La voix de l'ombre - Livre IV - Un passé recomposé
Chapitre 9 : Un détour en Talador.
Le départ ne fut pas facile, et la mine fermée de Saal et d'Elga n'aidèrent pas du tout Keera à partir. Seule Regga manquait à l'appel. Saal expliqua qu'elle été partie à la chasse très tôt, et Keera dût partir sans lui dire au revoir.
Elle aperçut Grom, qui opina de la tête, les bras croisés sur son large torse. Non loin de lui, Garrosh, qui se tenait bien droit, la fixait. Keera gardait bien en tête qu'il préparait quelque chose, mais elle devait partir, car ce visage qui l'examinait, là près des autres Rochenoires, devenait si douloureux à regarder, qu'elle craignait qu'il ne l'anéantisse. Et si par malheur il lui arrivait de mourir une fois de plus devant elle, elle ignorait si son cœur y résisterait.
Après des adieux à son ami Moz'dor, qui semblait trouver son compte auprès des Chanteguerre, Keera jeta un dernier coup d’œil au camp, et prit la route en direction du nord, accompagnée de Croc-hurlant, son fidèle compagnon.
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Nagrand était si belle, si verte et si sauvage. Et parcourir cette contrée à dos de loup géant ajoutait à ce plaisir.
Sur les conseils des dompteuses, Keera prit la direction nord-est pour atteindre Talador, pour ensuite rejoindre la Crête de Givrefeu. Cela lui prit plusieurs jours pour arriver à la frontière, dont le chemin de terre était parfois bordé de barrières de bois ébranchées en rondins très fins, et dont les extrémités étaient taillées en piques. Elle croisa deux maraudeurs Chanteguerres avant de passer la frontière.
Keera décida de passer la nuit près de la frontière. Elle élit domicile le temps d'une nuit à l'abri d'une ruine, d'où elle pouvait observer son environnement. La faune de Talador, bien que différente de celle de Nagrand, n'en était pas moins hostile. Elle avait croisé une sorte de tigres noirs aux rayures rouges qui ne semblaient pas très amicaux. En revanche, les airs comptaient de majestueux phalènes, rappelant ceux de la Pandarie.
Cette contrée, aux couleurs automnales, était majoritairement habitée par les draeneï. Ce peuple, bien plus civilisé et évolué que les orcs, avait pavé ses routes de pierres travaillées, dénotant drastiquement avec le paysage sauvage de Nagrand. Sur le chemin, peut-être allait-elle en rencontrer.
En attendant, Keera s'installa au creux d'un mur, et repensa à ces dernières semaines, mais surtout cette dernière nuit parmi les Chanteguerre. Bien que très avinée, quelques brides d'événements lui revenaient, mais qui n'expliquaient pas pour autant de s'être retrouvée nue sur sa couche. Elle se souvenait avoir dansé, chanté, et surtout bu. Pour le reste, elle espérait simplement n'avoir rien fait de regrettable, ni de préjudiciable.
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La magie des draeneï était palpable dès lors que l'on parcourait Talador. Ne serait-ce que les petits lampadaires à la lumière rosée disposés le long des routes, ou encore les cristaux incrustés dans les bancs de bois qui bordaient les routes.
C'est d'ailleurs au bord de la route qu'elle rencontra un enfant draeneï. Bien plus petit que les adultes de sa race, le petit mâle se cacha derrière un arbre à la vue de Keera.
- Qui es-tu ? demanda Keera en langue commune. Tu ne devrais pas te promener seul.
Une petite tête apparut de derrière le tronc noueux. Keera tenta de s'approcher, mais le petit, qui ne devait pas avoir plus de six ans, se dissimula à nouveau derrière l'arbre.
Inquiète de trouver un enfant seul dans la nature, Keera se résolut à l'aider. Elle s'avança alors à tâton, et commença à chanter pour le mettre en confiance. La petite tête bleue apparut de nouveau, et finit par rejoindre la princesse qui s'était accroupie.
Le petit draeneï prit les mains qu'elle lui tendait, et Keera lui demanda son nom :
- Je suis Caleb, répondit-il avec un fort accent.
- Mon nom est Keera, fit la princesse. Je vais te reconduire chez toi. Où habites-tu Caleb ?
- Je vis à Telmor, de l'autre côté d'Auchindoun. Plus loin là-bas.
- Et que fais-tu aussi loin de chez toi ?
