La voix de l'ombre - Livre IV - Un passé recomposé
Chapitre 2 : Un premier contact.
Valadormi aurait dû recevoir un signe durant ces dernières semaines.
Mais rien !
Aucun écho, ni même aucun indice, ne laissait présager ce qu'il s'était passé. Et pour la dragonne, cela ne pouvait signifier qu'une chose : son bien-aimé avait agi sans elle, une fois de plus.
Elle avait pourtant réussi à dérober un fragment de la Vision du Temps à Chronormu, que les races inférieures appelaient Chromie. Elle avait alors tenté d'utiliser le fragment pour contacter Kairozdormu, mais elle ne vit qu'un monde sauvage et luxuriant à travers le morceau brisé de la relique.
Ce ne fut qu'au prix de longues journées à le manipuler qu'elle réussit à comprendre : Kairozdormu avait fait en sorte que personne ne puisse utiliser ces fragments. Or, Valadormi semblait avoir réussi à détourner les protections magiques pour pouvoir l'utiliser.
C'est alors qu'elle comprit où son aimé avait emmené l'orc ignoble, et pourquoi. Et la colère et l'indignation qui suivirent furent à la hauteur de la trahison. Ses doutes quant à l'appartenance de Kairozdormu au vol infini étaient donc fondés. Quelle horreur ! Et quelle horrible duplicité que de savoir son bien-aimé affilié à ce groupe de dragons de bronze corrompus et sinistres !
Depuis la fuite de Kairoz, Valadormi faisait l'objet d'une odieuse méfiance de la part de son vol. Ils l'avaient questionnée, évidemment, et ne la croirait certainement pas si elle venait tout à coup leur expliquer son raisonnement à propos des plans de Kairoz. De plus, l'unique preuve de ses assertions provenait d'un fragment qu'elle avait volé à Chromie.
En tant que gardienne du temps, comme chacun des dragons de bronze, elle se devait de réparer l'erreur de sa naïveté.
Valadormi continua d'étudier les capacités du bout de la Vision du Temps, convaincue qu'elle y trouverait un moyen de compenser les actions de Kairozdormu.
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La Horde comme l'Alliance recherchaient activement Zaela et son clan, ainsi que tous ceux qui avaient perpétré l'évasion de Garrosh Hurlenfer.
Le traître Thalen Tissechant, qui avait été aperçu au moment de l'assaut sur le Temple du Tigre blanc, était également en fuite et recherché. Son représentant, Lor'themar Theron, avait en ce sens reçu un avertissement, car il avait laissé le mage résider à Lune d'Argent, lui laissant l'opportunité d'être facilement trouvé par les fidèles de Garrosh. N'ayant pas été inquiété, Thalen avait poursuivi sa conceptualisation des bombes de mana, et en avait produit des modèles réduits qui avaient servi lors de l'assaut sur le Temple.
Après Theramore et le Val, Vol'jin voulait absolument éviter que l'Alliance, entre-autre, assimile ces traîtres à la Horde. Il avait donc donné des directives en ce sens, et pourchassait les renégats, dont la cachette s'était révélée des plus efficaces. Grim Batol, ainsi que les différents camps des Gueule-de-dragon, avaient été annexés, et seuls quelques orcs avaient été trouvés, puis conduits enchaînés à Orgrimmar pour être interrogés.
Cependant, ces interrogatoires n'avaient rien donné, et Vol'jin commençait à perdre espoir.
- Au peigne fin qu'il est passé, le continent ! fit-il dépité dans la salle des cartes. Et rien.
- Peut-être ont-ils aussi été emmenés là où se trouve Garrosh ! émit Baine. Si d'autres dragons de bronze sont complices, ils les ont peut-être mis à l'abri.
- En attendant de frapper ! renchérit Saurcroc, l'air indigné. Que nous réserve encore le fils de Hurlenfer ?
- Pas une cure de potions de la sagesse distillée, ni de massage à l'huile de pacifiques, en tout cas, ironisa Vol'jin.
- Pah ! J'aurais dû l'étrangler quand j'en avais l'occasion ! gronda Saucroc. Quand je pense qu'il a filé en toute impunité ! Il déshonore sa race !
Vol'jin n'était pas troll à s'emporter facilement. Or, la situation leur échappait complètement. Et, bien que la Horde ne pouvait être directement accusée de quoi que ce soit, il savait que Varian attendait des comptes. Et d'après le dernier message de Keera, le vol de bronze ne parvenait à aucune explication concluante. Aucun complice potentiel ne se profilait, si bien qu'à part émettre des théories quant aux desseins de Garrosh, ils ne pouvaient qu'attendre.
