L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 40 : ...et de l'espoir

10667 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/08/2020 19:57

Psody pointa le museau dans la direction indiquée par la jeune Skaven, et plissa nerveusement les yeux. Un énorme Skaven Noir était là, avançant péniblement dans leur direction. Il semblait fort blessé, lui aussi, respirait bruyamment, et du sang maculait sa fourrure. Il avait enroulé sa cape autour de ses reins pour compresser la terrible blessure qui lacérait son flanc. Très affaibli, il s’appuyait sur le manche de bois d’un marteau de guerre brisé pour marcher, mais il avait l’air d’avoir assez de force pour se battre une dernière fois. Heike gémit de terreur, et se pelotonna contre le Skaven Blanc.

 

Pas maintenant ! Ce serait trop bête !

 

Psody savait que dans son état, il n’avait aucune chance au combat contre un Skaven Noir, mais il était résigné à protéger son amie.

 

-         C’est celui qui gardait ma cage ! cria-t-elle. Il veut me reprendre !

-         Faudra me tuer d’abord !

 

Courageusement, il leva son macuahuitl, prêt à s’en servir. Son bras tremblait. C’est alors qu’il sentit son front se creuser, alors qu’il remarquait quelque chose de particulier chez cette Vermine de Choc.

 

Il lui manque une oreille…

 

Puis, soudain, le Skaven Noir lui apparut complètement, à la lumière de la lune. Psody écarquilla les yeux de surprise.

 

Mais c’est… !

 

Il se tourna alors vers Heike et chuchota :

 

-         N’aie pas peur. Tout va bien.

 

Il rangea son arme, et avança lentement vers le Skaven Noir. Celui-ci s’arrêta, interloqué. Il gronda :

 

-         Psody ?

-         Salut, Chitik, répondit le Skaven Blanc en queekish.

 

C’était bien son grand frère, qui affichait maintenant une expression de surprise démesurée, et lâcha son arme. Lentement, une espèce de sourire grimpa le long des commissures de l’énorme Skaven.

 

-         C’est toi ?

-         C’est moi !

 

Psody se dirigeait toujours vers l’énorme homme-rat. Heike ne comprenait rien de ce qui se passait, mais avait de plus en plus peur que le Skaven Noir n’écrasât entre ses pattes le jeune homme-rat. Quand ils ne furent plus qu’à un pas l’un de l’autre, Chitik agrippa le Skaven Blanc à bras le corps, et le souleva au-dessus de sa tête avec un grand rire.

 

-         Mon frère ! C’était donc vrai ! Tu es en vie !

-         Et toi, alors !

-         Moi, je suis grand et costaud, mais toi…

-         Hé, tu oublies que je suis un élu-élu !

 

Chitik reposa son petit frère sur le sol, avant de le serrer contre son cœur.

 

-         Je suis si content, Psody !

-         Moi aussi-aussi ! Parce que maintenant, je peux te dire…

-         Quoi ?

 

Le Skaven Blanc se retrouva tellement bouleversé qu’il en eut les larmes aux yeux.

 

-         Tu as toujours été très gentil avec moi, tu m’as protégé, tu as veillé sur moi, tu m’as même sauvé la vie, et je ne t’ai jamais remercié ! Je le regrette vraiment, Chitik ! Je suis un mauvais-méchant frère !

 

Psody sentit son émotion redoubler d’intensité quand il vit que le grand Skaven Noir avait lui aussi des larmes roulant sur la fourrure de son faciès.

 

-         Non, tu es un vrai frère, tu l’as toujours été pour moi, répondit-il de sa voix grave.

-         Alors… tu n’es pas furieux contre moi ?

-         Tu devais faire comme un Prophète Gris pour satisfaire Vellux.

-         Je me suis battu contre tes camarades ! J’ai tué Vellux, et Brissuc n’a plus de chef ! Et surtout, Diassyon est mort à cause de mes amis !

 

Chitik hésita. Il sentit une douleur au ventre en entendant ce qui était arrivé au Skryre.

 

-         Diassyon est… Non ! Pas lui !

-         Il ne m’a pas reconnu, et a tenté de me tirer dessus. Un de mes amis l’en a empêché. Je te jure, si j’avais pu faire quelque chose pour le sauver…

 

Quel conflit intérieur cet aveu provoqua ! Diassyon était tellement important aux yeux de Chitik ! Le grand Skaven Noir soupira. Il venait de perdre celui qui était tout pour lui. Soudain, son cœur se desserra légèrement quand il réalisa que…

 

Non… Désolé, Diassyon. Tu es très important pour moi, mais celui qui a toujours été tout pour moi… c’est lui.

 

Il savait intérieurement que le Skaven brun n’en serait pas blessé. Au contraire, sans l’expliquer, il fut convaincu d’entendre la voix de Diassyon qui approuvait cette pensée.

 

-         Il nous protégera. Et Moly aussi.

-         Il… il m’a dit, pour Moly. Le pauvre ne méritait pas ça.

-         Au contraire, la pondeuse-pondeuse l’a délivré de son mal-être et lui a fait connaître le plaisir. Et Vellux méritait de mourir. Et Klur m’a dit qu’il t’avait noyé dans le marais. Je l’ai tué.

-         Oh… Je ne le regretterai pas, lui. Mais tu n’as plus de chef, maintenant.

-         J’en trouverai un autre.

 

Chitik jeta un bref coup d’œil méprisant vers l’abomination qui avait été leur Prophète Gris.

 

-         Vellux était très mauvais. Il t’a donné de mauvais conseils. Il m’a méprisé-détesté alors que j’ai tout fait pour le satisfaire. Il a tout fait pour détruire ton souvenir. Mais tu as changé, tu as trouvé une puissante magie, et tu es revenu le punir. Et maintenant, je te vois tel que tu es.

-         Et… comment je suis, alors ?

-         Tu es magnifique. Tu es le plus beau Skaven que je connaisse, et je suis très honoré d’être ton frère.

 

Le Skaven Noir tendit alors le cou vers la prisonnière.

 

-         Qu’est-ce que tu fais avec la pondeuse ?

-         C’est une « fille », mon frère. Elle s’appelle Heike, et je vais vivre avec elle, chez son père Humain.

