Dragons - Volume I : l'Ordre

Chapitre 16 : 16.

2467 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2019 20:47

Vincent commença une longue marche vers le nord. Le terrain était marécageux et la flore alentour semblait être vivante ; elle jouait avec la peur des gens grâce aux efforts du vent qui leur donnait vie dans un bruit strident et irrégulier. Le vent était d’ailleurs assez fort, par moment, pour que l’on croie à un souffle de dragon puis finalement, Vincent arriva devant une grotte et y pénétra sans la moindre hésitation.

Après plusieurs minutes à avancer à tâtons, Vincent finit par apercevoir une faible lueur au loin, facilitant grandement la suite de son trajet. En s’en approchant, il put percevoir le visage d’un homme assis devant un petit feu de camp. L’homme était chauve, de couleur de peau noire et ses yeux, particulièrement blanchâtres ; à l’évidence l’homme était atteint de cécité. Son visage semblait très carré et tout portait à penser qu’il devait être musculairement bien bâti.

Vincent finit par s’asseoir face à l’homme et resta muet encore quelques instants tandis que l’habitant du lieu terminait de se préparer une soupe. Mais soudain, ce dernier parla d’une voix grave et fatiguée :

— Vincent… Tu viens voir si je suis encore en vie ?

— Je n’en doutais pas… Nous savons tous les deux que rien ne peut vous tuer.

L’aveugle sembla ricaner intérieurement avant de commenter :

— J’admire ton optimisme… Mais tu n’es pas venu pour me divertir, n’est-ce pas ?

— J’ai besoin de votre aide...

— Tu la cherches ?

— Oui.

— La réponse est en toi. Elle l’a toujours été. Tu t’es déjà posé cette question il y a très longtemps. Tu avais la réponse… Et celle-ci est encore la même aujourd’hui. Sélène n’a pas oublié son frère, le seul homme qui pouvait la protéger et être à ses côtés. Elle attend ta venue là où elle t’a toujours attendue...

Vincent ne dit rien, comme cherchant désespérément la réponse en lui.

— Si tu ne sais pas où tu dois te rendre… Alors il ne vaudrait mieux pas que vous vous rencontriez, mit en garde l’homme aveugle.

— J’y vois clair. Et je me sens stupide d’avoir dû venir ici.

— Il n’y a pas de mal. Tu es passé par beaucoup de choses. Personne ne t’en tiendrait rigueur.

— Je ne comprends pas comment elle a fait pour retrouver sa force… Je croyais cela impossible… marmonna Vincent.

Le sage déposait délicatement sa soupe dans une petite tasse en céramique sur un support au-dessus du feu et touilla le contenu avec une petite tige de bois propre avant de répondre, d’une voix toujours calme :

— Tout comme on ne peut ôter l’instinct de survie à un être vivant, tu ne pouvais pas lui ôter sa force éternellement.

Vincent resta silencieux, tentant de trouver une explication plus rationnelle que les paroles métaphoriques de son voisin, mais après quelques minutes, ce dernier y renonça.

— J’ai une autre question... J’aurais préféré la poser à l’intéressée, mais je ne peux pas m’y rendre maintenant, commença Vincent presque embarrassé.

— Je t’écoute Vincent.

— Arthas est-il réellement en voie de devenir le nouvel empereur ?

— Oui Vincent. Le règne de dame Whisperwind touche à sa fin. Elle ne t’en a même pas parlé ?

— Non… À aucun moment, répondit Vincent en hochant de la tête.

— Cela va donc si mal entre vous désormais ? Mais n’était-ce pas prévisible ?

— Je ne suis pas sûr de comprendre…

— Tu as passé ce dernier millénaire à refouler tes sentiments… Pensant que ceux-ci te détruiraient tôt ou tard. Mais regarde-toi aujourd’hui… Je ne sens dans ta voix qu’un homme qui ne se connaît même plus lui-même. Garder tant d’émotions au plus profond de toi ne fait que de te consumer lentement.

— Devrais-je être comme ma sœur ? demanda Vincent en fronçant des sourcils, s’énervant.

— Certainement pas… Mais tu devrais être toi.

Une fois encore, Vincent se terra dans le silence, ne sachant quoi répondre avant que son interlocuteur ne soupire longuement et reprenne, résigné :

— Arthas devrait reprendre le flambeau dans les prochains mois, Tyrande démissionne de son poste.

— Sais-tu pourquoi ?

— Je crois que c’est pour des raisons politiques assez obscures... Tu devrais lui demander, tu sais. Elle est au fait de tout ça bien mieux que moi, se contenta de répondre le sage avec un léger sourire.

— Je n’en doute pas un instant... Merci pour toutes ces informations.