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Nichés aux confins de Tanaris, une partie du clan orc Gueule-de-dragon se cachait, attendant son heure.
Dissimulé derrière les montagnes dorées, près de la côte du Rivage de Brisesud, le clan guettait les activités des dragons de bronze des Grottes du Temps. Zaela à sa tête, les orcs s'organisaient dans l'expectative de recevoir un signe de leur véritable Chef de guerre : Garrosh Hurlenfer.
Perchée sur un pan de montagne, la seigneure du clan repensait à l'évasion de son chef. Tout s'était si bien déroulé, et la quête avait été accomplie. Elle aurait tout de même aimé servir la tête de Varian en guise de présent à Garrosh, mais l'humain s'était révélé coriace. Il était un fait que sa réputation le précédait. Il avait d'ailleurs failli la désarçonner de sa monture, en attrapant son pied à la volée. Une pratique peu conventionnelle et élégante qui lui ressemblait bien, car le roi de Hurlevent était connu pour sa hargne au combat, ainsi que son penchant pour les orcs morts.
Zaela s'en été alors voulu de s'être laissée distraire, car elle n'avait pu voir son Chef de guerre s'échapper de ses propres yeux. Elle ferait payer l'humain pour cela, et, bien que Garrosh se le réservait, elle ne cracherait pas sur l'occasion de lui sortir les viscères du ventre.
Mais en attendant, elle devait rester à l'affût du moindre signe de son chef.
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Depuis le Cataclysme, le panorama avait bien changé. L'immense lac appelé le Loch était presque entièrement asséché, mais Keera savait apprécier le paysage. Cet endroit la ramenait à tellement de souvenirs. Avec Hermand, bien-sûr, mais surtout Orgrim. C'est pourquoi, dès qu'elle se rendait dans la masure de son ami nain, un fort sentiment de nostalgie s'emparait d'elle. Comme si, tout-à coup, elle allait apercevoir Orgrim revenir de chasse, un ours noir sur les épaules, ou bien Hermand sortant de sa maison, sifflant et marchant de son pas joyeux.
Cette masure était à présent la sienne, ainsi que le nom de son ami, qui avait fait d'elle son unique héritière. Elle s'y rendait lorsque Varian recevait des seigneurs, des requérants, ou bien qu'il présidait un congrès. Keera partait alors pour plusieurs jours, et s'occupait des affaires en cours d'Hermand.
Après quelques semaines d'absence, elle passait en revue les lettres et messages qui s'étaient accumulés. Assise sur l'un des fauteuils de bois, près de la cheminée crépitante, la princesse ouvrait sa correspondance. Des missives de la Ligue des explorateurs, principalement, mais aussi du garde-notes de la famille Foudrepique. Celui-ci avait demandé à la rencontrer, car son cas était sans précédent dans l'histoire de la justice naine. Jamais auparavant un nain n'avait fait d'une étrangère son héritière, si bien que la procédure avait dû être modifiée, et quelques textes ajoutés au Livre des Lois afin de respecter les dernières volontés d'Hermand.
Quelque peu perdue dans ses pensées, Keera dut relire une missive pour le moins étrange. Elle n'était pas signée, et présentait un texte plutôt énigmatique :
A la princesse Keera, je présente tous mes respects.
Aux vues des événements récents, j'aurais à vous entretenir.
Si je puis compter sur votre discrétion, je souhaiterais vous rencontrer.
Car l'heure est grave, et le Temps est compté.
La fin de la missive indiquait le lieu, ainsi que le moment. De toute évidence, cette personne savait où elle se trouvait, car la rencontre était prévue le lendemain même, au nord de la contrée. Elle réduisait également ses chances de prévenir quelqu'un en la convoquant aussi rapidement.
Keera laissa tout de même une note sur le bureau, et y inscrivit la localité de la rencontre.
S'il venait à lui arriver quelque chose, on pourrait retrouver sa trace.
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Keera arriva sur les lieux à dos de griffon. L'endroit était évidemment désert, car le passage d'Aile-de-Mort avait détruit une partie du Barrage de Formepierre, reliant Loch Modan aux Paluns.
De majestueuses sculptures de pierres avaient orné la façade de l'aqueduc. À présent, l'eau s'y écoulait encore, mais le visage de trois des nains représentés sur la façade étaient endommagés, tandis que le quatrième gisait en aval du cours d'eau.
