La voix de l'ombre - Livre IV - Un passé recomposé

Chapitre 14 : Le tournant de l'histoire

5324 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/12/2025 19:29

Chapitre 14 : Le tournant de l'histoire.



Les Sire-tonnerre menaient des raids et gagnaient du terrain sur les terres des Loup-de-givre. Divisé, le clan ne pouvait faire face à cette menace, d'autant que les Sire-tonnerre avaient rallié la Horde de Fer, et pourrait dorénavant disposer de forces supplémentaires pour soumettre les Loup-de-givre.

De plus, la nouvelle des événements de la Jungle de Tanaan fit le tour de tout Draenor.

Sur demande du démoniste Gul'dan, l'ensemble des clans orcs se rendirent au nord de la Jungle pour se voir offrir une nouvelle source d'énergie qui les rendrait plus puissants : du sang de démon. Grommash Hurlenfer, qui les menait, fut invité à être le premier à boire le sang de Mannoroth, le démon à l'origine de la corruption des orcs dans le passé.


Cette scène retraçait donc le pire épisode de l'histoire des orcs, à un détail près : Grommash refusa le don du démon, et sauva sa race de la corruption.


Les plans de Garrosh se concrétisaient. Il avait réussi à empêcher son peuple de boire le sang démoniaque, et fit de son père le héros qui terrassa Mannoroth. Gul'dan fut donc capturé, tandis que Grommash annonçait leur véritable but : conquérir d'autres mondes. La Horde de Fer était officiellement formée, et la construction d'une nouvelle Porte des Ténèbres, lancée dans le plus grand secret, se tenait au cœur même de la Jungle de Tanaan.

Finalement, Garrosh n'avait pas changé d'un pouce, et Keera s'en voulait d'avoir cru un seul instant à une improbable évolution. Et, bien qu'elle ignorait par quel biais Garrosh se proposait d'envahir d'autres mondes, il avait réussi à convaincre son père de partir en guerre contre d'autres peuples.


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Alors que Keera, bien loin de ces événements, se préparait à mettre au monde son enfant, elle s'intégrait peu à peu au clan Loup-de-givre, participant activement à la chasse, ainsi qu'à l'élaboration de vêtements. En effet, les Loup-de-givre ne souhaitaient pas surcharger Keera en tâches trop éprouvantes du fait de son état. Mais la princesse avait insisté pour participer à certaines sorties et parties de chasses non loin du camp.


Et alors qu'elle rentrait les bras chargés de bois, après avoir accompagné une troupe partie abattre quelques arbres, elle fut grondée par Serah :

  • Ne porte pas tant de charges ! fit-elle en lui prenant les rondins de bois des bras. Et vous, vous ne pouviez pas l'en empêcher ? s'écria-t-elle en direction des orcs qui l'accompagnait.
  • Peuh ! Si tu crois pouvoir l'en empêcher, essaie toi-même ! cracha le chef du groupe. Elle a essayé de me mordre quand j'ai voulu les lui reprendre !
  • Ta gueule est trois fois plus grande et dentelée que la sienne ! rétorqua Serah. Tu aurais pu...
  • C'est la tienne que tu devrais fermer ! grogna-t-il en s'éloignant d'elle.


Encore furibonde, Serah le foudroya du regard, puis se tourna vers Keera :

  • Va te reposer, si tu ne veux pas que le chef te sermonne lui aussi !
  • Tu t'inquiètes trop, fit Keera, contrariée.
  • Ogol t'a préparé une nouvelle peau pour ta couche, ajouta Serah qui connaissait le penchant de son amie pour les duvets d'animaux.


Les yeux brillants, Keera pivota, et Serah la regarda se diriger vers sa tente, satisfaite.

Traversant le camp à vive allure, la princesse entendit une voix gronder derrière elle :

  • Tu éprouves mes guerriers à résister ainsi ! annonça Durotan


La princesse s'immobilisa, et se tourna vers le chef orc qui la rejoignait.