- Pas si loin, tu verras, assura Caleb qui la prit par la main et regarda son loup.
Keera suivit donc l'enfant, Croc-hurlant sur leurs talons. Elle réalisa vite qu'il avait raison : ils arrivèrent rapidement à Auchindoun, l'immense mausolée des draeneï. Ils longèrent alors la longue route jusqu'à l'entrée, où ils furent accueillis par des draeneï, qui semblaient être les gardiens des tombeaux.
- Halte ! Qui êtes-vous, étrangère ?
Parfaitement représentatif du guerrier draeneï, le garde portait une armure de plaque complète et luisante, et brandissait une masse lumineuse. Ses pupilles bleues immaculées rendaient son regard pénétrant, mais non moins menaçant.
- Je me nomme Keera, je viens de loin, et je voyage à travers Draenor.
- Et que fait cet enfant avec vous ?
- Je l'ai trouvé sur le chemin, après la frontière menant à Nagrand. J'ai pensé qu'il valait mieux le reconduire chez lui, fit Keera.
- La frontière ? Vous venez de Nagrand ?
- Oui, j'ai... quelques amis là-bas. Et Caleb dit venir d'une ville appelée Telmor. M'autorisez-vous à l'y raccompagner ?
Le draeneï jaugea Keera, et remarqua la hache sanglée dans son dos, ainsi que le loup géant, bête que chevauchaient d'ordinaires les orcs. Il n'avait évidemment jamais vu quelqu'un comme elle, et devait se méfier.
Devant son silence, Keera proposa :
- Si vous préférez le raccompagner vous-même, je comprendrais.
- Oh s'il vous plaît, autorisez dame Keera à m'accompagner ! demanda Caleb. Je veux lui montrer ma maison.
Le gardien releva la tête vers la princesse, et conclut :
- Soit, mais je vous accompagne. Anii, préviens Vamis que j'escorte cette dame et le jeune Caleb jusque Telmor !
- Bien, Covaan ! répondit la draeneï.
- Suivez-moi, je vous prie, fit le gardien du nom de Covaan.
Et tous deux le suivirent.
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Keera connaissait très mal les draeneï et leurs coutumes. Mais leurs infrastructures étaient si impressionnantes qu'elle en resta bouche bée. Anchindoun, incroyable bâtiment où reposaient leurs défunts, était finement travaillé. La forme conique semblait être la forme de prédilection de leur architecture. Ainsi, de nombreuses constructions montaient vers le ciel en pointe, dans un ovale travaillé et souvent incrusté de pierres bleues ou roses.
Ces pierres évidemment magiques devaient servir de protection. C'est pourquoi Keera interrogea Covaan :
- En effet, les pierres sont au centre de notre culture, avait répondu le draeneï, tandis qu'il saluait de la tête un autre gardien.
- Je peux sentir leur essence, confia la princesse. Elle est si pure, et à la fois étrangement distante. Comment dire...
- Comme si elle venait d'un autre monde ? la coupa Covaan.
- Oui, c'est un peu mon sentiment, avoua Keera. C'est même plus que cela.
- La Lumière est partout, et nous guide là où nous devons aller, fit Covaan.
Keera tressaillit, une fois de plus, alors qu'ils poursuivaient leur chemin. Le gardien, qui s'en était aperçu, eut un léger sourire, et lui expliqua :
- Vous semblez capter la présence de nos défunts, dame Keera.
- Alors, cette sensation de froid qui me traverse, ce sont eux ? l'interrogea la princesse.
- Nous nous tenons dans leur dernière demeure, dame. Ils s'y promènent donc librement. (il se tourna vers elle) Néanmoins, seuls les prêtres peuvent les ressentir.
Devant l'air suspicieux du draeneï, Keera fronça les sourcils.
- Je ne saurais vous dire pourquoi je les ressens, se dédouana-t-elle. Je ne suis pas originaire de votre monde.
- Ce qui vous rend d'autant plus mystérieuse ! annonça Covaan, ce qui intrigua également le jeune Caleb qui les observait et écoutait attentivement.
Arrivés à un carrefour, au coin duquel Keera vit un petit écriteau sur lequel une étrange écriture était peinte, Covaan se posta devant eux.
- Telmor se tient plus loin devant vous.
- Mais... je ne vois aucune cité au loin ! s'exclama Keera, ce qui fit sourire Caleb.
