The X-Files : Reborn
Mardi 5 novembre 2024 – 7h26
Log Inn Hotel, Bonners Ferry.
Vivian Ferrer, attablée dans la salle du petit-déjeuner du Log Inn Hôtel depuis 7h du matin, grignote distraitement un toast à la confiture d’une main et navigue sur son iPad de l’autre. Plongée sur sa tablette dans ses recherches, elle ne voit pas tout de suite sa collègue, Catherine Gibson, arriver et s’asseoir sur la chaise en face de la sienne :
- « Catherine, bonjour, comment vas-tu ? Tu as passé une bonne nuit ? » dit-elle sans quitter des yeux sa tablette.
- « Mouais, ça peut aller, il fait trop calme ici, je dors toujours mal quand il n’y a pas de bruit. Je suis une femme de la ville, ce sont les bruits des voitures et des sirènes d’ambulance qui me bercent le soir pour m’endormir. Et toi ? » reprend Catherine.
- « Non plus, je n’ai pas arrêté de penser à l’enquête, mon cerveau est en ébullition. D’ailleurs, j’ai eu une idée ce matin en faisant mon footing que j’aimerais partager avec toi ! » répond Vivian qui a enfin levé les yeux de sa tablette.
- « Un footing ? Mais depuis quand es-tu debout ? » s’étonne Catherine.
- « Comme je t’ai dit, j’arrivais pas à dormir, mon cerveau était en fusion, il fallait que je me vide la tête. Donc vers 5h je suis allée faire un footing. »
- « Tu m’épateras toujours Vivian… » dit Catherine autant admirative que légèrement moqueuse.
- « Alors mon idée… » Vivian n’a pas le temps de finir sa phrase que Catherine intervient.
- « Ah non ! Est-ce qu’on peut au moins attendre d’être dans la voiture, histoire de prendre le petit-déjeuner en paix ? Je te l’ai déjà dit des centaines de fois, il faut que tu apprennes à cloisonner Vivian, sinon ce boulot va littéralement te dévorer. »
- « Mais… » tente de continuer Vivian.
- « Non. » rétorque vivement Catherine, un énorme sourire, à peine forcé, accroché à son visage. Elle se lève d’un bond, pour couper court à la conversation et se dirige vers le buffet de l’hôtel.
Le calme s’empare de leur tablée jusqu’à la fin du petit-déjeuner. Vivian respecte le choix de Catherine de ne pas discuter de l'enquête et elle continue leur conversation, sur des sujets plus légers, comme si de rien n’était. Au fond d’elle, Vivian sait que Catherine a raison, elle a plus d’expérience qu’elle, elle a travaillé sur des affaires bien plus complexes et en effet, il faut prendre du recul, il faut cloisonner sa vie professionnelle et sa vie privée sinon on peut vraiment devenir dingue, se couper de tout et de tout le monde. Ce travail, si on ne prend pas garde, peut vraiment prendre toute la place dans une vie.
Arrivée dans la voiture, Vivian ne cache pas son impatience d’enfin partager son idée avec elle. Durant le trajet qui les mène au bureau du shérif, elle explique que les pathologies dont souffrait le garçon sont rares et nécessitent, sans doute, des soins et un suivi médical spécifique. Elle propose donc, dès leur arrivée au bureau, d’appeler le médecin légiste afin qu’il leur fasse la liste complète des médicaments que cet enfant était censé prendre et qu’ensuite il suffirait de faire le tour des pharmacies du coin afin de savoir à qui les pharmaciens ont délivré ce type de médicament. Grâce à la prescription, on aura le nom du patient mais également celui du médecin.
Catherine doit reconnaître que c’est une excellente idée, mais qu’il y a une ombre au tableau. Les pharmaciens, comme les médecins, bénéficient de la protection des données de leur patient. Ils ne peuvent donc pas transmettre ce type d’information sans mandat préalable, même au FBI. C’est son côté avocate maîtrisant les lois qui ressort.