-         Tu… tu vas vivre avec… chez… ?

 

Sachant qu’il était pressé par le temps, les renforts impériaux étant probablement en chemin, Psody expliqua en quelques mots simples ce qu’il avait vécu ces derniers mois : sa rencontre avec Katel, sa quête pour obtenir des réponses, jalonnée d’actes plus désespérés les uns que les autres, son apprentissage chez Steiner, et sa relation avec sa fille adoptive. Il ne jugea pas utile de s’attarder sur son aventure en Lustrie.

 

Chitik réfléchit intensément quelques longues secondes, puis hocha la tête.

 

-         T’es en vie et t’es heureux, alors moi aussi-aussi.

-         Écoute, si tu veux, je peux demander à Steiner s’il est prêt à te prendre à son service. Tes muscles seront fort utiles dans les jours à venir.

-         Non. C’est très gentil, mon frère, mais je ne vais pas te suivre. Toi et ta… « Heike », vous avez les idées des choses-hommes. Moi, je suis un Skaven Noir, un Puissant fils du Rat Cornu, et ma place est parmi les Skavens.

 

Psody allait l’assurer qu’il pouvait très bien rester, que Steiner pourrait faire preuve de tolérance, mais il se ravisa en regardant mieux son grand frère. Pouvait-il vraiment s’adapter à la société des Humains ? Lui, Psody, pourtant très différent, intellectuellement plus proche des Humains que les Skavens Blancs ordinaires, avait déjà eu beaucoup de mal à se faire accepter, et à s’accoutumer aux manières des Impériaux. Alors que penser d’un Skaven Noir particulièrement représentatif de l’espèce des Fils du Rat Cornu ? Au mieux, il serait trop mal à l’aise, au pire il paraîtrait trop bestial et serait rapidement rejeté.

 

-         Tu… tu as raison. Tu sauras être heureux, même si t’es tout seul ?

-         Je ne suis pas tout seul. Regarde-zyeute.

 

Il montra du doigt l’orée de la forêt. Une Vermine de Choc l’observait, et lui fit signe. Le Skaven Blanc discerna quelques silhouettes de Guerriers des Clans entre les arbres.

 

-         Je vais retrouver Rool, mon ami. Il a rassemblé-réuni quelques Skavens qui sont prêts à nous suivre. On va faire la route tous ensemble, et on trouvera un terrier de l’Empire Souterrain où aller. Je suis leur Grande Dent !

 

Le petit Skaven Blanc n’en crut pas ses oreilles. Ainsi, le grand Skaven Noir simplet avait définitivement laissé sa place à une redoutable Vermine de Choc, crainte par ses ennemis et suivie par ses sous-fifres.

 

-         C’est… extraordinaire, Chitik. Tu es épatant !

 

Les deux frères restèrent encore un instant sans trop savoir quoi dire, puis Psody se jeta au cou de Chitik.

 

-         Alors, sois heureux, grand frère !

-         Toi aussi, petit frère. Je dois y aller, avant que les choses-hommes ne nous trouvent.

 

Psody relâcha son étreinte et retomba à terre. Chitik baissa la tête et murmura encore :

 

-         Que le Rat Cornu veille sur vous deux.

 

Puis il pivota, trottina le plus vite qu’il put vers la forêt, rejoignit Rool et les autres rescapés. Tous disparurent dans la nuit noire sans plus de cérémonie.

 

Psody retourna vers Heike. Elle le regardait, songeuse.

 

-         Tu le connaissais, n’est-ce pas ?

-         C’est Chitik. Mon frère préféré.

-         Ton grand frère Noir ? Ainsi, c’était bien lui ! Oh…

-         Je te jure qu’il peut être très doux, quand il veut.

-         Je sais, il ne m’a pas brutalisée, au contraire.

 

Une autre voix appela dans leur direction. C’était Steiner.

 

-         Ma fille !

-         Père ! s’écria la jeune fille qui se jeta dans ses bras en pleurant de soulagement.

 

Psody s’éloigna, préférant laisser le père et la fille se retrouver. C’est alors qu’il vit le prieur Romulus accroupi près du cadavre du Prophète Gris. Le Skaven se mordit la lèvre.

 

-         Désolé, Romulus. Ça doit contrarier votre déesse, mais après tout ce qu’il a fait, et tout ce qu’il aurait pu faire, je ne pouvais pas le laisser s’enfuir.

 

Le prieur se releva, et regarda le Skaven Blanc dans les yeux.

 

-         Qu’il en soit ainsi. C’est votre geste, c’est vous qui l’assumerez.

-         Je n’ai aucun regret. C’était un monstre.

 

Romulus se tourna vers la jeune fille-rate qui était toujours serrée contre son père. Elle acquiesça d’un signe de tête. Il réfléchit un court instant, puis haussa les épaules.

 

-         Bah ! J’imagine que dans certains cas, même Shallya peut fermer les yeux, à défaut de pardonner. J’aurais tout de même bien aimé le connaître un peu plus…

-         Non, mon ami, répondit Steiner. Sa manière de penser n’était même pas originale. Mais que lui est-il arrivé ? Il n’avait pas cette tête-là quand je l’ai vu.

 

Heike n’osait pas regarder l’horreur qu’était devenu le Prophète Gris. Le jeune Skaven Blanc répondit :

 

-         Les Skavens résistent au contact de la malepierre raffinée. Ils peuvent même en manger, mais s’ils en abusent, ils finissent par subir des mutations, eux aussi. Pour avoir muté à ce point-là, il a dû se prendre une sacrée dose !

-         Mais ça n’a pas suffi à surpasser la magie du soleil ! s’exclama le marchand. Lui qui voulait siéger au Conseil des Treize, il a bonne mine, maintenant !

 

Le jeune Skaven Blanc repensa à quelque chose. Il demanda à Romulus :

 

-         Je n’arrive quand même pas à y croire. Comment avez-vous pu vous battre contre Tweezil, et rester en vie ? C’est le pire des tueurs de la colonie !

-         Si seulement tu l’avais vu ! s’exclama Heike. Il avait l’air possédé par Sigmar ! Où donc avez-vous appris l’art du combat, prieur ?