- En effet, confirma le gardien auchenaï. Il existe un moyen magique de la faire apparaître. Mais cela ne peut vous être révélé. Suivez-moi.
Keera emboîta le pas du gardien, lorsque tout-à-coup, elle se souvint d'une histoire que lui avait racontée Drek'Thar, des années auparavant. Lorsqu'Orgrim et Durotan avaient rencontré les draeneï, durant leur enfance, ils avaient été amenés ici, à Telmor. Tout en marchant, elle se remémora ses dires, et se souvint qu'il avait fallu toucher un cristal dissimulé à l'entrée de la ville, et prononcer une formule qui matérialiserait la cité. Le draeneï qui avait sauvé Orgrim et Durotan, alors poursuivis par des ogres, et qui les avait amenés ici, se nommait...
- Kehla men samir, solay lamaa kahl.
De hautes marches encadrées par deux bannières aux tons violets apparurent, menant à une cité majestueuse construite au sein de la montagne. L'architecture avoisinait celle d'Auchindoun, bien que moins imposante.
Les yeux brillants d'admiration, Keera vit s'avancer vers elle un draeneï très imposant. Il tenait le cristal qui avait permis à la cité d'apparaître, et observait Caleb, qui campait le flanc de Keera.
Vêtu d'une armure lourde plus massive que celle de Covaan, le draeneï devait être assez gradé pour être autorisé à utiliser le cristal, et semblait très intrigué par l'inconnue que le gardien auchenaï lui amenait.
À présent à hauteur de la princesse, l'imposant guerrier se présenta :
- Je suis Restalaan, capitaine de la garde de Telmor ! À qui ai-je l'honneur ?
- Je suis Keera, je viens de loin, et je voyage en quête de découvertes, répondit la princesse. J'ai rencontré Caleb en chemin, que j'ai préféré raccompagner jusque chez lui.
Restalaan l'examina. La jeune femme devait en effet venir de très loin, car il n'avait jamais croisé pareille silhouette. Et pourtant, les draeneï avaient longtemps voyagé avant d'élire domicile sur Draenor.
Jetant un coup d’œil à Covaan, il inspecta de nouveau Keera, et dit :
- Nous vous remercions d'avoir accompagné le jeune Caleb jusqu'ici. Vous ne semblez pas hostile aux nôtres, dame Keera. Et si vous venez de loin, je pense que notre prophète voudrait faire votre connaissance.
Cela ne surprit pas Keera, qui s'était presque attendue à une telle invitation. Velen, le prophète des draeneï, avait des visions. Et d'après l'histoire de leur passé, il savait ce qui se préparait pour leur peuple.
Cependant, Keera ne pouvait s'attarder ici. Si elle cherchait à rejoindre la Crête de Givrefeu, c'était dans un seul but : trouver les Loup-de-givre. Elle devait donc reprendre la route.
- J'aurais été honorée de rencontrer votre prophète, Restalaan. Mais je dois décliner votre invitation, et poursuivre ma route.
- Dans ce cas, pouvons-nous vous offrir l'hospitalité pour cette nuit ? persista le draeneï. Cela nous permettrait de vous remercier, et de faire connaissance, ajouta-t-il alors que Caleb attrapa la main de la princesse.
Devant l'insistance de Restalaan, ainsi que les yeux implorants de Caleb, Keera accepta, et les suivit après avoir remercié Covaan.
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Keera avait toujours aimé l'accent draeneï. Leur façon de rouler les « r », leurs phrases de politesse, et le fait d'accentuer leur fin de phrase. Elle avait rencontré très peu des leurs, et il lui semblait que Velen n'avait pourtant pas ce genre d'accent. Mais c'était un peuple à la culture riche et empreinte de sérénité, sans doute grâce à l'influence de la Lumière dans laquelle ils baignaient.
Restalaan avait questionnée Keera sur son séjour parmi les orcs Chanteguerres. Installés près d'un bosquet de fleurs, après un repas en compagnie d'autres draeneï curieux d'apercevoir l'étrangère que leur chef avait conviée, elle avait brièvement raconté son périple. Les draeneï, très désireux d'en savoir plus à propos de leurs voisins, comprirent vite que leur invitée était assez proche de ce peuple plus sauvage et primitif. Ce qui les surpris, car Keera était plus civilisée que les orcs.
- Votre peuple et les orcs sont-ils proches ? avait demandé Restalaan.
- Pour ainsi dire non, répondit la princesse. Je suis la seule de mon peuple à les connaître.
