La voix de l'ombre - Livre IV - Un passé recomposé
Chapitre 6 : Les nouveaux arrivants.
Le clan Chanteguerre avait repris la route à l'aube. Un nouveau couple semblait s'être formé, au grand dam de Regga, qui avait très mal dormi, du fait de leurs ébats effrénés et particulièrement bruyants. En route vers le camp Chanteguerre, tous suivaient leur chef à dos de loup géant.
- Tout le clan vous a entendus cette nuit ! grommela-t-elle en direction d'Elga.
- Hin ! C'est qu'il en demande l'animal ! s'amusa Elga, malgré le regard noir de son amie.
- Cessez vos bavardages, nous allons perdre de vue le clan ! les gronda Saal, qui vit la ride d'inquiétude qui s'était formée sur le front de Regga. Il nous rejoindra, ce n'est pas la première fois qu'il chasse loin, ajouta-t-elle.
- Aller, en avant ! s'écria Regga qui éperonna son loup géant, presque honteuse que son inquiétude pour son frère ne soit aussi visible.
Aux côtés du chef Hurlenfer, Garrosh chevauchait son loup géant, Crâne-dur. Quelque peu soucieux, il regarda par-dessus son épaule, et vit la mine inquiète de Keera. Perdue dans ses pensées, elle se laissait guider par son loup, puis, lorsqu'elle sentit le regard de l'orc sur elle, elle leva les yeux vers lui. Son regard se durcit, tandis que Garrosh regarda à nouveau devant lui.
- Si tout se déroule comme tu l'as dit, nous allons bientôt voir arriver des Rochenoire, entonna Grommash en direction de Garrosh. Tu t'es occupé de les convoquer. Vont-ils bientôt se montrer ?
- En effet, ils ne devraient pas tarder à arriver au camp, acquiesça-t-il.
- Si les armes de ton peuple sont si efficaces, leurs forgerons pourront en fabriquer en nombre, continua le chef Hurlenfer. Nous aurons alors les arguments de poids pour convaincre les ogres et leurs chefs écœurants de nous rallier ! finit-il dans un rictus sinistre.
Garrosh ne souhaitait pas seulement rallier tous les clans orcs. Face à leur véritable ennemi, il savait que cela ne serait pas suffisant. Il fallait réunir l'ensemble des peuples qui composaient Draenor. Et Garrosh avait réussi le tour de force de convaincre son père de rallier non seulement les ogres, mais aussi les ogrons et les gronns. Contre les draeneï, qui, il le savait, ne se joindraient jamais à eux. Mais surtout contre leurs ennemis d'au-delà de la Porte des Ténèbres, dont il soufflera l'idée pour projeter sa construction.
Car c'était le véritable but de Garrosh : se venger de cette Azeroth dont les peuples l'avaient rejeté.
Et pour cela, il n'avait pas hésité à duper son propre père, lui dissimulant la rédemption des orcs, et les temps de paix qui suivirent la formation de la nouvelle Horde de Thrall. Cela, il n'avait jamais pu l'accepter. Cette faiblesse de s'allier à ses ennemis dans un but de paix, alors que la conquête par les armes et le sang représentait l'essence même des orcs. Ils étaient faits de cela, de force et d'honneur. Et ce couard de Thrall verra alors la vraie force d'une Horde.
Une Horde de Fer.
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Toujours en cours d’expansion, le camp des Chanteguerre n'avait jamais connu pareille agitation. Il avait fallu faire de la place pour les nouveaux venus, si bien que les dompteuses pestaient tout ce qu'elles pouvaient en voyant leur « territoire » envahi à des fins de logis pour les orcs Rochenoires.
- Peuh ! Ils prennent plus de place que les loups ! cracha Elga.
- Regarde-les ! Ils sont énormes ! s'étonna Saal qui transportait plusieurs couches de peaux pour les confier aux Rochenoires. Et ils ne sont pas les bienvenus ! Les clans ne devaient pas se mélanger ainsi !
Elle attendit la réaction de Keera, et jeta un œil dans sa direction.
- Tu ne la trouves pas étrange depuis la chasse ? s'enquit Regga qui s'était approchée de Saal.
- Si, c'est vrai, elle garde ses distances, acquiesça Saal.
- Elle est la seule à ne pas m'avoir chauffé les oreilles pour ma nuit endiablée ! ajouta Elga qui s'avança vers Keera qui sortait d'une de leur grotte.