  • Ce n'était pas mon intention, Durotan. Mais je connais mes limites, et je n'aime pas qu'on me dise ce que je dois faire.
  • Ne prends pas notre sollicitude pour un ordre, Keera, ou même de la pitié ! Nous nous préoccupons de notre prochain. Ceci est notre doctrine, et notre façon de survivre. L'entraide.
  • Oui je... je vous en suis infiniment reconnaissante, le rassura-t-elle. Vous êtes tous si prévenants, et je ne prends pas cela pour de la pitié.
  • Alors accepte notre bienveillance. Tu nous aides et tu fais tes preuves, ne crains rien, nous ne te renverrons pas Keera, si c'est ça qui t'inquiétait.
  • Non, ça ne m'inquiétait pas, fit-elle en souriant.
  • Alors quel est le problème ?


Keera comprenait maintenant d'où Thrall tenait sa bienveillance, et surtout sa perspicacité. Cet orc, que son clan suivait par loyauté et conviction, était à sa manière doux et attentionné. Tel qu'Orgrim lui avait décrit, un orc au grand cœur, pur et honorable.

Un orc qui ne méritait pas qu'elle lui mente.


  • Tu sais Durotan, cet enfant...
  • Tu n'en voulais pas, fit l'orc pour terminer sa phrase.
  • C'est plus compliqué que ça, en réalité. (il l'examina, l'invitant à poursuivre) Cet enfant, il n'est pas le fruit de ma relation avec mon compagnon.


Son expression honteuse en témoignait. Durotan fronça les sourcils, et Keera craignait qu'il ne la juge pour une telle trahison. Elle ajouta donc :

  • Ce qu'il s'est passé, cette nuit-là, je n'en ai aucun souvenir. J'avais trop bu, et quelqu'un a dû en profiter pour...
  • Pour te déshonorer ! grogna Durotan, outré devant de telles pratiques. C'est donc la raison pour laquelle tu ne sembles pas prendre soin de cet enfant !
  • En fait, je sais que rien de tout cela n'est sa faute. Il n'est coupable de rien, Durotan. Mais... je n'arrive pas à... (son regard devint triste) Je n'arrive pas à l'aimer, fit-elle abattue.


Mortifiée par ses propres mots, Keera baissa la tête. Il était clair qu'elle ne détestait pas cet enfant. Mais rien en elle ne se déclenchait. Pas d'attachement, ni d'inquiétude, ni l'amour auquel avait droit ce petit être.

Le désarroi de la princesse toucha Durotan. Une telle amertume alors qu'elle portait la vie n'était pas tolérable. Il avait bien compris qu'aucune malice ni aucune malveillance n'habitait cette femme. De plus, son clan commençait à l'adopter et à s'habituer à sa présence.


Il l'approcha alors, l'épaula, et dit :

  • L'Esprit du loup te protège, Keera. Cet enfant a peut-être été conçu malgré toi, mais il sera ton enfant, ton bien le plus précieux. Et à ses yeux, tu seras son monde.


Les yeux brillants de larmes qu'elle refusait de laisser couler, la princesse ferma les yeux, et laissa les sages paroles du chef des Loup-de-givre pénétrer son cœur, et son âme.


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Des nouvelles inquiétantes étaient parvenues jusqu'à Wor'gol. Ces derniers temps, plusieurs groupes de chasseurs ne revenaient pas, et les Sire-tonnerre étaient plus actifs que jamais.

Ga'nar, le frère aîné de Durotan, avait récemment été vu au sud du Ravin des Crocs-Lames. Et Keera était bien décidée à lui faire entendre raison afin qu'il rallie son frère et les Loup-de-givre.

Si les informateurs loup-de-givre ne s'étaient pas trompés, ils les croiseraient sur la route entre

l'Avant-poste Crocs de pierres et Wor'gol.


Cependant, Keera se heurta à quelques résistances :

  • Tu ne dois plus quitter le camp, ma sœur ! avait argué Serah, inquiète pour Keera.
  • Nous irons sans toi, Keera ! annonça Durotan sur un ton qui ne tolérait aucune contestation.
  • Si je peux encore chasser, je peux chevaucher dans la Crête ! se défendit la princesse qui se levait péniblement d'un chariot sur lequel elle était assise.
  • Et mettre ton enfant en danger ? s'offusqua Durotan.
  • Là où il est, il est en sécurité, fit Keera qui se redressa.
  • Je te l'interdit ! grogna le chef des Loup-de-givre qui était rejoint par sa compagne.
  • Durotan, c'est moi qui vais accompagner Keera et les autres pour trouver Ga'nar !
  • Tu... mais... il n'en est pas question ! maugréa-t-il avec force alors que les deux femelles s'éloignaient. Draka, tu dois obéissance à ton compagnon !
  • Tu ne m'aurais pas choisie si tu pensais que j'étais ce genre de femelle, lança-t-elle en poursuivant sa route.


