Dragons - Volume I : l'Ordre

Chapitre 2 : 2.

2762 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2019 16:55

L’homme lourdement armé regarda la femme avec un léger sourire et tout en la fixant avec envoûtement, lui dit d’une voix taquine :

— Tu n’en ferais pas un peu trop fillette ?

Cette dernière fronça les sourcils, se tenant d’autant plus sur ses gardes, avant de répondre d’un ton inquiet :

— Serais-tu Arthas ?

— C’est exact, je suis ravi que tu m’aies reconnu aussi facilement, répondit l’homme, flatté.

— Peu de monde se balade avec un accoutrement d’une telle valeur, rétorqua l’elfe.

— Tu marques un point. Ça me va bien quand même, non ?

Demanda à nouveau l’homme en prenant presque la pose. L’elfe grimaça, ne se sentant pas un instant prise au sérieux par ce trouble-fête et lui répondit aussitôt :

— Seul un idiot essaye de séduire son ennemi, c’est la réputation que tu as. Et de toute évidence, tu n’y faillis pas.

Soudain, l’homme qui avait planté son épée devant lui le temps de sa pose la reprit et fronça des sourcils.

— J’avoue que j’ai un faible pour les belles femmes. Mais je les préfère plus douces et calmes. Je suis ton ennemi et tes actes de trahison vont te coûter la vie, prépare-toi, finit par répondre le blond sur un ton beaucoup plus sérieux que précédemment.

Alessa serra les dents. Elle savait qu’elle était dans une impasse et n’avait que peu de chances d’en sortir indemne contre cet homme. Le blond se tourna rapidement vers Onyx et lui fit signe de rester à l’écart tandis qu’il tournait à nouveau son regard vers l’elfe. L’instant suivant, l’homme se mit en marche d’un pas lent vers l’elfe, immobile. Après quelques instants, le blond finit par augmenter le rythme de sa marche avant de se mettre à courir.

L’elfe tenta aussitôt de lancer deux kunaïs enchaînés vers l’homme à la charge, mais ce dernier bondit sur le côté pour éviter le premier et para le second du plat de sa lame. Son regard n’avait pas un instant quitté son adversaire des yeux durant cette action et l’elfe qui s’était emparé de ses dagues fit une roulade sur le côté.

Le corps à corps restait sa spécialité et sa souplesse ainsi que sa rapidité lui permettaient de concentrer ses attaques sur la partie basse du corps de son adversaire, bien moins à l’aise. Malheureusement, même les jambières d’Arthas étaient lourdement blindées et il faudrait concéder de la vitesse d’attaque pour plus de puissance de frappe pour percer une telle armure.

Tout en réfléchissant au meilleur angle d’attaque ainsi qu’au timing idéal, la femme dansait autour du grand guerrier, passant en dessous et même au-dessus de son épée dans des successions de roulades, de petits bonds et de salto. Onyx qui se tenait à distance, la main sur son épaule blessée, était impressionné par cette vitesse d’attaque. Il semblait bien avoir connu l’elfe et son regard médusé en disait long. À l’évidence cette femme avait fait d’énormes progrès depuis la dernière fois qu’il avait pu la voir à l’œuvre.

Malgré cela, rien n’y faisait, l’épaisse protection du blond semblait infranchissable et les quelques contacts des dagues sur celle-ci étaient bien trop brefs et timides pour qu’ils ne fassent la différence. L’homme bougeait très bien malgré le poids évident de son épée, mais Alessa comptait désormais sur l’endurance pour creuser l’écart et reprendre l’ascendant de cet échange.

Les deux combattants s’échangeaient, paraient et esquivaient leurs attaques du mieux qu’ils pouvaient avant qu’Alessa ne se rende compte qu’Arthas l’avait inconsciemment dirigé plus loin du village et contre une falaise. L’elfe se retrouvait en pleine impasse quand soudain, son adversaire lui lança une puissante attaque d’estoc, la pointe en avant et visant la poitrine de la femme.

