L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 38 : Sublimation

8318 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 11:28

Psody cligna des yeux, et s’appuya sur ses mains pour lever la tête. Il constata qu’il était de nouveau par terre sur la ziggurat onirique qu’il avait déjà vue dans ses cauchemars, celle avec la grande fosse sacrificielle au centre de son sommet. Une tempête grondait dans le ciel, et les éclairs fendaient les nuages avec d’effrayants craquements. Il se leva et vit qu’il était nu, et que les immenses silhouettes des douze Seigneurs de la Ruine étaient de nouveau penchées vers lui. Mais cette fois, il ne se laissa pas intimider. Se dressant de toute sa hauteur, il mit les mains sur les hanches, bomba le torse, et cria pour se faire entendre :

 

-         Vous êtes les maîtres de la société Skaven, mais plus les miens ! C’est fini-terminé ! J’ai compris la vérité ! Nous, les Skavens, vénérons un dieu, et vous êtes ceux qui le représentent. Mais la parole du Rat Cornu n’est pas la vôtre ! Vous êtes des menteurs !

 

Il n’y eut aucune parole, mais les silhouettes se rapprochèrent, comme elles se penchaient en avant, vers le petit Skaven Blanc. Le vent siffla plus fort, et manqua de le déséquilibrer. Rassemblant son courage, il ne céda pas à la panique, et invectiva de nouveau :

 

-         Je n’ai pas trahi le Rat Cornu ! Sinon, il aurait brisé mon corps et détruit mon âme ! J’ai agi contre l’Empire Souterrain, mais depuis que j’ai rencontré les Humains et fraternisé avec eux, tout ce que j’ai voulu faire s’est réalisé ! Ça prouve que notre dieu est d’accord 

 

Psody repéra alors une paire de cornes sur l’une des ombres. Il comprit qu’il faisait face à l’Hérésiarque, le seul Skaven Blanc du Conseil des Treize. Il sentit un violent coup de colère fouetter son esprit. Pour lui, l’Hérésiarque était le principal responsable de ce mépris que les Skavens éprouvaient envers les autres peuples. C’était lui qui dispensait le premier la parole du Rat Cornu, c’était lui qui pouvait la pervertir à sa guise pour pousser les Fils du Rat Cornu à tout détruire. Courageusement, il le brava.

 

-         Nous pouvons vivre à la surface, prospérer à l’air libre, mais d’une façon différente que celle que vous professez, soi-disant au nom du Rat Cornu ! Ce n’est pas moi, le sacrilège-sacrilège, c’est vous !

 

L’Hérésiarque ne répondit pas, mais son regard se fit de plus en plus brûlant. Le jeune homme-rat ne détourna pas les yeux, bien décidé à résister à son ennemi. Soudain, une voix claire et décidée retentit juste derrière lui.

 

-         J’approuve entièrement !

 

Psody fit volte-face, et vit quelqu’un approcher. Un autre Skaven Blanc, aussi nu que lui, plus grand, marchait d’un pas assuré dans sa direction. Il le reconnut immédiatement à ses cornes pointant en avant à partir de ses tempes.

 

-         Cuelepok !

 

C’était bien le Skaven Blanc fondateur de Capatec Hanahuac. Cette fois, il n’était pas meurtri, ni réduit à l’état de momie desséchée. Au contraire, il apparut dans toute sa splendeur, en pleine possession de ses moyens, avec une assurance telle qu’elle en était presque palpable. Psody n’avait jamais vu un Skaven Blanc aussi gracieux, aussi charismatique, aussi… beau. Il n’avait rien de commun avec les petits tyrans orgueilleux qui prétendaient répandre la bonne parole du Rat Cornu. Au contraire, son magnétisme n’avait pas de mauvaise odeur, mais laissait déceler une chaleureuse bienveillance, plus forte encore que celle de Ludwig Steiner. Psody s’empressa de se mettre à genoux, et baissa la tête. Quand Cuelepok ne fut plus qu’à quelques pas, il s’arrêta, et fit un geste de la main.

 

-         Relève-toi, mon jeune ami. Je ne mérite pas une telle déférence. En réalité, ce serait plutôt moi qui devrais m’incliner devant toi.

 

Psody se releva, l’air surpris. Cuelepok le considéra des pieds à la tête, et murmura avec un léger sourire :

 

-         Mais oui, après tout, tu as compris tous mes messages, et tes amis t’ont aidé à entr’apercevoir la réalité. Et bien que tu sois bien plus jeune que moi, tu es déjà bien avisé. Je te félicite.

 

Le grand Skaven Blanc s’adressa à son tour aux Seigneurs de la Ruine.

 

-         Moi, je n’ai rien à voir avec vous. J’ai toujours vécu parmi les Slanns. En revanche, je sais qui vous êtes, et ce que vous avez fait, car j’ai affronté vos larbins à maintes reprises ! Et je donne raison à ce jeune Skaven : vous vivez dans les ténèbres et dans le mensonge. Un mensonge que vous entretenez depuis si longtemps que vous avez cessé de le voir autrement que la seule réalité, et ce depuis des centaines d’années. Mais ce mensonge sera votre perte ! Il finira par vous étouffer complètement, et quand vous l’aurez compris, il sera trop tard !

 

Psody remarqua qu’au fur et à mesure que Cuelepok parlait, les monstrueuses silhouettes perdaient peu à peu de la consistance. Elles s’effaçaient progressivement. Cuelepok se tourna vers lui.

