Fureur Abyssale
Chapitre 6 : Toutes les voies mènent à la vérité
2485 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 14/12/2025 12:06
Mulder se tenait devant la toile qui représentait le Hrafntönn, dans la petite salle annexe du musée de Greyharbor.
Jo lui avait apporté un café qui, d'après l'odeur et le goût, devait être presque aussi vieux que lui. La tasse fumante en main, le grand brun détaillait minutieusement le tableau du navire norvégien sous l'œil ravi du gardien des lieux. L'atmosphère était feutrée, presque étouffante dans l'alcôve sombre et poussiéreuse, et Fox sentait le poids du regard du Kennebecrawler qui le fixait du haut du mur sur l'antique tapisserie.
L'ancien était quant à lui enchanté de la présence du jeune homme, d'autant que Mulder le mitraillait de questions auxquelles il répondait avec enthousiasme.
Le vieux Jo était une source inépuisable de savoir, et le jeune Agent se félicita d'être revenu sur les lieux pour éclaircir certains points d'ombre en lien avec l'affaire.
Mulder hésita cependant à révéler au vieillard sa découverte macabre de la matinée: le corps mutilé du phoque l'avait bouleversé et il n'arrivait pas à inclure ce nouvel élément au puzzle de l'enquête en cours. Il sentait que c'était important, qu'il y avait un lien direct entre les quatre victimes humaines et cette légende, mais il ne savait pas à quel point il pouvait ce fier au vieil homme.
Mulder s'apprêta finalement ouvrir la bouche pour faire part de sa funeste trouvaille au tenancier, mais le vieillard le devança. Comme doté d'un sixième sens (ou était-ce une sorte de sagesse extrême liée à son grand âge?), le vieux Jo s'approcha tout près de l'Agent du FBI, son visage frippé atteignant à peine l'épaule du jeune homme, ses antiques prunelles fixant intensément le regard vert de Fox.
-Vous avez l'air d'quelqu'un qu'a vu la mort, aujourd'hui... mais pas une mort humaine, non... quequ'chose de plus grossier, d'plus animal...
Mulder eu un léger frisson, celui qui le parcourait toujours quand il sentait qu'il était sur la bonne voie, celle menant à la vérité.
-En effet, comment le savez-vous, Jo?
-Parce que c'est écrit d'puis plus d'cent ans sur c'te toile, mon garçon. R'garde de plus près encore... mes yeux sont plus tout à fait c'qu'ils étaient malgré c'que j'raconte, mais les tiens... jeunes et vifs... r'garde bien...
Mulder dévisagea encore un instant l'antique visage du gardien, puis il reporta à nouveau son attention sur la peinture qu'il connaissait désormais par coeur. Quel autre détail pourrait encore lui révéler la toile jaunie, Fox se le demandait bien.
Et soudain il la vit.
Une petite silhouette grise échouée sur la grève, non loin de l'épave du Hrafntönn. Une petite silhouette animale doté de palmes postérieures, dont le dos semblait griffé de rouge.
-Est-ce que c'est un phoque, Jo?
Pour toute réponse, le vieillard sourit de toute l'absence de ces dents, son visage plus ridé que jamais, ses yeux sombres fixant l'Agent du FBI avec malice.
-Pourquoi, Jo, qu'est ce que ça signifie?, murmura doucement Mulder en détaillant la petite forme peinte sur la toile.
-Ça signifie mon garçon, qu'le Kennebecrawler a faim. Qu'il s'impatiente. Qu'il goutte à c'qui lui tombe sous les crocs en attendant un nouveau sacrifice...
-Un nouveau sacrifice?, demanda vivement Mulder en se tournant vers son interlocuteur.
Ce dernier ne souriait plus, son visage aux rides profondes était redevenu sérieux et ses yeux brillaient d'une intensité particulière, un mélange de certitude absolue... et de peur extrême.
-Les sacrifices, oui... pour calmer son appétit vorace. Pour calmer la fureur d'l'océan. Ils sont liés, ils sont une seule et même entité. L'Kennebecrawler et l'océan, l'océan et l'Kennebecrawler. Et ils exigent des morts pour s'apaiser...
-Jo, qui procède à ces sacrifices, où...
-La légende dit qu'le monstre niche dans les grottes au nord d'la ville, à côté d'l'embouchure du fleuve Kennebec. Pour le qui, j'viens d'te l'dire. Le monstre à faim, il réclame des morts en échange d'un peu d'calme sur les flots ... et il tuera à nouveau. Très bientôt...
-Il a faim mais les corps ne sont pas consommés pourtant, annonça Mulder sur un ton légèrement interrogateur.
-Y'a d'aut'es faim qu'celle-là, mon garçon. L'Kennebecrawler s'nourrit pas d'chair, non. Il prend les âmes et les emportent avec lui au fin fond d'l'eau pour apaiser l'esprit capricieux d'l'océan... v'là la simple vérité.
La sonnerie du cellulaire de Mulder retentit soudain dans la petite pièce feutrée, faisant sursauter les deux hommes. Fox fixait toujours le vieux Jo lorsqu'il décrocha.