 

Le prieur échangea un regard complice avec Steiner, et dit avec un curieux sourire :

 

-         Un jour, peut-être, je vous raconterai l’histoire de Dieter Meyerhold, et des raisons qui l’ont poussé à devenir prêtre de Shallya… mais pas aujourd’hui. En attendant, nous devrions délivrer les prisonniers.

-         Je t’accompagne, Romulus. Vous venez, les enfants ?

 

Les deux Humains pressèrent le pas vers le château. Heike allait les suivre, lorsque Psody la retint par la main.

 

-         Attends !

 

Elle se retourna vers lui, un peu surprise.

 

-         Qu’y a-t-il ?

-         Je… euh… c’est la première fois que…

-         Que quoi ?

-         Heike, je…

 

Il farfouilla fébrilement dans l’une des petites sacoches de sa ceinture, en sortit un petit paquet de cuir et le plaça dans la main de la jeune fille. Elle le défit lentement pendant que le Skaven Blanc continua :

 

-         Sœur Abigaïl m’a dit de… enfin, que…oh, et puis, zut !

 

Il posa un genou à terre, prit son courage à deux mains, et dit avec emphase :

 

-         Je t’aime, Heike.

 

Il prononça ces derniers mots au moment même où la jeune fille-rate sortit de l’emballage un magnifique bracelet d’or, aux ciselures remplies de cuivre, et serti de perles. Bouche bée, elle regarda le bijou, puis releva les yeux vers Psody.

 

-         C’est… ça te plaît ?

-         Je… il est magnifique. Mais…

 

Le petit Skaven Blanc sentit son cœur se comprimer. Avait-il fait une bêtise ? La jeune Skaven passa le bracelet autour de son poignet, le contempla rêveusement quelques instants, comme si elle n’avait plus conscience de la pagaille tout autour d’elle, et murmura lentement :

 

-         Mon plus beau cadeau n’est pas à mon bras. Il est devant moi, et je passerai ma vie à le chérir.

 

Ce fut au tour du jeune homme-rat de rester sans voix. Brusquement, elle se jeta dans ses bras, et posa passionnément ses lèvres contre les siennes.

 

 

Devant l’air stupéfait du Skaven Blanc, la jeune fille-rate articula :

 

-         C’est comme ça que les Humains disent « je t’aime ».

-         C’est… c’est ça que les Humains appellent « un baiser » ?

-         Oui, c’est ça.

 

Sans hésiter, Psody lui rendit son baiser. Le temps s’arrêta pour les deux Skavens. Tout ce qu’ils avaient vécu ces dernières semaines, la peur, la douleur… tout disparut.

 

*

 

Ils finirent par regagner Gottliebschloss.

 

-         Ah, vous voilà ! constata Steiner.

 

Psody ne répondit pas, encore sous l’émotion. Romulus distingua une petite lueur briller dans les yeux roses du Skaven Blanc. Il comprit immédiatement sa signification, et adressa au jeune homme-rat un petit clin d’œil complice.

 

-         Tenez, j’ai trouvé ça dans la forge, dit-il en lançant vers le petit Skaven Blanc un jeu de clefs.

-         Qu’est-ce que je dois en faire ?

-         Nous aider à libérer les prisonniers. S’ils vous voient parmi nous, ils ne vous prendront pas pour un de leurs geôliers.

-         Et vous ?

-         J’ai un double. Allez !

 

Les Skavens n’avaient pas massacré tous les Humains. Certes, les hommes en état de se battre avaient tous disparu dans les estomacs des hommes-rats, mais les femmes, les enfants, les plus âgés et les paysans jugés inoffensifs avaient été enfermés dans les grandes cages amenées par les Skavens. Les guerriers d’Hallbjörn n’eurent pas de mal à forcer les serrures ou à les crocheter. Psody prit quelques secondes pour réfléchir.

 

Voyons… il vaut mieux ne pas ouvrir une des grandes cages, car s’il y a trop d’Humains dedans, ils voudront tous se jeter sur moi. Mieux vaut… tiens !

 

Le Skaven Blanc venait de repérer alors une cage posée un peu plus loin que les autres. Dedans, il vit une femme et deux enfants, tous trois portant des vêtements faits de tissus précieux. Il s’empressa de déverrouiller la porte. Les trois Humains sortirent, soulagés, et la femme regarda le jeune homme-rat de la tête aux pieds.

 

-         Vous êtes bien le Skaven qui s’est rendu à mon mari il y a quelques mois !

-         Oh ! Donc, vous êtes Dame Gottlieb ?

-         Elle-même. Je vous remercie, jeune homme. Vous nous avez sauvés d’un bien funeste destin !

 

Heike rejoignit le petit groupe. Elle se jeta dans les bras de la femme.

 

-         Dame Franzseska, vous êtes sauve !

-         Vous aussi ! Quel soulagement !

 

La Dame relâcha la jeune fille-rate, et considéra les deux Skavens. Puis elle demanda au Skaven Blanc :

 

-         Quel est votre nom, déjà ?

-         Psody, ma Dame. Pour vous servir.

 

Il s’inclina respectueusement. L’Humaine sourit.

 

-         Je vous dois des excuses. Je vous avais mal jugé, quand je vous ai vu pour la première fois. Votre amie ici présente m’a assuré que vous étiez une bonne personne. Je la crois, et je regrette de ne pas m’en être rendue compte plus tôt. Je suis dans mon tort de vous avoir considéré comme ces viles créatures.

-         Pas grave, ma Dame. Vous êtes saine et sauve, c’est tout ce qui compte ! Je dois continuer à ouvrir les cages.

-         Faites donc !

 

Psody repartit vers les cages. Dame Franzseska dit alors :

 

-         Mes enfants, j’ai quelque chose à dire à Fraulein Heike. Allez donc rejoindre le prieur Romulus, qu’il s’occupe de vous.

-         Bien, Mère.

 

Les deux enfants coururent vers la tente médicale qu’on avait hâtivement dressée. L’Humaine murmura à la jeune fille-rate :

 

-         Je l’ai vu invoquer cette magie, comme nous tous. Si mon mari avait eu le quart de cet héroïsme, j’aurais presque regretté sa disparition !