 

-         Alors, mon jeune ami, tu es né chez eux, tu as passé du temps chez les Humains, tu as compris comment était ma vie chez les Slanns… qu’est-ce qui te semble le mieux ?

-         Les Humains ! répondit le petit homme-rat sans hésiter.

-         Pourquoi ?

-         Parce que chez eux, je n’ai plus peur, je ne suis plus seul… et j’ai découvert une force toute puissante, que les Seigneurs de la Ruine ne pourront jamais maîtriser !

 

Il mit ses mains en porte-voix, et cria de toutes ses forces :

 

-         L’Amour !

 

À ce mot, les douze Seigneurs de la Ruine finirent de s’évanouir complètement dans les vapeurs multicolores. Le vent tomba, et les nuages se déchirèrent pour laisser paraître les cascades de cuivre diffusées par le soleil.

 

Il n’y eut plus rien d’autre que la ziggurat, au milieu des cieux dorés, et les deux Skavens Blancs côte à côte.

 

-         Nous y sommes, déclara Cuelepok d’une voix douce. Cette force que tu viens de nommer n’est jamais anodine. Certaines races semblent très bien s’en passer, d’autres ne vivent que pour elle. C’est la seule émotion que les Skavens semblent être incapables de percevoir. Ils connaissent la colère, l’envie, la peur, la tristesse, parfois la joie, mais l’amour ne fait pas partie de leur caractère. Ce fut ce que j’ai toujours voulu connaître étant petit, et que je me suis efforcé de donner à mes pairs une fois grand.

-         Mais… comment avez-vous découvert l’amour ? Vous avez été élevé par les Slanns, ils n’ont aucun sentiment apparent !

-         En effet, mais au fond de moi, je sentais bien qu’il me manquait quelque chose. J’ai toujours été nourri, défendu, éduqué, mais le tout sans la moindre émotion, ce qui me manquait cruellement. C’est le jour où des chasseurs Skinks ont ramené une première couvée de jeunes Skavens que j’ai compris ce que je voulais. Je n’ai pas eu besoin d’explication compliquée. Je les ai tous aimés, immédiatement. Sans hésitation, ni limite. J’étais prêt à tout faire pour les rendre heureux. J’ai donné un nom à chacun de ces jeunes ratons, puis j’ai pu leur procurer de l’affection, des soins, de l’énergie. Ils m’ont rapidement tout rendu. Leur bonheur a été complet quand les Hommes-Lézards ont réussi à ramener quelques femelles, qui ont pu enfanter une nouvelle génération.

 

Le visage du grand Skaven Blanc se renfrogna, alors qu’il évoqua d’autres souvenirs moins agréables.

 

-         Quand j’ai vu par moi-même comment se conduisaient les Skavens du Clan Pestilens de Lustrie, j’ai compris qu’ils ne parviendraient jamais à l’emporter, tant qu’ils ne remplaçaient pas leur sempiternelle mauvaise foi diviseuse par des sentiments plus nobles et plus liants. C’est ce que Xarkish et moi avons tenté de prouver en fondant Capatec Hanahuac. Hélas, les choses n’ont pas tourné comme nous le souhaitions, et tu as vu le résultat.

-         C’est vraiment dommage que Capatec Hanahuac soit tombée aussi bêtement, monseigneur. Les choses auraient été très différentes sans les Pestilens.

-         N’en sois pas aussi sûr. La paranoïa des anciens Slanns a été la cause principale de cette chute. Les Pestilens n’ont été que le déclencheur. Kroak n’aimait pas vraiment Xarkish, et je sentais qu’il me haïssait, moi. Je représentais quelque chose qui n’était pas conforme à l’équilibre du monde selon son point de vue. Même sans l’invasion des Pestilens, il aurait trouvé un autre prétexte pour se débarrasser de nous. Mais ce qui est fait est fait, et je suis déjà bien content d’avoir pu modifier un peu le cours des choses à ma façon.

-         Vous savez, je crois que Xarkish ne voulait pas que ça finisse comme ça, non plus.

-         Ne t’en fais pas, je le sais. Même si, sur l’instant, j’étais fou de colère contre lui, au fond de moi, je savais déjà que le vrai criminel était Kroak, et que mon pauvre ami dut faire le choix le plus difficile de toute sa vie, ce jour-là. Sacrifier son frère et les enfants adoptifs de celui-ci, ou voir toute sa cité détruite et ses fidèles sujets massacrés par une légion de son propre peuple. Pour rien au monde, je n’aurais voulu être à sa place. Et je lui ai pardonné depuis longtemps.

-         Comme vous pouvez être noble-noble ! J’aimerais devenir comme vous !

 

Cuelepok se tint au côté de Psody, et posa paternellement son bras sur son épaule.

 

-         Je n’ai pas eu la chance d’avoir mon propre enfant, Psody. J’ai bien essayé plusieurs fois, mais j’étais infécond. Si j’avais eu un fils… j’aurais aimé qu’il te ressemble.

-         Oh, vous me flattez, monseigneur.

-         Enfin, c’est ainsi. C’est le passé. N’en parlons plus.

-         Et… pour l’avenir ?

-         L’avenir ? Tu connais déjà l’avenir ! répondit Cuelepok en riant.

-         Je ne comprends pas.

-         Ne t’en fais pas, en temps voulu, tout deviendra limpide. Pour l’heure, il y a plus urgent. Pendant que nous parlons, tes amis affrontent les Skavens de ton maître.