Les bras chargés d'ustensiles en terre cuite, Keera leva les yeux vers son amie. Dans l'expectative, elle attendit qu'Elga annonce la boutade qu'elle n'allait pas tarder à partager.
- Dis, ma sœur, pourquoi cet air triste ? Le soleil nous chauffe la peau, la chasse a été bonne, et nous avons nos deux bras et nos deux jambes.
Keera lui sourit timidement.
- Le soleil a surtout chauffé ta croupe de débauchée ! s'écria Regga en direction d'Elga.
- Ce que je fais de ma croupe ne te regarde pas ! répondit Elga.
- Alors ne réveille pas tout le camp avec tes beuglements ! se moqua Regga qui leva sa garde devant son amie qui la chargeait.
Tandis que toutes deux s'en prenaient gaiement l'une à l'autre dans une étreinte musclée, Saal marcha vers Keera.
- Si quelqu'un ou quelque chose te tourmente, dis-le, sœur-louve ! fit l'orque en griffant la joue de la princesse en signe d'affection. Et nous lui arracherons les tripes !
- Je suis juste un peu fatiguée, la rassura Keera.
- Tu repenses aux tiens ? Ils te manquent ?
Il était vrai qu'elle repensait souvent à Varian, qui devait être dans tous ses états suite à sa disparition. Elle avait pourtant essayé de réactiver les miettes du fragment de la Vision du Temps, mais elle n'avait pas ce genre de pouvoir. Elle n'avait donc aucun moyen de communiquer avec lui, ni personne de leur espace-temps. Tout cela la dépassait. De toute façon, elle devait se rendre à l'évidence : jamais elle ne retournerait sur Azeroth.
Keera fixa son amie, et lui répondit donc :
- C'est vrai, je pense à eux. Mais je suis bien ici, parmi des orcs fiers et nobles, et je vous suis reconnaissante de m'accueillir parmi vous.
- C'est nous qui avons la chance de te compter parmi nos guerriers, avoua Saal. Tu nous aides à chasser, à élever nos loups, et à protéger le clan.
- Mais je n'appartiens pas au clan, rappela Keera. Je suis de passage, et je reprendrais la route...
- Vous ! Femelles ! fit une voix forte. On nous a dit de nous installer ici pour la nuit !
C'était un orc Rochenoire. Aussi imposant que ceux de son clan, sa peau brune très foncée lui donnait l'air encore plus sévère que Grommash Hurlenfer.
Cependant, l'orc avait sous-estimé la belligérance des femelles Chanteguerre :
- Toi, mâle, marche droit devant toi, et tu trouveras le trou dans lequel tu seras très bien ! se moqua Saal en levant le menton bien haut.
- Si tu crois m'impressionner, femme, c'est que ta mère a oublié de te faire naître avec une cervelle ! gronda l'orc en toisant les autres dompteuses qui s'approchaient.
Et alors que Saal l'approchait à hauteur, le Rochenoire poursuivit sa diatribe :
- Vous, femelles Chanteguerres, feriez mieux de rester à votre place ! Tout comme toi, étrangère ! fit-il en désignant Keera de la tête.
- Sinon ? l'interrogea Regga qui s'avançait farouchement.
- Sinon vous pourriez bien …
- Balorg ! gronda une voix derrière l'orc Rochenoire qui s'affaissa légèrement sous le cri.
Un autre Rochenoire, encore plus massif, s'avançait vers le groupe. Face à la réaction de Balorg, les dompteuses comprirent qu'il s'agissait de son supérieur, et le représentant de Main-Noire, le chef du clan Rochenoire.
Le cliquetis de son armure si familière serra le cœur de Keera qui le regardait les rejoindre de son pas sûr et déterminé.
À hauteur de Balorg, l'orc lui lança un regard glacial, et dit :
- Nous sommes ici en tant qu'invités, pas en tant qu'adversaires ! rappela-t-il. Alors tu vas gentiment t'installer là où elles te diront de t'installer, est-ce clair ?
- Très clair, Marteau-du-Destin, acquiesça Balorg en serrant les dents.
Satisfait que l'orc ait compris le message, Orgrim fit un tour d'horizon des dompteuses, et s'attarda quelques secondes sur l'étrangère dont tout le monde parlait. Il fixa ensuite Saal, opina, et s'éloigna.
Le cœur battant la chamade, Keera ressentit une vague de mélancolie l'envahir. Elle fixait le large dos de celui qui avait été son époux, son compagnon, son aimé. Celui qui avait su réveiller son cœur sauvage et était resté à ses côtés durant des années. Quelle douleur de le revoir, si pragmatique, si froid, et distant. Tel qu'il était avant de la rencontrer.
