L'épopée de la Lumière

Chapitre 3 : Promenons-nous dans les bois, avant que les loups n'arrivent.

6049 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/01/2019 14:56

Après ce copieux repas, et en particulier après que Tharok et Aayla aient fini de se lancer des piques amicales, le groupe put reprendre sa route en direction des Duskwood alors que l’après-midi était bien avancé.

Félicia avait voulu participer à la vaisselle, mais Darcy lui assura que les citoyens de Darkshire avaient bien plus besoin de sa présence contre des monstres venimeux et carnivores que elle face à quelques casseroles. L’argument était convainquant, mais la Paladine refusa toutefois de partir sans accorder à chaque membre du poste de garde une bénédiction de vigueur. Ses pouvoirs étaient encore faibles, mais suffisants pour rendre plus agréable leur fastidieux labeur.

Quelques busards surveillèrent leur avancée, perchés sur les falaises des montagnes alentours qui rendaient la zone si difficile à prendre d’assaut, mais les oiseaux ne paraissaient pas hostiles. Félicia garda toutefois un œil vigilant sur les volatiles, dont elle connaissait le caractère particulièrement retors par expérience. Ses compagnons en revanche n'accordèrent aucun intérêt aux rapaces des Carmines.

Tharok ne cessait de parler de cuisine depuis leur départ. Du généreux goulash de Darcy bien sûr, mais également de bien d’autres spécialités, décrivant un véritable tour des tables du monde à ses compagnes de route qui devaient reconnaître être fascinées une fois de plus tant par l’incroyable expérience du Nain que par ses indéniables talents d’orateur.

Ils venaient juste de sortir de table, et pourtant à travers ses descriptions le guerrier parvenait à les faire saliver en évoquant des menus improbables, comme du tartare de scorpion ou du sauté de ravasaure – un prédateur reptilien aussi agile que féroce – à la fleur de Pétale-de-sang, une créature végétale animée.

Le plus souvent, Félicia grimaçait quand il explicitait la composition des plats mais Tharok parlait avec une telle ferveur et mettait si bien en valeur les qualités insoupçonnées de ces « festins » qu’elle voyait sa curiosité titillée.


  • A t’entendre, Tharok, tu sembles avoir fait plusieurs fois le tour du monde.
  • Mh ? Oh tu sais, c’point grand-chose. Nous autres, Nains, sommes très curieux, Bahrum ! Si tu vivais jusqu’à mon âge, t’inquiètes point qu’t’en aurais sûrement vu autant.
  • J’en doute pour ma part, je suis loin d’être aussi brave que toi. Jamais je ne me serais risquée à manger une entrecôte de Kodo, dit-elle en lui lançant une œillade.
  • Ha ! On a l’estomac fragile ma p’tite Féli ? Mh ? T’en fais donc point va !

Le Nain ponctua son opinion en flanquant une grande claque dans le dos de la Paladine, lui coupant le souffle malgré son armure et la faisant tituber.


  • J’suis convaincu qu’t’iras loin, ouaip ! T’es toute jeunette mais d’jà bien rôdée, Bahrum ! Â ton âge j’faisais ‘core des courses de beurrliers ‘vec les frangines.
  • De ?
  • De beurrliers, répéta le Nain en sortant à nouveau sa pipe qu’il tapota dans sa paume. De béliers-beurrés s’tu préfères,
  • Mais qu’est-ce donc cela ? s’enquit Aayla.
  • J’ai peur de comprendre…


Tharok lâcha un rire gras, tout en grattant l’embout de sa vieille bouffarde. Il lui plaisait visiblement de se remémorer ses jeux d’enfant.


  • C’est des béliers-beurrés, ma biquette. Sauf qu’eux c’pas pour la casserole, héhé. On écluse quelques choppes, on fait faire la même chose à ces braves bêtes, pis y’a pu qu’à monter d’ssus et à s’foncer les uns dans les autres. Le dernier ‘core en selle a gagné.
  • Et que gagne le vainqueul ?
  • Un autre godet, Bahrum !


La pauvre Draenei sembla essayer de comprendre où était l’intérêt de boire jusqu’à se mettre mal, pour gagner le droit de se cuiter encore plus alors que la Paladine soupirait en constatant que toutes les rumeurs au sujet des Nains étaient bel et bien vraies.