-         Oh… C’est…

-         Inutile de nous voiler la face, jeune fille. Mon mari était une sombre brute qui préférait la compagnie de ses soldats à celle de sa famille. Je l’aurais tué moi-même s’il ne m’avait pas donné mes deux amours. Et quand il était notre prisonnier, j’ai cru que votre compagnon était aussi vil que les autres. Or, j’ai vu son vrai visage aujourd’hui. C’est quelqu’un de bien. Je vous souhaite beaucoup de bonheur. Vous le méritez.

-         C’est fort aimable à vous, ma Dame, répondit Heike en faisant la révérence.

 

 

Halbjörn et Nedland restèrent près de Psody pour rassurer les Humains qui sortaient de leur prison. Ils furent rapidement rejoints par Steiner et le frère Tomas. Psody se mordit nerveusement la lèvre en voyant son visage mutilé.

 

-         Oh, désolé pour ton œil.

-         Bah, il m’en reste encore un, je m’y habituerai.

-         Si j’étais du Clan Moulder, je pourrais t’en fabriquer-greffer un autre !

-         C’est gentil, mais je ne sais pas si un œil de loup ou de sanglier s’accorderait avec mon doux visage d’ange. Et puis, comme ça, je réaliserai un autre rêve d’enfant, en pouvant jouer au pirate !

-         Je vous ferai fabriquer un œil de verre à la première occasion, promit le marchand.

 

Il s’adressa alors aux captifs.

 

-         Mes amis, vous êtes tous libres ! Les hommes-rats sont morts, les démons sont morts, et bientôt l’armée impériale arrivera. En attendant leur venue, passez voir le prieur Romulus, il s’occupera de vos blessures.

 

Les villageois se dirigèrent vers la tente, mais quelques-uns regardèrent Psody avec méfiance.

 

-         Que fait cet homme-bête ici ? demanda quelqu’un.

-         On devrait peut-être le mettre dans cette cage à son tour ! suggéra un gros paysan.

 

La veuve du seigneur Gottlieb décida d’intervenir. Elle leva les bras et haussa la voix pour attirer l’attention.

 

-         Du calme, citoyens de Gottliebschloss. Ce jeune homme n’est pas notre ennemi, pas plus que sa compagne, que voici. Elle s’appelle Heike, c’est la fille de l’homme qui a engagé cette armée pour nous sauver. Quant à son compagnon, son nom est Psody, et vous l’avez tous vu, c’est lui qui a chassé l’engeance du Chaos. Vous pouvez leur faire confiance. Heike, pourriez-vous aider les plus blessés à marcher jusqu’à la tente ?

-         Certainement, ma Dame.

 

Et, ce disant, elle tendit le bras à une vieille femme. Celle-ci, sans la moindre hésitation, accepta son aide, et se laissa mener jusqu’au prieur.

 

 

Dans la tente, Romulus s’essuya le front de l’avant-bras. La nuit était loin d’être finie pour lui, au vu du nombre de villageois qui faisaient la queue jusque devant lui. Heureusement, une jeune fille blonde nommée Astrid, elle-même initiée de Shallya, put l’assister.

 

-         Votre présence est plus que bienvenue, mon enfant. Mais je ne me rappelle pas vous avoir déjà rencontrée ?

-         J’ai prononcé mes vœux il y a seulement deux mois, prieur. La mère supérieure m’a envoyée ici, à la demande du seigneur Gottlieb. Votre présence lui a manqué.

-         Voilà qui est plutôt flatteur.

 

Quelqu’un entra dans la tente en passant par la sortie. C’était Jorund. Il accompagnait un homme qui marchait maladroitement, très affaibli.

 

-         Désolé pour ceux qui attendent, mais pour ce gars-là, c’est vraiment très urgent !

-         Que lui est-il… par les larmes de Shallya, c’est terrible ! Asseyez-le sur ce banc, vite !

 

L’homme n’avait plus de bras gauche, et avait calé son pourpoint autour du moignon pour limiter la perte de sang. Il murmura :

 

-         Je vais bien…

-         Vous délirez ! La blessure est trop importante, on doit absolument la cautériser !

-         Non… non…

 

C’est alors que le prieur eut comme une petite intuition. Un léger pressentiment, comme si, instinctivement, il pressentait que quelque chose n’était pas normal.

 

-         Où l’avez-vous trouvé, maître Jorund ?

-         Il se traînait vers le chemin en direction de Carroburg. C’est moi qui ai fait le garrot. Il en avait besoin, le bougre !

 

Romulus s’assit face à l’homme. Celui-ci détourna le regard.

 

-         Je vais très bien, prieur… fichez-moi la paix, d’autres ont besoin de vous.

-         Laissez-moi vous examiner.

-         Non, assez !

 

Il tenta de se relever, mais Jorund le força à rester sur le tabouret.

 

-         Vous n’allez pas partir dans cet état !

 

Le Norse aussi commençait à avoir des soupçons. Romulus tira délicatement sur le tissu rêche pour révéler la blessure. Il sentit ses sourcils se relever.

 

-         Vous semblez cicatriser très vite.

-         On est comme ça, dans ma famille.

-         Je veux bien le croire, mais à ce point !

 

Astrid pivota vers le blessé, et son front se creusa.

 

-         Qu’est-ce que c’est que ça, prieur ?

-         Ne vous approchez pas.

 

La blessure ne saignait plus. Mais surtout, la chair à vif s’était durcie, comme des centaines de petits pseudopodes de chair collés les uns aux autres pour former une nouvelle couche de peau.

 

-         Voilà qui n’est pas naturel !

-         Et je sais pourquoi ! grogna Jorund.

 

Le mercenaire arracha sans ménagement ce qu’il restait de la chemise du blessé. Il révéla ainsi une tache sur son épaule droite. Elle ressemblait à une banale tache de naissance, mais ses contours réguliers dessinaient un curieux symbole en forme de pince. Les deux hommes n’eurent pas de mal à reconnaître le signe du Dieu des Plaisirs Interdits.

 

-         Une cicatrisation hors du commun, la marque de Slaanesh… tout s’explique !

-         Oh, ce petit oiseau espérait donc nous échapper ! gronda Jorund.

 

Le Norse releva le servant du Chaos avec un « viens par-là, toi ! » avant de le sortir de la tente. Une fois dehors, il s’exclama :

 

-         C’est un ennemi ! Ce saligaud voulait se barrer !