Et tel que cela devait être dans ce passé qui n'était pas le sien.
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Keera aimait évoluer parmi les forgerons Rochenoires. Étonnement, ils étaient venus à Nagrand en transportant leurs propres enclumes, une prouesse quand on pensait à la distance à parcourir entre Nagrand et le sud de Gorgrond. Mais les orcs Rochenoires étaient très puissants, et tous reconnaissaient la qualité de leurs armes. Car après tout, les meilleurs forgerons provenaient de ce clan.
Et, bien que les Rochenoires jaugeaient Keera lorsqu'elle les approchait, ils la laissaient regarder leur travail.
Un peu plus loin, Grommash s'entretenait avec Orgrim, le lieutenant que Main-Noire avait désigné pour conduire ses forgerons auprès des Chanteguerre, dont un membre détenait des plans pour fabriquer de nouvelles armes et armures, plus solides et efficaces.
- Je vois que tu brandis le marteau-du-destin, Orgrim ! fit Grom. Je suis désolé pour ton père.
- Il est vrai que c'était soudain. Et le cycle de la vie est ainsi fait. Mais mon père me manque.
- Telkar était un fier guerrier, que tous redoutaient, avoua Grommash sans aucune ironie. C'est une vraie perte pour les orcs.
- Le destin est en marche, poursuivit Orgrim. Et les clans se rassemblent, à ce qu'on dit.
Grommash savait que Main-Noire avait mis son second dans la confidence. Orgrim, tout comme les orcs de sa lignée, était un orc de confiance, et le chef du clan Rochenoire avait été fort avisé de placer Orgrim à ses côtés. Reconnu comme l'un de ses meilleurs guerriers, il faisait aussi montre d'autorité, comme il l'avait prouvé la veille, alors que l'un des siens provoquait les dompteuses.
Cependant, il était clair que les orcs de clans différents peinaient toujours à s'entendre. La rixe qui avait éclaté entre deux guerriers Chanteguerre et Rochenoire plus tôt dans la journée en était la preuve. Tout comme les regards mauvais que lançaient certains Rochenoires à Keera, qui dénotait immanquablement dans le paysage.
Sa réputation de championne de l'arène avait fait le tour de Draenor, et nombreux étaient les orcs qui rêvaient de la rencontrer, voire de la provoquer en Mak'gora, afin de vérifier si les rumeurs de sa force étaient vraies.
Et assurément, après l'avoir vue de leurs propres yeux, très peu d'orcs Rochenoires pensaient ces rumeurs avérées. Car la femelle paraissait si minuscule et insignifiante qu'ils commencèrent à en douter sérieusement. Jusqu'à ce que l'un d'eux, Rakmor, par crainte que Marteau-du-Destin le réprimande, trouva un autre moyen de la provoquer.
Après avoir identifié quel loup était le sien, Rakmor l'attira en lisière du camp, et le malmena, afin qu'il l'attaque.
Revenant au camp, il s'écria :
- Ces loups ne sont pas domptés ! Celui-là s'en est pris à moi sans raison ! fit-il en désignant Croc-hurlant, le loup de Keera.
Plusieurs orcs l'approchèrent, tandis qu'un chaman examinait l'énorme griffe qui avait tailladé son bras. Feignant la fureur, Rakmor gronda :
- À qui est ce foutu loup ?
- Fais bien attention à ce que tu avances ! fit Regga. Tu insinues que nous ne savons pas élever nos loups ?
- J'insinue que celui-ci n'est pas dompté, oui ! mentit Rakmor. Pourquoi m'aurait-il attaqué sinon ?
- Parce que tu l'as provoqué ! assura Keera, qui était rejointe par son loup.
- Tu oses dire que je mens, toi, une étrangère ?
- Je dis ce qu'il s'est passé, affirma-t-elle.
Rakmor, tout comme le reste des orcs, ignorait que Keera était capable de communiquer aussi clairement avec la plupart des êtres vivants. Et son loup lui avait appris ce qu'il s'était passé.
Ravi que tout, ou presque, se déroulait comme il l'avait prévu, Rakmor s'approcha de la princesse.
- Ton loup m'a attaqué, et tu affirmes que je mens, je demande réparation ! Mak'gora !
Les orcs réunis autour d'eux s'offusquèrent, lorsque certains crièrent justice pour l'affront.