Elles savent toutes les deux qu’il peut se passer jusqu’à 48h avant qu’un mandat ne soit délivré. La procédure est extrêmement cadrée. Il faut d’abord décrire et expliquer le plus précisément possible les raisons pour lesquelles on souhaite un mandat, c’est ce qu’on appelle un « affidavit », qui est une déclaration sous serment justifiant la cause de cette demande. Il faut ensuite déposer cette demande au procureur fédéral de la juridiction. Une fois l’affidavit validé par le procureur, la demande est présentée devant le juge fédéral qui doit également l’approuver. Et pour complexifier les choses, il faudra faire deux demandes, une pour l’état de l’Idaho et l’autre pour l’état du Montana qui n’est qu’à quelques kilomètres de la scène de crime et d’où potentiellement l’enfant pourrait provenir.
Elles décident de tenter de faire accélérer la procédure en demandant à leur directeur adjoint, Patrick Bishop, de faire jouer ses relations. Elles conviennent de l’attribution de chaque tâche. Catherine contactera Bishop et tentera de le convaincre à tout prix de les aider. Elle est plus calme, posée, empathique et parfois même politique, c’est la mieux placée pour cette mission. Pendant ce temps, Vivian rédigera l’affidavit avec les informations qu’elle aura reçues de la part du légiste. Elle est plus à l’aise avec cette partie du travail, plus scolaire et procédurale. Si leur plan fonctionne et avec une grosse dose de chance, elles pourraient avoir le mandat d’ici midi.
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Mardi 5 novembre 2024 – 8h32
Bureau du Shérif, Bonners Ferry.
À peine arrivée au bureau du Shérif, les agents Ferres et Gibson mettent en action le plan élaboré dans la voiture. Une petite heure plus tard, le directeur adjoint a accepté de les aider, Ferrer a contacté le médecin légiste, a reçu la liste des médicaments prescrits pour les pathologies dont souffrait le garçon, et l’affidavit est rédigé et envoyé par mail au procureur et au directeur adjoint. Il leur faut maintenant attendre, et croiser les doigts pour que la procédure s’accélère grâce à l’intervention de Bishop.
Elles demandent ensuite de l’aide au Shérif et à son adjoint afin d’éplucher tous les dossiers de disparation d’enfant, de l’Idaho, du Montana, de Washington et de la Colombie-Britannique. Vu les particularités de l’enfant non identifié dans leur enquête, la tâche ne sera pas compliquée mais longue par le nombre impressionnant de dossiers.
Elles terminent cette tâche vers midi trente, et comme l’avait prédit l’agent Ferrer hier soir, ils n'ont absolument rien trouvé dans les dossiers. Aucun enfant disparu ne correspond à la description du leur. L’agent Gibson a même regardé au-delà des quatre états cités ci-dessus et élargi la recherche à tous les dossiers d’enfants disparus disponibles dans la base de données du FBI. Mais rien non plus de similaire à ce qu’elles rencontrent à Bonners Ferry.
Midi trente et toujours aucune nouvelle concernant l’obtention du mandat. Enfin presque, elles savent juste que la demande a été acceptée par le procureur et attendent maintenant l’avis du juge.
Le Shérif propose de faire une pause déjeuner, ils l’ont tous et toutes bien mérité. Être plongés dans tous ces dossiers d’enfants disparus leur a donné le cafard. L’agent Ferrer, comme d’habitude, indique qu’elle préfère rester au bureau afin de continuer les recherches sur la base de données du FBI. Mais l’agent Gibson l’a convaincue de prendre l’air, ça lui fera le plus grand bien, et n'a pas hésité à lui rappeler la discussion de ce matin, tout en lui faisant un clin d’œil amical. Ferrer acquiesce en souriant.
De retour au bureau vers 13h30, l’agent Ferrer reçoit enfin le coup de téléphone qu’elle attend depuis ce matin, celui du juge qui leur accorde le mandat afin d’aller questionner les pharmaciens du coin. Elle vérifie ensuite sa boîte mail et imprime le mandat, reçu de manière électronique. Pendant ce temps, l’agent Gibson demande au Shérif Dunn de lui faire la liste des pharmacies du comté et à l’adjoint Green celles du comté voisin dans le Montana. Ils connaissent tellement bien les environs qu’ils sont plus fiables que Google Maps. La liste n’est pas très longue, trois pharmacies à Bonners Ferry et ses environs et trois pharmacies dans le comté de Lincoln dans le Montana. Cerise sur le gâteau, il n’y a que 80 km qui séparent les pharmacies les plus éloignées l’une de l’autre. Elles devraient pouvoir faire le tour de ces commerces durant l’après-midi.