 

Les Humains se rassemblèrent autour de Jorund et son prisonnier. Le Norse exhiba la mutation aux yeux de tous. Les visages se firent rapidement hostiles, tandis que des exclamations telles que « hérétique ! » et « au démon ! » fusèrent.

 

L’homme, conscient qu’il avait désormais été identifié comme agent du Chaos, ne voulut pas paraître effrayé. Il déclara crânement :

 

-         Pauvres fous ! Apprenez que vous êtes devant Aescos Karkadourian, fidèle serviteur du seul et unique dieu, Slaanesh ! Vous prenez de gros risques en me traitant ainsi, mais je peux vous faire une faveur : laissez-moi partir et vous pourrez tous me suivre !

 

Bien entendu, nul ne sembla intéressé par la proposition. En revanche, les villageois se rapprochèrent, de plus en plus menaçants.

 

-         Attendez !

 

Psody se fraya un chemin jusqu’au sorcier, et le dévisagea avec une pointe de fascination.

 

-         Que fait cette sale bête ici ? demanda le sorcier.

 

Le petit homme-rat ne prit pas garde à l’insulte. Il demanda :

 

-         Alors, c’est toi, Karkadourian ?

-         Et alors, sale rat géant ?

-         J’ai passé trois mois à te traquer. J’ai trouvé ton laboratoire à Niklasweiler, et celui de Maraksberg.

 

Subitement choqué, le servant de Slaanesh s’écria :

 

-         C’est donc toi qui as contrecarré mes recherches, mouche à merde cornue !

-         Et tes pondeuses ont tué deux de mes frères de sang ! Et beaucoup d’Humains sont morts aujourd’hui à cause de toi !

 

Parmi tous ceux suffisamment près pour entendre clairement la conversation, il y avait le commandant de la compagnie. Incrédule, il bredouilla :

 

-         Mais alors… ça veut dire que… j’ai… j’ai aidé un Chaoteux !

-         Plus précisément leur chef, Hall…

 

Psody n’eut pas l’occasion de finir sa phrase, interrompu par un grand cri de rage. Le capitaine Norse bondit en avant, son marteau prêt à frapper. Les survivants de la garde de Gottliebschloss avaient récupéré leurs armes. Ils durent se mettre à quatre pour retenir le capitaine mercenaire.

 

-         Laissez-le-moi ! Laissez-le-moi !

-         Ce n’est pas à vous de faire la loi, mercenaire ! cria un soldat.

-         Je vais te réduire en bouillie, espèce de dégueulis de démon !

-         Vous êtes sur les terres du Seigneur Gottlieb, et vous devez obéir à sa volonté ! renchérit un autre milicien. Telles sont les lois de l’Empereur !

-         J’emmerde Gottlieb ! J’emmerde l’Empereur ! Je vous emmerde tous ! T’es mort, sorcier ! T’entends ? Je vais te crever, ici et maintenant !

 

Les Norses approuvaient leur capitaine, et plus d’un souhaitait faire un mauvais sort à Karkadourian. Mais ils ne voulaient pas voir les choses dégénérer en une bagarre générale. Aussi, quelques-uns d’entre eux assistèrent les gardes. Nedland leva les bras et intima :

 

-         Hallbjörn, du calme ! C’est toi qui vas nous mettre dans le pétrin, maintenant ?

 

L’éclaireur Halfling était la seule personne présente qui pouvait se permettre de parler ainsi au capitaine Norse sans risquer une sévère réprimande. Dame Franzseska, attirée par les cris, se planta devant Hallbjörn.

 

-         Comme vous et vos hommes nous avez sauvés, et que vous avez de bonnes raisons de ne pas aimer les servants du Chaos, je fermerai les yeux sur vos paroles et vos actes pour cette fois. Mais ce sera la dernière. Tâchez de vous contenir, si vous ne voulez pas qu’on vous jette au cachot à votre tour. Messire Psody vous le confirmera, le cachot n’est pas confortable. D’ailleurs, messire Psody, que pensez-vous que nous devrions faire ?

 

Psody répondit sans hésiter.

 

-         Il faut le juger selon vos lois, ma Dame.

-         Pas question ! tonna alors une voix.

 

L’homme qui avait crié fendit la foule avec autorité. C’était Augustus Gessler, le régisseur de Gottliebschloss.

 

-         Ce misérable individu a mené contre notre château une horde de créatures démoniaques ! Vous êtes tous témoins ! Il n’y a aucune hésitation à avoir, nous devons l’exécuter sur-le-champ !

-         Non ! gémit Karkadourian.

-         Ouais ! rugit Hallbjörn.

 

La foule applaudit et acclama le régisseur. Le frère Tomas éleva la voix.

 

-         Attendez, monsieur ! On ne peut pas mener la justice d’une façon aussi expéditive ! Verena n’approuvera pas.

-         Verena n’a aucun pouvoir, ici ! Mon seigneur, Wilhelm Gottlieb, était un fervent adorateur d’Ulric ! Et Ulric est intraitable envers la vermine du Chaos ! Ne me dites pas que vous souhaitez qu’il vive plus longtemps ?

-         Certes, c’est un esclave des dieux noirs, approuva le clerc de Verena. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas le juger comme il se doit !

-         Laissez-le moi ! hurla encore Hallbjörn. Je vais le casser en deux !

-         Hallbjörn, la ferme ! aboya Nedland.

-         Un instant ! intervint Romulus. Il sait sûrement des choses sur les plans de ses chefs ! Nous pourrions l’interroger !

-         Et prendre le risque qu’il corrompt nos esprits avec ses idées hérétiques ? Jamais !

 

Les yeux du régisseur se baissèrent, et foudroyèrent la jeune Heike. Celle-ci se recroquevilla contre son père.

 

-         Je me demande d’ailleurs s’il n’a pas déjà commencé ? Que fait cette créature ici ?

 

Steiner passa un bras protecteur autour de la jeune Skaven, et murmura d’une voix d’un calme qui laissait présager une terrible tempête :

 

-         Surveillez votre langage, régisseur. Vous insultez ma fille.

-         Qui êtes-vous ? répondit Gessler avec hargne.