Puis, Vincent se releva aussitôt et après une rapide révérence, quitta la grotte obscure. Le soleil bien bas à l’horizon fut suffisant pour éblouir l’homme aux yeux écarlates à la sortie de la pénombre et celui-ci s’empressa de retourner à son cheval loin des marais.

~*~

Après quelques heures de route, Vincent arriva à Tanaris. Le soleil était désormais dans sa dernière heure journalière, éclairant tout le désert d’un éclat rouge-orangé captivant. L’homme appréciait ce spectacle et se contenta de s’asseoir aux abords de la ville, sur le sable encore brûlant. Un petit quart d’heure s’écoula quand soudain, Shanna apparût derrière lui et prit aussitôt la parole :

— Je t’attendais au bar, je pensai que c’était notre point de ralliement.

— Le bar était une exception, je ne m’y aventure pas vraiment dans d’autres circonstances.

— Devrais-je me sentir flattée que tu m’aies proposé un verre alors ? demanda la brune d’un léger sourire.

— Peut-être oui.

La réponse franche et d’une voix douce fit frissonner la femme, sentant qu’à chaque minute aux côtés de Vincent, ses émotions pouvaient très rapidement virer du positif au négatif, ne pouvant jamais anticiper comment Vincent lui répondrait ou la regarderait. Malgré cela, cette dernière prit sur elle-même et s’assit à côté de l’homme, regardant le soleil finir sa course derrière l’étendue de sable lointaine, faisant miroiter l’horizon tel un océan sous les ondulations de chaleur.

— Tu as pu faire ce que tu voulais ? finit par demander Shanna, souhaitant reprendre la discussion.

— Oui… Merci de ta compréhension.

— Et maintenant ?

— On attend demain. Après je vous expliquerais tout.

— Et ensuite ? s’interrogea Shanna avec le sourire.

— Tu poses beaucoup de questions ! s’exclama Vincent.

— J’aimerais juste savoir ce qui va se passer, insista Shanna, trouvant Vincent bien peu loquace tout à coup.

— Ensuite, j’irais seul à un endroit où personne ne peut aller.

Nous y revoilà, pensa Shana, semblant déjà avoir entendu cette phrase, mot pour mot.

— Tu vas encore me laisser derrière donc. Je ne comprends pas le but de m’avoir rencontré si tu comptais rester seul dans ton coin, soupira-t-elle.

— Je suis désolé, Shanna… Mais je n’ai pas le choix. Surtout pas pour ça. Moi-même, je ne sais pas encore ce qui va se passer là-bas. Mais une chose est sûre… Personne ne doit y être.

— Comprendrais-je un jour ? Je commence à en avoir assez d’autant de secrets…

— Demain… Tu as ma parole, répondit fermement l’homme en se tournant pour fixer du regard la brune.

— D’accord... marmonna simplement cette dernière, se levant aussitôt.

Elle ne souhaitait pas vraiment rester auprès de Vincent en cet instant. Il semblait encore plus froid et distant que le reste du temps et cela lui faisait un mal de chien quand soudain, ce dernier l’appela, la stoppant net dans son élan. Se retournant, celle-ci fronça des sourcils, presque inquiète du moindre mot futur, et répondit simplement :

— Oui ?

— Reste un peu, si tu veux bien.

Ces mots semblèrent à la fois une bénédiction et un piège dans lequel elle allait s’engouffrer bêtement. Elle sembla réellement hésiter quelques instants, mais peut-être voulait-il réellement parler ou s’excuser de son comportement. Avec ces hypothèses en tête, la femme s’imaginant déjà des tas de scénarios possibles, celle-ci rebroussa chemin et vint s’asseoir à côté de Vincent, parfaitement silencieuse, attendant que l’homme fasse le premier pas.

La brune regardait Vincent avec appréhension quand finalement, ce dernier souffla un instant avant de reprendre la conversation, évitant toutefois de regarder sa voisine :

— Aujourd’hui, j’ai vu en toi une force que je n’aurais jamais soupçonnée...

— Comment ça ? demanda Shanna ne comprenant pas vraiment.

— Malgré la situation… Tu avais un sourire plus grand et plus vrai que n’importe lequel que j’ai vu jusqu’à maintenant. Je réalise que ce n’est pas simple pour toi. Je t’en ai déjà beaucoup demandé et tu crois que je t’abandonne. Mais j’étais sincère hier… Tu es quelqu’un d’important pour moi.

— C’est ma force qui t’intéresse Vincent… soupira la brune avec gêne. Rien d’autre, ajouta-t-elle d’une voix incroyablement faible.

— C’était le cas lors de notre premier duel, je l’admets…

C’était ? releva Shana.