 

Il entraîna le petit homme-rat vers la fosse circulaire. Ce dernier frissonna en voyant qu’elle s’était rouverte, mais en s’approchant, il constata qu’elle n’était plus aussi noire que si elle conduisait dans le plus profond des gouffres, mais qu’au contraire un tourbillon de lumière en émergeait. Quand les deux Skavens furent au bord, Cuelepok fit un geste de la main vers l’ouverture.

 

-         C’a l’air impressionnant comme ça, mais ce n’est pas ce que tu crois. Grâce à ma volonté, ce puits de mort dans lequel tous mes protégés ont péri sous mes yeux est maintenant un noyau de vie. Je te laisse tout ce qui reste de mon pouvoir. Tu pourras t’en servir pour vaincre tes ennemis, et faire triompher la réalité. Tout ce que tu as à faire, c’est sauter dans cette fosse, et rejoindre la lumière.

 

Il regarda Psody droit dans les yeux et articula lentement :

 

-         J’ai maintenant une question, Psody.

-         Je vous écoute, seigneur Cuelepok.

-         Je t’ai attendu deux mille ans pour que tu donnes vie à mon rêve. J’ai entièrement confiance en toi. Ma question est : es-tu prêt à me rendre cette confiance ?

-         Euh… est-ce que je suis digne de votre confiance ?

-         Bien entendu. Mais pour en bénéficier, il te faut te plier à une condition.

-         Laquelle ?

-         Tu l’as compris au cours de ton voyage ; tu es seul maître de tes actes. Quand nos esprits se sont effleurés, j’ai tout de suite vu que tu étais capable d’accomplir de très grandes choses. Or, elles ne doivent pas partir d’une volonté extérieure, mais du plus profond de ton cœur. Si tu désires fonder une nouvelle Capatec Hanahuac, tu as ma bénédiction. Si tu préfères tout abandonner pour vivre ta vie selon tes désirs, je ne t’en blâmerai pas. « Fais ce que voudras », tu te souviens ?

-         Oui, seigneur Cuelepok.

-         Parfait. Sache que tu as le pouvoir de changer les choses, et que le Rat Cornu n’y verra pas la profanation de sa parole. Tu l’as très bien compris, ça aussi, et j’en suis très heureux. Écoute simplement ce qui vient de .

 

Cuelepok posa son doigt sur la poitrine de Psody. Celui-ci demanda encore :

 

-         Et… et vous ?

-         Moi, je vais pouvoir enfin trouver le repos, car je saurai que mon héritage est entre de très bonnes mains.

 

Psody réfléchit encore quelques secondes, et son choix lui apparut clairement à l’esprit. Puis sans vraiment se poser de question, les deux Skavens Blancs se firent une longue accolade, comme un père et son fils enfin réunis après une éternité de séparation. Ils se relâchèrent, Psody se dirigea vers l’ouverture, se positionna face au gouffre. Il ferma les yeux, releva la tête, écarta les bras, et se laissa tomber en avant.

 

 

Le petit Skaven Blanc bascula au milieu d’un tourbillon de couleurs. Il sentit une tempête secouer tout son corps, et perçut des chœurs chantants à travers les sifflements de vent qui lacéraient ses tympans. Il entrouvrit ses paupières pour voir le maelstrom se rapprocher, encore et toujours. Il sentit une chaleur bienfaisante réchauffer tout son corps. Il vit une sphère dorée dont irradiait cette chaleur. D’abord de la taille d’une petite balle, cette sphère grandit, grandit. Psody réalisa qu’elle était bien plus grande qu’il n’avait pensé. Elle lui apparut bientôt plus grande qu’une maison, et il n’avait pas fini de s’en rapprocher. La chaleur devint désagréable, et sa peau nue commença à rougir. La lumière éblouit ses grands yeux roses. Il les crispa, et sentit des larmes de douleur les inonder. Il souleva les paupières, et vit la sphère grande comme une montagne. Sa fourrure s’enflamma, sa chair fumante brûla, il gémit de douleur. Bientôt, il tomba pile dans l’œil du cyclone coloré.

 

 

Psody ouvrit grand les yeux d’un coup. Sans transition, il était de nouveau au sommet du donjon de Gottliebschloss, par terre, étalé dans un liquide gluant. Il prit appui sur ses paumes, et se releva péniblement. Une vive souffrance à l’arrière du crâne le fit geindre, et l’odeur du résidu poisseux lui piqua les narines jusqu’à le faire éternuer. Il secoua la tête pour reprendre ses esprits, puis pencha la tête par-dessus le créneau.

 

Impossible de savoir combien de temps s’était écoulé, précisément. Malheureusement, la situation avait tourné en la défaveur des mercenaires de Steiner. Coincés entre les Skavens de Vellux et les créatures de Karkadourian, ils faiblissaient. Il était temps pour lui d’agir.

 

Il ramassa son sac de cuir resté non loin de lui, l’ouvrit, et sortit le masque de Cuelepok. Il le tint du bout des doigts, le contempla rêveusement, et quand il le tourna de manière à voir l’intérieur, il crut voir un étrange reflet doré iriser l’objet.

 

Un coup de tonnerre Warp le ramena au moment présent. Sans attendre plus longtemps, il mit le masque et attacha la ficelle derrière sa tête. L’or était chaud. Pas brûlant, mais il irradiait d’une énergie nouvelle, c’était sûr. La même que celle qui avait illuminé la boule quand Cuelepok avait vaincu le Verminarque.