-         Je suis Ludwig Hieronymus Albrecht Steiner von Kekesfalva, cousin par alliance de la famille du Graf Helmut Feuerbach, Comte Électeur du Talabecland, alors je vous recommande la plus grande prudence dans le choix de vos mots si vous ne voulez pas que mon cousin vous crée de très gros ennuis.

-         Le Graf Feuerbach est porté disparu depuis longtemps, et nous ne sommes pas au Talabecland, ici !

-         Qu’est-ce qu’on attend pour écraser le nez de ce cornichon ? beugla Hallbjörn.

 

La réponse s’imposa rapidement d’elle-même : la plupart des villageois, une fois passée la terreur de leur emprisonnement, étaient pris d’une violente colère. Il leur fallait quelqu’un pour payer le supplice qu’ils avaient vécu pendant trois jours, ainsi que toutes ces vies perdues. Aussi, le régisseur Gessler était entouré d’une partie de la garde de Gottliebschloss, prête à le défendre. Ce fut au tour de Dame Franzseska d’intervenir.

 

-         Augustus ! Je suis votre commandante, vous allez obéir à mes ordres. Rappelez vos soldats, éloignez-vous du criminel, nous allons l’enfermer pour le juger.

-         Ho non, je ne vous écouterai pas ! Mon seigneur était Wilhelm Gottlieb, un vrai homme ! Il avait un caractère brave, était une fine lame comme on n’en voit plus, et un grand stratège ! Vous, vous n’êtes qu’une… qu’une femme !

 

Il avait craché ce dernier mot comme une insulte. Franzseska sentit ses joues s’embraser.

 

-         Alors, c’est comme ça que vous voyez les choses ? Les femmes ne sont bonnes qu’aux tâches ménagères, et ne peuvent pas tenir la même place que les hommes ?

-         C’est évident, elles n’ont pas ce qu’il faut là où il faut !

 

Les gardes ricanèrent avec lui. Psody n’en revint pas.

 

-         Je croyais que seuls les Skavens disaient que les femmes étaient inférieures ?

-         Vous savez de quoi vous parlez, n’est-ce pas ? railla le régisseur.

-         Ha ! On dirait que, sans son maître pour le réprimer, le petit roquet montre sa vraie nature ! ricana le sorcier de Slaanesh, saisi par un dernier sursaut de toupet.

-         Écoutez, j’ai traqué ce sorcier pendant des mois, il est maléfique-maléfique, mais vous valez mieux ! Si vous le tuez comme ça, vous serez comme lui ! répliqua le petit Skaven Blanc.

-         Je n’ai que faire de vos arguments ! rétorqua Gessler. Vous n’êtes qu’un rat géant, et on ne discute pas avec les rats ! En parlant de ça…

 

Le visage du régisseur se tordit en une affreuse grimace mêlant dégoût et résolution.

 

-         Il devrait être de mon devoir de vous faire subir le même sort que cet abominable hérétique !

-         Quoi ? Moi ?!? Mais… je me suis battu à vos côtés !

-         Pour mieux endormir notre méfiance et nous poignarder dans le dos, je parie ! Et puis, on n’aurait pas eu tous ces ennuis si vous n’étiez pas venu à Gottliebschloss l’autre fois ! Tout est de votre faute ! Gardes ! Saisissez-le !

-         Non ! cria une voix suraiguë.

 

Heike bondit en avant, et se positionna devant Psody, les bras en croix. Les gardes avaient vu la jeune fille-rate parler avec Dame Franzseska, et ne surent donc pas s’ils devaient la traiter en ennemie ou en amie. Ils hésitèrent davantage en l’entendant implorer, des larmes paniquées coulant à flots de ses yeux exorbités :

 

-         Laissez-le tranquille ! Je vous en supplie ! Il a changé ! Nous devons l’accepter !

-         « Nous » ? Vous vous considérez comme des nôtres ? demanda cyniquement Gessler. Je devrais peut-être vous envoyer le rejoindre…

-         D’abord, vous devrez vous occuper de moi ! gronda Steiner en se mettant devant les deux Skavens.

-         Et moi ! grincha Nedland, qui l’imita.

-         Le petit rat blanc est un de mes gars, murmura Hallbjörn en s’avançant à son tour. Je ne laisse tomber aucun de mes gars.

-         Au nom de Verena, je mourrai pour la vérité, s’il le faut ! déclara fermement Tomas en rejoignant le mouvement.

 

Romulus ne dit rien, mais il fit aussi barrière de son corps. Gessler ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. S’opposer aussi directement à deux hommes d’église devant tout le monde, cela commençait à représenter un sérieux risque pour son statut. Plus personne ne bougea, ni ne parla, pas même Karkadourian, trop curieux de voir la suite.

 

Au bout d’une très longue dizaine de secondes, Dame Franzseska s’avança, lança au régisseur un regard de glace qui lui gela le cœur, et déclara posément d’un ton sans réplique :

 

-         Régisseur Augustus Gessler, vous avez le souci de faire respecter la loi de l’Empire, cela vous honore. Mais je reste la veuve du Seigneur Gottlieb. Votre Seigneur. Que je sois une femme ne vous donne pas le droit d’outrepasser votre autorité et remettre la mienne en question entre mes murs. J’ai fait le serment solennel de prendre cette jeune fille sous ma protection, et qu’Ulric me foudroie sur-le-champ si je n’honore pas ce serment. Quant à son compagnon, il n’est pas des nôtres, en effet. Comparé à l’héroïsme dont il a fait preuve aujourd’hui, nous ne sommes que peu de chose. Je vous interdis formellement de porter atteinte, directement ou non, à l’un ou l’autre de ces deux jeunes gens. Si vous osez me désobéir, c’est vous qu’on jettera en prison.

 

Elle se tourna vers Steiner, et ajouta :

 

-         Et puis, vous ne voudriez pas prendre le risque de contrarier le cousin d’un Comte Électeur, même disparu, n’est-ce pas ?

 

Gessler resta pétrifié. Qu’y avait-il à répondre à ça ? Il bredouilla :

 

-         Mais… les Skavens sont des monstres, ma Dame. Ils sont responsables de ce désastre, vous ne pouvez le nier !

