L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 37 : Coeur des Ténèbres

6600 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 11:26

Toujours sur sa jument, Romulus était perplexe.

 

Que Shallya me pardonne, mais qu’est-ce qu’il fiche ?

 

Il regretta de ne pas avoir sur lui un télescope. Il avait nettement vu l’éclair vert illuminer le sommet de la tour quand Psody s’était téléporté, mais depuis, il n’y avait plus le moindre signe de vie. Le prieur ne voulut pas attendre davantage. Il poussa un soupir résigné, et talonna sa monture pour galoper en direction du château. Chemin faisant, il ramassa une lance brisée suffisamment longue pour constituer un bon bâton, la seule arme que lui permettait de manier son Ordre. Il s’arrêta à quelques dizaines de yards de la bataille, et ne sut que faire.

 

La bataille faisait rage aux abords de Gottliebschloss. Les forces du Chaos reculaient, laissant les mercenaires et les Skavens se déchirer les uns les autres. Le prieur ralentit, et se tint à l’affût, prêt à saisir la moindre opportunité pour franchir les lignes ennemies. Cela s’annonçait mal : la machine infernale des hommes-rats bloquait le passage au pont-levis, et des guerriers Skavens se tenaient juste derrière. Le prêtre frissonna en reconnaissant les diverses castes qui composaient les rangs adverses. Des Moines de la Peste impatients d’en découdre précédaient les grandes Vermines de Choc au pelage noir, mais ces derniers n’étaient pas les plus impressionnants. D’autres silhouettes plus grandes et plus menaçantes encore parurent aux yeux de Romulus. Le prêtre comprit qu’il voyait pour la première fois des rats-ogres.

 

 

Le combat était de plus en plus dur pour les Norses. Les Skavens avaient redoublé d’énergie, et les premières lignes se battaient furieusement. Les créatures du Chaos se tenaient en retrait, attendant le meilleur moment pour taillader les rangs. Le capitaine jaugea la situation, et jugea que le plus urgent restait la Roue Infernale. Les mercenaires étaient suffisamment lestes pour éviter la machine destructrice quand elle fonça vers eux, mais le vrai problème était les éclairs. Hallbjörn grimaça de fureur en voyant deux de ses hommes à terre, tués sur le coup par l’électricité.

 

-         Reculez, reculez !

 

Au fur et à mesure que les Humains faisaient marche arrière, les Skavens s’enhardissaient davantage. Certains Moines de la Peste, ivres de massacre, s’éloignèrent même du troupeau de tête pour en découdre avec les Guerriers du Chaos, moins lâches à leurs yeux.

 

Votiak était aux côtés du capitaine.

 

-         Quelle vacherie, cette roue géante !

-         Il faut qu’on la détruise, elle nous barre le passage !

-         Ouais, mais comment ?

 

Le vieux guerrier ne répondit pas immédiatement. Hallbjörn fut surpris de voir sa figure burinée se charger de gravité.

 

-         Quelqu’un doit déloger le rat qui la pilote et la faire exploser.

-         C’est suicidaire, Votiak ! Même si ce quelqu’un parvient à la machine, il ne survivrait ni à l’explosion, ni aux Skavens qui le mettraient en pièces !

 

Votiak leva les yeux, et répondit simplement :

 

-         C’est une belle journée pour rejoindre les ases.

 

Hallbjörn n’eut besoin d’aucune autre parole. Quand un guerrier Norse faisait une allusion de ce genre, il annonçait son sacrifice au combat. Votiak était le plus ancien membre de son unité, et un redoutable combattant. Il sentit un petit tiraillement dans ses tripes à l’idée de le perdre, mais sans plus. Ainsi se passaient les choses chez les Norses qui avaient juré de se battre pour libérer leur pays natal. Sans le regarder, le capitaine répondit d’une voix neutre :

 

-         Rendez-vous au banquet des dieux… mon ami.

-         Je te garde une place au chaud.

 

Et le vieux Norse rangea son fléau d’armes dans son fourreau dorsal, puis courut vers la Roue Infernale en criant de toutes ses forces.