-Mulder? C'est moi.
La voix de Scully semblait lointaine et hachurée, et le grand brun eu du mal a saisir ce qu'elle disait.
-Tu as du nouveau, Scully?
-En effet. J'ai accompagné l'équipe médicale à la maison des Collins pour évaluer l'état de santé du jumeau du Sergent et procéder à son éventuelle hospitalisation jusqu'à ce que son frère refasse surface... mais nous n'avons trouvé aucun signe du malade. Pas la moindre trace de matériel médical dans la maison. J'ai prévenu Brody, et je file maintenant au bureau du légiste pour comparer la blessure du phoque que tu as trouvé ce matin à celles des victimes...
-C'est vraiment très étrange. Est-ce que Brody aurait menti sur son Sergent, sur ce soit-disant jumeau?, demanda Mulder.
-Je l'ignore Mulder, et en même temps pourquoi aurait-il menti? Je ne comprends pas plus que toi l'absence du frère malade, mais pour le moment nous devons nous concentrer sur l'enquête afin de retrouver le Sergent Collins vivant. Lui seul pourra nous dire où se trouve son frère de toute façon.
-Tu as raison. J'ai également appris quelques petites choses intéressantes de mon côté. Je vais retourner sur la plage faire quelques... recherches. Surtout ne m'attends pas pour rentrer au motel ce soir.
-Bien Mulder, comme tu veux. Sois prudent.
La communication se coupa, sous les yeux toujours attentifs du vieux Jo. Mulder rangea son cellulaire dans la poche intérieure de sa veste, puis il vida d'une traite le reste de l'infecte café, plus par réflexe que par réelle soif.
-Merci, Jo. Je pense savoir où chercher les réponses sur les morts de nos quatre victimes... et c'est grâce à vous.
Le grand brun rendit la tasse fêlée au gardien, le salua puis sortit du musée, animé par la certitude absolue de savoir exactement où il allait. Le vieillard lui avait ouvert les yeux, le guidant sur la voie du monstre de Greyharbord.
Le vieux Jo quant à lui regarda la haute et élégante silhouette de L'Agent du FBI sortir du musée et disparaître plus loin dans la rue, non sans un pincement au coeur mêlé de tristesse.
L'antique tenancier soupira. Il aimait bien ce petit, avec ses manières des gens de la capitale et ses cravates bizarres (celle du jour était rouge et ornée de petits haricots multicolores). Il l'aimait vraiment bien, il ne lui aurait pas offert un café de sa réserve personnelle sinon, c'était évident. Il l'aimait finalement beaucoup, et il était vraiment désolé de l'envoyer vers une mort certaine aujourd'hui.
***
Dana Scully se tenait penchée au dessus de la petite silhouette du jeune phoque, couchée sur le brancard métallique habituellement réservé aux victimes humaines.
Le Docteur Watson secondait la rouquine dans l'exploration du corps du mammifère, lui tendant des instruments chirurgicaux et prenant des photos pendant que la jeune femme écartait les bords de la longue plaie dorsale.
La morgue était silencieuse et éclairée par la lumière blanche et crue des scialytiques qui n'offrait aucune zone d'ombres aux illusions. L'absence de fenêtre vers l'extérieur modifiait la manière dont le temps s'écoulait, comme s'ils se trouvaient dans une bulle suspendue entre l'espace et le temps.
Les deux médecins travaillaient dans une coordination parfaite, leurs gestes se complétant sans qu'ils n'aient besoin de parler.
C'est agréable d'œuvrer avec un confrère qui à la tête sur les épaules, pour une fois, songea Dana qui appréciait le professionnalisme et le point de vue rationnel et scientifique de Watson.
Mais Mulder aussi est un excellent coéquipier, avec lequel la parole est souvent superflue, lui murmura une autre petite voix au fond d'elle-même.
Scully se rendit soudain compte qu'elle avait souvent été injuste avec son partenaire depuis leur arrivée à Greyharbor. Il avait avancé de nombreuses théories fumeuses, mettant toute en scène le mytique Kennebecrawler, et cela l'avait profondément exaspérée. Mais elle devait admettre que cette dernière victime inattendue portait sur elle la marque du monstre, elle ne pouvait pas le nier. Cette marque n'était pas naturelle, elle en avait la certitude à présent.
-Vous avez trouvé quelque chose de nouveau, Dana?, demanda doucement Watson de sa voix grave.
Scully sursauta et se rendit compte qu'elle tenait son scalpel et son écarteur suspendus dans les airs, à quelques centimètres de la fourrure soyeuse du phoque: ses pensées l'avaient arrêtée en plein mouvement. Un petit frisson lui secoua le bas du dos en entendant son confrère l'appeler par son prénom, sur un ton aussi familier et presque affectueux. Elle sentit le rouge lui monter aux joues et elle se félicita d'avoir la moitié de son visage caché par un masque chirurgical bleu.
