La voix de l'ombre - Livre IV - Un passé recomposé
Chapitre 11 : La contrée enneigée.
Serah s'était trop éloignée du groupe, et ne reconnaissait plus l'endroit où elle s'était retrouvée après le blizzard qui les avait surpris. La jeune loup-de-givre savait que des ogres traînaient dans le coin. Et c'était sans compter la présence de garns nocthurles, de redoutables loups géants. Ces chasseurs vicieux ne se déplaçaient qu'en meute, et représentaient les prédateurs les plus dangereux de la Crête.
Installés dans les Congères de Huregivre, non loin du camp des Loup-de-givre, Wor'gol, les garns constituaient un défi au quotidien pour les orcs.
Là, à l'est, Serah pouvait apercevoir la Citadelle de Flèchelame. Ce bastion ogre représentait un repère. Elle se trouvait donc entre le Bastion ogre et les Congères. Entre les ogres et les garns.
Il lui fallait donc partir au sud pour regagner Wor'gol. Le blizzard avait cessé, mais avait aussi formé d'épaisses congères autour de la roche où elle s'était abritée.
Tout irait bien. Si elle ne croisait pas de garn, elle s'en sortirait.
En revanche, il lui fallait considérer un autre ennemi, tout aussi farouche, et bien plus intelligent que les ogres et les garns.
- Ne bouge pas, Loup-de-givre !
C'était un orc du clan Sire-tonnerre. Il la tenait en respect grâce à un long couteau tenu sous sa gorge. Un autre avait bandé son arc dans sa direction. Puis un autre apparut derrière elle, tous reconnaissables à leur armure d'os pris sur leurs proies.
Devant le danger évident, Serah ne bougea pas. Ils lui prirent sa hache, lorsqu'un autre apparut pour occire un énorme sanglier qui les chargeait. Elle en comptait sept au total. Cependant, connaissant leurs tactiques d'embuscade, il était possible que d'autres se cachent dans les environs.
Celui qui la tenait en joue, un orc massif aux épaulières en peaux surmontées d'os ou de griffes, devait être le chef du groupe.
- Ainsi, les fiers Loup-de-givre laissent leurs louveteaux derrière eux à la moindre bourrasque ! se moqua-t-il. Quel clan pitoyable !
- Nous n'avons rien à vous envier, Sire-tonnerre ! cracha-t-elle. Nous au moins n'avons pas recours à...
L'orc lui envoya une gifle qui la fit reculer d'un pas. Il était notoire que les deux clans étaient en guerre, et les Sire-tonnerre se montraient particulièrement agressifs envers les Loup-de-givre depuis leur adhésion à la Horde de Fer.
- Tu n'as pas voix au chapitre, Loup-de-givre ! s'écria leur chef. Emmenons-là, elle servira de nourriture aux gronns que nous venons de capturer.
- Aller, tiens-toi tranquille, femme ! fit un autre qui enroula un filet de chasse autour de Serah.
La jeune orque se débattit, et reçut en réponse un violent coup de pied qui l'envoya au sol. L'orc qui la ficelait appuya son pied sur son visage, qui s'enfonçait dans la neige.
- Hin ! Crois-tu pouvoir...
Le haut du crâne du Sire-tonnerre fut découpé net, et tomba au sol. Une partie de son nez, ainsi que le bas de son visage étaient intacts lorsque le corps s'effondra.
Le corps large de l'orc cachait son assaillant, qui se tenait debout derrière, une hache ensanglantée à la main. Vêtu de fourrure recouvrant une tunique et des jambières de cuir, l'assaillant dissimulait son visage sous un épais capuchon. Une cape le recouvrait, bien qu'il était évident qu'il s'agissait d'une femme.
Deux Sire-tonnerre sortirent de nulle part et l'attaquèrent par derrière, mais se retrouvèrent vite au sol, les viscères dégoulinant de leur ventre.
Devant la rapidité de la femelle inconnue, trois orcs la ruèrent en même temps. Leurs têtes volèrent lorsqu'elle décrivit un arc de cercle à l'aide de sa hache. Dans son élan, elle poursuivit sa course en attaquant de front deux autres orcs, et planta sa hache dans la tête de l'un d'eux. L'autre reçut un coup de poing dans le ventre avant de pouvoir réagir, tandis que Croc-hurlant surgit et lui attrapa la tête. Il traîna le corps mort un peu plus loin, et s'attaqua à un autre Sire-tonnerre qui tentait de le capturer.