Le groupe traversa le robuste pont qui enjambait la rivière Nazferiti, l’un des plus grands cours d’eau de tout Azeroth et qui traversait presque le continent sur toute sa largeur. Il séparait notamment les Duskwood de la forêt d’Elwynn et de la Marche de l'Ouest. Sans jamais se taire, Tharok alluma sa pipe qui exhala bientôt une fumée âcre qui collait au palais.

Ils suivirent le sentier de terre piétinée qui serpentait tranquillement dans une forêt clairsemée. L'herbe rousse qui poussait autour d'heux rappelait encore les Carmines mais la faune avait déjà changé. Les terres rouges et sèches étaient essentiellement fréquentées par des sangliers peu futés, et par d'énormes araignées trapues.

Mais à l'approche des Bois de la Pénombre, ils avaient laissé leur place à des recluses, mortelles spécialistes de l'embuscade, au corps rond et aux pattes fines comme des aiguilles, ainsi qu'à des loups au regard luisant, qui suivaient leur progression avec un calme inquiétant. Heureusement, ces prédateurs restaient encore rares, loin des ténèbres de leur destination, et ne se risquèrent pas à approcher les voyageurs. Pas en plein jour, en tout cas.

Après une demi-heure de marche, le sentier se rapprochait d'une courte falaise d'où coulait une chute d’eau qui s'écrasait sur un vieux tronc, moisi par l’humidité, qui donnait naissance à une rivière se jetant dans la Nazferiti. Un pont de bois enjambait le cours d'eau, et ils ne posèrent pas encore le pied dessus que l’atmosphère changea.

Le soir approchait, mais l’ombre qui s’étendit subitement sur les voyageurs avait quelque chose de surnaturel. L’air se fit plus lourd et une étrange pénombre, celle-là même qui avait donné son nom à ces bois sordides, enveloppait déjà le trio.

Un sentiment de malaise envahit progressivement Félicia alors qu’elle traversait le pont, et elle en comprit l’origine lorsqu’elle remarqua l’intensité avec laquelle elle percevait le claquement de ses bottes sur le bois. A peine une minute plus tôt, la lande grouillait d’une vie en arrière-fond. Insectes et petits animaux faisaient leur vie, chantant, crissant, grattant et produisant sans cesse un fond sonore que l’on avait tôt fait d’oublier.

Mais sur ce pont, rien de tout cela ne lui parvenait. Elle n’entendait rien d’autre que le bruit de ses pas, résonnant douloureusement fort à son goût, sa respiration, et le son de la cascade glougloutante qui lui parvenait d’une façon étrangement étouffée malgré sa proximité.


Nerveuse, elle jeta un coup d’œil à ses compatriotes. Aayla lui retourna son regard, visiblement aussi tendue qu’elle par le claquement particulièrement sec de ses sabots sur le bois, mais le Nain semblait au-dessus de tout ça, avançant de sa démarche pesante et assurée tout en tirant de grandes volutes de sa bourrade.

Toutefois la Paladine remarqua qu’il ne souriait pas. Et qu’il ne racontait pas non plus d’histoires hallucinantes. Même lui tendait l’oreille, attentif au moindre bruit, l’air de rien. Cela ne fit qu’accroître son angoisse, alors qu’elle mettait à peine les pieds dans ces terres sinistres.

Elle avait l’impression que la forêt toute entière retenait son souffle pour la scruter en silence. Pour ne rien arranger, la jeune femme avait effectivement le sentiment d’être observée, et non pas par ces arbres, qui allaient de l’imposant chêne aussi sombre qu’immense à l’arbuste mort depuis si longtemps que leurs vieilles branches sèches évoquaient des doigts rabougris vous conjurant de fuir ces lieux, mais bien par une véritable intelligence, maligne et sournoise.

Félicia refusa de se laisser aller à la paranoïa, et elle posa la main sur son épée pour en sentir le poids solide et rassurant contre elle tout en récitant un des nombreux cantiques de la Lumière pour se donner du courage alors que l’obscurité continuait à s’épaissir.

Le sentier était régulièrement balisé par des lampadaires, ou plutôt de petites potences dont on avait remplacé les cadavres par des lanternes. Une comparaison qui fit d'autant plus frémir la Paladine lorsqu'elle réalisa que plusieurs d'entre elles étaient déjà éteintes.

Après un moment, ils croisèrent une carriole au bord de la route, tenue par un marchand gobelin qui les regarda passer de ses petits yeux mesquins. Un homme l'accompagnait, vêtu d’une armure de cuir noir, une masse et une hache pendaient à ses hanches tandis qu'il allumait une torche pour défier la nuit qui tombait. Aucun des deux ne fit le moindre geste pour interrompre le groupe.

