Un nouveau monde

Chapitre 10 : Rétribution royale

5370 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/05/2020 14:12

De retour à la Colline des Sentinelles, Gahahli se mit à pratiquer le tir à l'arc en plein jour avec son bandeau sur les yeux, en attendant avec ces compagnons la suite du programme suite à la mort de VanCleef.

Aussi bonne archère fut-elle dans la nuit et l'obscurité, elle se dit qu'elle aura clairement besoin d'entraînement, vue qu'elle peinait à atteindre le centre de la cible de tir.

Il n'y avait cependant pas que la lumière du jour et le fait d'avoir les yeux bandés qui avait altéré ses talents d'archère. La jeune elfe avait l'esprit encore préoccupé par la récente confrontation avec le chef de la Confrérie et surtout les motivations avoués de ce dernier.

Toute une décennie de vols, d'extorsion d'argents, de menaces mort, d'enlèvement et de meurtre à l'encontre de la population de Hurlevent, sans parler d'une tentative de razzia sur une grande ville, parce que l'on avait refusé de payer des maçons pour leur travaux dans la reconstruction de la cité. Toute une série d'injustices qui en cachaient une autre, probablement plus grave. La jeune elfe qui croyaient jusqu'à présent que les humains étaient un peuple intègre, voilà qu'elle commençait à avoir des doutes.

Elle avait hésité à en parler à Batël qui semblait en savoir plus que les autres sur cette histoire — Gahahli se souvint même l'avoir entendu dire être d'accord qu'on aurait dû payer les maçons — mais y renonça car en fin de compte, en voyant le nain se complaire à exhiber la tête coupée de VanCleef, il n'en avait pas grand chose à faire, du moment qu'il s'en sortait avec un "trophée". La jeune elfe en vint même à se demander si elle allait un jour pouvoir s'entendre avec le nain, aussi rustre et coléreux soit-il.

Elle n'eut rien de ces compagnons quand elle leur posa la question. Bartélo affirmant (sans surprise) avoir été trop jeune à cette époque pour se rappeler de quoi que ce soit ou même comprendre quoi que ce soit à la politique. Quant à Baelbo, il était encore à la cité des mages de Dalaran en train d'étudier quand c'était arrivé, et que quand il s'était rendu à Hurlevent depuis la perte de son foyer, il n'avait retenu des Défias que des bandits sans foi ni loi qui prétendait agir en faveur des pauvres alors qu'en réalité il autant (si ce n'était davantage) au pauvres qu'aux riches.

Elle finit par en toucher un mot auprès de Roidemantel afin d'en savoir un peu plus sur cette histoire de maçons n'ayant pas eu leur paye, mais ce dernier resta évasif, affirmant qu'il n'avait pas été présent à Hurlevent quand il y avait eu cette affaire, qu'il ne s'y était rendu qu'après avoir eu vent de la Confrérie à ses débuts et qu'il n'a pu connaître que les grandes lignes de cette histoire. Le vieux chevalier avait également affirmé que le lien entre les maçons non payés et les bandits n'était encore à l'heure actuelle qu'une rumeur, que seuls les concernés pouvait la confirmait de par leurs aveux. Malheureusement, les quelques bandits que la Milice avait réussi à capturé restaient coi ou s'étaient donné la mort avant qu'on ait pu les interroger. Et ils n'étaient pas aidés par le fait que le chef n'étaient plus en mesure d'avouer quoi que ce soit et à qu'à l'heure actuelle, les quatre aventuriers connaissaient sa véritable motivation. Pour peu qu'ils leur avaient dit la vérité dans la crique.

Tout ce que la jeune elfe put apprendre de plus c'était qu'avant la naissance de la Confrérie, les maçons avaient effectivement fait une victime lors des émeutes pour leur paie. Mais comble de l'ironie, la victime en question s'avérait être l'une des rares nobles à avoir fortement soutenue la cause des maçons, à savoir la Reine Tiffin Wrynn, et c'est ce qui aurait conduit à la persécution des maçons sous la colère et le chagrin du roi.