 

 

Votiak ne voulut pas se jeter bêtement à la mort. Il avait une idée pour atteindre la Roue Infernale sans se faire électrocuter. Il repéra le cadavre d’un Skaven sur le sol. Il l’empoigna fermement à deux mains, et le brandit devant lui tel un pavois. Puis il courut aussi vite qu’il put, bousculant les hommes-rats sur son passage. Il grogna en sentant les éclairs frapper le corps mou du Skaven. Les étincelles d’énergie verte crépitèrent sur ses doigts. Le bruit assourdissant de la machine infernale lui ébranla les tympans, à tel point qu’il les sentit presque éclater. Quand il fut juste à côté du véhicule, il repéra l’échelle d’accès, se glissa derrière l’aiguillon métallique, jeta la dépouille de l’homme-rat et bondit sur les échelons. En deux secondes, il se retrouva au sommet de la Roue.

 

Un gros Skaven au pelage couleur de sable était installé au poste de pilotage. Il portait une curieuse calotte de cuivre et une énorme lentille était fixée au-dessus de son museau. Votiak put voir son œil démesuré s’écarquiller de surprise à travers le verre. Le Norse ne lui laissa pas le temps de faire quoi que ce soit ; il reprit en main son fléau d’armes, et le balança d’un geste large de bas en haut. Le Skaven corpulent fut éjecté de son siège et dégringola de la machine, le crâne réduit en bouillie.

 

Le Norse considéra la situation. Il se tenait debout sur la machine à l’arrêt. Un concert épouvantable de couinements retentit. Les hommes-rats avaient tout vu, et semblaient décidés à venger leur camarade. Déjà, les premiers se pressaient autour de la Roue. Votiak devait agir rapidement. Il jeta un coup d’œil au panneau de commandes de bois. Il n’était pas un expert en matière de machines de guerre, mais il avait eu l’occasion, quelques années plus tôt, de faire connaissance avec un ingénieur Nain qui lui avait expliqué les bases du fonctionnement des engins à vapeur.

 

Je dois bloquer les tuyaux pour faire monter la pression !

 

Il décida de se fier à sa bonne étoile, et poussa au hasard les manettes. La Roue Infernale eut un bref sursaut, et s’immobilisa quand le Norse tira sur le frein. Le moteur gronda de plus en plus fort. Votiak grimaça un sourire en voyant des panaches de fumée s’échapper en sifflant des jointures.

 

-         Et allez donc ! C’est parti !

 

Une nouvelle fois, il balaya les alentours du regard. Plus d’une trentaine d’hommes-rats grouillaient autour de la machine de guerre, et les premiers étaient presque à sa hauteur. Pas besoin d’être un vétéran accompli comme lui pour comprendre qu’il était condamné. Même en se défendant de toute son énergie, il n’arriverait pas à vaincre autant d’adversaires en même temps. Mais il n’allait pas attendre la mort sans se défendre.

 

Il s’écarta de justesse pour éviter un coup de griffe, et fracassa le dos d’un de ses agresseurs d’un coup de fléau.

 

-         Venez vous battre ! aboya-t-il.

 

Il aperçut la tête d’un Skaven à la hauteur de ses pieds. Il lui éclata le museau d’un solide coup de talon.

 

-         Venez me chercher, bande de charognards ! Venez tous m’accompagner dans l’autre monde !

 

Il envoya voler coup sur coup trois autres hommes-rats. Le sifflement de la machine était si fort qu’il crut sentir ses oreilles se gorger de sang. Les Skavens étaient de plus en plus nombreux, et Votiak eut beau frapper à tour de bras, il finit par être renversé par le nombre. Cinq paires de mains crochues l’immobilisèrent. Les griffes, les crocs, les lames de poignard lui lacérèrent le corps, mais heureusement, il n’eut pas à souffrir bien longtemps. La chaudière de la Roue Infernale explosa dans un vacarme apocalyptique. Une pluie de débris enflammés s’abattit sur les Skavens aux alentours.

 

 

Les Skavens qui n’avaient pas été soufflés par la déflagration s’écartèrent pour s’abriter. Cela n’échappa pas au prieur Romulus qui vit une ouverture. Il poussa d’un cri sa jument et fonça vers le porche, bien décidé à mettre l’hébétude générale à profit. L’animal galopa à en perdre haleine. Le prieur sentit sa monture devenir plus nerveuse à mesure qu’ils approchaient des hommes-rats. Il contourna le brasier provoqué par l’explosion de la Roue Infernale par la gauche. Il serra les dents pendant que la jument galopait entre les Skavens. Alors qu’il allait traverser la masse compacte, il vit au dernier moment un énorme rat-ogre qui balaya l’air de sa grosse patte vers lui. Il eut le réflexe de se jeter sur le côté, et évita ainsi de justesse les redoutables griffes acérées.