Le trio continua à suivre le sentier, dont les quelques lanternes n’offraient qu’une trop maigre impression de sécurité séparée par de grands pans d’obscurité, et un sentiment de menace les gagna à mesure qu’ils progressaient.

Dans les Carmines, Félicia avait déjà rencontré des terrains propices à des embuscades…et en avait même subi une. Mais les Duskwood étaient tout bonnement un piège à rats. Pire même, un abattoir. La végétation sinistre et le relief brisé interdisait tout espoir de voir à plus de dix mètres dans une même direction, et chaque arbre, chaque rocher créait autant d'angles morts où pouvait se terrer une menace.


Bientôt, deux falaises s’élevaient de chaque côté de la route, ôtant toute chance de fuite au groupe en cas de problème, en plus de réduire encore le peu de visibilité qu'il possédait. Et puis il y avait ces ombres, à la périphérie de son champ de vision…

Depuis qu’ils avaient passé le gué près de la cascade, la Paladine avait le sentiment d’apercevoir quelque chose, juste du coin de l’œil. Mais lorsqu'elle se risquait à tourner la tête, le paysage demeurait vide. Rien qu’une nature morte, silencieuse dans le noir. Pourtant elle n’était pas dupe, et jurerait sur la Lumière que quelque chose les suivait quand elle ne regardait pas.

Elle fit soudainement volte-face sur le chemin pour tenter de surprendre ces spectres qui les traquaient, faisant sursauter la Draeneï qui empoigna immédiatement ses masses, et eut la certitude d’apercevoir une silhouette floue disparaître lorsque son regard se posa dessus.

  • Du calme, fillette, fit Tharok en soufflant un épais nuage de fumée.
  • Quelque chose nous suit, affirma la Paladine.
  • Plusieuls choses nous suivent, corrigea Aayla. Je sens plusieuls esplits autoul de nous.
  • B’en évidemment qu’ils nous suivent, Bahrum ! Z’avez vu les steaks qu’on fait ? Entre la biquette et ma bedaine, ça s’rait la fête pour les loupiots, té !
  • Peut-être…mais quelque chose d’autre nous suit.

Le Nain ne parut pas s’en inquiéter plus que ça, et examina sa bouffarde où ne subsistaient que quelques timides braises.

  • Y’a qu’ça des trucs qui nous suivront, fillette. C’est les Duskwood ici, mais c’pas pask’ça nous mate qu'ça nous attaquera dans la minute. 'Sont malins les bestiaux du coin.
  • Tlop malins, peut-êtle…
  • Pas assez visiblement ma biquette, puisqu’les longues-jambes y sont quand-même v’nus construire leurs bicoques dans l’coin.
  • Tu penses donc qu’il n’y a aucun danger immédiat ?
  • Ha ! Il y’a toujours du danger ma p’tite Féli, que ce soit ici ou ailleurs. Bahrum ! Mais foi de Tharok, si un zouave nous course les miches, on lui pétera les dents comme aux autres !


Trouvant l’argument raisonnable, bien que peu convaincant, Félicia haussa les épaules et consulta du regard son amie bleue qui l’imita.

Plus d’une fois sur leur long trajet, les deux filles levèrent les yeux vers les branches qui formaient une couverture impénétrable, tant au regard qu’à la lumière, au-dessus de leurs têtes. Naturellement, elles avaient tendance à surveiller leurs flancs et leurs arrières pour parer à toute menace…mais en ces lieux, le danger pouvait également tomber des hauteurs, comme en témoignaient les épaisses toiles d’araignées qui couraient parfois d’un arbre à un autre, et la Paladine songea avec amertume que les plus impressionnantes pourraient aisément entraver un busard des Carmines...ou un Humain.


Après un quart d’heure de marche, ils rencontrèrent une première intersection, un long chemin tortueux remontait sur la gauche, marqué par quelques pierres plates fragmentées qui disparaissaient pour certaines sous la poussière et la végétation. Il passait derrière un frêne mort dont les ramifications sèches évoquaient plus des épines que des branches.

Tharok leur raconta que ce chemin menait à un vieux manoir, abandonné depuis au moins trente ans et les invita à poursuivre tout droit sur le sentier qui serpentait entre les arbres et le relief.