— Il ne faut donc pas vous en faire, lui avait dit Roidemantel. Quand bien même les Défias seraient les maçons qui ont été chassés du royaume, notre regrettée reine n'aurait jamais approuvé leurs méthodes. C'était une femme très appréciée de son vivant, et pas seulement dans la haute-société. Elle était la "Reine du peuple". Vous n'imaginez pas à quel point sa mort a été une tragédie. Dîtes vous qu'en mettant fin aux activités criminelles de la Confrérie, vous et vos compagnons lui avez fait honneur.

Bien que bouleversée d'apprendre le triste sort de la reine, Gahahli ne sut toujours pas quoi en penser. Elle et ses amis venaient certes de venger les victimes des Défias, incluant celles datant d'avant l'existence de leur Confrérie, mais qu'est ce que cela allait changer ? Le mal avait été fait. Et il avait causé trop de dégâts pour être réparé.

Et maintenant que la jeune elfe se rendit compte que les nobles de Hurlevent seraient impliqués dans cette affaire, il était claire que justice n'était toujours pas rendu.

Elle songeait évidemment à la mort prématurée de la reine si appréciée par son peuple, tuée par une cause qu'elle défendait pourtant, mais surtout aux villageois qui avaient dû fuir la Marche de l'Ouest et abandonner leur maisons pour trouver refuge dans la cité de Hurlevent, cité que les Défias avaient prévu de détruire par n'importe quel moyen. Et puis, il y avait ce petit garçon qui s'était fait poignardé l'autre soir et que Gahahli n'avait pas réussi à sauver. Elle eut d'ailleurs le cœur serré en assistant à son enterrement lorsque son groupe fut revenu à la Colline.

Tous ces innocents, ces honnêtes et braves gens avaient certes étaient victimes des sévices de bandits dépourvus de moral, mais avaient surtout payé pour la pingrerie de personnes hauts-placés qui, à l'heure où la nouvelle sur la défaite des Défias se répandait à travers le royaume, devaient se frotter les mains à l'idée de ne plus avoir de dettes.

La jeune elfe devait s'en doutait. Elle se remémorait les histoires sur son peuple que lui avait raconté sa mère dans sa jeunesse, quand dix milles ans plus tôt ils étaient régis par une classe supérieure, les Bien-nés, qui dans leur folie des grandeurs avaient pratiquement manqué de provoquer la fin du monde, menant ainsi leur peuple à leur perte. Ce que Gahahli retenait de ces histoires, c'était que cela ne donnait en rien une bonne image de ceux qui vivaient au dessus de la classe moyenne.

Cela faisait que, contrairement à ses compagnons qui se félicitaient d'avoir libéré le royaume d'un fléau qui avait fait régner la terreur pendant trop longtemps, la jeune elfe ne pouvait se satisfaire de cette victoire. Encore moins en songeant au garçon qu'elle avait laissé mourrir dans son incompétence. Rien que pour ça, elle considérait cette journée comme un échec.


C'était le début de l'après-midi quand Roidemantel vint annoncer au groupe "une grande nouvelle" accompagné d'un petit régiment de soldats provenant de la cité.

— Disons que "quelqu'un" a fait part de votre rôle décisive dans notre récente victoire contre les Défias et que la nouvelle est parvenu jusqu'à la cour royale, leur expliqua le vieux chevalier. Et donc, le roi vient de vous convoquer car il souhaiterait vous féliciter personnellement.

Baelbo et Bartélo prirent la nouvelle avec joie, considérant cette convocation comme un honneur en plus d'une occasion d'obtenir les faveurs du roi ou même simplement de le rencontrer en personne.

Seul le nain resta méfiant face à cette convocation, redoutant une nouvelle entourloupe.

— Allez, maître Batël ! tenta de convaincre le jeune humain. Une occasion de voir le roi en personne, ça ne se refuse pas !

— Ouais, ça et d'obtenir ses faveurs, ajouta le gnome plein d'entrain. Enfin, j'espère... Il est comment ce roi, au juste ? Je ne l'ai jamais vu de ma vie.

