête. Vous êtes encore plus hideux à cette distance.

-         Tu crois que je te trouve comment, pondeuse ?

-         Cela m’est égal, vous me dégoûterez toujours. Au moins, quand vous étiez dehors, je n’avais pas à supporter votre odeur nauséabonde !

 

Le Prophète Gris approcha lentement. Derrière lui, deux autres hommes-rats Noirs entrèrent à leur tour dans la chambre. Les deux petites choses-hommes se recroquevillèrent derrière leur mère.

 

Vellux regarda celle aux cheveux courts, et grimaça un affreux sourire.

 

-         Quels beaux rejetons-rejetons ! Je vais bien m’amuser avec !

 

La gifle surprit le Skaven Blanc. Aussitôt, les deux Skavens Noirs levèrent leur lance, prêts à s’en servir, mais le cornu leva les mains pour les arrêter dans leur geste. Sans paraître effrayée, la chose-femme cracha avec mépris :

 

-         Essayez seulement de les effleurer, vermine, et je vous arrache les yeux avec ces deux choses ridicules qui sortent de cette courge informe qui pousse sur vos épaules.

 

Le Skaven Blanc couina quelques syllabes. L’un des Skavens Noirs laissa tomber son arme, et sans hésiter, balança son poing directement dans l’estomac de la chose-femme. Elle tomba avec une quinte de toux, et les deux petits crièrent. Le Skaven Noir en saisit un dans chaque main par la gorge, et le deuxième flanqua la chose-femme sur son épaule. Tous redescendirent dans la cour, sous la direction du Prophète Gris.

 

La grande brute maintenait fermement Dame Franzseska en lui serrant la nuque de son bras musclé, mais l’Humaine pouvait cependant voir la situation. Les Skavens finissaient de parquer leurs prisonniers dans les cages qui avaient servi à transporter les animaux. Les rats géants pouvaient circuler librement à travers tout le domaine, et les rats-ogres étaient installés dans les écuries, où ils se régalaient avec les chevaux. Vellux conduisit les trois Humains jusqu’à une cage à part.

 

-         Tous vos esclaves seront enfermés en attendant qu’on leur trouve une utilité. Les plus forts seront nos esclaves, les plus faibles seront nos repas. Je devrais-pourrais en faire autant pour toi et tes petits, mais tu as plus de valeur que les choses-hommes ordinaires. Je vais vous garder précieusement.

 

Devant la porte barreaudée était assis un Skaven Noir. Il se releva prestement à l’approche du Skaven cornu, révélant une corpulence particulièrement impressionnante. Ce dernier cria dans sa direction quelques ordres. Le Skaven Noir ouvrit la cage. Les deux porteurs jetèrent les captifs à l’intérieur sans ménagement. Dame Franzseska entendit la voix du Skaven Blanc grincer :

 

-         Et bonne nuit, votre seigneurie !

 

Puis il partit d’un ignoble éclat de rire. La porte se referma dans un sinistre claquement de serrure. Le Skaven Blanc et ses deux comparses s’éloignèrent.

 

Les deux enfants se jetèrent dans les bras de leur mère. Celle-ci essaya tant bien que mal de les rassurer.

 

-         Oh, Mère, j’ai peur !

-         Pas d’inquiétude, Marjan. Restons calmes, s’ils voulaient nous tuer, ils l’auraient fait. Restez près de moi, tous les deux.

-         Mère… nous ne sommes pas seuls ! Regardez !

 

Dame Franzseska sentit qu’il y avait bien une autre présence dans la cage. Elle eut un léger sursaut en reconnaissant les traits caractéristiques de ces gens à tête de souris.

 

-         Les enfants, ne bougez pas.

 

L’Humaine crut se trouver dans une situation critique. Il n’y avait aucun moyen d’échapper à ce Skaven s’il décidait de se jeter sur eux, et le Skaven Noir n’aurait peut-être pas le temps de l’en empêcher. Elle regarda un peu mieux l’autre occupant de la cage, et fut étonnée de constater que celui-ci présentait des différences. Il portait une chemise de nuit finement ouvragée, très probablement de fabrication Humaine, qui était en relativement bon état, par rapport aux nippes des autres Skavens. Son poil semblait bien plus propre et ne sentait pas une odeur aussi forte et désagréable. Sa figure était bien moins crispée d’agressivité, ses dents moins longues, sa silhouette était plus fluette, et plus arrondie. Dame Franzseska comprit à qui elle avait affaire.

 

-         Une… fille ?

 

Et cette fille n’osait pas la regarder, trop occupée à sangloter discrètement dans son coin.