Deux cent mètres plus loin, une vieille torche fatiguée leur révéla la présence d’un autre sentier qui remontait par la droite, le long d’une pente plus douce, mais qui n'avait rien d'engageant pourtant. Délaissant ces routes alternatives qui se perdaient dans les ténèbres et les fourrés, le trio continua.

Par curiosité, la jeune Humaine se retourna pour regarder le chemin parcouru et déjà la précédente intersection était introuvable, la vue étant bouchée par des arbres incroyablement larges ou par les bosselures du terrain. Elle comprit alors que la forêt elle-même était un danger. Quiconque y perdrait son chemin en s'écartant du sentier serait certainement condamné à errer jusqu'à mourir de faim et d'épuisement, si aucun fauve ne l'égorgeait dans son sommeil.


Ils parcoururent encore une lieue, entourés de crêtes plus hautes qu’Aayla – cornes comprises - où la roche stérile côtoyait les herbes folles, avant d’enfin apercevoir une arche de fer forgé surplombant deux piliers de pierre grise faiblement éclairés par deux braseros projetant des ombres qui auraient paru sinistres à Stormwind, mais étaient ici rassurantes en comparaisons des autres spectres de ces bois.

Un peu plus loin, un Humain doté d’une épaisse barbe brune, d’une armure de cuir bouillie lie-de-vin renforcée d’une chemise d’écailles guettait déjà leur approche d’un air méfiant, une lame rouge au tranchant clair pendait à sa hanche et on pouvait le sentir prêt à la dégainer au moindre geste suspect.


  • Halte-là, étrangers ! Tonna l’homme d’une voix ferme en levant sa torche pour éclairer leurs visages. Que venez-vous faire à Darkshire ?


Le trio s’arrêta, à une distance prudente de la sentinelle. La Paladine consulta du regard ses compagnons, et remarqua que tous deux la dévisageaient, l’enjoignant tacitement à prendre la parole. Elle inspira profondément pour chasser la nervosité qui l’avait gagné depuis qu’ils avaient pénétré dans les bois, et se racla la gorge.


  • Je me nomme Félicia Brighthand, Paladine de Stormwind, et voici mes compagnons Tharok Bigbell…
  • Chalut, fit le Nain le levant son épaisse main.
  • …et la Chamane Aayla…Petrouskya.
  • Petruchka, corrigea l’intéressée.
  • Pardon.


Le garde les examina l’un après l’autre, levant sa torche devant chacun d’eux avant de reporter son attention sur la jeune femme. Il dressa un sourcil broussailleux avec suspicion.


  • De Stormwind ?
  • Oui, des rapports de plus en plus affolants nous proviennent de Darkshire, et notre belle cité regrette de ne pas pouvoir intervenir avec l’efficacité que cette contrée mérite, mais elle ne vous oublie pas. Nous sommes venus pour vous aider.
  • Ah oui ? Et tout ce que « notre belle cité » trouve à nous envoyer c’est une enfant, un Nain et une Draenei ?
  • Surveilles tes paroles, mon garçon, fit alors Tharok. Tu suçais encore l’sein d’ta mère que j’démolissais ces saloperies de peaux-vertes pendant la guerre.
  • Je n’en doute pas, rétorqua avec réserve le garde.


Il les étudia une fois de plus à la lueur de sa poix brûlante, comme si sa faible torche pouvait révéler tromperies et mensonges, puis parut enfin se détendre. Un petit peu.


  • Je suis Backus, de la Night Watch. Votre aide ne sera pas de refus, étrangers. Il n’a jamais fait bon vivre aux Duskwood, mais c’est encore plus terrible qu’à l’accoutumée depuis quelques temps. Les bêtes sont hargneuses, nombreuses, et les menaces se lèvent plus vite que nous ne pouvons les gérer.


Plus accueillant désormais, il leur désigna les deux premiers bâtiments du village.


  • A droite c’est l’auberge, vous y trouverez toute la place que vous voulez.


Félicia préféra faire mine de ne pas remarquer le ton acide qu’il avait employé. Le comté c'était vraisemblablement dépeuplé depuis peu.


  • A gauche, c’est la maison des familles Eva et Zipstitch, les tailleurs du village. En suivant la route, vous trouverez la place de la fontaine sur votre droite, avec la mairie et la forge. Si vous voulez nous aider, adressez-vous à Althea Ebonlocke, elle est la fille du Maire et la commandante de la Night Watch. Elle vous trouvera du boulot.