- Alors vous avez quitté votre peuple pour aller vivre parmi les orcs ?
- Non, c'est... plus compliqué, en réalité. Et ce serait trop long à expliquer.
Restalaan ne se risqua pas à l'interroger davantage. Après tout, il tenait également à en apprendre plus sur les orcs. Mais son silence amena Keera à développer :
- J'ai vécu parmi les orcs durant des années. Ceux de ma contrée m'ont enseigné leurs différents dialectes, leurs coutumes, et m'ont transmis leur idéal de liberté.
- Alors vous les connaissez bien, si je puis me permettre, affirma Restalaan de sa voix grave et mesurée. Nous commerçons avec certains d'entre eux, et entretenons des échanges plutôt cordiaux. Mais il est vrai qu'ils ne se laissent pas approcher facilement.
- Non, ils sont sauvages et indomptables, sourit Keera. Et ils ont un grand cœur.
- Les deux jeunes orcs que nous avons recueillis il y a des années en sont la preuve, en effet.
- Oui, j'ai... entendu parler de cette histoire, fit Keera. Des enfants orcs de clans différents.
- Ce qui nous a surpris ! ajouta le draeneï. De ce que nous savons d'eux, c'est un peuple très clanique, qui se méfie les uns des autres s'ils ne sont pas du même clan.
Restalaan mettait le doigt sur un sujet des plus pertinents et actuels. Car, dans le plus grand secret, les clans s'étaient contactés pour peut-être n'en former plus qu'un seul. Ou une nouvelle Horde, comme elle le craignait. D'où la raison de son voyage vers les Loup-de-givre.
- Il est donc étrange que des orcs du clan Rochenoire aient pu rejoindre le clan Chanteguerre récemment, émit Restalaan sur un ton égal, mais dont le regard trahissait tout de même l'inquiétude.
La mention de cet épisode de leur rencontre avec Orgrim et Durotan n'était donc pas anodine. Et Restalaan tentait d'en apprendre davantage sur cette migration soudaine et inhabituelle. Et à raison.
Cependant, Keera ne pouvait lui donner d'éléments probants sans risquer une altération du Temps.
Tout comme elle n'avait pu faire davantage pour Grom que de l'amener à douter des propos de Garrosh.
Tout ce que Keera pouvait faire pour les draeneï, c'était d'acquiescer :
- En effet, c'est très inhabituel. Et leurs échanges n'ont pas toujours été des plus aimables, ajouta-t-elle.
- Keera, reprit plus sérieusement Restalaan. Je ne vous mettrai pas dans l'embarras en vous questionnant davantage. Sommes-nous seulement en danger ?
Prise d'un serrement au cœur, Keera ne put réprimer un froncement d'inquiétude. Bien qu'après tout, leur prophète avait pu voir en vision ce qui se profilait, et n'avait rien fait pour l'empêcher, elle se sentait coupable. Tout ce qu'elle pouvait espérer, c'était que ce passé alternatif soit différent du sien.
Keera répondit donc simplement :
- J'espère de tout cœur que non.
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La cité apaisante des draeneï avait permis à Keera de dormir si profondément qu'elle peina à quitter le lit douillet et confortable qu'on lui avait prêté pour la nuit. Emmitouflée dans ses draps de soie, qu'elle releva jusqu'au visage, elle renifla le tissu, et fut projetée directement dans les bras de Varian. Hurlevent lui manquait, mais c'était surtout la présence du roi-guerrier, si rustre et affectueux qui l'enveloppait de ses bras musclés lorsqu'elle ouvrait les yeux.
Il lui manquait cruellement. Et ces dernières semaines l'avaient tellement perturbée qu'elle en avait oublié de penser à lui, ce qui l'aurait probablement aidée.
Probablement.
En fait, rien n'était moins sûr. Car la présence d'Orgrim l'avait totalement bouleversée, et avait ravivé ses blessures. Elle aimait pourtant tellement Varian, en qui elle reconnaissait certaines valeurs et qualités qu'elle avait connues chez Orgrim.
Chassant ces pensées, Keera se leva, prit un bain dans le tub disposé près de son lit, et sortit faire ses adieux à ses hôtes.
Caleb, qui s'était posté près de l'entrée de la ville pour ne pas rater son départ, avait un présent pour la princesse. Lorsqu'elle l'aperçut, elle s'agenouilla pour le saluer, tandis que Caleb, qui tenait sa main fermée devant lui, lui dit :
- Pour toi, Keera. Pour te protéger, et bénir ton voyage.
