Mésentente Cordiale II

Chapitre 7 : Ch 7

2017 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/08/2015 20:38

Une fois de retour à l'hacienda, Luz saisit au vol la suggestion de Don Diego d'aller s'allonger une petite heure avant le repas : elle n'aurait pas pensé que ce petit tour au pueblo la fatiguerait autant ! Elle se sentait plutôt bien pourtant au réveil ! Mais sans doute le médecin avait-il raison : elle avait présumé de son état et avait voulu en faire un petit peu trop.

Et puis ces quelques petits verres de Rioja avaient peut-être aussi été de trop… Combien en avait-elle pris, au juste ? Elle se souvint alors d'une parole qu'elle avait entendu Adrien prononcer sur le sujet le bon vin : c'est quand on ne souvient plus combien on en a déjà bu qu'on sait qu'on en a trop bu.

Heureuse de retrouver son lit, Luz se glissa sous les draps et posa avec délectation sa tête un peu lourde sur l'oreiller moelleux. Elle pensa brièvement à la señorita Escalante et à la proposition presque insistante que celle-ci lui avait faite de rester à l'auberge pour le repas et la sieste plutôt que de rentrer à l'hacienda avec Don Diego. Proposition que Luz avait poliment déclinée : comment serait-elle rentrée à l'hacienda après cela, sans faire déranger une fois de plus Don Diego, ou bien l'un des serviteurs ?

En tout cas cette proposition avait paru bien étrange, mais moins encore que l'insistance de la señorita. Oui décidément, cette femme était très étrange : un moment elle vous accueillait avec froideur comme si vous lui aviez personnellement causé quelque tort, et l'instant d'après elle vous traitait en amie et prenait de vous le soin d'une grande sœur attentive…

Hmm… moui, décidément, Luz ne savait sur quel pied danser avec elle, et se demandait lequel de ce deux types de traitement diamétralement opposés elle recevrait d'elle la prochaine fois qu'elle la rencontrerait…

Mais pour l'instant, Luz avait la tête trop lourde ou trop embrumée pour réfléchir à tout cela et bientôt la béatitude d'un néant cotonneux s'empara de son esprit et de son corps.

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Lorsqu'à l'heure du déjeuner une servante alla prévenir Luz que le repas allait être servi, elle trouva celle-ci profondément endormie. Don Alejandro décida donc de la laisser prendre le repos dont elle avait besoin et ordonna qu'on ne la réveillât pas.

Après la sieste, Felipe avait passé une bonne partie de l'après-midi à aider aux écuries, puis de retour dans l'hacienda il avait initialement pensé passer du temps avec Diego qui lui avait annoncé le matin même avoir besoin de son assistance sur une de ses expériences.

Mais depuis son retour du pueblo Diego était très morose et avait à peine décroché trois mots durant le repas. Après la sieste il avait dit qu'il avait besoin de faire une promenade à cheval pour prendre un peu l'air, et lorsque Felipe s'était proposé de l'accompagner, il avait répondu qu'il voulait être un peu seul.

C'était assez inhabituel pour que Felipe s'étonna, et effectivement Diego était bien parti se promener au dos d'Esperanza, contrairement à certaines autres fois où "prendre l'air" impliquait plutôt de faire un tour sur le dos de Tornado.

Don Alejandro venant lui aussi de s'absenter, Felipe errait donc un peu désœuvré dans l'hacienda, vaquant d'une tâche à l'autre, aidant à droite et à gauche lorsque, se souvenant du désir qu'avait exprimé la señorita Alacen d'apprendre des rudiments de langue des signes, il se dit que ce serait une façon comme une autre de tuer le temps sans penser à l'attitude inhabituelle et pour tout dire un peu blessante de Diego.

Ou bien à défaut d'une leçon, peut-être serait-elle partante pour une partie d'échecs ou de dames ?

Arrivé dans le couloir desservant la chambre qu'elle occupait, Felipe s'apprêtait à frapper à sa porte et à attendre qu'elle vint ouvrir – ne pouvant évidemment répondre à l'inévitable "qui est-ce ?" ou "oui, qu'est-ce que c'est ?" qui s'ensuivrait immanquablement, ni même faire mine de l'avoir entendu – lorsqu'atteignant sa chambre il entendit de très réguliers ronflements, d'autant plus légers qu'atténués par les murs et la porte, mais des ronflements tout de même ; il sourit : c'était bien la première fois qu'il entendait une femme ronfler. Puis il rougit un peu à cette pensée : après tout, ce n'était pas comme s'il avait l'habitude de se trouver près d'une femme endormie bien sûr !

Puis, se demandant ce que Diego ferait s'il avait une heure de libre devant lui, Felipe trouva une des réponses possibles à cette question et se dirigea vers la bibliothèque où il prit un livre et s'installa face à la cheminée.

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Lorsqu'elle émergea de son sommeil et se rendit compte qu'elle avait dormi six heures d'affilée sans reparaître auprès de ses gracieux hôtes, Luz se sentit un peu honteuse.