Ils remercièrent la sentinelle Backus et prirent congé pour suivre ses indications. De ce qu’ils pouvaient apercevoir, Darkshire était en effet un petit comté. Faiblement peuplé, les maisons étaient vieilles, grignotées par l’usure et la mousse, et collées les unes aux autres.

A mesure qu’elle observait les ruelles, Félicia réalisa qu’elles semblaient être conçues pour être barricadées en un rien de temps. Une hypothèse appuyée par la présence ici et là, contre les murs, derrière un angle, de planches et de pieux, et la plupart semblaient fraîchement taillés. En jetant un coup d’œil à ses compagnons, la Paladine constata que le Nain, familier de la guerre sous toutes ses formes, avait remarqué la même chose.

Plutôt qu’un hameau où vivre, Darkshire lui évoquait un avant-poste prêt être fortifié à la moindre alerte.

Ils traversèrent la place de la fontaine, lieu habituellement bon vivant, animé, dans n’importe quelle autre cité des Hommes mais pas ici. Chacun vaquait à ses occupations, échangeait des propos à voix basse ou se taisait en apercevant les voyageurs.

La jeune guerrière de la Lumière avait plutôt le sentiment d'être au cœur d’une tanière de loups que dans une cité alliée, à à peine une journée de marche de la capitale. Elle repensa en frissonnant à ces histoires au sujet de bourgades maudites en Lordaeron, l’ancien royaume Humain au nord du continent qui avait disparu après la trahison du mille fois maudit Arthas, et que l’on disait habitées par des bêtes à l’apparence d’hommes.

Dans ces terres, aujourd'hui hostiles, voire pestiférées, se trouvait dit-on un petit village dans les bois, près de la côte. Véritable îlot de paix improbable au milieu de ces contrées mortelles, les voyageurs se précipitaient pour demander l'hospitalité, et les locaux les accueillait à bras ouverts...jusqu'à la nuit tombée. Lorsque la lune se levait, les gentils autochtones se muaient en abominations, mi-homme, mi-bête assoiffées de sang et dévoraient les malheureux qui avaient cru trouver refuge chez eux.

Félicia avait grandi, terrifiée par cette histoire qu'elle craignait d'être vraie...et que lui rappelait tristement Darkshire. A ceci près que les habitants n'avaient rien d'accueillant.


Le trio avança vers l’hôtel de ville, identifiable à son grand clocher. Elle croisa le regard d’un homme qui se tenait les bras croisés devant la forge. Il était de bonne stature, un collier de barbe noire comme la nuit lui courait autour du visage. Son torse était couvert par une brigandine mais il ne semblait pas appartenir à la milice locale.

Sûrement un aventurier se dit Félicia, qui déglutit péniblement avant de détourner les yeux. L’atmosphère de ces bois et ce village la mettaient mal à l’aise, mais elle savait que le regard jaune de l'homme, dont les pupilles brillaient à la lueur des torche, l'aurait angoissée même à Stormwind.

Elle nota qu'Aayla s'arrangeait pour garder un œil sur l'étranger. Sans doute avait-elle deviné sa vraie nature.

L’inconnu sembla se désintéresser d’eux finalement et retourna à l’intérieur de la forge tandis que le groupe arrivait au pied de la mairie où une femme distribuait ses ordres aux sentinelles qui allaient et venaient jusqu’à elle. Elle portait une armure d’écailles, incorporant d’épaisses bottes et des gants remontant haut sur les bras, aux couleurs grenats de Darkshire. Impossible de douter de son rang, son plastron affichait l’emblème du comté et un long cimeterre serti d’un rubis reposait à sa ceinture.

Elle braqua immédiatement son regard noisette sur eux à leur approche, et leva sa lanterne pour mieux les examiner, en particulier Aayla et sa grande taille. C’était hors de propos, mais Félicia trouva ses cheveux d’un noir de jais particulièrement beau tandis qu’ils glissaient de chaque côté de son visage et qu'à l'arrière ils s’écoulaient le long de sa nuque.


  • Stormwind nous envoie enfin de l’aide ! railla la femme d’une voix claire et autoritaire en reconnaissant le lion sur le tabard de la Paladine. Je commençais à croire qu’ils nous avaient vraiment oubliés.
  • Mes excuses, Stormwind ne vous oublie pas mais de trop nombreux conflits empêchent la capitale de…
  • Je suis au courant, coupa sèchement la gardienne en roulant des yeux dans un soupir. Ça fait même belle lurette que je suis au courant, ma petite.
  • Hmm…je vous demande pardon…


La commandante soupira à nouveau, d’un air las cette fois, et abaissa sa lanterne avant de se passer la main sur le visage. Félicia remarqua alors ce qui lui semblait si étrange dans le regard des autochtones : Ils paraissaient fatigués. Ils avaient les joues creuses et des cernes assombrissaient leurs yeux. Chez la cheffe de la milice, c’était particulièrement flagrant, comme un témoignage de ses responsabilités.