Keera tendit la main, pendant que Caleb y déposa un cristal blanc translucide.
- C'est le fragment d'un cristal magique, dit-il fièrement.
- Je te remercie, Caleb. Et je suis contente d'avoir fait ta connaissance.
- Reviens nous voir, Keera. Tu nous raconteras tes aventures !
Keera lui sourit, puis se leva. Restalaan attendait que leurs adieux se terminent pour aborder la princesse.
- Quel que soit votre but, la Lumière vous guidera, Keera.
- Je vous remercie pour votre accueil, Restalaan. Et sachez que si un jour un ennemi se montre, et cherche à vous détruire, vous ne vous dresserez pas seuls.
Devant tant de conviction, Restalaan se rassura légèrement. Elle avait su prouver sa loyauté envers ses amis orcs, ce qui était tout à son honneur. Cela rendait cette étrangère honnête et digne de confiance. Sans compter que s'il s'agissait de la guerrière qui avait combattu dans l'Arène des Épreuves, comme le lui avait rapporté l'un de ses informateurs, elle représenterait une alliée de choix contre les forces ennemies qui pourraient les menacer.
Il la regarda alors reprendre la route, convaincu que les draeneï croiseraient de nouveau cette étrange femme.
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Ce petit détour chez les draeneï avait quelque peu rasséréné Keera. Bien qu'elle pensait toujours à Orgrim, elle avait à présent hâte de trouver les Loup-de-givre, et de rencontrer ce fameux Durotan dont elle avait tant entendu parler.
Elle reprit alors son chemin vers le nord en longeant Auchindoun par l'est. Les gardiens auchenaï avaient reçu l'ordre de la laisser traverser leur site sacré, si bien qu'elle arriva rapidement en périphérie de Shattrath, la capitale draeneï, qu'elle contourna.
Le chemin pavé était très pratique, et à dos de loup, elle avançait à bon rythme. Elle traversa une suite de ponts à l'est d'une montagne, et fit plusieurs haltes pour se ressourcer. Cette chevauchée était si agréable et paisible qu'elle peinait à imaginer la terre dévastée qu'était devenue Draenor à son époque.
La traversée de Talador lui prit plusieurs semaines, et Keera décida de longer la Côte Orunaï pour arriver à la frontière qui menait à la Crête de Givrefeu. Assise au bord de la mer, sur le sable doux, elle pouvait apercevoir au loin la roche dorée des montagnes de Gorgrond.
Installée contre Croc-hurlant, elle admirait le soleil couchant qui serait bientôt caché par les montagnes entre Nagrand et Talador. Finalement, ces semaines de voyage avaient été salutaires, car elles lui permirent de prendre du recul. D'une part, il avait fallu mettre de la distance entre Orgrim et elle, mais surtout, une distance avec les événements de sa dernière nuit passée au sein des Chanteguerre.
Quelques brides de souvenirs lui étaient parvenus depuis, mais rien qui ne puisse expliquer son état. Le regard vague, Keera ne s'aperçut de la présence du petit crabe que lorsqu'il réussit à ramper jusque son ventre. Elle l'attrapa alors, et le reposa au sol, caressant instinctivement son ventre, dans lequel grandissait un petit être.
Peinant encore à réaliser, Keera se sentait désemparée et perdue. Sans aucun souvenir des événements, elle s'en voulait d'avoir bu au point de se rendre malade et de ne plus rien contrôler. Avait-elle amené d'elle-même un orc jusque sa couche ? Il était bien plus probable qu'un orc ait profité de son état avancé d'ébriété pour la faire sienne le temps d'une nuit. Dans les deux cas, le résultat était là.
Si l'enfant venait à naître, qu'adviendrait-t-il de lui ? Appartiendrait-il à cet espace-temps ? Devait-elle mettre fin à cette grossesse au plus vite afin d'éviter d'altérer irrémédiablement ce passé alternatif ?
Gageant que celui-ci n'aurait sûrement pas plus de chance de venir au monde que les autres enfants qu'elle avait portés, Keera décida de laisser cela, et d'y revenir le moment venu. Son périple ne faisait que commencer, et de nombreux dangers l'attendaient. De quoi mettre en péril cette conception non désirée, et ainsi tenter le destin.