Les dompteuses Chanteguerres entourèrent Keera, et lancèrent des regards mauvais aux Rochenoires.
- Qu'est-ce qu'il se passe ici ? gronda Grommash qui bouscula un orc qui s'était écarté trop lentement pour le laisser passer.
- Le Rochenoire assure que le loup de Keera l'a attaqué et blessé ! annonça un Chanteguerre.
Grommash toisa méchamment Rakmor, qui pouvait sentir le souffle du chef de clan tellement il l'avait approché.
- Toi, tu insinues qu'un loup dressé t'a attaqué ? Sans raison ?
- J'affirme, chef Hurlenfer ! Et je demande à défendre mon honneur en Mak'gora !
Finalement amusé par cette perspective, Grom se tourna vers Keera.
- Acceptes-tu le duel, Keera ? demanda-t-il en souriant légèrement à l'idée de la raclée qu'allait prendre le Rochenoire, et dans les règles.
- Crocs-hurleur ne l'a pas agressé sans raison, répéta-t-elle. Il ment, et cette Mak'gora n'a pas lieu d'être ! Recule, Rochenoire, et retire tes mensonges !
- Je ne laisserai personne...
Il prit un tel coup de poing au visage qu'il fut projeté plusieurs mètres en arrière. La foule, totalement sidérée, cessa de respirer. Le geste avait été si rapide que plusieurs orcs ne l'avaient pas vu venir, et cela incluait Rakmor, qui gisait plus loin, face contre terre, la mâchoire en biais. Keera avait en effet frappé vite et fort.
- Ça, c'est pour mon loup ! fit Keera qui s'éloigna, après avoir jeté un œil à Grom, accompagnée de Croc-hurlant.
Après quelques instants de stupéfaction, Grom ouvrit grand la gueule et se cambra :
- Ahhhhhhh !!! Voilà ce qu'on appelle une mise à mort rapide ! (il toisa l'assemblée) Quiconque ici remettra en question mon invitée retournera auprès de ses Ancêtres !
Les Chanteguerre hurlèrent pour acclamer leur chef, mais surtout Keera, qu'ils honorèrent une fois de plus pour sa force. Et, bien que Rakmor respirait encore, nul ici ne mettrait plus les paroles et les compétences martiales de la princesse en doute.
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Bien qu'il eût manqué le début de la dispute, Orgrim avait accouru, et demanda des explications :
- Comment est-ce arrivé ?
- Cet orc a accusé le loup de Keera de l'avoir attaqué, annonça Grom qui désigna Rakmor qui revenait à peine à lui. Et il l'a provoquée en Mak'gora pour obtenir réparation.
- Et l'étrangère affirme que Rakmor a tourmenté son loup, dans quel but ? La provoquer ?
- Je ne vois que ça ! gronda Grommash qui plissa les yeux. Et ne va pas croire que je la soutiens aveuglément, Orgrim ! Keera a maintes fois prouvé son sens de l'honneur, elle ne sait mentir !
Orgrim se tourna alors vers l'orc encore désorienté que deux Rochenoires menèrent jusqu'à lui. Rakmor, à qui il manquait désormais plusieurs dents, ne pouvait néanmoins articuler un mot, car sa mâchoire béante retombait.
- Me mentiras-tu en soutenant que tu n'as pas provoqué le loup ? l'interrogea Orgrim, l'air sévère.
Rakmor baissa les yeux, et hocha la tête de droite à gauche.
- Bien, tu mérites donc l'humiliation et le déshonneur dans lesquels tu te vautres aujourd'hui ! Sache bien que je ne tolérerai pas d'autres écarts, tu m'as bien compris ?
L'orc hocha de nouveau la tête, tandis que les deux autres l'emmenèrent auprès d'un chaman.
Après qu'ils se soient éloignés, Orgrim ajouta :
- Ta foi en cette étrangère est tout à ton honneur, chef Hurlenfer. Pour l'avenir de notre coalition, j'espère que tu as vu juste, et qu'elle est digne de confiance !
- Elle l'est, Marteau-du-Destin, et personne ici ne saura contester cette affirmation ! grommela Grom, qui n'aimait pas qu'on le remette en question.
- Je te crois, Grommash, le rassura Orgrim qui observa Keera de loin.
Comme le disait la rumeur, cette étrangère détenait effectivement une force redoutable. Bien plus frêle qu'une femelle orque, son minois pâlichon avait laissé place à une mine des plus menaçantes lorsqu'elle avait dégainé son petit bras musclé pour envoyer Rakmor au tapis.