Durotan les suivit de son regard noir, très vite suivi par un long grognement. Un vent de sagesse le rejoint alors, et posa une main sur l'épaule de son chef.

  • Ces deux-là se sont bien trouvées ! avoua le chaman.
  • Draka est déjà un défi à elle seule, mais je pourrais jurer que Keera a des Ancêtres orcs !
  • Mais c'est ce que tu aimes chez Draka, n'est-ce pas ?


Drek'Thar était évidemment dans le vrai. Draka était une femelle farouche qui n'hésitait pas à le défier. Il aimait ça, et plus que tout, il aimait son esprit vif et mordant, incarné par une force brute et un grand cœur.


Il se demanda alors comment affronter ces deux femelles à la nature sauvage.


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Durotan avait insisté pour qu'un chaman les accompagne. Il pourrait les protéger des tourmentes de neige, et serait prêt à aider Keera en cas de problème.

Le petit groupe contourna le Glacier Interdit, vaste lac gelé qui grouillait de créatures plus ou moins dangereuses, puis se dirigea vers le nord-est. Ils durent également dévier la Tour de Mor'dul, tour de guet ogre qui comptait un certain nombre d'ogres mages, et qui pouvaient se révéler être particulièrement redoutables.


Le sentier choisi les exposait, mais était plus praticable, et les mènerait donc plus rapidement vers leur destination. À mi-chemin, ils s'arrêtèrent pour la nuit dans un abri près de Crâne-de-lave, un immense cratère de roche et de lave où reposait le squelette d'un géant.

Cette place présentait une masure composée de plusieurs couches, ce qui permettrait à Keera de se reposer à l'abri. Elle remarquait d'ailleurs que les Loup-de-givre se préoccupaient de son état, et faisaient preuve d'une solidarité assez surprenante. Pour les orcs, une mère était sacrée.


Néanmoins, Keera refusait tout traitement de faveur, dédaignant par exemple qu'on lui réserve une part de vivre plus conséquente qu'aux autres membres du groupe.

  • Tu dois te nourrir convenablement, ma sœur ! insista Draka qui lui tendait de la viande séchée.
  • Je mange suffisamment, et je marche moins que vous autres, rappela Keera.


Elles se tenaient assise autour d'un braseros, à l'intérieur de la masure. Deux autres Loup-de-givre entraient et sortaient, se préparant pour la nuit. Des tentes avaient été tirés à l'extérieur également, et Keera avait oublié combien le clan était habitué au climat rude de la Crête. Elle se détendit donc légèrement, et en profita pour questionner sa nouvelle amie.


  • Durotan refuse de rejoindre la Horde de Fer. Pourtant, cela mettrait son clan à l'abri en s'alliant aux autres clans !
  • C'est vrai, mais nous ne serons jamais en faveur de la guerre ! expliqua Draka. C'est ce qui différencie mon bien-aimé de ses frères. Fenris est parti il y a longtemps, après de nombreux désaccords avec leur père. Ga'nar, quant à lui, ne jure que par la vengeance, et traquera les Sire-tonnerre jusqu'à la mort. C'est leur chef qui a tué Garad, leur père.
  • Et c'est pour cela que Garad a désigné Durotan, son plus jeune fils, comme son héritier, en déduit la princesse.
  • Oui, Durotan aussi pense qu'il est plus important de préserver des vies en se montrant solidaires qu'en se battant. Il n'en est pas moins fort et brave, rappela Draka fièrement. Dans le cas contraire, je ne l'aurais jamais choisi comme compagnon !


La force de caractère de cette femelle était légendaire. Et Keera le réalisait d'autant plus qu'elle l'admirait pour toutes ses qualités. Elle se souvenait qu'Orgrim lui avait avoué que Draka était la seule femelle orque assez séduisante pour l'envisager. Mais elle était d'un autre clan que le sien, et il ne lui portait pas plus d'attention que son ami Durotan, qui bavait à sa simple vue.