Le soleil se couchait, et Keera cherchait la grotte qui avait été creusée en contrebas. Elle la trouva, et l'identifia à la faible lueur qui éclairait le fond.
Tout en pénétrant dans l'antre, la princesse avançait à tâtons. La grotte était quelconque, et elle n'y ressentit aucune menace. Elle n'avait pas été creusée si profondément, si bien que Keera aperçut rapidement une silhouette longiligne qui attendait dans la pénombre. Le message n'avait pas menti, la personne était seule. Il s'agissait d'une haute-elfe à l'accoutrement très distingué. Une longue robe faite en tissu de soie aux broderies finement conçues, aux tons blancs dorés, dénotait d'une certaine splendeur. La jeune femme aux yeux bleu azur était coiffée en chignon relevé, et ses cheveux blonds rappelaient les dorures de son vêtement.
- Princesse Keera ? C'est un honneur, fit-elle en se courbant très légèrement.
- Et à qui ai-je l'honneur ? s'enquit Keera.
- Je me nomme Valadormi, j'appartiens au vol de bronze, annonça-t-elle sans détour.
À présent sur le qui-vive, Keera fronça les sourcils. Réaction qui n'échappa pas à la dragonne.
- Je vous prie de croire que je ne vous cherche pas querelle, fit-elle en levant les mains pour la rassurer. Tout comme vous, je tente de comprendre la portée des actions de Kairozdormu.
- Et donc, pourquoi m'avoir convoquée ici ? Qu'attendez-vous de moi ? Sachez que je ne détiens aucune information qui ne serait déjà en votre possession !
- J'en suis consciente, et si j'ai fait appel à vous, et non aux autres membres de mon vol, c'est en partie parce que je connais votre nature compréhensive et indulgente.
- Jusqu'à un certain point, ajouta Keera, qui se méfiait toujours.
Valadormi ne pouvait pas s'être trompée. Elle la savait attachée à la paix, et capable d'affronter ce qui arrivait. Elle ne pouvait cependant tout lui dévoiler.
- Princesse, j'ai besoin de votre aide, dit la dragonne sans détour. Je ne vois que vous pour empêcher ce qui se prépare.
- Expliquez-moi ?
- Je ne saurais vous en dire trop, car, comme vous devez le savoir, notre capacité à voyager dans le Temps est à présent plus que limitée. Tout comme les Aspects, nous avons perdu une partie de nos pouvoirs. Mais je soupçonne Kairozdormu d'avoir emmené Garrosh Hurlenfer dans le passé.
- Dans le passé ? Vous voulez dire, des années en arrière ? demanda Keera, sous le choc.
- C'est bien plus compliqué que cela, en réalité, avoua Valadormi. Car il ne s'agit peut-être pas de notre passé, mais d'un passé alternatif !
- Oh, je vois, fit la princesse. Et comment savez-vous tout cela ? demanda-t-elle d'un air soupçonneux.
- Eh bien, je détiens un objet qui permet une connexion avec l'endroit où ils se trouvent.
- Et vous n'avez pas cru bon divulguer cette information à votre vol ? Aux dirigeants de la Horde et de l'Alliance ?
- Pour plusieurs raisons, cela m'est impossible. Et vous allez devoir faire preuve de la même discrétion, j'en ai peur.
- Il n'en est pas question ! s'écria Keera. Si vous détenez effectivement un indice nous menant à Kairoz et Garrosh, vous devez le dévoiler !
Consciente que cela ne serait pas facile à expliquer, Valadormi misait à présent sur sa capacité à concevoir son point de vue, et s'allier à elle. Mais rien n'était moins ardu que de se mettre dans l'esprit d'un dragon quand on n'en était pas un. Il y avait cependant un espoir.
- Keera, je vous ai fait confiance en vous conviant ici, et en acceptant de vous livrer certaines informations. Je vous crois capable d'agir pour le bien de tous, car vous avez su prouver votre intégrité et votre force. Vos connaissances des orcs, et vos rapports avec Hurlenfer font de vous un atout unique. Je ne conçois pas meilleur gage de réussite que vous, Keera.
- Mais, que voulez-vous que je fasse ? Je ne peux voyager dans le temps ! À moins que …
Valadormi entrevoyait une lueur de compréhension dans les yeux de la princesse. Elle avait compris son chemin de pensée très rapidement.
Allait-elle toutefois accepter ?
- Vous connaissez donc un moyen de les rejoindre ! Nous devons en informer Varian, et Vol'jin ! fit Keera, convaincue.