— J'avoue ne pas l'avoir vu depuis dix ans, avoua Bartélo.

— Aussi loin que je m'en souvienne, ce n'est pas quelqu'un au caractère facile, affirma Batël. Le genre plus susceptible que moi, pour vous donner une image.

— Le roi sait aussi se montrer généreux envers ceux qui rendent service à son royaume, intervint un des soldats. Et aujourd'hui, il est plus que d'humeur à vous remercier, pour peu que vous répondiez à sa convocation.

— Bon, je veux bien, céda le nain. Ne serait-ce que par politesse. Je ne voudrais pas non plus m'attirer les foudres d'un monarque, quand même.

— Et vous, dame Gahahli, vous venez, bien sûr ? demanda Baelbo.

La jeune elfe hésita longuement. Obtenir une audience auprès du roi des humains pour lui prouver sa valeur était une des choses qu'elle avait espéré (si ce n'était LA chose qu'elle espérait le plus) en se rendant à Hurlevent, notamment pour lui prouver sa valeur. Mais après ce qu'elle avait appris ces dernières heures, elle avait un doute. Répondre à la convocation l'amènerait en présence non seulement du roi mais aussi probablement celle des nobles de la cité, autant dire les présumés vrais responsable de ces années de crimes à l'encontre de la population. Et l'idée de s'acoquiner avec des gens pareils ne la plaisait qu'à moitié. Autant serrer la main aux démons avaient corrompu les orcs pour qu'ils détruisent son village.

— Tu penses encore à cette histoire de maçons devenus criminels pour un défaut de paiement ? l'interrogea Batël devant le silence de l'elfe. N'y penses plus, gamine ! Tu l'as dit toi même, ça ne justifie en rien leurs actions de ces dix dernières années. Et puis au vu de ce qu'ils avaient prévu pour Hurlevent, ils pouvaient être sûr de ne jamais obtenir leur paie.

— Allez, Gahahli ! insista Baelbo. C'est l'occasion idéal d'obtenir les bonnes grâces de Hurlevent, de l'Alliance et ainsi de prouver à vos proches ce que vous valez vraiment.

Le gnome venait de marquer un point. La jeune elfe avait fait tout ce voyage et entrepris une lutte (bien que courte) contre une organisation criminelle dans le simple but de prouver à son père qu'elle était capable de quelque chose, pour ne plus être confinée à Teldrassil à se tourner les pouces pendants que ces ennemis gagnaient en puissance. Renoncer en si bon chemin l'aurait ramené à la case départ et après tout ce voyage ainsi que cette épreuve, ça aurait été trop bête de sa part.

Elle finit par céder... non sans se dire qu'elle allait peut-être le regretter.

— À la bon heure ! s'exclama le gnome.

— Et vous, seigneur, vous serez de la partie ? demanda le jeune paladin au vieux chevalier.

— J'aimerais bien mais j'ai encore du travail ici, lui répondit Roidemantel. Surtout après ma bavure d'hier. Et puis, c'est à vous que revient ce mérite.


Sur le chemin, tandis que le groupe se faisait escorte rpar les soldats à travers la forêt d'Elwynn pour la grande cité, Gahahli eut une idée en tête. Une idée qui n'allait sûrement pas plaire à son groupe et qui pourrait même compromettre ses désirs, mais sa bonne conscience le lui imposait. Elle espéra que le roi qu'elle s'apprêtait à voir serait vraiment d'humeur à écouter, redoutant l'attitude que Batël avait décrit plus tôt dans la journée.

Des cloches se firent entendre quand ils arrivèrent en vue de la cité et aussitôt qu'ils passèrent les grandes portes, l'allée aux grandes statues était inondé d'une foule de roturiers qui acclamèrent les aventuriers qui furent tous surpris d'un tel accueil et jetèrent des pétales de fleurs sur leur passage.

— Et ben ! La nouvelle s'est décidément répandue dans TOUT le royaume ! commenta le gnome.