  • C’est moi…on est tous à cran ici, surtout en ce moment. Je suis Althea Ebonlocke, commandante de la Night Watch et responsable de la sécurité de Darkshire. Bienvenue dans notre glorieux taudis, j'espère que vous êtes ici pour affronter le mal qui essaye de nous chasser de nos demeures...
  • C’est bien la raison de notre présence, commandante Althea, répondit la jeune femme en retrouvant sa détermination. Je suis Félicia, et voici Tharok et Aayla. Qu’est-ce que mes compagnons et moi-même pouvons faire pour vous aider ?
  • Vous expliquer qu’est-ce que vous pouvez faire pour ne PAS nous aider irait bien plus vite, Hin !


Althea secoua tristement la tête, faisant ondoyer ses cheveux sombres autour de son visage. La Paladine nota que son nez était légèrement tordu, mais n’arrivait pas à déterminer si c’était dû à une ancienne blessure.


  • On manque de tout. De ressources, de bras, d’espoir…


En l’entendant soupirer une nouvelle fois, Félicia commença à comprendre pourquoi elle était si fatiguée. Toute la bourgade devait compter sur elle, en permanence. Elle n’avait pas le droit de se relâcher ne serait-ce qu’un seul instant et la jeune croisée l’imaginait aisément s’endormir sur son bureau, s’écroulant d’épuisement, plutôt que dans ses draps.


  • Les bêtes nous envahissent de tous les côtés, des morts-vivants se lèvent en toujours plus grand nombre et menacent d’envahir nos champs pour les faire pourrir, et pour ne rien arranger des Worgens ont investi nos mines et à mon avis ce n’est pas fini.
  • Des Worgens ? s’étonna Félicia qui jeta un œil vers la forge, sans apercevoir l’aventurier. Mais…
  • Pas ceux du roi Genn, hélas. D’après les éclaireurs, ceux-là ne sont que des bêtes assoiffées de sang. De la vermine puante et pleine de puces, cracha Althea avec haine. Mais ils sont nombreux. Beaucoup trop nombreux, et ils s'emparent de nos sites-clés avec une coordination anormale…


Félicia et Aayla échangèrent un regard inquiet tandis que Tharok hochait la tête d'un air grave. La commandante sous-entendait que des meutes entières semblaient obéir à une seule et même autorité, hostile à Darkshire, et qu’un assaut de grande ampleur se préparait.

Or, si Darkshire tombait, les Duskwoods redeviendraient une contrée hostile et pourrait menacer les autres territoires alentours, et ni les Carmines ni la Marche de l'Ouest ne disposaient des moyens pour lutter sur un nouveau front.


  • Nous felions bien de ne pas tlainer alols, fit remarqua Aayla. Par quoi devlions nous commencer, commandante Althea ?
  • Hmm…vous nous ôteriez une sacrée épine du pied si vous réduisiez un peu les populations de monstres qui nous tournent autour. Mes éclaireurs rapportent que les loups particulièrement deviennent dangereusement nombreux du côté du bosquet de Brightwood.


Elle désigna en même temps du pouce derrière elle, vers l’ouest. Au-delà de la falaise à pic qui protégeait l’hôtel de ville s’étendait visiblement une aire sauvage, à quelques minutes à peine du hameau.


  • Cela dit, les mort-vivants sont prioritaires. On m’a informé qu’ils se manifestaient en grand nombre au sud-est, du côté du cimetière et de la vieille bicoque de Marie l’aveugle. Si on les laisse proliférer, ils vont atteindre nos champs, et je ne sais pas pour vous mais le potiron-zombie ça ne me fait pas très envie.
  • Bahrum ! Y’s’ra point dit qu’un Nain ait laissé ces pourris du Fléau affamer vot’joli minois ma cap’taine ! D’autant plus qu’y z’ont qu’à b’en s’tenir, pour sûr, pask’on a pile c’qui faut pour y casser leurs ratiches moisies !


Toujours aussi délicat, Tharok flanqua une grande tape dans le dos de Félicia et sur les fesses de la Chamane, dont les omoplates étaient bien trop hautes pour lui, et la fit glapir dans un sursaut.