- Je vous le défends ! répondit la dragonne sur un ton autoritaire. On ne modifie pas le Temps ainsi sans que cela n'entraîne de lourdes répercussions ! Les conséquences pourraient être irrévocables !
- Mais, si vous dites que Kairoz a entraîné Garrosh dans un passé alternatif, c'est bien pour le modifier ?
- Et nous devons empêcher cela ! Si tout Azeroth débarque là-bas, cet espace-temps sera perdu ! Et plus grave encore, le nôtre ! Nous devons agir vite et discrètement, Keera. Vous devez ramener Garrosh ici, dans notre espace-temps !
- Je ne ferai rien sans en échanger avec Varian, ni Vol'jin ! assura la princesse.
Valadormi s'était attendue à cette réaction. Elle se détourna, et prit une sorte de cristal qu'elle tint dans sa main. Keera l'examina, et réalisa qu'il s'agissait d'un fragment de la Vision du Temps. Voilà donc comment la dragonne avait réussi à accéder à Kairoz.
Relevant la tête, Keera demanda :
- Comment avez-vous réussi à activer ce cristal ? Chromie elle-même n'a rien pu faire des fragments qu'elle a retrouvés.
- Disons que je connais très bien Kairozdormu, et qu'avec le temps, j'ai pu percer à jour quelques-uns de ses secrets. Et en réactivant ce fragment, ce n'est pas l'essence de Kairozdormu que j'ai sentie, mais la vôtre, Keera.
- Comment ça la mienne ? Comment est-ce possible ?
- Si j'en crois les événements de la fuite de Hurlenfer que l'on a retracée, il serait parti avec une partie de vous, annonça la dragonne.
Elle n'avait pas tort. Alors Garrosh avait voyagé dans le temps avec … la main de Keera accrochée à son bras. Et cela avait été suffisant à Valadormi pour l'identifier, et peut-être comprendre certaines choses.
- Comprenez-vous ? Il n'y a que vous qui puissiez les rejoindre. Ce fragment est lié aux autres, que Kairozdormu détient. Et avec son aide, Garrosh pourra être ramené ici.
- Eh bien, c'est égal, reprit Keera. Je ne vous fais pas suffisamment confiance pour vous suivre aveuglément ! Ni à vous ni à Kairozdormu ! Comment savoir s'il m'aidera à revenir ?
Valadormi sourit tout en fermant les yeux, et susurra :
- Il ne voulait pas le laisser vous emmener. Et à raison ! Car vous les connaissez, et vous savez toucher leur cœur. Mais vous saurez le convaincre.
Keera examina le fragment, et y vit une sorte d'image floue et colorée. Il s'animait.
Les yeux toujours clos, Valadormi laissa le fragment glisser entre ses doigts, tandis que Keera, qui craignait qu'il ne se brise, le rattrapa au vol. Au moment de toucher le cristal, elle entendit Valadormi :
- Vous saurez quoi faire. J'ai confiance !
La voix s'évanouissait, pendant que Keera fut prise dans un tourbillon. Son univers basculait, tandis qu'elle était totalement soumise à une force qui semblait la transporter à travers un nombre incalculable d'autres univers. Des éléments virevoltaient tout autour d'elle, tels des arbres, des édifices, ainsi que tout un tas de paysages différents qui défilaient.
Après plusieurs secondes à léviter et tournoyer, elle atterrit sur une sorte de pont naturel entouré de roches. L'espace d'un instant, Keera fut désorientée par le choc de sa chute, ainsi que du sort de téléportation qu'elle venait de subir. Les quelques arbres, ainsi que la végétation sauvage qu'elle observait tout autour d'elle ne lui donnèrent pas beaucoup d'indices quant au lieu où elle était apparue. Sa tête la faisait souffrir, peut-être rêvait-elle ?
Sur le sol, à ses côtés, la princesse remarqua le fragment de la Vision qui gisait, brisé. Non, elle ne rêvait pas, tout cela était bien réel !
Elle en récupéra un morceau, et, après l'avoir inspecté sous toutes ses coutures, elle réalisa qu'il était devenu inutilisable.
Ramener Garrosh dans leur ligne temporelle ? Facile à dire …
Elle se leva alors, et posa sa main sur un énorme tronc d'arbre déraciné pour admirer le panorama. Une immense contrée verdoyante et sauvage s'étendait à des lieux. Tandis qu'en contrebas, un camp était dressé.
Un camp orc.
Keera s'éloigna alors, sans même remarquer l'objet luisant à l'intérieur du tronc déraciné.