-         Vous avez raison, intervint Romulus. Mais Herr Steiner a éduqué cette enfant selon nos préceptes, et je lui ai enseigné la parole miséricordieuse de Shallya. Son visage n’est pas comme le nôtre, régisseur, mais son cœur est tout ce qu’il y a de plus Humain, je vous le certifie. Quant au mage, il vient de repousser à la fois les démons du Chaos et les perfides hommes-rats en invoquant la puissance du soleil. Aurait-il pu accomplir une telle prouesse si les forces des ténèbres enserraient son âme ? Ces deux Skavens ont été touchés par la grâce de nos dieux, Augustus, vous ne pouvez le nier.

 

Le Halfling ricana en entendant la reprise rhétorique du prieur. Finalement, le régisseur fit face à Dame Franzseska, et s’inclina.

 

-         Vous avez gagné, ma Dame. Pour notre sauvegarde à tous, j’espère sincèrement que vous avez raison.

 

Puis il pivota vers Karkadourian, et pointa un index énergique vers lui.

 

-         Mais vous ne pourrez défendre cet individu-là ! Sa culpabilité a été établie, et m’empêcher de le condamner reviendrait à trahir le Grand Théogoniste !

 

Comme aucun des protecteurs des Skavens ne parla, Gessler s’emporta de nouveau, bien décidé à rendre sa justice dans les minutes suivantes.

 

-         Nous devons détruire cet être impie par les flammes purificatrices, comme le veulent Ulric et Sigmar !

 

Le régisseur repéra alors au milieu de la cour un curieux édifice : c’était des planches, des pièces de tonneau, des tréteaux, tout un assemblage de bric et de broc qui formait une grande estrade dressée par les Skavens à côté d’un poteau au sommet duquel ils avaient cloué trois planches en triangle.

 

-         Attachez-le, et mettez le feu à cet ouvrage blasphématoire !

 

Et les Humains acclamèrent l’ordre du régisseur. En une minute, Karkadourian fut solidement ligoté au poteau. Un villageois aspergea d’huile la base du poteau, pendant qu’un milicien apporta une torche.

 

Les flammes et la fumée montèrent rapidement.

 

-         Slaanesh ! Ce n’est pas l’extase que tu m’avais promise !

 

Il hurla, hurla à s’en arracher les cordes vocales. Les prisonniers, soldats, mercenaires et autres membres de l’assistance poussèrent des exclamations rageuses et enthousiastes à la fois.

 

-         Meurs, chien hérétique !

-         Retourne chez ton dieu démoniaque, et restes-y !

-         À mort, le rejeton du Chaos !

 

D’autres cris et invectives similaires résonnèrent, mais elles ne masquaient pas les cris de douleur du supplicié. Une odeur âcre de chair brûlée envahit la cour, ce qui attisa davantage l’excitation générale.

 

Heike se réfugia dans les bras de son père, n’osant regarder. Psody fut comme frappé par la foudre. Il s’entendit murmurer :

 

-         Ils… Des bêtes. Ce sont des bêtes !

-         C’est cet aspect de notre peuple que j’aime le moins, répondit Steiner. Et c’est dans ces moments que je me demande si les dieux ont réellement créé les Humains de la façon qu’ils estiment juste, ou si ce ne sont que des spéculations de notre part pour justifier de tels actes.

-         Aussi ignobles qu’ils puissent être, tous les criminels ont droit à un procès ! pesta Tomas. Et on aurait pu en apprendre sur le Chaos en le faisant parler ! Mais non, il faut détruire tout, tout de suite ! Quelle bande d’idiots !

 

Le petit Skaven Blanc fronça les sourcils.

 

-         Sorcier du Chaos ou pas, il ne mérite pas une mort aussi atroce !

 

Il courut vers l’estrade et bondit sur l’assemblage. Il se rapprocha prudemment du poteau. La fumée lui piqua les yeux, et les hurlements de Karkadourian lui vrillèrent les oreilles et lui comprimèrent le cœur. Il tâcha de faire le vide dans son esprit pour ne pas faire de faux-pas. Il souleva son macuahuitl à deux mains, et frappa de toutes ses forces sur la tête du magicien. Enfin, les cris se turent.

 

Psody resta sur l’estrade, immobile. Il y eut quelques exclamations surprises. Le Skaven Blanc leva les bras pour réclamer le silence, et s’adressa à la foule.

 

« Écoutez-moi ! Écoutez-moi ! »

« Il y a cinq ans, je suis venu au monde. J’ai été laissé pour mort dans un marais, trahi par ceux qui étaient mes serviteurs. La soif de vengeance me rongeait, elle m’aurait consumé, sans la sagesse et le soutien d’une poignée d’étrangers, qui m’ont appris à contenir ma rancœur. Ils ne m’ont pas apporté de réponses… mais ils m’ont aidé à les trouver moi-même.

 

Plus personne ne bougeait, seuls les crépitements du bûcher crevaient le silence. Psody lança un regard pénétrant vers la foule, et continua :

 

« Personne ne doit nous dicter notre comportement ! Ni les hommes de religion, ni les politiciens ! Nous sommes libres de suivre notre chemin ! Il y en aura toujours pour nous priver de cette liberté. Je vous accorde qu’ils sont trop nombreux. Mais c’est uniquement notre libre arbitre – peu importe comment nous l’exerçons – qui fait de nous des hommes.

« Aucun livre, aucun professeur n’apporte de réponses. Il y a plusieurs chemins. À vous de trouver le vôtre. Ne me suivez pas. Ne suivez personne. »

 

Il se laissa tomber de l’estrade, et se reçut en souplesse. La foule s’écarta devant lui, laissant le champ libre jusqu’à ses amis. Une fois devant eux, il sourit à l’attention de Steiner. Celui-ci lui rendit son sourire, en y ajoutant du respect et de l’admiration, et lui tapota amicalement l’épaule. Heike se blottit contre lui, et tous deux s’éloignèrent de la place, bras dessus bras dessous, sous les regards impressionnés des prisonniers libérés.