— Et pour avoir démantelé, une organisation criminelle ? s'interrogea le nain impressionné. La dernière fois que j'ai assisté à autant de hourra c'était quand on vaincu la Horde durant la Seconde Guerre.

Les acclamations de la foule furent aussi flatteuses que bruyantes aux oreilles de Gahahli qui hésita à se les boucher par peur de froisser le public, en plus d'accentuer son malaise quant à la requête qu'elle s'apprêtait à faire au roi.

À travers les applaudissements et les hourras qui se poursuivaient jusqu'à l'entrée du Donjon de la cité, elle entendit des commentaires faites à l'encontre de ses compagnons, notamment de Bartélo qui avait su se faire un nom dans la région ces derniers mois et de Batël qui était encore reconnu comme un héros de la Deuxième Guerre. Elle ne put s'empêcher de sourire quand elle crut entendre une petite fille dire qu'elle aimait ses cheveux bleus.

Ils se dirigèrent vers le majestueux donjon qui surmontait la ville depuis les falaises au nord-est de la cité, où ils y accédèrent via un pont-levis qui les amenait devant un grand escalier qui s'arrêtait devant une fontaine avant de se séparer en deux et d'amener les aventuriers devant une large terrasse. Des soldats se tenaient au bord de l'allée, se mettant au garde à vous au passage des aventuriers.

Arrivé à la terrasse jonchée de nobles (à en juger par leurs habits bien plus luxueux et sophistiqués que ceux des roturiers), le groupe fut conduit juste devant le perron du château, sur lequel se tenaient trois personnes. Parmi eux, une femme d'âge mûre aux cheveux noirs de jais, au regard aguicheur et à la robe pourpre dont le motif évoquait vaguement des écailles et dont le décolleté mettait en avant sa poitrine. À côté d'elle, un homme également d'âge mûr en armure blanche-dorée, au visage dur, aux cheveux bruns mi-long et à la barbe hirsute. Enfin, entre les deux adultes, se tenait un enfant blond, habillé de bleus et qui devait avoir le même âge que celui que la jeune elfe avait tenté de sauver l'autre soir. Celui-ci semblait faire des efforts pour rester droit et calme, bien que le regard trahissait une once de malaise.

En signe de respect, la jeune elfe s'inclina devant l'homme en armure, pensant qu'il s'agissait du roi, que l'enfant devait être son fils et tandis que la femme... peut-être sa nouvelle compagne, qui sait ? Elle entendit des gloussements provenant de l'assemblé et se rendit compte que hormis Baelbo qui l'avait imité, elle était la seule à faire la révérence. Batël les dévisageait d'un regard réprobateur.

— Je peux savoir ce que vous faîtes ? leur demanda-t-il en chuchotant.

— On s'incline devant le roi, répondit à voix basse l'elfe incrédule tout en désignant de la tête l'homme en armure. Ce n'est comme ça qu'on fait ?

— Si mais le seigneur Fordragon n'est pas le roi, dit Bartélo tout aussi perplexe. Juste un autre ancien chevalier de la Main d'Argent. Comme Roidemantel.

— Mais alors où est le roi ? s'interrogea le nain. On nous a pourtant affirmé qu'il tenait à nous féliciter en personne.

Ils furent interrompu par un raclement de gorge venant du dénommé Fordragon qui réclama le silence avant de se tourner vers le blondinet et lui faire un signe de tête approbateur. Le garçon s'avança sur le perron d'un pas timide et se racla également le gosier avant de prendre la parole.

— Chers Hurleventois, déclara-t-il d'une voix mal assuré mais qui se devait d'être forte. Nous sommes réunis aujourd'hui pour témoigner notre gratitude envers ces braves aventuriers qui viennent à l'instant de mettre un terme à la menace Défias. (Il y eut un tonnerre d'applaudissement venant de l'assemblée) Dix ans de terreurs s'achèvent enfin, grâce à la bravoure et la dévotion de nos quatre nouveaux héros, promettant un avenir plus radieux pour Hurlevent.