Celle-ci n’y réfléchit pas deux fois et esquiva en roulant sur le côté droit du blond tout en jetant un kunaï. L’homme finit son mouvement en tournant sur lui-même pour relancer sa lame à pleine vitesse tandis que le projectile lui rasa le visage, lui coupant plusieurs mèches au passage.

Alessa était à peine sur ses appuis tandis que l’épée lui arrivait dessus à toute vitesse. Elle ne put l’éviter et leva ses dagues en formant un V afin d’y loger le tranchant adverse quand soudain, l’épée pivota et présenta son plat. Ne pouvant bloquer l’arme, l’elfe fit propulsée contre la falaise derrière elle et s’y écrasa avec violence, retombant sur ses genoux et lâchant ses dagues.

— C’en est terminé, rétorqua Arthas en s’approchant de l’elfe.

Celle-ci resta figée, ne sachant quoi faire, regardant la mort arriver pour la faucher, mais tout à coup, Arthas stoppa son élan et commença à trembler avant de finir par lâcher son épée et de tomber à genoux.

Il se tenait la tête avec ses deux mains comme si un énorme mal de crâne venait de se déclarer. Alessa ne comprenait pas quand finalement, elle se mit à ressentir les mêmes symptômes ; elle vacilla un court instant avant de chuter au sol et eut beaucoup de difficulté à rester consciente ; c’était tel un poids titanesque qui l’écrasait à terre, ne pouvant plus contrôler son corps. Onyx quant à lui, semblait avoir entièrement perdu connaissance.

Alors que cette force démesurée clouait les deux ennemis au sol, l’un à côté de l’autre, des bruits de pas résonnèrent, descendant les dernières marches de bois du grand quai portuaire. Dans la brume qui s’était épaissie, ce dernier quart d’heure, une silhouette apparut peu à peu. L’ombre difforme s’approcha, marchant naturellement, sans avoir l’air d’être gênée par ce qu’il se passait puis l’on put finalement distinguer à la lumière des lanternes disséminées sur les murs des maisons encore entiers ; il s’agissait d’un homme.

Ce dernier était vêtu d’une grande cape noire lui tombant jusqu’aux pieds et qui semblait également recouvrir ses épaules et le haut de son torse, tel un châle opaque. Elle formait aussi un col remontant au niveau de la bouche, masquant les lèvres de l’individu ainsi qu’une majeure partie de son visage. Le reste de sa tenue était relativement simple et aucun signe d’armure ne paraissait en surface.

Son visage quant à lui, se démarquait bien plus ; le teint de sa peau était très pâle, bien trop pâle même. Il avait des cheveux noirs hirsutes dont quelques mèches retombaient devant son œil gauche. Ses yeux étaient quant à eux d’un rouge sang à faire froid dans le dos. Son regard était intense et d’une profondeur abyssale tandis que le reste de son visage, ses traits et mimiques semblaient effacées, comme si l’homme était démuni de toute émotion. Cette vision ne rassurait certainement pas sur la nature de sa présence ici.

L’homme marcha jusqu’à être au niveau d’Arthas et d’Alessa, tous les deux à terre, souffrant toujours d’une douleur incompréhensible quand brusquement celle-ci disparut. Arthas reprit ses esprits et réalisa que se tenait devant lui le plus grand des Prétoriens que l’histoire de ce monde ait pu connaître ; Vincent Steel.

Arthas hésita quelques instants, fébrile, avant de demander aussitôt d’un ton curieux :

— C’est toi qui m’as cloué au sol… Comment ?

— J’ai simplement libéré une partie de ma force spirituelle autour de toi.

— Une telle puissance… tu ne peux être que Vincent Steel, rajouta le chevalier, à genoux.

— C’est exact...