  • Thalok ! Espèce de…blute balbue ! Léselvez vos claques poul nos ennemis plutôt que mon postélieul !


Félicia ne trouva rien à répondre, le souffle coupé, mais la légendaire jovialité naine fit au moins son travail et arracha ce qui semblait être un rire à la commandante.


  • Il était grand temps de voir un peu de sang neuf dans le coin. Mais prenez garde, ces saletés de fauves sont déjà une plaie mais le Fléau ne se contentera pas de vous tuer…
  • N’ayez crainte, commandante, répondit Félicia d’une voix un peu étranglée. La Lumière nous gardera.
  • Mouais, j’ai souvent entendu ça mais les belles paroles ne suffisent pas à endiguer la non-mort.
  • Commandante Althea !


Un homme en armes, abordant la livrée de la Night Watch se présenta avec empressement. Sa supérieure fit signe d’attendre au trio lorsque le milicien se pencha à son oreille pour lui faire son rapport, elle marmonna quelque chose en retour et le garde repartit aussitôt.


  • Et pour cette même raison, vous feriez bien de vous reposer cette nuit. Les Duskwood ne sont vraiment pas un lieu à explorer dans le noir.
  • Mais…si ces menaces sont urgentes, s’étonna Félicia, ne devrions-nous pas les confronter au plus vite ?
  • C’est précisément parce qu’elles sont urgentes qu’il faut les affronter dans de bonnes conditions. Confondre vitesse et précipitation ne fera que renforcer nos ennemis.
  • Vous avez sûrement raison…
  • Maintenant excusez-moi, j’ai encore beaucoup de travail.


Le groupe salua la commandante qui les laissa là. Aucun des trois n’appréciait l’idée de devoir attendre, de laisser du temps aux mort-vivants pour continuer à proliférer, mais il fallait reconnaître que les affronter dans le noir serait suicidaire.

La mine basse, mais enfin rendus, le trio se rendit finalement à la Taverne du Corbeau Écarlate qui était étonnamment peuplée. Les civils – si tant est qu'on puisse vraiment les considérer comme tels - venaient ici pour essayer d’oublier, en vain, les innombrables périls qui rôdaient à quelques mètres à peine de leurs foyers, jour comme nuit. Ils paraissaient encore plus tendus que la Night Watch, qui elle au moins pouvait essayer de se battre, et leurs regards pesèrent longtemps sur les étrangers, en particulier les deux femmes.

Même à Darkshire il n’était pas inhabituel de rencontrer des Nains, deux d’entre eux travaillent d’ailleurs à la grande forge du comté, mais la plupart des habitants n’avaient jamais vu un Draeneï de leurs propres yeux, et Félicia leur paraissait presque aussi étrange, avec son air juvénile et son tabard blasonné.

Cette fois, ils ne firent pas de fête et se contentèrent d’un modeste repas – selon les critères locaux, qui plus est – et Tharok fit visiblement d’énormes efforts pour ne pas s’emporter contre la pitoyable piquette qu’on lui servit lorsqu’il demanda à boire.

Ils purent réserver deux chambres à nouveau, et les rejoignirent aussitôt le repas terminé. Le Nain était inépuisable, mais avait vraisemblablement hâte d’être au lendemain pour en découdre avec les morts-vivants. Aayla était robuste, mais accusait le coup de sa beuverie de la veille. Quant à Félicia, elle n’avait pas l’habitude de tels voyages, si bien qu'une fois ses rituels du soir effectués, elle se laissa volontiers écrouler dans un matelas bien plus fatigué qu’elle et fit de son mieux pour trouver le sommeil.


La nuit fut agitée, et empêcha les aventuriers de connaître un repos réparateur. Félicia ne put fermer l'oeil lorsqu’elle se coucha après ses prières, sa chambre trempait dans une étrange atmosphère, où le silence total – ou pas même un cri de chauve-souris ou le chant d’un grillon ne se faisait entendre – laissait subitement place aux hurlements des loups et des hommes.

Il lui sembla compter quatre de ces capharnaüms, où les fauves semblaient si près qu’elle n’oserait même pas ouvrir la porte de peur d’en rencontrer un. La Night Watch prenait alors les armes, et à travers le volet en bois craquelé à la fenêtre, la Paladine pouvait voir la lueur des torches qui s'agitaient dans la nuit.