La femme en pourpre lui présenta un coffret qu'elle ouvrit, contenant quatre médailles en or que le jeune garçon saisit avant de reprendre son discours :

— C'est donc en tant que... (Il sembla buter sur les mots qu'il s'apprêtait à dire) C'est donc en tant que roi de Hurlevent et au nom du peuple que je remets à ces courageux héros ces médailles de vaillance, en témoignage de notre gratitude.

Gahahli fut déconcertée. C'était donc ce jeune blondinet, le roi de Hurlevent. Elle avait beau savoir que les humains ne vieillissaient pas au même rythme que les elfes de la nuit, mais il paraissait encore jeune pour avoir tout un royaume à sa charge. Et à en juger par sa voix mal assuré durant son discours, il n'avait du tout à l'aise avec cette fonction ou même le simple fait de parler en public. Comme si on le lui avait imposé pour des raisons qui l'échappaient encore. Elle hésita donc à faire sa requête, de peur de froisser le trop jeune roi, en particulier devant une si grande assemblée. Mais en voyant qu'il avait déjà remis ses médailles à ses trois compagnons et que cela bientôt être son tour, elle se décida à se lancer :

— Un instant !

Elle se rendit vite compte qu'elle avait parlé un peu fort au vu de la réaction du jeune roi, de ses compagnons, sans parler des protestations qui s'élevaient parmi la foule.

— Qu'y a-t-il ? demanda le roi blondinet qui sembla pris de court. Ai-je dis quelque chose qu'il ne fallait pas ?

— Non-non, c'était parfait, le rassura la jeune elfe. Seulement, il vous que je vous révèle quelque chose à propos des Défias et j'ose estimer qu'il est important que vous le sachiez.

— Quoi donc ? lui demanda expressément Fordragon. Qu'est-ce que vous voulez nous révéler qui soit si important.

— Mais enfin, à quoi tu joues, gamine ? lui chuchota le nain d'un air réprobateur. Tu vois bien que ce n'est pas le bon moment.

La jeune elfe se contenta de lui répondre d'un regard désolé avant de confesser à l'assemblée ce qu'elle venait d'apprendre sur le lien entre les maçons qui n'ont pas eu leur paie dix ans auparavant et les Défias ayant sévi la région durant ce laps de temps tout en maintenant que ce n'était que des suppositions, qu'elle pouvait se tromper, consciente qu'elle était en train de lancer un scandale en divulguant de tels informations. Et à entendre les protestations venant des nobles, il était clair qu'elle avait raison d'avoir de tels craintes.

— Et désolée si j'ai ravivé à certains d'entre vous quelques souvenirs douloureux, s'empressa-t-elle d'ajouter en voyant la mine déconfite de l'enfant-roi. Sincèrement désolée.

La jeune elfe venait seulement à l'instant de se rappeler de ce qui était advenu de la reine au cours des émeutes pour la paye des maçons. Probablement la mère du jeune roi qui se tenait devant elle, le jugeant trop jeune pour avoir une compagne.

— Ce que vous dites n'est que pure spéculation, dame elfe, déclara la femme en pourpre d'un ton autoritaire et s'approchant d'un pas décidé vers la jeune elfe.

Cela fit réagir le Sabre-de-nuit qui de nouveau se mettait à grogner et à montrer les crocs en direction de la femme en pourpre.

— TOUT DOUX, JAKUA ! lui ordonna Gahahli. Tout doux !

Devant l'attitude de soumission qu'affichait le tigre, a jeune elfe aurait juré que ce n'était pas tant sa voix qui l'avait calmé mais plus le regard froid que lui avait lancé la femme en pourpre. De toute manière, l'attitude de l'animal était un signe, un avertissement que Gahahli n'allait pas prendre à la légère, pas cette fois. Elle devra se méfier de cette femme en pourpre.

— Avez vous des preuves de ce que vous avancez ? lui demanda avec insistance la femme. À moins que vos compagnons en aient ?