 

Il entendit la voix de son aîné Skaven Blanc murmurer une suite de syllabes à son oreille. Il ne comprit pas un mot, mais imagina, à juste titre, qu’il s’agissait d’une formule magique répétée encore et encore. Une incantation dans la langue des prêtres de Sotek, le dieu principal des Hommes-Lézards. Il leva les bras, mains tendues vers le ciel nocturne, et unit sa voix à celle de son prédécesseur. Son corps tout entier s’embrasa, les flux aethyriques coulèrent dans ses veines, faisant battre son cœur de plus en plus vite. Il ne se laissa pas distraire, et continua à réciter le mantra, d’une voix progressivement plus forte, plus passionnée. Bientôt, il se retrouva dans un état d’exaltation proche de ce qu’il avait vécu après la bataille de Maraksberg, et son intensité ne diminua pas, au contraire elle redoubla. Enfin, quand il sut qu’il était arrivé au paroxysme de l’excitation, il écarta les bras vers les cieux et s’écria :

 

-         Que se lève la toute puissance du Soleil !

 

 

Hallbjörn se battait de toute son énergie, écrasant les chairs des maraudeurs du Chaos. Il distinguait de moins en moins ses hommes, et les esclaves de Slaanesh se rapprochaient inexorablement. Ses bras lui faisaient mal à force de frapper encore et encore. De plus, il avait malgré tout reçu quelques coups de griffes ou de lames, et ses vêtements étaient tachés de son propre sang. Il distingua clairement le faciès d’un Guerrier du Chaos aux dents pointues qui ricanait.

 

Le capitaine Norse se surprit à pouvoir repérer sur l’armure de son adversaire des détails qu’il ne devrait pas pouvoir discerner : la couleur des lanières de cuir, les bosselures sur sa cuirasse, et la balafre qui parcourait son menton. Il n’y avait pas que le Guerrier du Chaos, les pierres de la muraille de Gottliebschloss devant lui apparurent plus claires.

 

Autour de lui, les combattants luttèrent avec de moins en moins de hargne, déconcentrés par quelque chose en l’air. Il jeta un bref coup d’œil par réflexe, et fut complètement subjugué par ce qu’il vit.

 

-         Ulric me foudroie… murmura-t-il en Norse.

 

C’était impossible, impensable et pourtant… Dans le ciel, les nuages noirs étaient en train de s’écarter, révélant au milieu des étoiles un soleil. Une boule dorée, flamboyante comme l’astre du jour, dont les rayons éclairèrent rapidement toute la plaine et la forêt environnante aussi fort qu’au douzième coup de midi.

 

Bientôt, plus personne ne bougea. Un grand silence s’abattit sur tout le périmètre. C’était trop aberrant pour tout le monde. Hallbjörn distingua alors quelque chose d’autre qui émettait une forte lumière au sommet de la plus haute tour.

 

 

Les prisonniers Humains, toujours enfermés dans les cages de la cour, retinrent aussi leur souffle. Dame Franzseska Gottlieb et ses deux enfants repérèrent d’où venait cette lumière. Marjan s’exclama :

 

-         Mère ! Regardez ! Un... un ange !

-         Il fait lever le soleil ! s’étonna son frère Jochen.

 

La Dame écarquilla les yeux. Elle distingua clairement une petite silhouette sur le donjon, pas plus grande que son propre fils, qui portait une robe à motifs, et un masque d’or. Cet étrange petit personnage avait les bras écartés, comme s’il réussissait à faire s’évanouir les nuages pour permettre au soleil de briller avant l’heure. Tout autour de lui fluctuait une énergie dorée qui tourbillonnait autour de lui, et éblouissait quiconque la regardait trop longtemps.

 

Un cri déchirant de douleur retentit alors, et fit tressaillir Hallbjörn. Non loin de lui, un des Mutants parmi les plus malingres se roula par terre alors que de la fumée sortait de ses orifices. Puis il s’enflamma spontanément et brûla sur place. Un autre Mutant flamba rapidement à son tour, et bientôt, les créatures du Chaos les plus atteintes par la corruption du Warp subirent le même sort. Les Guerriers du Chaos en armure ne furent pas atteints, mais ils hésitèrent en voyant leurs troupes fondre aussi rapidement que la neige des steppes du Nord en été.

 

Les guerriers de Steiner sentirent tous un furieux regain d’énergie alimenter leur corps. Ils se ruèrent derechef sur les forces du Chaos, et tailladèrent dans leurs rangs avec des cris sauvages.

 

 

Toujours sur le pont-levis, les Skavens ne se réjouirent pas autant que les Humains à cette vue. Au contraire, tout au fond de leurs tripes, ils sentaient une très lointaine, ancestrale, mais aussi très vilaine peur. Cet individu, en haut de la tour, avait quelque chose de profondément terrifiant, mais personne ne sut expliquer pourquoi. Quelque part, au milieu des hommes-rats, quelqu’un cria :

 

-         Le dieu des choses-froides !

 

Même si aucun Skaven présent n’avait jamais vu les habitants de la Lustrie, tous savaient instinctivement qu’il était lié au soleil, l’astre maudit par les Fils du Rat Cornu. Ces mots déclenchèrent une tornade de panique. Ils reculèrent précipitamment pour se réfugier à l’abri dans l’enceinte de Gottliebschloss.