 

-         Elle a été mise en cage, pourtant c’est une des leurs ! C’est étrange !

-         Pauvre fille… Regardez comme elle pleure, Mère.

-         Mais pourquoi l’avoir enfermée ?

-         Je l’ignore, Jochen.

 

La fille-rate releva la tête, et répondit :

 

-         Pour que je serve d’appât.

 

Les trois Humains parurent stupéfaits. Dame Franzseska murmura :

 

-         Vous savez parler le reikspiel !

-         C’est même la seule langue que j’ai apprise. Je ne sais pas parler comme eux. Je suis née parmi eux, mais j’ai été élevée par les vôtres.

 

Elle se tourna vers Jochen.

 

-         Ils veulent m’utiliser pour capturer quelqu’un.

-         Mère, prenons garde ! Elle est peut-être de leur camp !

-         Je vous promets que non, jeune homme. J’ai aussi peur que vous.

-         Vous voulez nous soutirer des informations, je parie ! rétorqua l’adolescent.

-         Non, je suis vraiment leur prisonnière ! Je vous en prie, il faut me croire !

 

Dame Franzseska leva une main rassurante.

 

-         Je vous crois. Ces vauriens ne sont pas capables d’un plan aussi vicieux.

-         Comment pouvez-vous en être sûr, Mère ? demanda son fils.

-         Je me fie à mon intuition féminine.

-         Votre quoi ? s’étonna Marjan, sa fille.

-         Tu comprendras quand tu seras un peu plus grande.

-         Si on s’en sort un jour, marmonna Jochen.

-         Pas de défaitisme !

 

Marjan ne voulut pas voir une dispute. Elle demanda à la fille Skaven :

 

-         C’est quelqu’un qui tient à vous ?

-         Oui, et je tiens beaucoup à lui, moi aussi. Et j’ai très peur que le chef de ces Skavens… ne fasse quelque chose de vraiment affreux.

 

Dame Franzseska se força à reprendre courage. Elle s’avança, posa une main amicale sur le poignet d’Heike, et dit :

 

-         Gardons la foi, mon enfant. J’ai alerté les seigneurs des alentours lorsque mon mari a été assassiné par l’une de ces créatures. Ils sont sur leurs gardes. Quand ils verront que plus aucune nouvelle ne vient de ce château, mes voisins viendront.

-         Mère, il se passe quelque chose !

 

Les hommes-rats se massaient au pied du donjon, et avaient tous le museau tourné vers le sommet. Le grand Skaven beige à longues moustaches blanches se tenait sur la partie supérieure de la tour, et surplombait toute l’assemblée. Quelques mètres plus bas, le Skaven à cornes surveillait les alentours, appuyé au balcon de la salle du trône qui donnait sur la cour. Le chef allait parler. Dame Franzseska regretta de ne pas pouvoir comprendre le langage de ces hommes-bêtes.

 

 

Le Seigneur de Guerre Vodaj du Clan Skryre leva les mains vers le ciel, paumes tendues vers les hommes-rats.

 

-         Fils du Rat Cornu, cette nuit, grande nuit ! Grâce au Prophète Gris Vellux, le Rat Cornu a guidé nos pas vers ce château, et nous l’avons pris ! Vive le Rat Cornu !

-         Vive le Rat Cornu ! répondit la cantonade.

 

Le Maître Technomage Mabrukk vit que son maître, le Prophète Gris Vellux, n’avait pas l’air particulièrement heureux. Vodaj ne lui avait pas permis d’être à ses côtés pendant ce discours, et l’avait obligé à rester au niveau inférieur. Le Skaven Blanc ne paraissait pas non plus contrarié. En fait, tout ceci avait l’air de lui être complètement égal. L’autre continuait :

 

-         Ce n’est que la première étape vers notre suprême-ultime but !

-         Hourra !

-         D’autres terriers suivront notre exemple ! D’autres choses-hommes seront vaincues, d’autres châteaux deviendront des cités Skavens !

-         Bravo !

 

Les Skavens hurlaient et acclamaient le Seigneur Skryre. Celui-ci se sentait dans un état d’euphorie proche de ce qu’il éprouvait quand il sortait de la pouponnière de Treecil. Il eut alors une inspiration : juste derrière lui, un drapeau orné de symboles choses-hommes flottait légèrement au sommet d’un mât. Il braqua sa queue vers le rectangle de tissu, et envoya une petite flamme. Le drapeau fut consumé en un instant. Les cris de joie redoublèrent d’intensité devant cette insulte faite au peuple des choses-hommes tout entier. Vodaj serra les poings, les brandit en avant, et attendit. Quand le silence fut revenu, il beugla :

 

-         Le monde-monde des choses-hommes sera à nous ! Et désormais, cette bâtisse des choses-hommes est à moi !