Prise de nostalgie, Keera ajouta :


  • Il est vrai que Durotan est assez unique. Il paraît qu'il s'est lié d'amitié avec Orgrim Marteau-du-destin du clan Rochenoire.
  • C'est vrai, admit Draka. Durotan et Orgrim sont comme des frères. Et Orgrim est un orc puissant et honorable. (son visage s'assombrit) C'est pourquoi nous ne comprenons pas ce qui l'a poussé à venir jusqu'ici pour essayer de nous convaincre de rallier la Horde de Fer. !


Également surprise par cette nouvelle, Keera l'interrogea :

  • Ne penses-tu pas qu'il ne fait qu'obéir à son chef de clan, et qu'il ne cautionne pas du tout ce qu'il se passe ?
  • Non ma sœur, il est d'accord avec son chef, ce méprisant Main-noire ! cracha-t-elle. Il disait croire au récit de Grommash Hurlenfer, à propos d'un futur où nous serions devenus des esclaves de démons qui nous auraient soumis ! Nous ne pouvions croire à cela...
  • Mais cela a failli arriver, et ils ont capturé Gul'dan et tué le démon, exposa la princesse.
  • En effet, et maintenant, cette Horde revendique d'autres mondes à conquérir. Et Orgrim continue de les suivre ! fit-elle en grimaçant.


Abasourdie par ces faits, Keera ne pouvait y croire. Elle savait que celui qu'elle avait connu suivait son chef et conspirait secrètement contre lui. C'était peut-être encore le cas dans ce passé alternatif. Mais cela, elle ne pouvait le dire à Draka. Orgrim avait sûrement un plan en tête, et garderait la tête froide quant aux événements. Elle en était sûre.


Cependant, cela l'inquiétait d'autant plus que Durotan n'entendait pas rallier les draeneï. Et, bien qu'il arrivait à certains clans orcs de commercer avec eux, ils ne leur faisaient pas confiance au point de s'allier à eux contre leurs propres frères.

Mais Keera ne s'avouait pas vaincue, et continuerait de défendre sa cause auprès du chef des Loup-de-givre quoi qu'il arrive.


Tout en manipulant le cristal que le jeune Caleb lui avait offert, elle caressa nonchalamment son ventre. Sentant l'enfant bouger, elle posa instinctivement la pierre sur son ventre, comme s'il avait réagi à sa présence. Comme s'il savait que le cristal le protégeait.


  • Lorsqu'il sera né, je percerai ce cristal et j'en ferai un collier pour ton enfant.


Keera leva la tête vers l'orque. Contre toute attente, la proposition l'avait émue. Et bien qu'elle ne pensât pas à son enfant de cette façon, elle fut profondément touchée par cette attention.


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Au petit jour, la troupe passa les Tranchantes, une série de rochers volcaniques menant au volcan, puis au site où Ga'nar avait été aperçu, surveillant les Sire-tonnerre du haut de son perchoir.

La traversée leur prit la journée, et la pente, longue et raide, avait demandé les dernières forces de Keera.

Appuyée contre son loup, elle humait les vapeurs chaudes qui émanaient de la lave. Une fois au sommet des Tranchantes, aucun orc n'était en vue.


  • Ils devraient être là, affirma un des Loup-de-givre qui regardait alentours.
  • Ils ont peut-être lancé l'assaut sur les Sire-tonnerre ! fit le chaman qui désigna le bord de montagne plus au nord.
  • Ou peut-être sont-ils morts ! proposa un Sire-tonnerre qui égorgea l'un des guerriers.


Plusieurs embusqués Sire-tonnerre apparurent, tandis que Draka bondit sur celui qui avait égorgé le loup-de-givre. Elle lui taillada le torse de ses dagues et sortit sa hache pour éventrer celui qui la ruait. Les autres Loup-de-givre se défendaient tout aussi bien, et Keera put compter sur Nosh'ka pour la défendre. Elle se montra toutefois farouche, et dégaina son arme qui servit à occire un Sire-tonnerre arrivé derrière elle. Et alors qu'elle reculait, la surface givrée la fit trébucher, et elle se retrouva à terre.