Quelle étrange créature aux longues oreilles et aux yeux dorés. Orgrim lui trouvait même un certain charme. Grom devait avoir raison, car il ne sentait aucune hostilité, ni même aucune sournoiserie émaner d'elle. Juste une étrange tristesse qui traversa ses yeux lorsqu'elle sentit son regard sur elle, et le dévisagea en retour.
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Cela faisait plusieurs jours que les Chanteguerre cohabitaient avec les Rochenoire. La chasse allait bon train, et les deux clans commençaient à apprendre l'un de l'autre.
Keera semblait avoir retrouvé son entrain habituel. Elle partait souvent chasser le talbuk, et le groupe comptait à présent des orcs Rochenoires.
Et ce matin-là, Orgrim était de la partie. Pour ce genre de sortie, il n'arborait pas sa célèbre armure de guerre noire, afin de se fondre dans la nature et se montrer plus efficace pour la traque.
Le groupe partit donc au petit matin, armé de couteaux, d'arcs, et suivis de ses loups. La harde de talbuks qui avait été repérée les mena vers l'ouest, et les orcs s'enfoncèrent dans un sentier longé par un cours d'eau. Cette espèce animale vivait très exposée, et broutait l'herbe de la plaine presque inconsciemment, tandis que plusieurs chasseurs fondirent sur eux.
Les femelles talbuks poussèrent une sorte de hennissement dans le but de rameuter les mâles. Mais les orcs étaient bien préparés, et, bien que de nature inoffensive, ces bêtes à cornes savaient riposter et se défendre. Deux d'entre elles blessèrent des orcs de leurs cornes longues et pointues. Mais les orcs eurent le dernier mot, et les cadavres furent emmenés loin du lieu d'affrontement, afin que le sang n'attire pas d'autres créatures.
Camouflée par de hauts buissons, la troupe se détendait au bord de la rivière. Les rayons du soleil frappaient la surface de l'eau, si bien que plusieurs orcs et orques se baignèrent. D'autres rassemblaient les talbuks pris, pendant que certains échangeaient, à la manière d'un feu de camp.
Keera, dont plusieurs Rochenoires se méfiaient suite à la querelle entre elle et Rakmor, se laissait porter par les événements. Assise auprès de Chanteguerres, elle observait Orgrim du coin de l’œil.
Elle avait cherché à l'ignorer, depuis l'arrivée des Rochenoires au camp. Mais c'était plus facile à dire qu'à faire.
Ce qui était très étrange, c'était de le voir tel qu'il était avant de le connaître, c'est-à dire sans que sa peau ne soit touchée par les énergies gangrenées. Sa peau au naturel était donc d'un brun tirant sur le gris. Et parfois, cela lui donnait l'impression qu'il s'agissait de quelqu'un d'autre. Ce qui pouvait l'aider à se défaire de l'idée qu'elle ne saurait l'approcher davantage. Cependant, cela restait si douloureux qu'elle ne remarqua pas que son regard insistant lui valut un regard mauvais de la part de l'orc. Elle l'avait regardé trop longtemps, et cela semblait lui déplaire. Orgrim grogna, puis se leva pour la rejoindre.
Après s'être assis sur une branche morte pour lui donner l'impression de la dominer, Orgrim dit :
- Tu me regardes avec insistance, femme ! Que me veux-tu ?
Son regard était à la fois froid et interloqué. Ne perdant pas la face, Keera répondit :
- Tu me rappelles quelqu'un que j'ai bien connu, orc, fit-elle en levant le menton. Est-ce un crime ?
- Je n'aime pas être dévisagé ainsi ! grommela-t-il. Alors détourne le regard !
Keera se leva, lui fit face en souriant, et rétorqua :
- Que crains-tu ? Aurais-tu peur, Orgrim Marteau-du-Destin ?
Le regard d'Orgrim se durcit. Il se leva à son tour, tandis que plusieurs Chanteguerres se raidirent. Keera ne lui connaissait pas ce regard menaçant, qu'il réservait à ses adversaires.
- Sache que je ne crains aucun être vivant capable de se dresser devant moi ! grogna-t-il. Et qu'il te faudra plus qu'un simple coup de poing pour m'envoyer au tapis !
En tant que chef de la troupe d'orcs qu'il avait amené à Nagrand, sa réponse était parfaitement légitime et appropriée. Et s'il allait plus loin dans la provocation, elle devrait le défier. Ce que, pour des raisons différentes, aucun des deux ne souhaitaient.