Au cours du souper, Don Alejandro s'était montré aussi charmant et affable que d'habitude, son futur petit-fils également, mais Don Diego quant à lui fut d'humeur plus massacrante que jamais. C'est à peine s'il desserra les dents de tout le repas, et il disparut Dieu seul sait où sitôt sorti de table.

Don Felipe avait fait signe qu'il était fatigué et souhaitait se coucher tôt, mais il partit pourtant non vers les chambres à coucher mais en direction de la bibliothèque.

Don Alejandro avait évoqué le matin même la possibilité que Diego fît visiter à leur invitée les jardins au crépuscule, à l'heure où la température tiédissant, les fleurs exhalent leurs senteurs tout en douceur, se préparant pour la nuit. Mais Don Diego avait dû oublier, car il n'était plus là pour lui servir de guide.

— Oh, ce garçon, vraiment ! maugréa Don Alejandro constatant que son fils faisait faux bond à Luz. Je n'arriverai jamais à savoir ce qui lui passe par la tête !

— Ce n'est rien Don Alejandro, le rassura Luz.

Elle n'avait de toute façon pas spécialement envie de se retrouver en tête à tête avec un Don Diego mal luné qui n'avait manifestement aucun désir ce soir de faire la conversation.

— Tout de même, señorita… Je vous demande pardon pour lui. Mais ce n'est que partie remise, il sera certainement disposé à vous faire les honneurs du jardin demain…

— Oh, mais pourquoi attendre jusque là ? s'exclama Luz. Pourquoi donc ne vous substitueriez-vous pas à votre fils maintenant même ?

Don Alejandro la regarda, un peu surpris. Puis il sourit :

— C'est très aimable à vous señorita, lui répondit-il, d'accorder un peu de votre temps à un vieil homme comme moi. Mais ne préféreriez-vous pas passer du temps entre jeunes gens plutôt qu'avec un vieux monsieur qui risque de vous ennuyer ?

— Vous ne m'ennuyez absolument pas Don Alejandro, répondit-elle, et si je peux me permettre, je vous interdis bien de proférer pareilles billevesées : j'ai connu des personnes d'un âge aussi vénérable que le vôtre et dont la compagnie était bien plus intéressante que celle de bien des jeunes freluquets !

— En ce cas, et si vous ne craignez pas de devoir faire un brin de conversation avec un vieux monsieur qui pourrait être votre père…

Disant ceci, Don Alejandro lui offrit son bras. Elle s'y accrocha – suspendit, presque, afin que son poids ne pesât pas trop sur sa jambe blessée – en lui disant :

— Avec joie Don Alejandro ! Mais pardonnez-moi de n'y avoir pas songé plus tôt : peut-être aviez-vous d'autres obligations ce soir que de me tenir compagnie ! Si c'est le cas, n'hésitez pas à me le dire, je m'en voudrais de vous accaparer…

— Nullement, ma chère enfant, nullement. Venez-donc découvrir notre roseraie, pour commencer…

Et il l'entraîna au dehors.

Après la roseraie, Don Alejandro lui montra le patio où ils s'assirent quelques minutes pour profiter de la fraîcheur et du coucher de soleil. Puis dans l'obscurité grandissante, ils reprirent le chemin vers la porte d'entrée. Lorsqu'ils furent arrivés au niveau de la barrière, Luz crut distinguer quelque chose, au loin, du coin de l'œil. Elle s'arrêta et se tourna vers l'extérieur et le désert qui entourait l'hacienda.

— Qu'y a-t-il ? lui demanda Don Alejandro.

— Je… j'ai cru… il m'avait semblé… Non, rien.

Don Alejandro lui glissa un regard un peu incrédule, appelant à un peu plus de précisions.

— J'avais cru voir une sorte d'ombre bouger, par là-bas. Quelque chose de sombre traverser l'horizon. Très furtivement. Peut-être une chauve-souris. Ou un corbeau.

— Ou un renard… suggéra Don Alejandro comme pour lui-même.

— Non, c'était noir, j'en suis presque certaine. Ou sombre. Pas roux, en tout cas !

Don Alejandro eut un petit sourire sybillin :

— Nous avons parfois une autre sorte de renard, par ici…

Mais il n'ajouta rien de plus éclairant et rentra à l'intérieur de l'hacienda en marmonnant pour lui-même :

— Je me demande bien après quelle sorte de gibier il court, cette fois-ci.

Puis il se retourna vers Luz.

— Venez, ajouta-t-il à son endroit, allons voir si Diego est disposé à nous jouer un petit air de piano, voulez-vous ? Il est excellent pianiste, vous verrez.

— Si nous parvenons à lui mettre la main dessus, voulez-vous dire ! répliqua Luz en riant.

Rassuré de voir que leur invitée semblait ne pas trop se formaliser de l'attitude pourtant à la limite de l'impolitesse de son fils, Don Alejandro la conduisit au salon.

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