-         Erreur ! glapit soudain Vellux.

 

Le Skaven beige baissa la tête vers le Prophète Gris, interloqué. Vellux leva la main gauche. Aussitôt, un coup de feu éclata. La balle de malepierre transperça le réservoir à carburant que le Seigneur de guerre Skryre portait toujours dans le dos. Un torrent de flammes vertes s’échappa du fond du cylindre métallique avec un sifflement strident. Vodaj se mit à hurler, de panique et de douleur, et à courir frénétiquement. Une violente explosion retentit, et le grand Skaven fut projeté vers les cieux, laissant derrière lui une longue traînée de fumée verte. Il ne monta bas bien haut. Très rapidement, il retomba comme une pierre, et alla s’écraser dans le fossé. Ses cris s’arrêtèrent définitivement quand il se retrouva empalé sur les pieux dressés dans la terre meuble. Son corps traversé par les longues pointes de bois eut encore quelques soubresauts nerveux, tandis que le résidu de carburant de malepierre s’écoula doucement sur sa fourrure.

 

Seul sur l’une des tourelles angulaires, Diassyon sifflait nonchalamment entre ses incisives. Il nettoya tranquillement son jezzail à malepierre – il savait par expérience que cette précaution augmentait la durée de vie de l’arme. Sa nouvelle lunette améliorée était vraiment d’une très grande efficacité. Vellux lui avait ordonné d’éliminer le seigneur Skryre à son signal. Cela n’avait pas dérangé le jeune Skaven brun, la notion de loyauté par Clan était bien relative chez les Fils du Rat Cornu, d’autant plus qu’il venait de liquider un dangereux rival aux Skryre de Brissuc.

 

Vellux sentit l’écume lui monter aux lèvres. Son cœur battit à tout rompre lorsqu’il s’écria :

 

-         Ce château est à moi ! Et maintenant, je suis votre maître ! Vous avez bien compris ? Je suis le seigneur du château ! Skavens de Treecil, si vous ne voulez pas subir la fureur-colère du Rat Cornu, vous allez tous m’obéir ! Et vous allez constituer mes premières troupes, celles qui me permettront d’aller à Skarogne la tête haute, et occuper la place qui me revient de droit au Conseil des Treize ! Gloire au Rat Cornu !

 

Les Skavens de Treecil ne répondirent rien, trop abasourdis par ce qu’ils venaient de voir. En revanche, les hommes-rats de Brissuc glapirent de plus belle. Vellux leur fit son plus dégoûtant sourire, et quitta le balcon.

 

Fermy, la Grande Dent de Treecil, sentit son pelage s’humidifier. Il jeta un coup d’œil furtif vers le porche de sortie, et fit quelques pas lentement dans cette direction.

 

-         Et où vas-vas-tu comme ça ? murmura une voix rauque derrière lui.

 

Le Skaven Noir sursauta en voyant Sémik.

 

-         Je… il faut que j’aille…

-         Nulle part, crotte de rat-ogre !

 

Deux Vermines de Choc saisirent Fermy par les bras. Sémik tenait dans sa main une hache, celle qu’on utilisait pour couper du bois. Cette vue fit monter chez l’autre une irrésistible panique, il répandit immédiatement un nuage invisible de musc.

 

-         Lâchez-moi ! Qu’est-ce que…

-         Mon chef a pris la place de ton chef, il est juste que je prenne ta place !

 

Le Skaven Noir se délecta en sentant les effluves de peur de son rival. L’infortuné essayait bien de se débattre, mais les deux Vermines de Choc qui le tenaient avaient une poigne trop solide pour lui. Sémik brandit son outil, et ses deux hommes-rats écartelèrent Fermy en tirant de toutes leurs forces. Le Skaven Noir prisonnier couina de désespoir.

 

-         Tu vas payer pour ton humiliation, Vermine de toc !

 

Avec un cri de rage, Sémik enfonça sa hache dans la poitrine de Fermy, frappa en donnant de grands coups. Le sang jaillit, les os éclatèrent. Une fois le torse suffisamment haché, la Grande Dent de Brissuc jeta son arme, et plongea le museau dans la plaie béante. Fermy hurla, hurla si fort que c’en était irréel. Comment une grosse brute comme lui pouvait pousser un cri aussi aigu ? Enfin, quand Sémik trouva et arracha son cœur à coups de dents, il s’effondra et ne bougea plus.

 

Sémik se lécha les babines avec satisfaction. Il rota, puis dit aux deux Vermines de Choc en se frottant le ventre :

 

-         Il est à vous. Bon appétit !