Keera prit donc sur elle, et, tout en maintenant son regard, elle dit calmement :
- Je ne te cherche pas querelle, Marteau-du-Destin. Et si je t'ai observé trop longtemps, ce n'était pas intentionnel ! (Orgrim se détendit très légèrement) À présent, libre à toi de décider si cela représente une offense ou non. Car, comme Grommash te l'a affirmé, je suis incapable de mentir.
Quelque peu apaisé, Orgrim la toisa, grogna une dernière fois, puis retourna auprès des autres Rochenoires qui mâchouillaient leur repas, pendus aux lèvres des deux guerriers. Encore sur les nerfs, il arracha une patte du gibier qui cuisait au-dessus du feu, et mordit dedans tout en scrutant Keera, qui réprima une envie de sourire. Car ce jeune Orgrim, bien que plus sauvage et farouche que celui qu'elle avait connu, était aussi fier et défiant que dans ses souvenirs.
Elle soutint tout de même son regard, tandis que l'un des Rochenoires assis aux côtés d'Orgrim s'exclama :
- Ce maudit talbuk m'a empalé, et ma plaie s'est refermée toute seule ! Chef, je croyais que nous n'avions emmené aucun chaman ?
- C'est le cas, acquiesça Orgrim.
- Mais chef, comment ma blessure s'est-elle...
- Hin ! Vous, les Rochenoires, vous n'êtes même pas reconnaissants ! grogna Moz'dor, tout en s'installant près de Keera.
Intrigués, les Rochenoires, qui leurs faisaient face, le toisèrent, comme pour le défier de poursuivre.
- Que veux-tu dire, Chanteguerre ? l'interrogea Orgrim.
- Je veux dire que ta guérison, Rochenoire, fit-il en regardant l'orc aux côtés d'Orgrim, tu la lui dois ! finit-il en désignant Keera de la tête.
Sous le choc, les Rochenoires écarquillèrent les yeux. À aucun moment, ils n'avaient vu la femelle maigrelette incanter de sort ou invoquer les éléments, comme les chamans.
Et tandis qu'Orgrim fronça les sourcils, son voisin demanda :
- Tu es une guérisseuse, étrangère ? Tu as des pouvoirs magiques ?
- Une magie qui nous est étrangère ! se méfia Orgrim de son regard dur.
- Une magie protectrice, rien de plus, confia Keera.
- Mais comment fais-tu ? demanda l'orc qu'elle avait guéri. Et pourquoi m'avoir guéri ?
- Je me concentre sur la blessure, et elle se referme, dit simplement Keera. Et puis, vous n'êtes pas mes ennemis. Enfin, je l'espère ! ajouta-t-elle en regardant Orgrim.
- Serais-tu une chamane ?
- En quelque sorte, oui.
- Comment ça ? Tu as d'autres pouvoirs ?
- Euh, oui, enfin, je... je maîtrise plusieurs arts, je dirais.
- Nous montreras-tu tes autres pouvoirs ? demanda l'orc, de plus en plus intrigué malgré l'air désapprobateur d'Orgrim.
- Oh, eh bien, je pense que vous me trouvez assez étrange comme cela pour ne pas vous en montrer davantage ! avoua-t-elle, gênée.
Déçus, certains orcs Rochenoires se renfrognèrent, quand d'autres jetèrent des regards réprobateurs en direction de leur supérieur. Devant cette réaction, Orgrim, qui tolérait mal l'insolence, leur servit une face des plus menaçantes qui leur fit baisser les yeux.
Souhaitant leur prouver qu'il n'y avait rien de mal dans sa magie, Keera sourit, se leva lentement, et s'avança vers eux. Tous la regardèrent, tandis qu'elle s'agenouilla devant l'orc qui l'avait questionnée, et qu'elle avait soigné. Elle prit un petit lopin de la terre devant eux, qu'elle garda au creux de sa main. Elle leur présenta sa main, et se concentra. Après quelques instants, les orcs découvrirent un minuscule bourgeon émerger du lopin, et le germe devint une petite feuille en l'espace de quelques secondes.
Les mines étonnées laissèrent place à un regard presque émerveillé, et Keera reposa le petit tas de terre là où elle l'avait pris, laissant le bourgeon poursuivre sa pousse. Elle leva alors les yeux vers Orgrim, dont le regard, s'il se voulait contenu, laissa entrevoir une pointe d'admiration pour cette femelle capable d'élever la nature et la faire croître au creux de sa main, sans aucun autre artifice.