Son loup géant chargea deux guerriers ennemis, tandis qu'elle para un violent coup de masse tant bien que mal. L'orc qui la recouvrait de toute sa hauteur s'apprêtait à asséner un second coup, qui fut contré par deux énormes haches. L'orc qui se tenait au-dessus d'elle hacha menu le Sire-tonnerre dans un cri de guerre assourdissant.


  • Lok'tar ! Massacrez-moi ces foutus Sire-tonnerre ! s'écria l'orc qui semblait mener la troupe.


Les combats furent impressionnants. Keera observait ces autres Loup-de-givre, car ils portaient les mêmes couleurs, se battre avec fougue et précision. De véritables guerriers qui se coordonnèrent avec la troupe de Draka.

Lorsqu’il ne resta plus aucun Sire-tonnerre, la compagne de Durotan s'avança vers le meneur qui avait sauvé la vie de Keera.


  • Nous te cherchions, Ga'nar !
  • Qui est cette étrangère ? demanda-t-il en désignant la princesse de la tête.
  • Elle est notre alliée, et vient de loin, précisa Draka qui examinait l'état de son amie.


Elle attendit que Keera les rejoigne pour la présenter :

  • Voici Keera, et son loup Nosh'ka. Keera, je te présente Ga'nar, le frère aîné de Durotan.
  • Throm'ka, Ga'nar ! fit la princesse.
  • Throm'ka, jeune étrangère ! répondit Ga'nar. Tu sembles maîtriser notre langue.
  • Elle a longtemps vécu parmi les orcs de sa contrée, ajouta Draka devant le regard intrigué de l'orc.
  • Je te remercie de m'avoir sauvée, Ga'nar, fit Keera.
  • J'ai du mal à croire que Durotan compte sur des femmes sur le point de mettre bas pour défendre le clan ! Est-il désespéré à ce point ?
  • Il a protesté, évidemment, expliqua Keera. Mais...
  • Mais il n'a pas à décider des faits et gestes de notre invitée ! coupa Draka.


Ga'nar reconnaissait bien là le caractère implacable de la compagne de son cadet.

  • Et tu disais que vous me cherchiez, Draka ?
  • Il faut s'unir, Ga'nar ! La Horde de Fer grandit, et commence à envoyer des guerriers de tous clans pour nous soumettre !
  • Et alors, nous les recevrons à la manière du clan ! affirma Ga'nar. Mais pour l'heure, seulement un fils du Loup-de-Fer est mort. Et je suis sur le point de débusquer le second !
  • La vengeance ne t'apportera que la mort ! s'exclama Keera. Tu devrais écouter ton frère !
  • Serais-tu un prophète, étrangère ? se moqua Ga'nar.
  • Je suis juste logique, insista la princesse. Vous allez crouler sous le nombre si vous ne vous unissez pas !
  • Et dis-moi pourquoi j'écouterais une étrangère davantage que mon propre sang ? l'interrogea-t-il en se penchant sur elle. Crois-tu pouvoir me convaincre avec des paroles, femme ?
  • Keera, rectifia-t-elle en levant le menton.
  • Bien, Keera, reprit Ga'nar. Tu es venue jusqu'ici, avec ton avorton dans les entrailles, pour aider les Loup-de-givre. Je t'admire pour ça. Mais tu as perdu ton temps, et ton souffle ! fit-il en la voyant reprendre sa respiration. Tu te mets inutilement en danger, et Durotan est inconscient de t'avoir laissée venir jusqu'ici !


Il pivota pour rejoindre les siens, puis ajouta :

  • Rentrez chez vous, mes frères !


Keera fulmina à l'idée qu'il puisse faire passer sa vengeance avant son clan. Refusant d'en rester là, elle ramassa un bout de roche et le lui envoya dans le dos. Aux prises avec ses émotions amplifiées par son état, elle attendit qu'il se retourne. La troupe qui l'accompagnait fut choquée par son geste, et observa Ga'nar se retourner lentement, un regard noir et les babines retroussées. Keera, qui le défiait du regard, l'examinait, tandis qu'il marchait à grandes foulées vers elle. Draka se tendit, et resta alerte, le regard oscillant entre l'un et l'autre.


Une fois à sa hauteur, il la toisa, et grogna bruyamment.

  • Tu es inconsciente, ou folle à lier si tu penses pouvoir me défier !