Pendant que Ferrer et Gibson quittent le bureau et se dirigent vers leur voiture, le Shérif leur propose de prévenir son homologue de Lincoln afin que celui-ci ne soit pas choqué de voir débarquer des agents du FBI sur son comté.
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Mardi 5 novembre 2024 – 13h53
Centre-ville de Bonners Ferry, Idaho.
Les trois pharmacies dans lesquelles Ferrer et Gibson doivent se rendre se situent toutes dans le centre-ville de Bonners Ferry, ce qui facilite grandement leur tâche. Elles commencent par la plus éloignée du bureau du Shérif, « Medicine Man Bonners Ferry », elles continuent ensuite vers « Safeway Pharmacy » pour terminer par « Kaniksu Community Health Pharmacy ». Les deux premières sont d’énormes drugstores aux allures de supermarchés et sont sans doute celles qui brassent le plus de clients. Dès leur arrivée, elles se présentent, badge à la main, et demandent à parler au responsable du commerce. Dans chaque magasin, une fois les plaques du FBI et le mandat mis sous leurs yeux, les managers des établissements obtempèrent et leur fournissent la liste des patients et de leur prescripteur ayant commandé les médicaments spécifiés dans le mandat, en quelques clics sur leur ordinateur.
Arrivées à la troisième pharmacie, « Kaniksu Community Health Pharmacy », elles remarquent tout de suite que celle-ci est très petite, à taille humaine, plus familiale et à vocation sociale. Comme dans les deux précédentes, elles se présentent à la petite dame d’une septantaine d’année qui est derrière le comptoir. Elles lui montrent leur plaque et leur mandat tout en expliquant le contexte dans lequel s’inscrit leur visite et leur demande. La dame appelle directement son mari, qui est dans le petit laboratoire pharmaceutique à l’arrière. Il arrive derrière le comptoir, regarde attentivement leur plaque, lit avec beaucoup d’attention le mandat délivré par le juge, de petites lunettes de lecture perchées sur le bout de son nez. Après quelques minutes, il lève enfin les yeux vers elles.
- « Je ne peux malheureusement pas vous transmettre les informations demandées, en tout cas, pas dans l’immédiat. Rien n’est informatisé chez nous, ça signifie que mon épouse et moi-même devons chercher manuellement dans les prescriptions, » indique-t-il.
- « Pas de souci, nous comprenons. Afin de vous aider, nous pouvons également regarder nous-même dans les prescriptions que vous avez reçues ces six derniers mois et faire une copie de celles qui correspondent à nos critères ? » propose l’agent Gibson.
- « Hors de question, nous sommes les garants de la protection de la vie privée de nos patients, vous ne pouvez donc pas avoir accès à toutes nos prescriptions pour vos recherches. Le mandat est clair à ce sujet ! » rétorque-t-il.
- « Monsieur, comprenez qu’un enfant est mort et qu’il est notre devoir de l'identifier au plus vite afin de prévenir ses parents et sa famille, » insiste l’agent Ferrer.
- « La loi, c’est la loi, Mesdames, et en tant qu’agents du FBI vous êtes bien placées pour le savoir, » dit-il fermement.
- « Vous avez raison, veuillez nous excuser, nous cherchions juste une solution qui aurait pu vous convenir. Quand pensez-vous que nous pourrions avoir accès aux prescriptions demandées et répondant aux critères du mandat ? » tente d’apaiser l’agent Gibson.
- « Pas avant deux jours, j’en ai peur, » répond-il.
- « DEUX JOURS ! » s’exclame l’agent Ferrer, ne pouvant cacher son étonnement.
- « Très bien, voici mon numéro de téléphone, appelez-moi dès que vous aurez trouvé ce que nous cherchons. » répond l’agent Gibson avec un sourire forcé tout en invitant l’agent Ferrer à partir en lui tenant le bras.