L'un des Sire-tonnerre profita qu'elle soit de dos pour lui asséner un coup de couteau, qui réussit à l'entailler. De nouveau libre de ses mouvements, Serah riposta, et l’occis avant que la femelle ne se retourne.
- Merci ! fit l'inconnue.
- Frapper dans le dos n'a rien d'honorable ! répondit Serah qui bondit sur un autre Sire-tonnerre qu'elle blessa grièvement.
C'est alors qu'apparurent plusieurs garns. Les babines retroussées, les loups géants bavaient devant le festin qui les attendait, appâtés par l'odeur du sang frais des cadavres qui gisaient au sol.
Tenant sa garde, Serah se positionna à hauteur de l'inconnue, et vit les Sire-tonnerre préparer leurs filets de chasse.
Les garns considérèrent les deux femmes, puis, après un moment, se mirent à grogner en direction des Sire-tonnerre. L'un des orcs envoya son filet, et emprisonna l'un des loups, mais deux autres sautèrent vers lui. L'orc bascula sous le poids des loups qui le griffèrent sévèrement, arrachant sa peau ainsi que son vêtement. Un autre Sire-tonnerre cribla de flèche les loups aux poils hirsutes, que la douleur n'arrêta pas.
Deux Sire-tonnerre avaient disparu, tandis que les garns emportaient les restes des guerriers vers leur antre afin de nourrir les leurs. Sans même tenir compte des deux femmes, ils regagnèrent leur refuge, au grand étonnement de Serah, qui n'avait jamais observé un tel comportement chez ces loups sauvages.
Pour le moins rassurée, elle se tourna vers l'inconnue qui l'avait sauvée.
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- Tu es blessée ! s'inquiéta Serah.
- La plaie va se refermer, tout va bien, la rassura l'inconnue qui reprenait son souffle, assise sur un rocher.
- Une plaie ne peut se refermer seule ! releva la Loup-de-givre, les sourcils froncés.
- Mes blessures, si, confirma Keera qui venait de retirer sa capuche.
Stupéfaite par le visage étrange de l'inconnue, ainsi que par ses dons de guérison, Serah commença à se méfier. Elle n'avait rien en commun avec les femelles draeneï, bien qu'elle n'en ait vu qu'une de toute sa vie. Elle ne semblait pas non plus être une croisée, que ce soit avec un orc, un ogre, ou autre chose.
Et puisque cette femme ne paraissait pas hostile, Serah osa demander :
- Qui es-tu, étrangère ? Tu parles très bien notre langue commune !
Keera la regarda en souriant. Combien de fois lui avait-on demandé qui elle était depuis son arrivée en Draenor ? Elle ne saurait le dire.
- Je me nomme Keera, jeune orque. Et je viens de très loin. Et toi, qui es-tu ?
- Serah, du clan Loup-de-givre, répondit fièrement l'orque.
- Et tu chasses seule ? Il me semble que les Loup-de-givre sont un clan plutôt solidaire.
- J'ai perdu leurs traces dans le blizzard, avoua Serah, à sa grande honte. Étant très jeune, je reste en lisière du groupe. Et je … n'avance pas assez vite dans la neige.
Le visage honteux de la jeune loup-de-givre toucha Keera. Admettre ainsi sa faiblesse était en soi un déshonneur pour un orc. Et lui proposer de la raccompagner auprès de son clan n'arrangerait rien. Pourtant, Keera pensait compter sur cette rencontre pour approcher les Loup-de-givre. Elle allait devoir se raviser.
- Es-tu loin de chez toi ? l'interrogea la princesse.
- À plusieurs jours de marche, un peu moins à dos de loup, mais le lit de neige est épais.
- Oui, les tourmentes de neige étaient violentes, ajouta Keera. Où est ton loup ?
- Aucun ne m'a encore choisie, annonça Serah, ce qui renforça son froncement de sourcils.
Tout dans son attitude indiquait qu'elle comptait partir seule, pour certainement mourir, pourvu qu'elle lutterait jusqu'à son dernier souffle, et recouvrirait son honneur. Keera ne voyait donc pas bien comment l'aider. Elle connaissait la fierté orque, et cette jeune Serah ne faisait pas exception.