Sur ces mots, le regard d’Arthas perdit toute confiance et l’homme sembla redoubler d’efforts pour cacher son angoisse, mais c’était peine perdue. Alessa le remarqua aussitôt et n’osa rien faire ; si Arthas même en a une peur bleue, je n’ai pas la moindre chance, se disait-elle.

~*~

L’énergie spirituelle repose sur un équilibre. Si la différence de quantité d’énergie entre deux personnes sur une courte distance est trop grande, l’individu à l’énergie la plus faible sera alors « écrasé » par la force adverse pouvant aller jusqu’à entraîner l’évanouissement, voire même la mort de celle-ci. Bien évidemment, plus la distance entre deux personnes à l’écart de force est grande, plus l’écart de force doit également l’être pour provoquer ce genre « d’écrasement ».

L’homme aux cheveux hirsute reprit sur un ton toujours très plat, presque ennuyé :

— Je n’ai pas l’habitude de me mêler des affaires d’autrui. Et encore moins d’interférer avec la politique d’Avalon… Après tout, je ne me sens pas concerné. Mais quoi qu’il en soit, je ne te laisserais pas ôter la vie à cette femme.

— Pourquoi ? Elle est le mal qui ronge Avalon.

— Je te l’ai dit. Je me fiche d’Avalon. Cette elfe est talentueuse et il est trop tôt pour en finir. D’ailleurs... depuis quand un chevalier tel que toi s’occupe de guerriers de bas étage ? demanda Vincent sur un ton léger.

— Des centaines d’hommes sont morts aujourd’hui à cause de personnes comme elle... marmonna Arthas. Ce n’est pas de la politique, c’est de la justice !! insista le blond.

— C’est le problème avec la guerre, les gens ont tendance à mourir. Quant à ta justice, c’est une question de point de vue. Seuls des soldats prêts à se battre ont péri. Ils connaissaient les risques.

Arthas resta muet, se contentant de serrer ses poings, agacé par son impuissance et le désintérêt de son interlocuteur et finit par baisser la tête, conscient qu’il n’aurait pas gain de cause ici.

— J’en conclus de ce silence que l’affaire est réglée. Repars avec le mage, il a besoin de soins.

— Tes agissements ne resteront pas éternellement impunis, Vincent… soupira Arthas désemparé.

Puis ce dernier se releva et alla chercher Onyx et le pris sous son épaule avant de se diriger vers les quais et disparaître, n’essayant pas le moindre instant de contester l’autorité de Vincent. Alessa, qui endurait toujours cette énorme pression depuis tout à l’heure, sentit doucement celle-ci s’évaporer à son tour, lentement, jusqu’à ce qu’arrive le moment où la pression fût totalement envolée. La jeune femme se releva aussitôt, mais plutôt que de prendre la fuite, elle demanda à son « sauveur » :

— Vous êtes donc le légendaire Vincent ?

— Apparemment... répondit l’homme de manière encore très détachée.

— Il a toujours été dit que vous ne vous êtes jamais allié au nouvel empire. Mais jamais opposé non plus, expliqua l’elfe.

— Je n’ai que faire des rumeurs…

— Pourquoi m’avoir sauvée ?

— Vous pensiez alors mourir, soupira lentement Vincent, avec une certaine déception.

— C’était inévitable… du moins, c’est ce que je croyais, avoua la jeune femme en toute honnêteté.

— Dans ce cas… J’aurais peut-être mieux fait de ne pas intervenir.

— Pourquoi l’avoir fait ?

— Car il serait navrant de voir un tel potentiel gâché.

— « un tel potentiel­­ » ? souligna l’elfe, ne comprenant pas.

— Une grande force coule dans vos veines. Si vous ne passiez pas votre temps à vous acharner contre des faibles et que vous vous étiez cherchée plus tôt… peut-être l’auriez-vous déjà remarqué…

Alessa ne dit rien et fronça des sourcils, comme attendant une suite inévitable.