 

Il tomba à terre, mais put se relever rapidement. Quand il entendit des hennissements déchirants, il comprit que sa jument n’avait pas eu sa chance. Il grogna de dépit en voyant la malheureuse bête disloquée, déchiquetée par la répugnante créature qui se mit à la dévorer bruyamment.

 

Désolée, ma belle… Merci !

 

Le rat-ogre ne prêtait plus attention à lui. Il devait se rendre à la salle du trône. Vite, il repéra la porte principale, et s’y précipita.

 

 

Devant le château, le combat s’intensifiait. Hallbjörn leva une nouvelle fois son marteau.

 

-         Allez, les gars ! Faisons honneur à Votiak !

 

Le spectacle des Skavens en feu en train de se sauver dans tous les sens stimula les Humains. Hélas, ils n’eurent guère de quoi se réjouir bien longtemps. Les Guerriers du Chaos voulurent eux aussi exploiter cette nouvelle faille, et coururent de nouveau vers le contingent de mercenaires. Cette fois, il ne s’agissait pas seulement d’hommes en armure ; parmi les combattants, il y avait des silhouettes difformes, des visages grotesques, des cris inhumains.

 

-         Des Mutants ! gémit le jeune Ranulf, qui n’aimait pas du tout se battre contre de tels adversaires.

-         Pisse pas dans ton froc, gamin ! rétorqua Wor. L’odeur les excite !

 

Le pauvre Ranulf ne sut s’il fallait prendre ces paroles aux sérieux, mais il n’eut pas le loisir d’y réfléchir plus longtemps. Quelque chose de cristallin se brisa à ses pieds, et aussitôt il fut absorbé par un nuage de fumée verte. Les larmes lui montèrent aux yeux, et il sentit une armée de cloportes grouiller dans sa trachée et ses poumons. Il se roula sur l’herbe, et toussa, cracha et frémit en sentant le goût du sang dans sa bouche.

 

-         Gaz toxiques ! Gaz toxiques !

 

Hallbjörn avait vu juste. Une vingtaine de Skavens se tenait sur les remparts. Ils portaient tous un masque de métal hermétique et serraient entre leurs pattes un tube de cuivre relié à un cylindre par un tuyau flexible.

 

-         Couvrez-vous la bouche ! ordonna le capitaine Norse en s’enroulant un foulard devant le nez.

 

 

-         Globadiers, tuez-tuez ! Empoisonnez-étouffez ! Lance-feu, brûlez-carbonisez !

 

Vellux criait vers les Skryre, debout dans la cour. Parmi les Globadiers, ceux de Brissuc avaient récupéré le matériel des Skavens de Treecil, mais n’avaient pas appris à utiliser les catapultes à globes. L’un d’entre eux, ne voyant pas le projectile partir, voulut regarder ce qui coinçait dans le canon. Deux secondes plus tard, il gisait dans la gadoue, quelques yards plus bas, l’œil en charpie.

 

Le Prophète Gris maudit l’incompétence des Technomages, et se détourna d’eux pour invectiver les Moulder. Les Maîtres de Meute poussaient les rats-ogres à avancer. Rendues frénétiques par les coups de fouet, les énormes créatures semblaient davantage attirées par les Mutants. Deux d’entre eux sentirent l’odeur de sueur et de sang Humain, et se ruèrent en avant.

 

Jorund rejoignit Wor, accompagné de deux autres mercenaires. Tous les quatre se rassemblèrent pour combattre ensemble l’un des rats-ogres. L’énorme créature était bien décidée à les écrabouiller tous les quatre.

 

 

Hallbjörn s’impatienta.

 

-         Fait chier ! Ces satanés rats ne veulent vraiment pas nous laisser entrer !

 

Un furieux grondement éclata juste au-dessus des têtes. Les guerriers virent des langues de flammes verdâtres partir d’entre les créneaux. Certains Guerriers du Chaos montés à cheval tombèrent de leur monture, et les hennissements désespérés se mêlaient aux exclamations rageuses.