Keera se leva lourdement de son rocher, et Serah put voir qu'elle tenait son ventre. Un ventre bien trop arrondi pour un gabarit aussi frêle.
- Portes-tu un enfant, Keera ? demanda l'orque en écarquillant les yeux.
- En effet, acquiesça la princesse. Et trouver un abri plus sûr que ces plaines enneigées serait un exploit.
- Mon clan pourrait t'accueillir ! Tu m'as sauvée, et prouvé ta force. Je suis sûre que notre chef te fera l'honneur de t'accepter ! assura Serah qui venait de donner à Keera un prétexte pour l'accompagner.
- Es-tu sûre de pouvoir me présenter à ton clan, Serah ?
- Notre chef est honorable, et saura reconnaître ta valeur lorsqu'il saura que tu m'as aidée et sauvée, assura l'orque.
Sur ces paroles, Keera acquiesça, et suivit Serah à travers la plaine au doux manteau blanc et gelé.
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Le pic volcanique qui dissimulait les Sire-tonnerre avait toujours représenté une cachette naturelle efficace. Positionnés face au refuge des Loup-de-givre, les orcs surveillaient le clan ennemi.
Voyant revenir deux d'entre eux, les trois guetteurs s'inquiétèrent :
- Où sont les autres ? demanda l'un d'eux.
- Pah ! Ils servent de repas aux garns des Congères ! répondit l'un des survivants.
- Nous avions attrapé une Loup-de-givre, mais nous avons été attaqués, reprit l'autre survivant.
- Combien étaient les Loup-de-givre vous ont attaqués ? les questionna l'un des guetteurs.
Les deux orcs survivants baissèrent la tête et grommelèrent dans leur barbe. La honte leur monta au visage, si bien que l'un des guetteurs les approcha.
- Combien de Loup-de-givre ? grogna-t-il dans le but d'obtenir une réponse claire.
- Aucun, Trekor, répondit l'un des survivants.
- Des ogres alors ? (l'orc fit non de la tête) Des gronns, des worgs, des...
- Une femelle, le coupa le survivant.
- Une femelle ? Seule ? reprit Trekor.
- C'est ça, acquiesça le survivant qui jeta un œil à l'autre rescapé.
- Donc, si je comprends bien, une femelle vous a attaqués, et vous étiez...
- Douze, finit le survivant. Elle a sauvé la Loup-de-givre. Mais cette femelle étrange possédait une force anormale, Trekor !
Plutôt intrigué par ces dires, Trekor pivota vers l'un des guetteurs qui le rejoint, et demanda aux rescapés :
- Où sont-elles ?
- Elles marchent vers Wor'gol, et l'atteindront d'ici quelques jours.
- Bien, un chaman va s'occuper de les embourber dans la neige, fit Trekor. Toi, rameute les nôtres qui se trouvent au pic est, qu'ils nous envoient du renfort et préviennent Skal ! Cette femelle doit payer, et nous devons savoir qui elle est, et si elle a rallié les Loup-de-givre.
- Ce sera fait, Trekor ! fit le guetteur qui tourna les talons et partit en direction des autres guetteurs.
Cela ne plaira pas à leur chef, et perdre plus d'orcs pour une seule femelle leur vaudra un bannissement du clan, dans le meilleur des cas. Il allait falloir agir vite et prudemment. Mais les Sire-tonnerre était un clan farouche qui ne dédaignait pas le danger, contrairement aux Loup-de-givre, qui faisaient passer la survie des siens avant tout. Rien d'étonnant à ce que leur chef ne soit pas obéi, et que la moitié de leur clan suive Ga'nar, le frère aîné de Durotan qui mène une vendetta contre les Sire-tonnerre depuis la mort de Garad, leur père et précédent chef des Loup-de-givre.
Le clan Loup-de-givre ainsi divisé devenait vulnérable. D'autant que si Durotan s'obstinait à refuser l'offre de rallier la Horde de Fer, il serait vite isolé, et une cible des plus intéressantes.
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- Je me demande bien pourquoi les garns ne nous ont pas attaquées ! Je ne les avais jamais vu laisser une proie derrière eux ! s'exclamait Serah, presque inquiète par le comportement de ces loups sauvages.