— Il existe des personnes bien plus puissantes que le meilleur des Prétoriens.

— Vous en êtes la preuve vivante, rétorqua Alessa.

— Tu pourrais en être un Alessa... marmonna Vincent.

— Être quoi exactement ? s’intrigua l’elfe.

— Un dragon. La puissance brute coule dans nos veines et rien ne nous arrête si nous ne le désirons pas de nous-même. Nous ne sommes pas une force apprivoisée et contrôlée.

— Une véritable force de la nature donc…

L’elfe marmonna ces quelques mots d’un ton envieux tout en baissant la tête, regardant ses poings ensanglantés et tremblants encore du précédent combat. Vincent s’approcha de quelques pas et l’elfe releva aussitôt la tête, plongeant ses yeux dans les ténèbres écarlates de ceux de Vincent. L’homme posa sa main gauche sur l’épaule de l’elfe et soupira légèrement avant de reprendre d’un ton ennuyé :

— Mais tes actions sont dirigées par une croyance qui ne te mérite pas.

L’elfe balaya aussitôt la main posée sur son épaule et fit deux pas en arrière tout en regardant avec colère l’homme.

— Vous pouvez me dire tous les beaux mots que vous désirez… Mais vous ne changerez pas mes convictions, rétorqua-t-elle.

— Voilà pourquoi le dragon en toi ne se réveille pas… tu es trop attachée à des principes et des idées futiles.

— J’ai tout perdu... Je n’ai plus de famille, plus d’amis. Ils m’ont tous été enlevés par la Horde. Je ne pourrais jamais cohabiter avec ces sauvages. Est-ce réellement si futile ?

— Les détester te ramènera-t-il tes proches ?

L’elfe resta silencieuse, continuant à grimacer à Vincent. Elle avait bien conscience de la véracité des propos de l’homme, mais sa colère était trop grande. L’homme aux cheveux hirsutes finit par fermer les yeux et soupirer longuement avant de commenter :

— Bien sûr que c’est futile... Je n’aurais pas dû venir.

Sur ces simples mots, Vincent se retourna et commença à partir quand soudain, Alessa reprit de vive voix :

— Une chose est sûre à votre égard en tous les cas. Quelque chose dont les rumeurs ont toujours eu raison.

— Quoi donc ? demanda l’homme, arrêtant sa marche sans se retourner.

— Votre dégoût de ce monde.

Vincent se retourna et chargea la femme d’un regard agacé en reprenant aussitôt :

— J’erre dans ce monde depuis plus de quatre mille ans… Je l’ai déjà sauvé du chaos à maintes reprises. Et je le ferais encore s’il le faut... Mais je n’ai pas de temps à perdre avec des personnes aveuglées par leurs propres sentiments.

— Aucun écrit ne parle de vous comme d’un héros…

— L’église m’a banni il y a fort longtemps… Quand on repousse de sa propre force la légion ardente durant la guerre des anciens, on se doit d’utiliser toute la force disponible. Les êtres vivants faibles ne survivent pas à un tel déséquilibre. J’ai tué des milliers de femmes et d’enfants… pour protéger ce monde.

La jeune déviante ne pipa mot, ne saisissant pas tout de cette histoire farfelue.

— Quoiqu’il en soit… Tu n’es pas prête pour comprendre. Mais quand le cœur du dragon se réveillera, j’espère que tu verras sûrement tout ceci autrement.

Alessa ne disait plus rien, silencieuse et perdue dans ses pensées.

— Dernière chose… Aujourd’hui, je t’ai sauvé la vie, mais demain je pourrais très bien te l’ôter. Renonce à cette vengeance stupide, conclut l’homme avec froideur.

Puis, Vincent reprit sa marche et sortit d’Auberdine en partant vers le nord, mais alors qu’Alessa voulut lui courir après, se demandant pour quelle raison il repartait aussi vite en cette direction, elle eut un vertige puis s’évanouit...

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