 

Les lance-feu étaient de lourds engins, et deux Technomages étaient nécessaires à son bon fonctionnement. L’un soutenait le réservoir d’essence, généralement un baril de bois renforcé de fer, et l’autre braquait le cône de métal duquel s’échappaient les flammes destructrices de malepierre. Le feu ne se contentait pas de brûler, les cendres de malepierre s’incrustaient directement sous la peau et provoquait des mutations chez ceux qui étaient frappés. Cinq duos de Skavens étaient alignés sur le rempart qui surplombait la herse, et répandaient leur feu corrupteur en contrebas, sans prendre garde à leurs cibles. Les guerriers du Chaos furent les plus touchés, mais quelques mercenaires de la compagnie Ludviksson périrent avec leurs adversaires Skavens.

 

Une balle frappa le Skaven porteur de réservoir le plus à droite. L’homme-rat s’écroula sous le poids du baril. Le tonneau roula et dégringola dans la cour. L’autre Skaven qui tenait le cône fut entraîné en arrière avec un cri bref. Les autres porteurs de lance-feu, trop à leur tâche, ne s’aperçurent de rien. Une deuxième balle creva le tuyau flexible qui reliait le baril au cône du duo suivant. L’essence brûlante jaillit et aspergea les porteurs et leurs voisins. Surpris, ces derniers se jetèrent sur ceux qu’ils pensaient pleinement responsables. Très vite, les choses dégénérèrent jusqu’à ce que l’un des deux duos carbonise l’autre à coups de lance-feu. Les flammes se répandirent rapidement à cause des flaques d’essence, et les deux duos, pris au dépourvu, durent laisser tomber tout leur matériel pour fuir l’incendie.

 

-         Voilà comment on refroidit les plus brûlantes ardeurs ! plaisanta Nedland Grangecoq en rechargeant l’un de ses deux pistolets.

 

Puis il retira sa chemise, et ôta le petit plastron métallique dissimulé sous le vêtement. L’acier était criblé de petits trous fumants et de poussière verte.

 

-         Ma foi, j’ai eu raison de sortir couvert !

 

Il se félicita d’avoir trouvé un endroit où ses adversaires ne viendraient pas le chercher, dans un coin sombre d’une tour angulaire. Cependant, il ne repéra pas le Skaven brun qui lui avait tiré dans le dos. Cette maudite engeance était peut-être à l’autre bout de la cour, en train de chercher une nouvelle proie. Il haussa les sourcils en distinguant la bure blanche de Romulus qui se faufilait dans le donjon.

 

 

Romulus monta les escaliers, et faillit glisser sur l’une des marches. Il n’avait pas l’habitude d’être aussi inquiet, cela l’énerva. L’ascension lui sembla durer des heures. Enfin, il atteignit la double porte ouverte de la salle du trône. Il entra précipitamment. La grande pièce était jonchée de restes de repas et de nombreuses taches sombres et gluantes. Il repéra l’imposant siège de bois au fond. Il regarda dans toutes les directions, mais semblait être seul.

 

-         Heike ?

 

Il soupira de soulagement en voyant la silhouette fluette de la jeune fille-rate sortir de derrière le trône.

 

-         Oh, prieur !

 

Il courut vers elle, et la serra dans ses bras.

 

-         Mon enfant ! Vous êtes en vie !

-         Comment va mon père ?

-         Il a déjà été mieux, mais il est vivant. Il est en retrait.

 

Heike sentit un poids se libérer de son estomac, et se permit un sourire soulagé. Le prêtre considéra la jeune Skaven, et fit la grimace.

 

-         Shallya me pardonne, dans quel état vous êtes ! Vous ont-ils blessée ?

-         Rien dont je ne me remettrai pas complètement, prieur.

 

Sans oser l’avouer, le prieur avait craint le pire pour la jeune fille, et sa vertu. Elle se releva, et montra la chaîne au prêtre de Shallya.

 

-         Je vais vous retirer ça.

-         Vous avez la clef ?

-         Non, mais un voleur m’a appris l’art du crochetage, en échange de soins.

 

La chaîne avait été clouée sur l’accoudoir. Le prieur vit le cadenas sur le collier à clous qui enserrait le cou de la jeune Skaven. Il sortit de l’une de ses poches un petit étui de cuir, et en extirpa précautionneusement deux tiges métalliques plates.

 

-         Ne bougez pas.

 

Il manipula minutieusement ses outils, et en moins d’une minute, le collier s’ouvrit avec un cliquetis.

 

-         Psody est avec vous ?