 

Vellux se retrouva bousculé, presque renversé par ses guerriers. Plus intelligent et observateur que la moyenne des Skavens, il avait compris que cette étrange figure n’avait rien de divin.

 

-         Pas un dieu ! Seulement un sorcier-mage ! Arrêtez !

 

Les Skavens ne l’écoutaient pas, trop effrayés. Le Prophète Gris sut que le moyen le plus simple de les regrouper était d’éliminer ce gêneur. Il ne voulut pas cependant prendre le risque d’attirer l’attention du sorcier en l’attaquant directement. Aussi préféra-t-il invectiver ses hommes-rats.

 

-         Abattez-le ! Tuez-tuez-le !

 

Mais les Skavens étaient trop affolés pour rester concentrés… sauf un, tapi dans l’une des tourelles angulaires.

 

Diassyon du Clan Skryre vit un nouveau défi. Il empoigna alors son jezzail à malepierre.

 

-         Celui-là, il est pour moi ! glapit-il.

 

Il repéra dans un endroit dégagé l’angle idéal, posa son arme sur le rebord d’un créneau, et se mit en position. Le magicien doré apparut dans la lentille de sa lunette. Avec un sourire mauvais, il repéra le masque rond qui surplombait un corps mince. Il orienta le canon du jezzail droit vers le cœur de l’individu mystérieux. Aucune balle tirée par le Technomage ne ratait sa cible. Ce sorcier était condamné.

 

Le doigt du Skaven brun glissa sur la gâchette, prêt à l’enfoncer, lorsqu’il distingua quelque chose derrière le masque.

 

Tiens… des cornes ?

 

Des cornes qui rappelèrent au Technomage un très, très vague souvenir. Quelque chose lié à des sensations plutôt plaisantes. Il regarda un peu mieux, et repéra une queue de rat qui sortait de sous la robe du sorcier. Il se concentra, et réalisa subitement qu’il connaissait bien ces cornes, et celui qui les portait.

 

-         Par le Rat Cornu !

 

Soudain, le choc violent d’un projectile d’arme à feu le renversa, et il se retrouva sur le plancher, paralysé par une violente douleur. Il distingua l’impact fumant dans son flanc.

 

 

Sur le rempart de l’autre côté de la cour, Nedland rechargea son pistolet avec un ricanement.

 

-         Un partout, champion de mes fesses !

 

 

Sur sa monture, Ludwig Steiner ne perdait pas non plus une miette du spectacle. Il fut obligé de retirer sa longue-vue, pour ne pas se brûler l’œil.

 

-         Par la balance de Verena, c’est incroyable !

 

Tomas, prostré sur le sol, releva la tête. Il avait déchiré un pan de sa tunique pour l’enrouler autour de son visage mutilé.

 

-         Que se passe-t-il, mein herr ?

-         J’aimerais le savoir. Ai-je vraiment logé un Skaven Blanc ?

 

La première surprise passée, le clerc de Verena ne fut pas long à comprendre.

 

-         Il est évident qu’il fait appel à la magie des Hommes-Lézards ! Compte tenu du caractère purificateur de tout artefact lié au soleil, j’espère que ça ne va pas le consumer !

-         Vous croyez que le masque de Cuelepok peut le tuer ?

-         J’espère que non, mein herr.

 

 

Les Skavens voulurent se mettre à l’abri dans les différents bâtiments du château, les mains sur leurs yeux, la tête baissée. Vellux s’égosillait pour les remettre d’aplomb, à sa façon.

 

-         Revenez-combattez, bande de lâches ! Si vous ne tuez-tuez pas les choses-hommes, c’est moi qui vous tue !

 

Et pour la bonne mesure, il attrapa un petit Guerrier des Clans par la peau du cou et lui écrasa le museau d’un coup de coude. Il fit crépiter un éclair d’énergie Warp pour griller la cervelle d’un Moine de la Peste. Mais la peur du soleil était plus forte que ses arguments.

 

 

Diassyon se traîna maladroitement sur le chemin de ronde. Finalement, il se laissa tomber sur les pavés, et roula sur lui-même pour se retrouver le museau tourné vers le ciel. Le soleil se reflétait dans ses yeux rouges. Cela ne le gênait pas tellement, compte tenu de la blessure qui meurtrissait sa poitrine.

 

Ce n’est pas si terrible, après tout… le soleil.

 

Il ferma les yeux, et laissa les rayons du soleil chauffer les poils de sa fourrure, lorsqu’il sentit que quelqu’un se penchait sur lui. Il frissonna en sentant sur son flanc quelque chose de visqueux. Il releva les paupières, et vit une sorte de limace longue comme un doigt, et aussi épaisse, qui tremblotait par-dessus sa blessure. La douleur s’estompait peu à peu. Il se redressa péniblement, et distingua une silhouette malheureusement familière.

 

-         Ne t’en fais pas, Diassyon, chuchota le Diacre de la Peste Soum.

-         Qu’est-ce que vous m’avez fait, Diacre ?

-         Je viens de te sauver la vie. Mis sur le trou un charme de coagulation. Tu vas guérir, tu vas vivre. Seulement, tu vas devoir me suivre.

-         Quoi ?!?

-         Cette limace contient ma salive et mon sang. La bénédiction des Pestilens vient enfin de te toucher, Diassyon. Je vais m’occuper de toi.

-         Et si je veux pas ?