 

Sans attendre, les deux Skavens Noirs se jetèrent sur le cadavre encore chaud de la Grande Dent, et le dévorèrent goulûment.

 

 

Les prisonniers Humains restaient pétrifiés par la violence de la scène. Dans sa cage, Dame Franzseska avait gardé ses deux enfants serrés contre elle, ses mains devant leurs yeux, pour leur éviter de voir un tel spectacle, et la fille Skaven avait détourné le regard. Une fois les Skavens Noirs partis, l’Humaine murmura :

 

-         Je crois que le blanc avec des cornes a trahi le gros avec son curieux attirail. Et les Noirs ont dû régler leurs différends politiques à leur façon : comme des bêtes.

-         C’est typique de leur espèce, commenta la jeune fille-rate. Je suis bien contente d’avoir grandi chez les Humains.

 

La veuve du seigneur Gottlieb réalisa quelque chose.

 

-         Mais au fait, comment vous appelez-vous ?

-         Je m’appelle Heike, ma Dame.

-         Appelez-moi Franzseska. Vous n’avez pas l’air d’être comme eux, je ne vais pas vous mettre dans le même panier.

-         Je vous jure que je n’ai pas de mauvaise intention !

-         Je vous crois, et je tâcherai de convaincre mes pairs. Quand mes voisins viendront combattre ces monstres, je m’arrangerai pour qu’ils ne vous fassent pas de mal.

 

La jeune fille-rate se calma un peu. Dame Franzseska était une dure à cuire, habituée à être confrontée à des situations difficiles. Elle savait garder son sang-froid, et pouvait aussi se faire rassurante. Elle eut un petit rire triste.

 

-         Quelle ironie du sort !

-         De quoi parlez-vous, ma Dame ? demanda Heike.

-         J’ai été encagée par un Skaven au pelage blanc avec des cornes, alors qu’il y a quelques mois, j’ai emprisonné un Skaven au pelage blanc avec des cornes !

-         C’est pour lui que je m’en fais, ma Dame.

-         Quoi ?

-         Vous parlez de Psody, n’est-ce pas ?

-         Vous le connaissez ?

-         Oui. Il a quitté votre château avec le prieur Romulus, et mon père adoptif l’a accueilli. Il nous a raconté son histoire. Avant, il était comme eux. C’est le Skaven Blanc qui commande cette armée qui l’a… « éduqué ». Mais il a changé, depuis.

-         Oui, il nous en a parlé quand il s’est rendu à nous. Son frère a tenté de le tuer, et ça l’a dégoûté. Et vous voilà maintenant ici… drôle de hasard !

-         Il n’y a pas de hasard, ma Dame. Son maître a appris qu’il était toujours en vie. Il l’a traqué jusque chez mon père. Or, Psody n’était pas à la maison. Alors pour se venger, il m’a enlevée, et mon père… oh ! Que Shallya le protège !

 

La pauvrette redoubla de larmes en pensant au désastre que Vellux avait semé à Altdorf. La Dame Gottlieb se serra contre elle, pour lui transmettre un peu de chaleur. Ses deux enfants firent de même.

 

-         Nous devons rester forts, et prouver à cette bande de bons à rien que nous sommes plus courageux qu’eux ! Il faut tenir. D’autres Humains vont venir les chasser d’ici. C’est juste une question de jours.

 

Tout en parlant, l’Humaine vit quelque chose qui lui réchauffa le cœur.

 

-         Regardez, Heike !

 

Au loin, le ciel s’éclaircissait. Les premiers rayons de soleil provoquèrent de vives réactions chez les Skavens. Il y eut des grommellements dégoûtés, des glapissements nerveux, et les hommes-rats se pressèrent vers les entrées des différents bâtiments.

 

-         Les Skavens n’aiment pas la lumière du jour, murmura Heike. Ils vont se retirer pour dormir.

-         Bien ! Ils nous ficheront la paix !

 

Le Skaven Noir qui avait éventré son camarade aboya quelques ordres avant de quitter la cour. Quelques minutes plus tard, il n’y eut plus que quelques Skavens Noirs çà et là pour monter la garde, y compris le gardien de la cage.

 

-         Zut ! J’espérais que ce gros balourd s’en aille aussi, marmonna Dame Franzseska.

-         Je crois qu’il est moins méchant que les autres, murmura Heike.

-         Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

-         Intuition féminine, ma Dame.

 

L’Humaine eut un petit sourire.

 

-         Mère, le cornu revient !