Ga'nar était en effet connu pour être le meilleur guerrier du clan. Ses haut-faits en combat le précédaient, tout comme sa fougue et sa détermination étaient légendaires. Mais dans ces domaines, Keera n'était pas en reste.


  • En temps normal, je t'aurais défié en Mak'gora et j'aurais gagné le combat pour t'obliger à nous suivre ! rétorqua la princesse. Mais le temps nous est compté, tu dois entendre raison et défendre les tiens aux côtés de ton frère !
  • Je ne le reconnais pas comme notre chef ! cracha-t-il. Il est faible, et je maintiens que nous devons venger notre père avant tout !
  • C'est moi qui vais te défier si tu continues tes insinuations ! intervint Draka furibonde.
  • Tu te trompes, Ga'nar ! fit Keera qui réprima une vive douleur au ventre. Je ...


Elle se tordit de douleur, alors que Draka l'entoura de son bras.

  • Le petit va arriver ! s'écria le chaman en voyant du liquide couler le long des cuisses de la princesse. Nous devons la mettre en lieu sûr.
  • Là-haut, il y a un creux où vous pourrez vous abriter, fit Ga'nar qui tenait Keera par le bras. Makor, allume un feu, et donne-leur des peaux !


Le guerrier s'exécuta, pendant que le reste des Loup-de-givre emmena Keera plus haut vers le creux qui formait une grotte de fortune.


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Bien que les crampes au niveau de son ventre s'amplifiaient et devenaient plus régulières, Keera refusa qu'on la transporte à bras. Elle se laissa cependant installer sur la couche de peaux prêtée par les guerriers de Ga'nar, qui scrutait les environs à la recherche d'ennemis embusqués.

Draka soutenait Keera et humidifiait son visage à l'aide d'un tissu, pendant que le chaman la déshabillait pour la recouvrir d'une cape, et la plaçait dans une position optimale pour accueillir l'enfant.


  • Place-toi sur tes genoux, ce sera moins douloureux, conseilla-t-il. Là, respire et commence à pousser.
  • Ffiuu, je compte bien retrouver celui qui m'a mise dans cet état et l'écorcher à mains nues ! pesta Keera.
  • Hin ! Aucun mâle ne pourrait tolérer une telle douleur ! déclara Draka qui regardait son amie réprimer ses cris de douleur. Et tu l'affronte avec courage, ma sœur !
  • Makor, partez en reconnaissance à la base du volcan ! ordonna Ga'nar. Vous deux, surveillez le passage ! grogna-t-il en direction de deux autres guerriers. Personne ne passera ! promit-il en brandissant ses haches.
  • Merci, Ga'nar, fit Draka, reconnaissante.


Toujours émerveillée par tant de solidarité et d’entraide, Keera sourit, et se concentra sur le bébé à naître. Elle avait l'impression qu'il lui broyait les entrailles sur son passage, et qu'il jouait avec ses boyaux.


  • Ne peut-il pas sortir tout seul ? se plaint la princesse.
  • Il arrive, la rassura le chaman qui attrapa le crâne ensanglanté qui pointait.
  • Respire fort Keera, dit Draka qui lui tenait les bras.


Réunissant ses dernières forces, Keera poussa une dernière fois, et hurla, tandis qu'elle entendit un son qui résonna au plus profond de son être. Les cris d'un nouveau-né qui la hantait depuis des années était en train de raviver ses angoisses. Comme émergée d'un profond sommeil, Keera revit le petit corps ensanglanté niché dans le creux de ses mains, la bouche entr'ouverte, inerte. Une vive douleur accompagna cette vision macabre, tandis qu'elle retenait un cri entre ses dents.


Elle fut néanmoins vite sortie de sa torpeur par le tout petit que le chaman posa contre sa poitrine, alors que Draka l'aidait à s'allonger. Le nourrisson lui parut minuscule dans les mains de l'orc, et continuait de crier. Keera l'entoura de ses deux mains, et le petit commença à se calmer. Et tandis qu'elle sentait sa respiration tout contre elle, elle s'apaisa.

Draka la recouvrit de peaux, et Ga'nar jeta un œil vers eux.