-         Tu meurs. Et surtout, je dois rester en vie-vie, moi aussi. Ce charme n’agira que grâce à ma magie. Tant que tu en auras besoin, je devrai continuer à vivre. Quand ta blessure sera guérie, tu seras devenu un vrai Pestilens ! Comme ton frère Moly. Maintenant, tu es à moi-moi ! Je vais faire de toi mon disciple. Je vais bien m’occuper de toi !

 

Avec un petit rire sournois, Soum tendit la main vers Diassyon pour l’aider à se relever. Le Skaven brun regarda encore la limace coagulante qui pulsait régulièrement comme un cœur malade. Une fois de plus, son cerveau tourna à toute vitesse pour analyser la situation et tous ses dénouements possibles. Il imagina les vieilles pattes du Diacre le tripoter avec perversité, et n’eut besoin de rien d’autre pour prendre sa décision.

 

Il saisit la patte du Diacre, puis en un éclair, sortit son pistolet à malepierre de sa main libre, appliqua le canon sur le bas-ventre du Pestilens et pressa fermement la gâchette. Le projectile de malepierre partit dans un grand bruit, et explosa au contact de sa cible.

 

Le Skryre esquissa un méchant sourire quand il constata que le Diacre, malgré toutes les drogues qui embrumaient son cerveau détraqué, était toujours capable d’éprouver certaines sensations à certains endroits. Le vieux Skaven tomba à genoux, se tenant l’entrejambe à deux mains, et piailla un cri de douleur tellement strident que le Skaven brun sentit ses tympans se déchirer. Diassyon bondit en avant, tête baissée, et percuta le Pestilens en pleine poitrine. Il lui lacéra les côtes d’une main, et lui arracha sa cagoule de l’autre, mettant à nu son crâne dépourvu de chair et de fourrure. Satisfait d’avoir réussi à forcer son intimité, il rassembla ses dernières forces pour prendre à bras le corps le Pestilens, le poussa de toute son énergie, et très vite, les deux Skavens tombèrent du chemin de ronde, et allèrent s’écraser dans la cour.

 

 

Immobile au milieu des hommes-rats qui fuyaient, Vellux sentit qu’il avait le vertige. La colère qui faisait bouillir son cerveau lui faisait perdre l’usage de ses sens. Il n’y avait que la rage, la couleur du sang, le goût de la mort, le tintamarre du carnage. Les choses-hommes finissaient de massacrer les choses-bizarres. Ils allaient bientôt pouvoir entrer dans le château ! Tous ses espoirs de gloire, tous ses projets, son avenir au sein de Skarogne, son plan d’éviction de l’Hérésiarque, tout était en train de s’écrouler sous ses yeux. Ses troupes ne survivraient pas à cette bataille. Sans troupes, il n’était plus rien.

 

Il rejeta sa tête en arrière, et leva les poings au ciel. Il tourna la tête vers le magicien doré, et hurla de toutes ses forces dans sa direction :

 

-         Tout ça, c’est ta faute, espèce de…

 

C’est alors que Vellux distingua plus précisément son adversaire. Comme Diassyon, il vit les deux cornes pointant au-dessus du masque d’or. Contrairement au Skryre, il n’eut aucun mal à reconnaître ce mage dans l’instant.

 

-         Toi !

 

Il n’y avait plus à hésiter. Klur avait été incapable de faire ce travail, c’était donc à lui, le Prophète Gris Vellux, qu’incombait cette tâche. Il avait créé Psody, il allait le détruire. Ce méprisable traître n’aurait jamais assez de temps dans l’éternité de souffrance qu’il allait endurer par sa main pour regretter de lui avoir ainsi volé la victoire. Pas question, néanmoins, de prendre le moindre risque de rater son coup. Il porta la main à son ceinturon, en décrocha la bourse de cuir qui contenait les cristaux de malepierre qu’il gardait toujours sur lui. Sans hésiter, il arracha le cordon, ouvrit grand la bouche et versa tout le contenu du petit sac dans son gosier.

 

En quelques instants, l’énergie chaotique de la malepierre lui broya l’estomac, puis remonta jusque dans son cerveau tel le magma d’un volcan. Des étincelles vertes crépitèrent sur tout le corps du Skaven Blanc, qui se tint le ventre à deux mains et tomba à genoux. Même les Skavens habitués à la malepierre n’étaient pas à l’abri d’effets secondaires dangereux s’ils consommaient une dose trop importante.

 

Il cria de souffrance, et ses crissements aigus se brisèrent en un grondement sourd et rauque. Une déchirure insupportable lui traversa l’échine. Il sentit quelque chose lui poinçonner la peau du dos, comme si ses propres vertèbres transperçaient son échine. En vérité, elles étaient bel et bien en train de se transformer en une longue crête de piquants osseux. Sa mâchoire s’allongea, ses dents poussèrent et doublèrent de taille, ses yeux s’étirèrent vers l’arrière. Ses côtes jaillirent à l’air libre, et se muèrent en longues pattes d’insecte qui brassèrent furieusement l’air. Il sentit son corps se tendre. Ses vêtements craquèrent, se déchirèrent, et tombèrent au sol. Quelque chose de membraneux jaillit de ses deux omoplates. Enfin, la douleur cessa.

 

Vellux se releva, et constata qu’il n’était plus un Skaven Blanc, mais bien plus. Il sentit quelque chose s’agiter avec un bourdonnement furieux derrière lui, et ricana en voyant l’énorme paire d’ailes de mouche qui faisait désormais partie de son anatomie. Encore un petit effort, et il parvint à prendre son envol. Il tenta maladroitement de faire demi-tour, et s’éloigna du périmètre.