 

Jochen montra du doigt Vellux, qui était descendu dans la cour. Ce dernier baragouinait furieusement à l’attention du grand Noir. Le Skaven Blanc ramassa une pierre grosse comme son poing, et la jeta sur le gardien, l’atteignit à l’épaule. Le Skaven Noir grogna de douleur, mais n’osa rien faire. Il se contenta de baisser tristement la tête, sous les huées et les ricanements des Skavens qui entouraient le chef. Heike ne put s’empêcher d’éprouver de la peine pour lui, et son ressentiment envers le Skaven Blanc grandit.

 

Le grand Skaven Noir approcha de la cage, ouvrit la porte, et laissa tomber aux pieds de la jeune fille-rate une lourde chaîne au bout de laquelle était attaché un collier de fer à clous. Heike regarda le collier, puis le Skaven Noir, et elle ne vit dans son regard qu’une profonde amertume. Comprenant qu’il n’y avait aucune autre issue moins violente, elle ramassa le collier et le passa autour de son cou. Le Skaven Noir le referma avec un sinistre claquement, et empoigna la chaîne.

 

-         Courage, murmura-t-il en reikspiel.

 

Heike hocha la tête lentement, et l’accompagna hors de la cage. Le Skaven Noir verrouilla la porte de sa main libre, et se tourna vers le Prophète Gris. Dame Franzseska cria vers Heike :

 

-         Ne vous en faites pas, ma fille ! Je vais nous sortir de là !

 

Mais rien n’était moins sûr dans l’esprit de la jeune fille-rate. Le Skaven Noir rejoignit Vellux. Le Skaven Blanc agrippa la chaîne, et tira vers le sol d’un coup sec, forçant Heike à se mettre à quatre pattes.

 

-         Bien ! Pour l’instant, tu es mon animal de compagnie ! Suis-moi, je vais te nourrir ! Je vais nourrir tout le monde ! Vellux est un Prophète Gris grand et généreux-généreux ! Qu’on se le dise !

 

Il gloussa quelque chose en queekish, et son entourage l’acclama encore. Tous entrèrent dans le donjon.

 

 

Chitik n’avait pas quitté des yeux la malheureuse reproductrice. Quand elle disparut de son champ de vision, il baissa la tête.

 

-         Hé, ça ne va pas ? demanda la voix de Diassyon près de lui.

-         Oh ! Euh… Si, ça va.

 

Diassyon regarda à son tour vers le donjon.

 

-         Tu penses à la pondeuse ?

-         Oui.

 

Le grand Skaven Noir se gratta sous l’aisselle et renifla.

 

-         T’as envie de jouer avec elle ?

-         Je ne sais pas, Diassyon.

-         C’est pas une bonne idée, à mon avis. Vu comme elle est frêle, tu la réduirais en miettes !

-         J’ai une sensation bizarre-étrange dans le ventre. J’ai pas envie que Vellux lui fasse du mal, mais je ne sais pas pourquoi.

-         Ah oui ? Hum… C’est vrai que je ressens quelque chose comme ça, moi aussi. D’habitude, les pondeuses-pondeuses ne me font pas cet effet. Et puis… d’habitude, les pondeuses sont très grosses, misérables-pitoyables. Or, celle-ci est plutôt agréable à regarder. Tu ne trouves pas ?

 

Chitik ne répondit pas. Tout ceci était confus dans son crâne. Son frère décida de changer de sujet.

 

-         Oh, et puis zut ! Dois-tu encore rester près de cette cage ?

-         Euh… non. Vellux m’a relevé.

-         Alors on va manger ! Tu viens ?

-         Manger ! Quelle bonne idée !

 

La Vermine de Choc suivit son frère qui courait vers l’endroit où les choses-hommes stockaient leurs réserves d’aliments. Chemin faisant, un autre Skaven Noir s’approcha de lui. C’était son ami Rool.

 

-         Alors, Rool ? Bonne baston ?

-         Terrible ! On a écrasé-aplati ces insectes !

-         Beaucoup de morts ?

-         Rien que des faiblards qui n’intéressent pas le Rat Cornu !

-         Et chez les Puissants ?

-         Seules les Vermines de Choc de Treecil ont subi des pertes ! Aucun Skaven Noir de Brissuc n’a crevé ! Enfin, sauf un.

-         Qui ? demanda Chitik, soucieux à l’idée de perdre un de ses meilleurs camarades.

-         Dinwâhr. Vellux a dû l’empêcher de massacrer la cheftaine reproductrice chose-homme.

 

Le Skaven Noir se contenta de hausser les épaules. Il n’allait pas regretter Dinwâhr, l’un des deux Skavens qui l’avaient maintenu sur le billot le jour où le Prophète Gris lui avait coupé l’oreille.

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