— Dame Katrana Prestor ! intervint Fordragon avant que l'elfe n'ait eu le temps de répondre quoi que ce soit. Notre amie ici présente vient de dire que ce qu'elle avançait n'était que des suppositions...

— On a la tête du chef, intervint à son tour le gnome. Enfin, le seigneur Roidemantel nous l'a réquisitionné pour l'envoyer à... un de ses contacts de Hurlevent qu'il disait.

— Et hormis une tête coupée ? reprit la dénommée Prestor. avez vous au moins un nom ?

— Edwin VanCleef, qu'il s'appelait, le chef, déclara Bartélo de but en blanc.

— Edwin Vancleef, vous dites ? répéta Fordragon intrigué. Voilà qui est troublant...

— Dîtes moi, dame elfe, depuis combien de temps êtes vous à Hurlevent ? interrogea à nouveau Prestor toujours d'un ton glaciale.

— Depuis... deux jours ? répondit Gahahli.

— Et vous en savez déjà sur ce qui s'est passé sur ces terres il y a dix ans, fit remarquer la femme en pourpre d'un air intriguée. Impressionnant, je dois dire !

— J'écoute et j'apprends, répondit humblement l'elfe.

— C'est bon ! J'en ai assez entendu ! déclara l'enfant-roi d'une voix surprenamment résolue.

D'un pas décidé, il s'avança vers le bord de la terrasse surplombant la fontaine en contrebas, faisant ainsi face à la foule de roturiers qui patientait en bas des marches.

— Citoyens de Hurlevent, on m'a informé à l'instant que les activités et les motivations des Défias auraient un lien avec les sombres événements qui ont ébranlé le royaume il y a de cela dix ans, dit-il d'une voix cette fois plus assuré. Bien que j'ignore toute la vérité de cette affaire, ce qu'il s'est passé durant cette période aurait du nous servir de leçon. En particulier à nous qui sommes de la haute-société. Par ailleurs, un grand homme m'a dit un jour que le devoir d'un roi était avant tout envers son peuple, qu'importe ce qui lui en coûte. C'est pourquoi en tant que roi et à compté de ce jour, je promets de dédommager ceux qui ont souffert de ces dix années de terreurs et d'assurer au mieux la protection de mes concitoyens.

Une vague d'acclamation en faveur de l'enfant-roi s'éleva depuis la foule en contrebas, tandis que des réactions plus mitigées se faisaient entendre parmi les nobles. Seule Prestor sembla rester impassible, dévisageant la jeune elfe d'un regard neutre. Gahahli ne saurait dire si elle approuvait la décision de l'enfant-roi ou non, si elle la félicitait ou la réprimandait du regard.

Toujours est-il que la jeune elfe fut surprise de la tournure qu'avait pris les événements, elle qui redoutait le pire. Elle en fut même pratiquement émue aux larmes et pratiquement prise de vertige. Même ses compagnons vinrent la féliciter pour sa franchise, excepté Batël qui resta en retrait.

— Alors vous, vous allez faire des heureux ! lui dit Baelbo.

— Ouais, et aussi quelques ennemis, ajouta le nain d'un ton moins optimiste en désignant de la tête les nobles qui rouspétaient dans leur coin.

— Tant que ça en vaut la peine, répondit Gahahli en contemplant la foule de roturiers aux anges.

Puis elle vit l'enfant-roi s'approcher d'elle et lui tendre la médaille qui réservée à la jeune elfe. Elle hésita, n'étant pas sûr d'être digne d'un tel cadeau.

— J'insiste ! lui dit l'enfant. Pour m'avoir ouvert les yeux.

Gahahli finit par céder et s'agenouilla devant l'enfant-roi, prête à recevoir sa médaille. En raison de ses longues oreilles pointus, l'enfant eut du mal à lui faire passer la lanière derrière la tête, incitant l'elfe à la baisser davantage pour lui faciliter la tache.

— Merci... mon roi, dit-elle toute émue.