 

 

Le Skaven assassin tira la jeune fille-rate vers l’extérieur, sur le rempart. Heike vit la plaine, et toute l’étendue de la bataille. De nombreux cadavres jonchaient le sol, le sang mélangé à la boue donnait à la terre une couleur rouge sombre. Quelques créatures aux membres tordus, crochus, fuyaient vers la forêt, et certaines, à bout de force, s’écroulaient sur l’herbe et s’évanouissaient dans la fumée en quelques secondes.

 

-         Mais… comment… ?

 

Elle ne comprit pas. C’était irréel, aberrant, le soleil ne pouvait pas être aussi haut dans le ciel alors qu’il s’était couché dans l’heure ! L’assassin était aussi surpris qu’elle. Il s’arrêta net, et couina de surprise.

 

Heike leva le nez à son tour, et eut le souffle coupé. Elle reconnut – ou plutôt, elle crut reconnaître – la petite silhouette de Psody. Malgré le masque en or massif qui lui couvrait la figure, elle n’eut plus aucun doute en voyant ses deux cornes. Il était debout, face à ce soleil apparu de nulle part, les mains levées, droit, serein, et tout son corps rayonnait de lumière comme celui d’un dieu.

 

La jeune fille sentit son propre cœur battre la chamade. Elle ne vit plus rien, n’entendit pas davantage non plus. Le monde entier ne se réduisait plus qu’à l’image du petit Skaven Blanc qui maîtrisait une puissance aussi formidable.

 

Qu’il est beau ! Je tomberais amoureuse de lui à l’instant, si je ne l’avais déjà fait !

 

Un crissement épouvantable la fit sursauter. Elle pivota, et son sang se figea net alors qu’elle vit une chose monstrueuse, qui lui rappelait vaguement un Skaven Blanc avec des pattes et des ailes de guêpe qui volait bruyamment vers le donjon. Elle s’égosilla :

 

-         Psody, attention !

-         Psody ? répéta l’assassin, surpris d’entendre ce nom.

 

 

Psody se sentait bien. Très bien, même. Une fois de plus, il vivait une expérience onirique qui avait transporté son esprit dans un autre monde. Cette fois, il ne s’agissait plus d’une vision malsaine ou terrifiante. Il se trouvait dans un immense pré. Partout à perte de vue, on ne voyait que du vert. De la verdure poussait sur les collines lointaines, l’herbe était doucement balayée par le vent.

 

Le petit homme-rat inspira à pleins poumons. L’air était pur, la légère brise sur son visage le fit frissonner de plaisir. La seule chose qu’il regrettait, c’était d’être tout seul. Il aurait aimé partager ce moment de pur bien-être avec Heike.

 

Aucune importance, pensa-t-il. Un jour, nous nous promènerons dans un endroit aussi beau.

 

Au milieu de cette plaine, il y avait un arbre. Un grand chêne dont les feuilles vertes ondulaient silencieusement au gré du vent. Il décida de s’y installer. Une fois assis, il croisa les jambes, ferma les yeux, et laissa son esprit vagabonder. Pour la première fois de sa vie, il se sentit parfaitement en harmonie avec le monde entier. Plus de colère, plus d’énergie du Warp contre-nature. En fait, si l’élue de son cœur avait été là, il n’aurait peut-être pas été nécessaire de bouger, son bonheur aurait été complet.

 

Les oiseaux chantaient, au loin un ruisseau bruissait de manière apaisante. Soudain, le petit Skaven Blanc sentit un vent glacial se lever. Il souleva les paupières, et distingua au loin une colonne de nuages noirs, qui se rapprochait.

 

 

L’horreur ailée était juste au-dessus de Psody. Heike se tordit les doigts sur ses joues, morte d’angoisse. Le petit Skaven Blanc était protégé par une sorte de rayonnement doré, mais la créature déploya ses pattes et les enfonça dans la lumière, comme pour la briser. Peu à peu, le halo d’énergie doré perdait de sa substance.

 

 

Le tourbillon n’était plus qu’à quelques yards de l’arbre. Un faciès apparut entre deux volutes de fumée noire. C’était le visage furibond de Vellux. Griffes tendues en avant, le Prophète Gris semblait décidé à le déchiqueter. Tout autour de lui, les nuages noirs s’étiraient tels des tentacules de goudron.

 

Mais le petit Skaven Blanc ne perdit nullement son sang-froid. Il focalisa ses pupilles vers la tête de l’autre. Son regard perça les ténèbres telle une flèche d’or tirée par un arc d’argent, fendit les nuages, et pénétra le crâne du grand Skaven Blanc, juste entre ses deux yeux.

 

Plusieurs images se succédèrent dans l’esprit du jeune homme-rat à un rythme effréné, comme autant d’éclairs dans la plus violente des tempêtes. Enfin, pendant une seconde, une scène apparut nettement. Psody vit, et compris.

 

Il vit un petit Skaven Blanc, âgé d’à peine deux ou trois ans, trop jeune pour avoir passé le rituel de majorité. Le petit raton était recroquevillé dans un coin d’une pièce sombre, aux murs noirs d’humidité, les bras désespérément tendus devant lui. Il détournait la tête, et des larmes coulaient de ses yeux clos, tandis qu’une main couverte d’un léger duvet gris clair était levée, prête à s’abattre sur lui.