-         Oui, mais je ne sais pas où il est ! Il devait faire quelque chose, mais il a disparu ! Nous devons aller sur le toit !

 

Heike hocha la tête. Elle se releva, et fit quelques pas maladroits, ses jambes ankylosées par ces trois jours de captivité.

 

-         Attendez, je vais vous aider.

-         Non, prieur, ça ira. Vérifiez plutôt qu’il n’y ait personne.

 

Romulus revint vers la grande double porte et s’apprêta à faire le guet, quand soudain, la jeune fille-rate distingua quelque chose remuer dans un recoin sombre, au plafond. Elle cria :

 

-         Attention !

 

Par réflexe, Romulus bondit et roula sur le côté, juste à temps pour éviter l’assassin Skaven qui s’abattit sur lui. L’Humain pesta.

 

-         J’aurais dû m’en douter !

 

Le Skaven souffla de colère, et cracha dans la langue de l’Empire :

 

-         Je vais te saigner, chose-homme !

 

Le prêtre ne répondit pas, il se contenta de fléchir les jambes, brandit à deux mains son bâton, et attendit. La jeune fille s’éloigna, se mit dos au mur, paralysée de panique. Elle venait de reconnaître le Skaven noir très inquiétant qu’elle n’avait pas vu depuis la veille. Romulus analysa brièvement à son tour son adversaire. Tout comme elle, il pressentit que cet homme-rat, qui cachait sous sa cagoule deux globes oculaires noirs comme des billes d’obsidienne, était plus redoutable que les autres. Le Skaven ricana, et bondit en avant, une longue dague courbe dans chaque main.

 

Romulus esquiva de nouveau l’attaque, et dans le mouvement, il balança un coup de bâton sur le dos de l’homme-rat. Celui-ci glapit, fit une roulade, et se remit sur pied, prêt à frapper de nouveau. Il tenta de planter simultanément ses deux dagues dans les côtes du prêtre, mais l’Humain fut plus rapide encore. D’un mouvement précis, il enfonça l’extrémité de son bâton dans l’estomac du Skaven. L’assassin recula, le souffle coupé. Romulus en profita pour faire un large mouvement. Le bâton silla dans l’air, et percuta la tempe du Skaven noir.

 

L’homme-rat siffla de colère à nouveau, son pelage se hérissa, ses yeux scintillèrent d’un éclat sanguinaire, et la bave lui monta à la gueule et glissa d’entre ses incisives. Il resta ainsi trois secondes sans bouger, puis il se relança sur le prêtre.

 

Heike était subjuguée. Elle ne savait pas si elle devait être admirative ou avoir peur. Romulus, son fidèle précepteur, d’habitude si calme et enclin à la non-violence, se battait comme un démon… ou un ange protecteur. Contrairement à l’homme-rat, son visage n’affichait qu’une détermination impénétrable, et sa gestuelle était précise et assurée, comme un combattant professionnel.

 

Est-ce vraiment la même personne ? se demanda-t-elle.

 

Le Skaven noir était rapide, portait des successions de coups en tournant autour du prieur. Et pourtant, celui-ci réagissait au même rythme, parait et esquivait sans discontinuer.

 

L’un des poignards glissa sur le manche de bois et coupa le dos de la main de Romulus. L’Humain grogna d’irritation, mais ne se laissa pas déconcentrer. Et il continua à faire tournoyer son bâton, à bondir dans toutes les directions. Et aucun des deux ne semblait prendre l’avantage sur l’autre.

 

 

Chitik était toujours dans la cour. Sémik lui avait ordonné de rester près de lui pour le « seconder dans sa défense du château ». En vérité, il comptait sur le grand Skaven Noir pour le défendre. En effet, les choses-bizarres étaient finalement entrées, au nez et à la barbe des choses-hommes. Le plus inquiétant était que certaines d’entre elles ne semblaient pas affectées par les coups. Au contraire, le sang et les blessures leur donnaient du plaisir. La grande Vermine de Choc combattait aux côtés de Rool avec sa férocité coutumière. Mais il se surprit à ne pas se battre pour les mêmes raisons que d’habitude. Ce n’était pas le sang ou la colère du Rat Cornu qui le motivaient, mais l’envie de défendre les Skavens qui avaient de la valeur à ses yeux, et le souci de préserver la vie de la jeune pondeuse, toujours dans le donjon.