— Non, dame elfe, le corrigea l'enfant-roi. Encore une fois, c'est moi qui devait vous remercier, pour tous.

Le seigneur Fordragon vint s'agenouiller à côté de l'enfant-roi, lui murmurant :

— Votre père serait fier de vous. De même que votre mère.

Malgré le ton bas de la voix du chevalier, ces mots jusqu'aux oreilles de la jeune elfe qui songea aussitôt et tristement à son père. Elle aurait aimé qu'il soit présent, qu'il puisse voir de ses propres yeux ce que sa fille avait accompli, de quoi elle était capable. Seulement la jeune elfe avait dû partir en douce, sur un coup de tête sans prendre le temps laisser de mot à son paternel. Sur le moment, elle savait qu'il n'aurait jamais approuvé sa décision, surtout après leur dernière "discussion". Mais par Elune, que sa présence lui manquait d'un seul coup. Et depuis le temps, il avait dû se rendre compte de son absence et n'ayant aucune d'où elle pouvait être, il devait fouiller ciel et terre dans tout Kalimdor sans savoir que sa fille avait changé de continent. Quelle fille indigne elle faisait ! Elle songea à lui envoyer une lettre, ne serait-ce que pour le rassurer, lui indiquer qu'elle allait bien. Encore faut-il qu'elle se procure de quoi écrire.


***


Quelque part, plus à l'est de Hurlevent, se dressait une montagne noire au nord d'une vaste plaine dévastée, aride et couverte de cendres. En son sein s'abritait une vaste citadelle farouchement gardé par des orcs à la peau-noire, aux imposantes armures d'un métal sombre et chevauchant des drakes aux écailles noirs.

Au sommet de la montagne se cachait une terrasse qui en réalité était une salle du trône à ciel ouvert, où se tenait un homme qui avait certes l'apparence d'un humain mais dont les yeux flamboyants trahissaient une malice hors-norme. Il avait la peau mat, ses cheveux mi-longs d'un noir de charbon, il portait une moustache ainsi qu'un bouc taillé en pointe et était vêtu d'une armure noire et pourpre cuirassée.

De sa terrasse, il contempla avidement au loin le royaume de Hurlevent qu'il comptait bien réduire en cendres avec son armée d'orcs et de dragons tous soumis à sa volonté. Mais avant, il lui fallait résoudre le problème des nains Sombrefer avec lesquels lui et ses sbires étaient forcés de "cohabiter" et se disputaient les ressources pour avoir le contrôle totale de la région.

Une lueur provenant de son trône l'arracha de ses pensées de conquête du monde. Il s'agissait de sa boule de cristal qu'il utilisait pour contacter quelques uns de ses alliés qui œuvraient en dehors de son domaine et qu'il avait soigneusement laissé sur son siège. Et le fait que la boule brillaient de milles indiquait que quelqu'un essayait de le contacter.

— J'écoute, dit l'homme d'une voix grave en saisissant la boule.

— Mon frère, j'ai des nouvelles alarmantes de Hurlevent, dit une voix féminine provenant de la boule et qui parlait à voix basse.

— Ma chère sœur ! Quelle plaisir d'entendre ta voix à n...

— Pas si fort ! Les murs ont des oreilles !

— Qu'y a-t-il ? Est-ce qu'on t'a démasqué ?

— Non, mon frère ! C'est bien pire que ça ! Une bande d'aventuriers de pacotille vient de démanteler la Confrérie Défias en assassinant leur chef.

— La Confrérie D... ! Ah, tu veux parler de ces maçons et architectes aigris qui se sont tournés vers le banditisme ! Allons, ma chère sœur ! Je suis conscient que liguer ces pèquenauds contre leur seigneur en interdisant leur paie était l'une de tes plus grandes réussites, mais tu ne vas pas t'alarmer pour la perte de quelques pions juste là pour faire diversion.

— VanCleef était mon meilleur atout ! Sans ses talents de combat et d'infiltration, ses connaissances, son charisme et sa haine irréversible pour les nobles, les Défias sont à peine plus dangereux et utile qu'en enfant armé d'un bâton. Et Hurlevent demeure plus forte que jamais.