-Non, non, John, j'étais juste en train de penser... que si la plaie sur ce phoque n'est pas dûe à des chocs naturels, celles des autres victimes ne le sont peut être pas également...
-Ce qui donnerait raison à votre partenaire, enchaîna le médecin avec une pointe d'amusement dans la voix.
La jolie rousse releva ses yeux azurs vers son confrère, et bien que ce dernier portait un masque comme elle, la jeune femme devinait aisément qu'il lui souriait. Son regard bleu était extrêmement expressif, presque taquin, comme si Watson avait deviné les rapports parfois tendus et les opinions souvent opposés des deux Agents.
-Je dois dire que Mulder avance très souvent des théories... originales qui n'ont rien de scientifique. Nos avis se confrontent très régulièrement à ce sujet..., répondit Dana.
-C'est un mode de fonctionnement... intéressant. Et lequel d'entre vous à le plus souvent raison, en général ?
Dana ne put s'empêcher de rendre son sourire au Docteur Watson, mais avant qu'elle ne puisse lui répondre, les portes battantes de la salle d'autopsie s'ouvrirent a la volée.
-Docteurs, bonsoir.
L'irruption inattendue de Brody mit un terme à l'échange entre les deux médecins. Le Lieutenant avait franchit le seuil comme un coup de vent, et il regardait désormais le corps de l'animal mort avec une expression de peur profonde ancrée sur son visage fatigué. Le policier triturait le holster de son arme plaqué sur sa hanche en un mouvement involontaire qui trahissait le stress profond qui le rongeait de l'intérieur.
-Lieutenant Brody, salua Watson en hochant la tête sans se départir de son sourire.
-Qu'avez-vous appris sur la victime... enfin, sur le... le phoque...?, murmura Brody en continuant de tripoter l'étui de son Glock 17.
-L'animal est mort noyé, comme les victimes humaines, intervint Scully. Les lacérations ont été réalisées en post-mortem immédiat, ce qui reproduit en tout point le schéma des décès précédents. La plaie mesure soixante centimètres de long, et de petits éclats de granit rose ont été retrouvés dans les chairs lacerées. La blessure présente une similitude troublante avec... (Scully hésita un instant) ... avec la silhouette du Kennebecrawler. Ce qui laisse supposer que quelqu'un a tracé sciemment cette marque sur le dos du pauvre animal.
-Quelqu'un ou quelque chose... murmura le Lieutenant dont la main se crispa cette fois violemment autour de son holster, ses doigts tremblants légèrement.
-Lieutenant Brody, est-ce que tout va bien?, demanda Watson qui baissa son masque pour s'adresser au flic.
-Je ne sais pas... je ne comprends pas... ces victimes... Et puis Collins disparu, sûrement mort à l'heure qu'il est... et son jumeau... je l'ai encore vu la semaine dernière, alité et à bout de forces dans leur maison familiale... je ne comprends pas... bredouilla Brody.
Scully pouvait lire dans la gestuelle et le comportement du Lieutenant toute la peur et l'incompréhension qui le tenaillaient. Il ne mentait pas, il était pris dans les chocs successifs de cette enquête troublante et sur les étrangetés concernant son Sergent disparu.
-Collins est certainement sain et sauf, quelque part, rationnalisa la jeune femme. Les victimes ont toutes été retrouvées dès le lendemain de leur disparition. Nous aurions déjà retrouvé un corps si nous suivons la logique implacable de cette affaire. Êtes vous certain que votre Sergent n'a pas pu s'absenter pour emmener son jumeau à l'hôpital, ce qui expliquerait simplement leur absence?
-Non... non, il ne serait pas parti sans en informer le commissariat, sans m'en parler d'abord...
À cet instant, la radio de communication accroché sur le torse du Lieutenant grésilla:
-Lieutenant Brody? Ici l'officier Travis, appela une voix légèrement hachurée dans le système de communication.
-Oui, j'écoute, Travis répondit Brody en appuyant sur le bouton de son talkie.
-La nuit tombe, on stoppe les recherches sur la plage pour aujourd'hui.
Le flic soupira et sembla se ratatiner encore un peu plus à cette nouvelle, devant les yeux des deux médecins qui ne perdaient pas une miette de l'échange.
-Bien reçu, finit-il par répondre, résigné.
-Et heu... Lieutenant?, repris le dénommé Travis d'une voix hésitante.
-Oui?
-Chapman est introuvable. Et le grand type du FBI qui nous a rejoint dans l'après-midi aussi. Ils s'étaient un peu éloignés du centre de nos recherches, vers le nord... je les ai entendu parlé des grottes un peu avant qu'ils ne... disparaissent.
Une chappe de plombs sembla s'abattre soudainement dans la salle d'autopsie, comme si l'air s'était solidifié. Le faible grésillement des scialytiques était le seul son audible dans la petite pièce devenue brusquement silencieuse. Scully sentit un poids lui tomber sur la poitrine tandis que ses doigts se resserrèrent convulsivement autour des instruments chirurgicaux qu'elles tenaient encore entre ses mains.