 

Jamais Psody n’avait vu cette image. Il crut d’abord voir un instant de son propre passé, mais en voyant la forme des petites cornes torsadées de la pauvre créature, il comprit que ce n’était pas lui qu’il voyait, mais son ancien maître, lui-même terrorisé par son propre mentor.

 

C’était donc ça.

 

Sous ses airs de despote tyrannique, violent, prétentieux et colérique, Vellux n’était rien d’autre qu’un petit Skaven mort de peur, attendant avec une certitude désespérée la main qui allait le battre. Une fois adulte, il avait décidé de le faire payer au monde entier, à commencer par lui, Psody, seul vrai élu du Rat Cornu, susceptible de menacer son autorité à Brissuc.

 

Steiner avait raison. Il ne peut rien contre moi.

 

Les tentacules noirâtres fouettaient l’air de plus en plus furieusement. Les extrémités ventousées n’étaient plus qu’à quelques pouces du visage de Psody. Le petit Skaven Blanc fit un geste, un seul. Il leva la main vers la monstrueuse apparition, et murmura, avec la voix de Cuelepok :

 

-         Casse-toi.

 

 

La lumière dorée qui émanait de Psody se fit de plus en plus intense, et finit même par éclipser celle du soleil qui brillait toujours dans le ciel. Elle forma une sphère d’or et de cuivre qui tournoya autour de son corps, et qui grandit de plus en plus. Puis, lorsque l’énergie dorée toucha directement le corps du Prophète Gris, celui-ci fut catapulté en arrière. Il fit un long vol plané, comme une étoile filante et hurlante, et s’écrasa à quelques yards de la forêt.

 

 

Heike était subjuguée. Elle ne pouvait en croire ses yeux. Elle tourna la tête vers son ravisseur. Celui-ci affichait une grimace de surprise. Elle l’entendit bredouiller :

 

-         Ouh la la, ouh la la, oh !

 

Pour la première fois de sa vie, Tweezil du Clan Eshin sentit la situation lui échapper. Son cœur se comprima au milieu de sa cage thoracique. Cette sensation étrange devint rapidement très désagréable, et sa raison vacilla. Cette magie était trop puissante, même pour lui. Et quand il eut l’impression de voir l’individu masqué se tourner vers lui, son instinct de survie prit le dessus. Il repoussa d’un coup de patte la jeune fille-rate comme si elle était un poids qui le retenait, et bondit par-dessus le créneau. Il dégringola plus qu’il ne descendit le long de la muraille, traversa le fossé, et courut vers la forêt, pour y disparaître complètement.

 

Heike était libre. Plus de collier, plus de Prophète Gris, plus d’assassin, plus personne pour la garder prisonnière. Elle n’eut cependant pas le temps de s’en réjouir. Une insupportable symphonie de braillements la fit sursauter, tandis qu’elle vit une patte de Skaven rattachée au bout d’un tentacule couvert de fourrure agripper l’un des créneaux non loin d’elle. En quelques secondes, un être d’une laideur indescriptible se répandit sur le rempart, et tourna ses trois têtes de rat géant vers elle. La jeune fille tomba à la renverse sur son arrière-train.

 

Le monstre rampa lentement vers la pauvrette. De la bave jaunâtre coulait de ses trois mâchoires grandes ouvertes, qui dévoilaient des crocs affûtés à en couper du diamant.

 

 

Les Gottlieb pouvaient voir toute la scène. Dame Franzseska cria de toutes ses forces :

 

-         Fuyez, Heike !

-         Mère, regardez !

 

 

La queue à l’extrémité évasée se dressa vers la fille Skaven. Un mince filet de fumée en sortit. Heike ouvrit la bouche, mais aucun son ne put s’extirper de sa gorge. Soudain, un brillant éclat de lumière jaillit juste devant elle. Par réflexe, elle se protégea les yeux de l’avant-bras. En regardant derrière elle, elle vit que le petit Skaven Blanc était tourné vers elle, et que deux rayons dorés sortaient de ses yeux avec un tintement cristallin pour frapper directement l’abomination du Chaos.

 

Soumise à une souffrance inimaginable, la créature mutante se roula sur la pierre, ses membres fouettèrent l’air dans toutes les directions, et ses bouches couinèrent, couinèrent à en faire perdre la raison. Sa chair noircit, et une fumée chargée de l’odeur de chair grillée monta. Pendant de longues secondes, elle agonisa, puis s’immobilisa complètement. L’amas de viande ne fut bientôt plus qu’une carcasse noirâtre, qui tomba en poussière en à peine un instant.

 

La lumière disparut. Et peu à peu, les nuages couvrirent de nouveau le soleil.

 

Choquée par cette horrible scène, mais néanmoins soulagée d’être saine et sauve, la pauvre Heike ne savait plus quoi faire. La tête lui tournait. Trop d’émotions contradictoires accumulées en trop peu de temps. Elle se traîna le long du chemin de ronde, s’assit sur les pavés, s’appuya contre la pierre, ferma les yeux et essaya de reprendre son souffle. Soudain, elle se rappela de ce qui s’était passé dans la salle du trône quelques minutes plus tôt, et réalisa avec horreur ce que cela impliquait.

 

-         Par les larmes de Shallya… murmura-t-elle. Romulus ! Oh non !

 

Ce furent ses propres larmes qui roulèrent sur ses joues duveteuses. Un bruit de pas venant dans sa direction la tira de son hébétude. Elle eut un hoquet de surprise en voyant quelqu’un s’approcher d’elle.

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