Une fois sorties de la pharmacie, l’agent Ferrer ne peut contenir sa rage.
- « Non mais il se fout de nous ? Deux jours ! Je suis sûre qu’il nous cache quelque chose et que ces deux jours vont lui permettre de temporiser et de supprimer tout ce qui pourra nous aider. »
- « Pas de conclusions hâtives, même si tu as sans doute raison. J’admets que je ne le sens pas ce vieux monsieur. J’ai également l’impression qu’il est au courant de quelque chose mais qu’il ne veut rien nous dire. Mais la vraie question c’est : pourquoi voudrait-il nous cacher quoi que ce soit ? C’est étrange… »
- « On demandera plus d’information à son sujet au Shérif Dunn. Il dit connaître tout le monde dans son comté, il aura peut-être une autre explication sur l’attitude de ce pharmacien. »
Elles prennent ensuite la route vers Libby dans le comté de Lincoln dans le Montana. Là-bas, les trois pharmacies étaient équipées d’un système informatique et elles n’ont eu aucune difficulté à obtenir la liste des patients.
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Mardi 5 novembre 2024 – 18h37
Bureau du Shérif, Bonners Ferry.
À leur retour au bureau du Shérif, il n’y a plus âme qui vive, à part l’adjoint Green qui est de garde ce soir. Les agentes lui posent quelques questions concernant le couple de personnes âgées qui tient la pharmacie Kaniksu. L’adjoint répond qu’il ne les connaît pas bien, mais ils ont en effet la réputation d’être assez antipathiques. Il conclut en leur proposant d’en parler avec le Shérif Dunn demain matin, il saura leur en dire plus.
Elles retournent toutes les deux dans la salle de réunion transformée en bureau d’enquête de fortune. L’agente Gibson s’assied à la table et commence à analyser les listes de patients obtenues dans les pharmacies, pendant que l’agente Ferrer, depuis son ordinateur portable, entre dans la base de données du FBI l’ADN de l’enfant ainsi que la radio de sa dentition, fournie par le légiste, afin de trouver des similitudes dans la banque de données fédérale.
Toutes les deux ressortent bredouilles de leurs recherches. Elles se regardent durant une longue minute, les bras ballants le long de leur chaise, le regard vide et fatigué. Tout à coup, Ferrer se redresse : « J’ai une idée ! »
Elle explique à Gibson qu’elles pourraient faire une recherche dans les archives numériques du FBI, où tous les vieux dossiers papier du début des années 1970 jusqu’à la fin des années 1990 ont été scannés début des années 2000. Avec de bons mots-clés dans le champ de recherche, elles trouveraient peut-être un dossier similaire et ça leur permettrait d’élargir leur horizon, de s’inspirer des techniques d’investigation de l’époque, d’ouvrir d’autres pistes auxquelles elles n’auraient pas pensé, et de donner une nouvelle direction à leur enquête.
L’agente Gibson lui répond qu’au point où elles en sont, elles n’ont rien à perdre de toute façon. Elles s’installent toutes les deux derrière l’ordinateur portable de Ferrer, se connectent aux archives du FBI. Dans le champ de recherche, après quelques échanges entre elles, elles indiquent : enfant, malformations, génétique, consanguinité. Ferrer appuie sur le bouton « rechercher ». La page devient blanche avec en son centre un petit sablier qui se retourne toutes les 2 secondes ainsi qu’une barre de progression, indiquant que la recherche est en cours. Elles restent devant l’ordinateur, comme hypnotisées par l’animation répétitive du sablier et de la barre de progression qui avance, lentement mais sûrement.
Après de longues minutes, ça y est, les archives du FBI révèlent enfin quelque chose. Un dossier, un seul dossier correspondant à leurs critères de recherche. Sur celui-ci, est indiqué le numéro du dossier, l’année 1996 et son intitulé : Famille Peacock. Mais un autre détail attire leur attention, elles n’ont jamais vu un dossier du FBI comme celui-là auparavant. Partout, sur la couverture mais également en filigrane sur chaque page, il est indiqué « X-File ».