 

*

 

Psody s’assit sur le lit de la petite chambre, et poussa un profond soupir. Il repensa à tout ce qui s’était passé l’heure précédente. Plus de démons du Chaos, les rats de Vellux encore en vie avaient tous pris la fuite, tout était terminé. Le prieur Romulus lui avait enroulé une bande de gaze avec une compresse autour du crâne pour soulager sa tête encore douloureuse.

 

Le petit homme-rat avait retrouvé la dépouille de son pauvre frère Diassyon, énième victime de la folie des champs de bataille qui poussait les membres d’une même famille à s’entretuer. Accompagné par Heike, Romulus, Nedland et Hallbjörn, il s’était discrètement rendu jusqu’à la terre consacrée. Le capitaine Norse avait creusé un trou dans la fosse commune, pendant que Psody et Romulus avaient prié près du corps du Skaven brun. Enfin, les deux Humains avaient placé Diassyon dans le trou, que Nedland avait rebouché.

 

Après toutes ces émotions, il sentait monter une vague de fatigue qui le poussa irrésistiblement à s’allonger. Il ferma les yeux, respira de plus en plus lentement. Il se réveilla en sursaut quand il entendit frapper à la porte.

 

-         Oui ? Qu’est-ce que c’est ?

-         C’est moi, Heike, répondit la voix de la jeune fille-rate.

-         Entre.

 

La porte s’ouvrit sur la Skaven. Psody s’assit sur le matelas, grimaça un sourire un peu tendu, la douleur des courbatures refit surface. Propre et belle comme un cœur dans une chemise de nuit neuve, la jeune fille s’était copieusement savonnée et parfumée pour occulter l’odeur que Vellux avait imprégnée sur elle.

 

-         J’aimerais te dire à quel point je t’admire, Psody. Ce que tu as fait cette nuit était un véritable exploit.

-         Après un coup pareil, j’ai intérêt à disparaître ! Le Conseil des Treize va en entendre parler, et tu peux être sûre qu’ils vont vouloir m’écorcher vif et tailler des napperons dans ma peau !

-         Ne dis pas de telles choses. Tu es mon héros. Je t’aime.

-         Moi aussi, je t’aime. Et c’est toi qui m’as permis de tenir bon. Chaque fois que je me sentais mal, ou que je désespérais, je pensais à toi, et ça me redonnait du courage-courage.

-         Tu as dû voir des choses incroyables, en Lustrie. Tu me raconteras ?

-         Bien sûr, dès demain si tu veux, mais pas maintenant. J’ai trop mal à la tête.

 

Il se servit un verre d’eau, et le but d’un trait.

 

-         Je ne te l’ai pas encore dit, mais je suis désolée pour Diassyon.

-         Ne t’en fais pas. Il n’a pas mis longtemps à partir, et on a pu se dire au revoir.

-         Est-ce que ça ira ? Je veux dire – à part Chitik, tu n’as plus de frère du tout, maintenant. Je sais que je serais très triste si je perdais Magdalena.

-         Je te crois, mais n’oublie pas que je n’ai été avec mes frères que pendant trois mois. Je n’ai pas eu le temps de bien les connaître. Et puis, nos relations n’étaient pas faciles. Moly était rongé par la maladie, sa vie n’était qu’une longue addition de petites misères, il me faisait pitié. Quand il est mort, il a cessé de souffrir. Maintenant, Diassyon l’a retrouvé, ils pourront rester ensemble à tout jamais. Klur était un fourbe assassin qui a voulu me tuer, et Skahl… Je n’ai été avec lui que le temps d’une nuit, mais j’imagine qu’il était plutôt du genre à n’écouter que ses instincts primitifs et sensoriels, et donc à réfléchir avec sa... enfin, tu vois ce que je veux dire. Mais tout ça, c’est derrière. Maintenant, c’est toi et moi.

 

La jeune fille se rapprocha, et sourit.

 

-         Tu sais, je me suis rendue compte de quelque chose : depuis notre première rencontre, tu m’as toujours dit la vérité. Je le sens bien. Tu m’as parlé de toi, de ton passé, de tes frères, de ton maître, sans jamais mentir. Face à moi, tu t’es toujours mis à nu.

 

Son regard se fit plus pétillant, et elle murmura :

 

-         Maintenant, à mon tour !

 

Elle défit le cordon de sa chemise de nuit, et la laissa tomber sur le tapis. Elle se retrouva ainsi complètement nue devant le Skaven Blanc. Celui-ci en resta bouche bée.

 

-         Oh… ce… ça ne te gêne pas ?

-         Non, car c’est mon choix. La nudité te dérange-t-elle autant ?

-         Quand je suis tout nu… je me sens faible, sans protection ni… identité. Pas toi ?

-         C’a toujours été une expérience humiliante pour toi, n’est-ce pas ? Un moyen de te rabaisser ou de te perturber. Les Humains font pareil quand ils veulent réduire quelqu’un au rang d’un animal. Mais dans l’intimité d’une chambre, c’est très différent. C’est comme ça que les Humains expriment de la manière la plus aboutie leur confiance et leur amour. En me mettant nue, je me présente à toi telle que je suis réellement, sans le moindre artifice. Et je suis prête à te recevoir tel que tu es. Pas par reconnaissance, ou par devoir. Simplement parce que j’en ai envie.

-         Tu es belle.

 

Heike sourit davantage, et s’assit à côté de son compagnon.

 

-         Je ne suis peut-être pas la plus jolie Skaven du monde, Psody. Mais… je vaux bien une reproductrice de ta colonie, non ?

 

Un vif éclat illumina les yeux roses du Skaven Blanc.

 

-         Oh non. Rien à voir. Tu es la plus… la plus belle-belle fille que j’aie jamais vue.

 

Ils rapprochèrent leurs visages, et leurs lèvres finirent par se rencontrer. Elles restèrent jointes pendant un long moment. Psody sentait les fines mains de la jeune fille-rate glisser sur son corps. Lui-même fit onduler la fourrure de Heike entre ses phalanges, délicatement d’abord, puis de plus en plus passionnément. Le contact sous ses doigts était à la fois tendre, ferme, doux et plaisant. Enfin, le Skaven Blanc retira énergiquement sa robe, la jeta par-dessus son épaule, et les deux Skavens s’étreignirent sur le matelas. Ils ne pensèrent plus à rien d’autre qu’à la sublimation de leur amour.

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