Keera la regarda. La jeune Loup-de-givre ne pouvait en effet savoir que la princesse leur avait demandé de s'occuper des orcs Sire-tonnerre et de les ignorer toutes les deux. La jeune orque la dévisagea, puis ajouta :
- Je suis désolée, Keera. Je pensais que nous mettrions moins de temps.
- Tu n'es pas responsable des tempêtes de neige, Serah, fit la princesse qui se protégeait du vent glacé à l'aide de sa cape.
- Mais même Croc-hurlant semble lutter contre les vents ! remarqua l'orque. Et vu ton état, nous devrions trouver un abri, le temps que la tempête passe.
Serah était pleine de bon sens. Mais c'était égal. Elles se retrouvaient en plein blizzard, et rien ne garantissait qu'elles tomberaient sur un rocher, ou même une grotte pour s'y cacher.
Elles n'eurent donc aucun mal à tomber dans les filets de chasse que les Sire-tonnerre avaient disposé sur leur passage avant d'invoquer la tempête de neige.
À présent immobilisées, elles tentèrent de se défaire du filet, mais furent écorchées par les nombreux crocs insérés dans les mailles.
Croc-hurlant, qui avait échappé à la capture, fondit dans la neige afin de disparaître. Peu habitué à de telles températures, si rudes et glacées, le loup géant se sentit vite engourdi par le froid, et ne put éviter le coup de hache qui lui ouvrit le crâne. Le Sire-tonnerre qui récupéra son arme dans la tête de Croc-hurlant l'abattit une seconde fois, s'assurant ainsi d'achever la bête.
Dans un dernier couinement, le loup rendit l'âme, les yeux tournés vers sa maîtresse prise au piège. Et alors que son regard s'éteignait, Keera laissa couler de chaudes larmes qui firent fondre les flocons tombés sur ses joues.
À ses côtés, Serah s'écria de compassion :
- Vous paierez pour cette vie, et pour toutes les autres, Sire-tonnerre !
Et alors que plusieurs d'entre eux tiraient sur les filets, ils eurent un geste de recul. Des yeux brillants étaient apparus dans les fentes du piège de la femelle inconnue, et une aura malfaisante les fit frissonner. Lentement, Keera coupa les cordes du filet de sa main, comme s'il était agi d'une lame. Le filet retomba, et la princesse se tenait debout, tandis que plusieurs pics rocheux sortirent de terre pour empaler plusieurs Sire-tonnerre. Levant les mains devant elle, Keera invoqua également des pics de glace qu'un seul orc réussit à esquiver.
La princesse sourit, tandis qu'elle s'avançait vers l'orc esseulé. Comprenant qu'il s'agissait d'une chamane, il piétinait pour éviter d'être surpris par une formation rocheuse venue du sol, et rua Keera. De sa main, elle stoppa le geste du guerrier, et l'attrapa par le cou de son autre main. Son sourire s'élargit lorsqu'elle serra sa prise sur la main du Sire-tonnerre, puis sur son cou. Serah, qui ne reconnaissait pas l'expression du visage de sa nouvelle amie, se défit de son filet en la regardant avec inquiétude. Sentant son regard sur elle, Keera lui dit :
- Retourne auprès des tiens, je m'occupe d'eux.
Ne souhaitant pas la contrarier, Serah pivota, et courut à travers la tempête, pensant pouvoir revenir la chercher avec de l'aide.
Se concentrant à nouveau sur sa proie, Keera serra le cou de l'orc jusqu'à ce qu'elle vît ses yeux sortir de leurs orbites.
- Nous ne vous avions rien fait, ni elle, ni moi, ni mon loup ! cracha-telle. Vous ne méritez pas de vivre !
Elle pressa jusqu'à sentir les os de son cou craquer, puis, après lui avoir brisé la nuque, elle lâcha sa prise, et le laissa tomber lourdement dans la neige.
Après quelques instants à se reprendre, Keera soupira longuement, puis chercha le corps de son compagnon. Sa fourrure, dense et soyeuse, était maculée de sang. Reposant parmi les corps empalés de pics, il semblait dormir. Keera se rapprocha du corps encore chaud, le caressa tendrement, puis s'agenouilla. Elle enfouit son visage dans le doux pelage, et laissa ses larmes couler.