  • Il est plus petit que nos enfants, fit-il.
  • Keera n'est pas une orque, ne l'as-tu pas remarqué, Ga'nar ?
  • Peuh ! Bien sûr, je ne suis pas aveugle ! se renfrogna-t-il, à la fois gêné et curieux.
  • Repose-toi ma sœur, fit Draka en caressant le front de Keera. Nous gardons la place en attendant que tu puisses marcher.


Keera sourit, et vit Nosh'ka les rejoindre. Il avait attendu que le petit naisse pour s'approcher, et se mit à renifler le nouveau-né. Il lécha ensuite le sang sur les mains de Keera, puis s'installa tout contre elle. Peu habitué à côtoyer des étrangers, Ga'nar observa cette scène étrange et attendrissante.


  • Laissons-les, Ga'nar, fit Draka en le tirant par le bras. Ils doivent dormir.


L'orc agréa, et suivit la guerrière en jetant un dernier coup d’œil vers Keera.


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Keera découvrit que sa magie curative ne lui était d'aucune aide pour recouvrer ses forces. En fait, elle n'était pas blessée, ni même malade. C'était sans doute la raison pour laquelle elle ne pouvait faire appel à ses pouvoirs.

Les orcs loup-de-givre gardaient la grotte depuis la veille. Elle devait se remettre au plus vite afin de ne pas leur faire courir plus de risques. D'autant que Ga'nar et ses guerriers étaient restés pour veiller sur eux. Ce qui la touchait profondément. Le clan Loup-de-givre était décidément un clan à part. Leur altruisme était bouleversant, et, malgré la situation, Keera se trouvait très chanceuse de se trouver parmi eux.


  • Tu n'as pas froid ? la questionna Draka.
  • Non, tout va bien, répondit Keera qui nourrissait son petit.


Draka s'assit à ses côtés, et observa l'enfant téter le sein de sa mère.

  • Il ne frissonne pas non plus. Il est pourtant à peine couvert ! s'étonna l'orque.
  • C'est qu'il tient de sa mère, lui sourit la princesse.
  • Lui as-tu trouvé un nom ? Étant donné que son père...
  • Étant donné qu'il n'a pas de père tu veux dire, la coupa Keera.
  • Keera, tu sais que tu peux compter sur chaque membre du clan pour être à tes côtés ! affirma Draka. Tu n'es pas là depuis longtemps, mais tu nous as prouvé ta loyauté et ton sens de l'honneur. Tu es notre sœur-louve.


Un surnom qu'elle arborait déjà du temps où elle vivait parmi les Chanteguerre, après la Seconde Guerre. Décidément, elle aurait dû devenir dompteuse de loups.

  • Vous m'honorez déjà de votre amitié et de votre confiance, Draka, reprit Keera. Je ne peux vous demander plus.
  • Tu ne demandes rien, Keera ! Et nous allons veiller sur vous deux.
  • Nous allons devoir poursuivre le combat ! rappela la princesse. Je n'ai pas le temps de me reposer !
  • Pense à ton enfant, Keera ! fit Ga'nar qui venait d'arriver. Tu dois prendre soin de lui !
  • Et je le ferai, mais il ne sera pas en sécurité tant que les Sire-tonnerre seront là à s'en prendre au clan !
  • Ga'nar, fit simplement Draka, le regard inquiet.


L'orc les regarda tour à tour. Ces deux femelles faisaient la paire, assurément. Aussi obstinées l'une que l'autre, il commençait à comprendre que Durotan peinait à avoir le dessus face à ces deux-là. Mais il ne pouvait oublier sa quête de vengeance. C'était une question d'honneur. Et l'honneur importait plus que tout.

Il observa Keera se lever, portant son enfant contre elle, et marcher vers lui.


  • Ga'nar, il sera toujours temps de venger votre père, fit-elle. Alors si tu les considères toujours comme tes frères, tu dois les protéger.


La femelle l'impressionnait. Elle venait de mettre son enfant au monde, son visage était marqué par la fatigue, elle était affaiblie, et pourtant, elle continuait de prôner l'union entre tous. L'esprit du loup l'habitait sans aucun doute.

Cependant, il avait manqué de vigilance. Car il ne vit pas ses guerriers se faire massacrer par une troupe d'orcs aux armes et armures si travaillées que leur identité ne faisait aucun doute.


  • Des Rochenoires !