 

Pour ne pas y réfléchir et se perdre dans les méandres de ces pensées tordues, il martela sans s’arrêter. Derrière lui, la Grande Dent criait.

 

-         Allez, allez ! À l’attaque !

 

En tournant la tête, Chitik vit Sémik. Le chef des Vermines de Choc était en train de gesticuler en donnant ses ordres, mais il ne se battait pas lui-même. Au contraire, il reculait progressivement vers l’une des portes qui menaient à l’intérieur du château. Ce spectacle lui enflamma les nerfs. Il comprit que, pour la deuxième fois, il devait obéir à un chef qui n’était pas digne de son rang. Il repensa à Furghân, à sa lâcheté qui avait coûté la vie à de nombreux Skavens, y compris son ami Briach et son frère Moly. Pas question de laisser aller les choses ainsi encore une fois.

 

-         Bande de trouillards-incapables ! Vous êtes tous la honte du Rat…

 

Il ne put jamais finir sa phrase. La lourde tête de fer du maillet de Chitik s’écrasa sur son crâne, le broyant contre le mur de l’écurie.

 

L’immense Vermine de Choc leva son arme toute ensanglantée, rejeta la tête en arrière, et poussa un crissement qui hérissa toutes les fourrures.

 

-         Assez !

 

Aussitôt, tous les Skavens autour de lui s’arrêtèrent net. Comprenant qu’il avait capté l’attention de tous, Chitik beugla derechef :

 

-         Plus de Grandes Dents vantardes et peureuses ! Moi, Chitik, je prends le commandement des Vermines de Choc, et je vous ordonne… non, je vous demande de m’aider à massacrer tous nos ennemis !

 

Devant un tel spectacle, la peur des hommes-rats se mua rapidement en enthousiasme. Rool fut le premier à clamer :

 

-         Grande Dent Chitik !

 

Ce cri fut aussitôt repris par tous les autres.

 

-         Grande Dent Chitik ! Grande Dent Chitik !

 

Aussitôt, tous les Guerriers des Clans et les Vermines de Choc se rassemblèrent autour de Chitik. Les Skavens, ainsi groupés, reprirent courage, et repartirent à l’assaut des choses-bizarres avec une férocité redoublée.

 

 

Romulus fatiguait. Son adversaire multipliait les assauts, le contraignait à parer, esquiver et reculer, encore et encore. Un coup d’épaule le fit trébucher en arrière. L’assassin pivota sur ses talons et faucha les jambes du prieur de sa longue queue annelée. Romulus tomba durement sur le dos, et grinça des dents.

 

Avec un ricanement strident, le Skaven noir brandit ses deux dagues et fléchit les jambes, prêt à se jeter sur le prieur, quand il fut déstabilisé par quelque chose d’imprévu : le récipient en cuivre qui avait contenu la soupe l’atteignit à la nuque en faisant le même bruit que celui d’une lourde cloche. Romulus se releva d’un bond, et courut vers le Skaven. Il s’apprêta à l’assommer d’un coup de bâton à la tête, mais le Skaven se révéla beaucoup plus vif qu’il ne l’avait escompté. Il glissa sur le parquet et se releva en un éclair.

 

Le Skaven noir fit un salto avant, et sa queue s’abattit sur le bâton du prêtre avec une telle force qu’il le lâcha. L’homme-rat repoussa l’arme d’un coup de pied, et ses deux poignards piquèrent vers les côtes de l’Humain. Romulus n’eut que le temps d’agripper les avant-bras de l’assassin, et concentra toutes ses forces dans ses doigts pour les retenir.

 

L’autre lui cracha au visage :

 

-         Seules mes lames peuvent me tuer, chose-homme !

-         Je ne veux pas te tuer.

 

Romulus voulut lui tordre les poignets pour le désarmer. À sa grande surprise, ses propres mains se trouvèrent devant une résistance surprenante. Il eut beau pousser, pour une raison qu’il n’expliquait pas, le Skaven noir était bien plus costaud qu’il n’en avait l’air.

 

En voyant l’air furibond de son adversaire, il comprit à quel point la situation était critique. Le Skaven ne semblait pas aussi essoufflé que lui. Il se souvint alors des études faites avec Steiner : le métabolisme des Skavens leur permettait de pouvoir déployer toute leur énergie, et la fureur dissipait toute perception de la douleur, jusqu’à en devenir dangereux pour eux-mêmes. Et si ç’avait poussé les captifs du marchand à la mort par épuisement, c’était un avantage considérable au combat contre un Humain. Le prieur sut qu’il allait perdre.