En tendant l’oreille, elle pouvait suivre les combats où guerriers et bêtes s’entretuaient dans des beuglements rauques. La Forêt d’Elwynn était infestée de loups elle aussi, bien que beaucoup moins dangereux et agressifs, mais les accidents n’étaient pas rares. Aussi, la pauvre enfant n’eut aucun mal à s’imaginer les vigiles de Darkshire – qui se battaient également pour elle et ses deux compagnons cette nuit-là – en train de succomber sous les crocs des créatures de la nuit.


Après le deuxième engagement, encore plus bruyant et proche que le précédent, Félicia réalisa alors avec horreur que ce n’étaient pas les hurlements des bêtes qui la terrifiaient le plus, mais le silence. Cet abominable silence où elle n’entendait plus que son propre cœur battre la chamade dans sa poitrine et son souffle nerveux, jusqu’à ce que ses oreilles se mettent à siffler.

Dans ces moments-là, elle remontait sa maigre couverture jusqu’à sa tête et fermait très fort les yeux car elle avait peur de regarder les ombres. C’était ridicule, mais partout où se posait son regard, il y avait toujours une forme noire qui dansait à la périphérie de sa vision, et elle s’imaginait à chaque fois voir un silhouette de fauve se découper dans les ténèbres pour venir la chercher..


Elle s’éveilla en sursaut, enfin elle l’espérait, car elle aurait au moins réussi à s’endormir alors, aux premiers signes du troisième assaut. Une voix d’homme cria « Ils arrivent ! » et ne se manifesta plus jamais. C’en était trop. Elle aurait voulu enfiler son armure, et bondir à l'extérieur prêter main-forte aux sentinelles du Comté...mais la jeune fille craignait d'être un poids dans cette bataille de nerfs. Elle n'avait pas l'habitude des escarmouches à répétition, et encore moins des combats nocturnes. Qui plus est, si elle cédait à la tentation pour battre la cambrousse toute la nuit, elle serait épuisée dès l'aube et incapable d'affronter les mort-vivants qui rôdaient plus loin. Alors à contrecoeur, elle s'enterra de plus belle sous son drap, en priant pour le salut de leurs gardiens.

Dans les bois, l’air était lourd, pesant, même en pleine nuit, et ces combats acharnés qui défilaient les uns après les autres empuantissaient le village d’effluves de poix, de sang et de cendres. La Paladine avait chaud. Elle suait tant que sa chemise de nuit lui collait à la peau, et la tension permanente qui l’agitait n’arrangeait rien. Mais elle n’en pouvait plus. L’angoisse, la paranoïa, la fatigue commençaient à avoir raison d’elle.


Félicia ravala sa fierté et finit par se lever en serrant son oreiller contre sa poitrine, prenant garde à ne pas promener son regard dans la pièce et s’approcha d’Aayla. Elle s'arrêta devant son lit, hésitant à réveiller son amie pour lui demander une faveur gênante. Se trouvant des plus ridicules, elle allait faire demi-tour quand la Draeneï ouvrit les yeux, visiblement aussi tendue qu’elle. La honte la fit rougir jusqu’aux oreilles, lui donnant encore plus chaud, et elle espéra que la Chamane ne voie pas les couleurs dans le noir tandis qu’elle baissait les yeux.

  • Je…je peux dormir avec toi ? demanda-t-elle d’une toute petite voix.

Pour toute réponse, Aayla lui offrit un sourire et souleva sa couverture pour l’inviter à se glisser dessous. Félicia savait qu’elle aurait encore plus chaud avec elle, et les images de la nuit précédente lui revenant en tête ne firent rien pour la détendre, mais peu importait. La Paladine se faufila sous les draps en essayant de se faire toute petite pour ne pas déranger la Draeneï, qui l'entoura de ses grands bras pour la serrer contre elle, encore. Surprise, Félicia cessa même de respirer pendant quelques secondes.

  • Je voulais demander la même chose, mais je n’ai pas osé…

Elle réalisa alors que son amie tremblait un peu, encore plus angoissée qu’elle finalement, et la jeune Humaine recommença à souffler en essayant de se blottir tant bien que mal dans l'étreinte de la Chamane.

Le reste de la nuit ne fut pas plus clément pour autant et les deux femmes dormirent peu, s'éveillant en sursaut au moindre bruit les rares fois où elles s'assoupissaient, étouffant l'une comme l'autre sous leur couverture partagée. Mais les quelques trop courtes heures dont elles purent profiter leurs furent plus douces ainsi.

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