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Ce fut un carnage. Les guerriers Rochenoires, réputés pour leur hargne au combat, ainsi que pour leurs armes redoutables, décimèrent la plupart des Loup-de-givre. Seuls deux guerriers, un chasseur et le chaman avaient été entravés, et seraient emmenés comme prisonniers de guerre.

Draka et Ga'nar gardaient l'entrée de la grotte, tandis que Keera avait sanglé son tout-petit contre sa poitrine à l'aide d'un tissu, et tenait sa hache.


Mais le pire fut le choc reçu à la découverte de l'orc qui menait la troupe Rochenoire.

  • Si vous vous rendez, il ne vous sera fait aucun mal ! promit Orgrim.
  • Traître ! maugréa Ga'nar. Tu te disais l'ami des Loup-de-givre, leur frère ! Peuh !
  • Mon ami, comment as-tu pu ? demanda Draka, encore sous l'effet de surprise.


Keera, quant à elle, ne se remettait pas de cette volte-face. Les yeux écarquillés, elle caressa instinctivement son enfant lové dans son linge. C'est alors qu'Orgrim l'aperçut derrière Draka.


  • Keera ? Mais qu'est-ce que...
  • Alors comme ça tu t'attaques à tes amis ! fit-elle dégoûtée. On te disait loyal et honorable !
  • J'obéis à mon chef ! précisa Marteau-du-destin qui examina ce qu'elle tenait contre elle. Et toi Keera, que fais-tu parmi eux ? C'est ton enfant ?
  • Je les aide à lutter pour leur survie ! déclara-t-elle avec dédain. Et oui, il s'agit de mon enfant.
  • Elle est plus honorable que nos propres amis ! cracha Ga'nar. C'est pourtant une étrangère !
  • Emmenez-les ! ordonna Orgrim qui ne souhaitait pas leur mort. Et ordonnez à vos loups de rester sages si vous ne voulez pas qu'ils périssent eux aussi !


Ce comportement implacable lui rappelait le jeune Chef de guerre que Keera avait connu. Cependant, elle ne se le rappelait pas aussi cruel envers des loups.

Implicitement, elle demanda à Nosh'ka de ne pas bouger, mais de les suivre de loin. Le loup géant montra tout de même les crocs, et obéit.


Mais le loup semblait être le plus docile du groupe :

  • Lok'tar ! Pour les Loup-de-givre ! hurla Ga'nar qui bondit vers Orgrim.


Marteau-du-destin para le coup de hache de son marteau de guerre, et Ga'nar répliqua si vite qu'il surprit le Rochenoire. Orgrim encaissa un coup de hampe dans les côtes, et grogna en pivotant pour asséner un coup en oblique à son adversaire. Ga'nar esquiva, mais le coup fut suivi d'un poing énorme qui vint s'écraser sur sa mâchoire, sonnant le Loup-de-givre sur le coup.


Projeté à quelques pas, Ga'nar fut emporté par deux guerriers Rochenoires, pendant qu'Orgrim se tourna vers Draka.


  • Par respect pour Durotan, tu peux repartir libre, Draka. Mais nous emmenons le reste de la troupe.
  • Non ! cria-t-elle. Emmène-moi, mais laisse Keera repartir ! Son enfant...
  • Sera bien traité ! la rabroua Orgrim. Je n'ai encore jamais levé l'arme contre un nouveau-né, il me semble ! Et quiconque parmi mes guerriers touchera à cette femme et à son enfant, je lui écrabouille la face à coup de marteau ! fit-il à l'encontre des siens.
  • Non, Orgrim ! Laisse-là partir ! Ne fais pas ça !
  • Draka, tout ira bien, ne t'inquiète pas pour nous, et rentre auprès de Durotan, dit Keera sereinement.
  • Mais Keera... ton enfant ! Et où les emmènes-tu où Orgrim ?
  • Tu n'as pas à t'interposer Draka ! Reste en dehors et pense à ton clan ! Rejoins Durotan, et réfléchissez bien aux conséquences de vos choix !


Il se détourna d'elle, puis s'avança vers Keera.

  • Ne résiste pas, Keera.


De ses deux énormes mains, il saisit Keera par la taille, et la souleva pour la poser sur son loup. Au nom de son enfant, et de la sécurité de Draka qu'il avait épargnée, Keera se montra docile. Pour le moment.

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