 

Ce n’était pas pour autant un sacrifice qui l’effrayait. Non, la seule chose qui l’importait était la vie de la jeune fille-rate. Il cria vers elle :

 

-         Fuyez, Heike ! Allez-vous en, et ne vous retournez pas !

 

Heike n’attendit pas davantage. Mue seulement par son instinct de conservation, elle cessa de réfléchir et se précipita vers la porte de sortie aussi vite que ses jambes lui permirent.

 

Romulus eut à peine le temps de voir sa pupille se sauver. Il sentit une effroyable douleur lui déchirer le dos.

 

Avec un Skaven, j’aurais vraiment dû m’en douter…

 

Ses forces l’abandonnèrent rapidement, comme si elles s’écoulaient hors de son corps par la blessure. Il tomba à genoux, et en guise de dernier baroud, le Skaven noir ricana en agitant devant lui la lame qu’il portait à la queue, rouge de sang.

 

 

Sentant sa proie lui échapper, Tweezil bondit dans l’escalier, prenant appui sur les murs, il dévala l’escalier à une vitesse effrayante. Il s’abattit pile sur la jeune fille-rate au moment où elle allait franchir la porte. Il la plaqua au sol, la retourna, et la retint par les épaules.

 

-         Si t’étais un mâle, je t’aurais tuée-éventrée pour le coup de soupière, mais comme t’es une femelle, tu as quelque chose en moins, et ça me plaît beaucoup !

-         Oh non, non ! gémit Heike, qui avait compris immédiatement où son agresseur voulait en venir.

-         Oh si ! Mais pas ici-maintenant ! Debout !

 

Il la tira par les oreilles sans ménagement pour la relever. La jeune fille en avait par-dessus la tête. Sa panique se mua en une grande colère. Furieuse d’être traitée comme un jouet ballotté d’un Skaven à l’autre, elle explosa.

 

-         Sale brute ! Pervers ! Monstre !

 

Et elle ponctua chaque insulte d’une gifle. Le Skaven noir fut d’abord pris au dépourvu ; il n’attendait pas une telle violence de la part d’une vulgaire pondeuse. Puis il se reprit. Avec un crissement épouvantable, il la renversa d’un coup de poing au visage. Puis il la saisit par le cou et la plaqua sans ménagement sur un mur. Il appuya sa lame caudale sur sa joue, la pointe de l’arme juste sous son œil.

 

-         Ne refais jamais ça, ou je te dépèce ! Compris ?

 

Sonnée par le choc, Heike voyait trouble, mais elle distingua de petits reflets blancs au fond des deux sphères noires qui roulaient au fond de leurs orbites. Sur le coup de la peur, elle crut voir flotter des âmes perdues, comme si les précédentes victimes de ce tueur la suppliaient de lui obéir. Sa gorge était trop nouée pour qu’elle pût émettre le moindre son, elle se contenta de hocher la tête.

 

Tweezil renifla, l’odeur de terreur qui sortait des glandes de la femelle lui parut délectable. Satisfait, il lui enserra le bras et la força à le suivre vers l’extérieur.

 

 

Malgré la destruction de la Roue Infernale, les mercenaires engagés par Steiner n’avaient pas tellement progressé. Les Guerriers du Chaos n’étaient pas équipés d’armes aussi sophistiquées, mais compensaient de par leur agressivité. Les armures lourdes encaissaient les coups, les épées, les haches et les griffes mutilaient sans s’arrêter. Les Humains étaient proches du pont-levis, mais les créatures démoniaques les empêchaient d’aller plus loin.

 

Le capitaine Norse repéra un guerrier de la tribu des Norsii plus grand et plus imposant que les autres. Ce grand gaillard avait le visage buriné encadré de cheveux blancs, avec une longue barbe tressée. De nombreuses cicatrices couvraient ses énormes bras nus, et une cape taillée dans la fourrure noire arrachée à quelque animal des steppes du nord flottait derrière lui.

 

-         Traître à ton peuple ! aboya Hallbjörn dans sa langue natale.