— Mais ce n’est plus le cas…

La brune restait silencieuse, attendant les prochains mots avec impatience.

— Tu m’as fait penser à une personne que j’ai connue il y a très longtemps. Quelles que soient les difficultés, elle souriait toujours pleinement à la vie et chacun de ses sourires rendait tout beaucoup plus beau autour d’elle.

— Tu en parles comme si elle était tout à tes yeux, soupira Shanna, quelque peu envieuse.

— Oui... Et c’est sûrement encore le cas. Aujourd’hui, je pense que je vais faillir à mes obligations, ajouta l’homme anxieux.

— Que veux-tu dire par là ? demanda Shanna, inquiète.

— De ne jamais plus éprouver de forts sentiments, rétorqua fermement Vincent.

Shanna ne dit rien, mais ces mots furent comme une bombe dans son cœur. La laissant de marbre, ne sachant quoi répondre ou quoi penser. Avait-elle déjà perdu ? N’y avait-il donc aucune chance qu’il puisse s’éprendre d’elle ? Mais tandis qu’elle enchaînait les ascenseurs émotionnels, Vincent continua sans s’en rendre vraiment compte :

— Ce genre de sentiment peut me faire faire des choses trop lourdes de conséquences. J’ai vraiment peur que la situation m’échappe…

— Peut-être, mais ça marche aussi dans l’autre sens, se reprit finalement la jeune femme.

— Comment ça ?

— Les émotions peuvent te donner une grande force morale, pas uniquement physique. Pour mieux affronter des difficultés que tu ne peux pas simplement surpasser par ta puissance.

— C’est possible…

Shanna demeura silencieuse, pensive.

— Quoi qu’il en soit… j’ai encore une chose à faire. Et je dois t’avouer que je ne sais même pas si j’en reviendrais, rajouta Vincent avec un manque de confiance inhabituelle.

— Toi. Dire une chose pareille… Je n’y crois pas, répondit aussitôt Shanna, incrédule.

— C’est pourtant la vérité… Je ne suis pas l’unique personne dotée d’une telle puissance.

— Qui est l’autre ?

— Je te raconterais tout demain.

— Très bien...

— Je vais aller plus loin dans le désert, pour me changer les idées.

Vincent se leva et commença à partir, et tandis que Shanna resta immobile dans un premier temps, ne sachant plus sur quel pied danser, celle-ci finit par se lever et courra après l’homme déjà à distance.

Finalement, la femme qui arrivait dans son dos le vit se retourner et cette dernière n’arrêta pas sa course, ne pouvant plus contenir cette sensation qui la rongeait et se lança directement dans les bras de l’homme. Au diable la retenue, et tant pis si ça ne marche pas. J’aurais essayé, se dit-elle.

La femme reprenait rapidement conscience de la situation, réalisant que l’homme ne l’avait pas évitée ou quel qu’autre subterfuge imaginable, se blottissant encore davantage sur ce dernier. L’homme en question grimaçait, ne sachant pas vraiment quoi dire, mais il ne pouvait pas la laisser comme ça.

— Shanna… soupira-t-il, pour tenter de la raisonner.

— S’il te plaît, laisse-moi juste un instant…

— Tu ne devrais vraiment pas, insista l’homme.

— J’ai compris… J’ai bien compris… Mais je suis tombée amou…

La femme n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle s’évanouit d’un coup. Vincent qui l’avait encore dans ses bras, soupira longuement avant de reprendre :

— Tu es une femme incroyable Shanna… Mais je ne suis pas l’homme que tu crois.

Finalement, Vincent la porta sur ses bras jusqu’à l’une des auberges de la ville. Le gérant dévisagea l’arrivant, portant dans ses bras une femme au visage angélique, mais inconsciente tandis que Vincent posait sur le comptoir trois pièces d’or en disant aussitôt : « Aucune question. »

Le gérant opina du chef avant de faire glisser les quelques pièces vers lui, de sa main droite. Il remit finalement une clé à Vincent qui partit aussitôt en direction de la chambre. L’homme eut encore le temps d’entendre le gérant lui dire d’une voix sournoise : « Amusez-vous bien... »

 Vincent n’y prêta pas attention et finit par entrer dans la chambre louée et y déposa sur le grand lit la femme avec délicatesse. L’homme la regarda quelques instants, dormant paisiblement avant de rebrousser chemin et de quitter l’auberge en fermant la porte à clé. Le gérant qui vit l’homme déjà repartir s’intrigua puis passa à autre chose, habitué à toutes les étrangetés imaginables dans cette ville.

La nuit tombait finalement tandis que l’homme aux cheveux hirsutes quittait la ville, marchant vers l’horizon de sable aux couleurs virant doucement au bleu tandis que la lune se levait à son tour.


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