— C'est peut-être une bonne chose ! Tes bandits auraient mâchés le travail de mes troupes qui attendent impatiemment de marcher à nouveau sur la cité.

— Au diable tes troupes d'orcs écervelés ! J'avais l'arme parfaite à portée de main pour affaiblir ce maudit royaume. Elle a tenu bon contre ses forces militaires pendant dix ans. Elle m'a même beaucoup servi ces derniers mois pour assurer ma mainmise. Et voilà que débarquent de nulles part une bande de pouilleux et qu'ils viennent saboter mes plans. Parmi eux, une étrangère qui nous vient de Kalimdor, une elfe de la nuit qui n'est présente à Hurlevent que depuis deux jours.

— Et tes "pouilleux" ont donc réussi en si peu de temps là où les forces armées de Hurlevent ont échoué pendant dix ans. Quelle humiliation !

— Ne te moque pas ! Il n'y a pas que ça ! Cette mijaurée semble déjà au courant de ce qui a conduit à l'existence des Défias. Il ne manquerait plus qu'elle et ses compagnons découvrent la vérité pour cette tête de mule de Varian. Pire encore, ils commencent déjà à avoir une mauvaise influence sur son fils que j'ai mis tant de mal à convaincre les nobles de placer sur le trône en l'absence de son père. À l'heure où je te parle, il est en train de gagner l'estime du peuple. Il est même devenu populaire en quelques heures que son propre père depuis le début de son règne. Dix ans à diviser le royaume de ces misérable mortels, à les monter les uns contre les autres, à semer le doute dans leur esprits pour qu'ils retrouvent espoir et s'unissent autour d'en enfant qui leur sert de "roi".

— En quoi est-ce un problème ? Qu'une poignée de paysans vénérant un môme fassent le poids contre mon armée d'orcs entraînés aux combats et de drakes soumis à ma volonté.

— Tu ne comprends toujours pas ? Il n'y a rien de plus fragile, vulnérable, et donc plus facile à mater qu'un peuple divisé et dans l'incertitude. Mais il suffit qu'un chef, aussi jeune soit-il, gagne l'amour et le respect de ses camarades, qu'il leur apporte de l'espoir, fasse l'unanimité et il n'en deviennent que plus forts et donc aussi redoutable, si ce n'est plus, qu'une armée d'orcs et de trolls assoiffés de sang. Et donc plus difficile à vaincre.

— Et alors ? Ça fera un défi à relever à mes troupes.

— Tu te crois dans un jeu, mon frère ? Nous avons pour tâche de finir ce que Père avait commencé, je te rappelle ! Nous n'avons pas le droit à l'échec. Nous devons mettre toutes nos chances de notre côté.

— Et que veux que j'y fasse ? Que j'envoie des assassins sur leur trousses pour régler le problème ? Que j'envoie des troupes semer le chaos et la terreur dans leur royaume ?

— Non, mon frère ! À l'heure actuelle, c'est trop risqué d'envoyer tes troupes sur le terrain. Ce serait trop bête de gaspiller nos hommes et nos ressources pour quatre malandrins et ça ne ferait que déclencher des représailles.

— Alors qu'attends tu de moi, très chère sœur ?

— Renforces tes troupes, débarrasse toi de la vermine Sombrefer si tu peux mais fais en sorte de garder la mainmise sur ton domaine. Crois-moi, tu en aurais plus que besoin. Je m'occupe d'empêcher toutes actions de l'Alliance à l'encontre de la Horde Noire. Et je vais aussi garder un œil sur ces misérables aventuriers, je vais m'assurer de les éloigner le plus possible de nos affaires et prendrais des mesures s'ils viennent s'y mêler une fois de plus.

— Je te souhaite donc bon courage, petite sœur !

Et sur ces mots, l'homme reposa la boule qui cessa aussitôt de briller, devenant aussi terne que s'il s'agissait d'une pierre.

Laisser un commentaire ?