 

Son adversaire ricana et le traita de noms peu flatteurs dans le même langage. Il leva sa hache à double tranchant. Hallbjörn esquiva l’attaque, et tenta d’écraser les côtes du Norsii. Ce dernier para d’un coup de manche. Les deux guerriers échangèrent ainsi quelques assauts.

 

Hallbjörn recula. Pour vaincre ce Norsii, il devait se montrer plus malin que lui. Le barbare ricana en faisant tournoyer sa hache. Soudain, quelque chose de velu et visqueux s’enroula autour de sa jambe. Il voulut résister, mais fut entraîné avec une force abominable dans le fossé, où il disparut avec un bref cri. Hallbjörn pivota vers le trou, perplexe, lorsqu’il sentit ses yeux s’écarquiller.

 

Que tout l’Empire soit précipité dans le Helheim !

 

Un piaillement strident, surnaturel, retentit aux oreilles du Norse, tandis qu’une créature s’extirpa lentement du fossé. Le capitaine ne put mettre de nom pour qualifier l’aberration qui s’accrochait aux briques de la muraille. Était-ce seulement nommable ? Comment pouvait-on désigner précisément le conglomérat de chair gluante, large de plus de dix pieds, d’où émergeaient des tentacules rosâtres couverts de fourrure beige qui fouettaient l’air aux alentours ? Trois longs cous s’entrecroisaient en son centre, chacun terminé par une grosse tête de rongeur. Chaque tête était pourvue de longues incisives tranchantes et de serpentins de poils blancs, et tout en couinant, elles s’arrachaient les restes du Norsii. La partie inférieure de son corps présentait une longue queue rose, large comme le tuyau d’un poêle, à l’extrémité évasée comme le canon d’un tromblon. Une sorte d’amas de métal et de cuivre fondu était incrusté sous les cous.

 

Hallbjörn hésita. C’était clairement un Mutant, atteint au dernier degré, mais comment lutter de manière efficace ? Quel était son point faible ? Et puis, ne risquait-il pas d’être contaminé par l’énergie corruptrice du Chaos à son contact ? Il devait faire preuve d’une très grande prudence.

 

La chose grimpa le long de la pierre, cherchant visiblement à atteindre le sommet. Elle braqua sa queue vers les combattants les plus proches, et un flot de flammes vertes jaillit de l’ouverture béante. Le capitaine Ludviksson plongea sur le côté, et évita l’attaque meurtrière d’extrême justesse. Les cris de douleur de ses compatriotes et de leurs ennemis le firent frémir. Cette horreur n’appartenait clairement plus au Vieux Monde.

 

-         Les archers, tirez ! ordonna le capitaine Norse.

 

Aucune flèche n’atteignit la chose, car il n’y avait plus d’archer pour les lancer.

 

 

Au sommet du rempart, Vellux vit à son tour l’aberration qui rampait sur la muraille.

 

Vodaj ? Impossible !

 

Il glapit d’exaspération.

 

-         Maintenant, je suis vraiment furax-furax !

 

Il fouilla prestement dans sa bourse de cuir et en sortit un fragment de malepierre qu’il avala d’un coup. La magie du Warp gronda dans son œsophage. Il brandit ses poings, et appela les énergies dévastatrices du Rat Cornu. Le tonnerre gronda, et une spirale de nuages tournoya au-dessus du champ de bataille. Des éclairs s’abattirent avec de puissantes détonations.

 

-         Mort à tout le monde ! Nourrissez le Rat Cornu !

 

 

L’issue de la bataille sembla de moins en moins claire. Les Humains, pris entre deux feux, combattaient de toute leur énergie, mais les Skavens et les Guerriers du Chaos aussi. Et ils ne semblaient pas faiblir, contrairement aux hommes de Hallbjörn. Pour la première fois depuis bien longtemps, il se surprit à se demander s’il avait eu une bonne idée de laisser parler sa fierté. Deux légions contre une, qui préféraient concentrer leurs efforts sur les Humains, c’était trop.

 

C’est alors qu’il se souvint de quelque chose. Il regarda en l’air, vers le donjon, mais ne distingua personne. Il cria de toutes ses forces :

 

-         Petit rat blanc ! Mais qu’est-ce que tu fous ?!

 

Aucune réponse ne vint aux oreilles du Norse. Tout en continuant à marteler ses adversaires, il songea :

 

Ulric, si tu as l’intention de faire un petit miracle pour aider tes fidèles, c’est le moment où jamais !

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