La petite voleuse de cookies

Chapitre 12 : C12 : Ohé, ohé, Capitaine abandonné...

3612 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2016 17:07

CHAPITRE XII

HELEN MAGNUS

La voyageuse du futur se hâta de reprendre le chemin de la cave et de ressortir par les portes du cellier, ce qui lui prit quelques minutes. Elle préférait nettement faire un nouveau test de saut temporel à l'extérieur d'une habitation. On n'était jamais trop prudent, elle ne tenait pas à se rematérialiser à moitié dans un mur… Une fois à l'extérieur, elle ferma les portes menant à la cave et s'assura de remettre le verrou en place. Mais quand elle se retourna, elle buta sur l'homme de très belle allure qui, il y avait cinq minutes encore, se trouvait dans le salon et qui la regardait à présent avec un intérêt non dissimulé.

— Docteur Magnus ! Si je m'attendais à vous revoir si tôt et… si brune ! dit-il en soutenant son regard de façon très appuyée.

Helen réprima une petite grimace de frustration. Il fallait qu'elle parte vite si elle ne voulait pas perdre la trace de Worth.

— Je vous prie de m'excuser, je ne suis pas le Docteur Magnus et par malchance très pressée…

Il eut une moue amusée et ne se bougea pas d'un pouce pour la laisser passer.

— Si vous me dites que c'est votre sœur, je vous préviens que cette piètre excuse ne prend plus sur moi…Votre bracelet de téléportation a une date limite ? C'est un vieux modèle sûrement, mais je ne reconnais pas sa technologie…

Elle prit une brève mais profonde inspiration, en se forçant à la patience et à la politesse.

— Votre conversation est très inattendue et fascinante, mais il faut que je vous laisse car je ne peux vraiment pas rester ici…

— Mauvaise date, hein ? fit Jack compatissant, en se croisant les bras. Ça arrive même aux meilleurs...

Helen ne peut s'empêcher de sourire car l'individu avait un charme omniprésent et qu'il la considérait comme s'il trouvait parfaitement normal de voir son blouson de cuir, son jean foncé et ses boots hors de prix et mal taillées pour l'aventure. Sans parler du fait que le mot « téléportation » ne le faisait même pas sourciller.

— Ecoutez, Monsieur je ne sais quoi…

— Jack Harkness… Enfin, actuellement, c'est plutôt Jackson Harker.

— Ecoutez, je dois absolument partir tout de suite car je suis arrivée trop tôt et je n'ai malheureusement pas le temps d'élucider vos propos… euh… anachroniques…

— Pas de problème, répondit Jack. Mais vous me devrez une explication ultérieure.

— Oui, oui, oui je le promets. Pour l'instant, il faut m'excuser mais je dois vraiment filer… !

Jack plissa les yeux et découvrit ses dents en un sourire très assuré.

— Ne croyez pas avoir trouvé un moyen réellement commode de vous débarrasser de moi... Je vous retrouverai. En plus, vous me devrez un service pour vous avoir avertie des agissements de votre regrettable fiancé…

Elle leva la tête, surprise, mais trop tard : elle avait déjà pressé sur le gros bouton rouge de son bracelet.

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JACK HARKNESS

En rentrant chez lui, Jack reconnut à un infime détail que la porte de sa planque avait été forcée, très proprement au demeurant. Il mettait toujours un petit morceau de papier ou un bouton plat ou ce qu'il trouvait dans l'embrasure avant de refermer. Quand la porte s'ouvrait en son absence, il retrouvait son leurre tombé au sol…

Dans la petite pièce, tout était en ordre pourtant. Seule la pile qu'il avait faite avec la robe, la chemise, le jupon et la perruque de son déguisement improvisé avait disparu, ainsi que les chaussures posées tout près. A la place, nettement repassés, les vêtements qu'il avait la veille au soir étaient posés sous un mot plié en deux, qu'il prit pour le consulter.

« Je suis passée vous rendre vos habits et je vais porter votre déguisement à Jenny Flint pour vous éviter une course ».

Le mot, désespérément factuel, était sobrement signé d'un « Moneypenny ». Même pas une petite allusion au fait qu'ils devaient se revoir, théoriquement, pour mettre l'agresseur hors-jeu.

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Il laissa ses souvenirs de la matinée l'envahir, involontairement. Assez tôt, Jack était allé trouver Clara Oswald. En allant à la taverne où elle travaillait, il avait parlé à une dénommée Rosita qui lui avait révélé où elle habitait. Il n'avait même pas eu besoin de mentir ou d'inventer une excuse. Dire la vérité avait amplement suffi. Certes, Rosita l'avait regardé d'un œil suspicieux et sa lippe dédaigneuse l'avait tout d'abord éconduit. Mais quand il avait commencé à dire qu'il s'était fait agresser en chemin et que c'était la raison pour laquelle il voulait s'excuser d'avoir raté leur rendez-vous, elle s'était laissé fléchir. Il avait su y mettre suffisamment de sincérité.

Quand Clara Oswald lui avait ouvert, pendant un bref instant, la jeune femme avait paru très embarrassée de le voir sur le pas de sa porte. Elle souriait mais elle était, de toute évidence, mal à l'aise. Quand il lui avait demandé pour plaisanter s'il y avait un autre homme avec elle, elle l'avait regardé avec encore un peu plus d'alarme en bafouillant que ce n'était pas vraiment ça. Avec une roseur coupable.

Il l'avait priée de le laisser entrer, arguant qu'il voulait juste s'excuser d'avoir raté leur rendez-vous de la veille et qu'il espérait qu'ils pourraient se revoir quand il reviendrait tout bientôt… Elle s'était mordue la lèvre en acquiesçant plusieurs fois. Quand il était entré dans son minuscule appartement, et s'était penché vers elle dans l'intention de regoûter à ses lèvres douces, il avait arrêté son mouvement et avait enfin compris ce qui se passait réellement. Un petit garçon aux fins cheveux châtains était sorti inopinément de derrière elle, l'oeil curieux et un pouce fourré dans le bec.

Le Capitaine avait mis un genou à terre pour être à la hauteur du bambin de deux ans, ou un peu plus.

— Eh, mais comment t'appelles-tu, toi ?

Le petit retira son pouce un instant de sa bouche et déclara simplement : « Zimmy ».

— C'est ta maman qui est là Jimmy ?

Le petit opina mais ajouta en fronçant les sourcils pour le reprendre :

— Zimmy !

— Ok, ne te vexe pas. Tu veux voir le monde d'en haut comme le voient les grands, Zimmy ? lui avait-il demandé.

Le garçonnet avait acquiescé et Jack l'avait soulevé, le portant sur un bras. Clara les yeux au sol, donnait l'air d'avoir envie de se cacher dans un trou de souris.

— Tu n'voudras plus m'revoir maint'nant qu' tu sais mon s'cret, hein milord ?

Jack lui avait souri en l'entendant parler. S'il y avait un seul détail, mais d'importance, qui permettait de différencier Clara Oswald et Jane Moneypenny, c'était bien l'accent avec lequel elles s'exprimaient !

— Ce serait mal me connaître, avait-il répondu, un peu bravache.

Elle lui avait jeté un regard plein d'espoir et tout de même incrédule. Une part de lui avait eu envie de partir en courant car, d'habitude, c'était ce qu'il faisait quand on lui jetait ce genre d'œillades. Mais cette fois, il avait eu envie de tempérer un peu son intransigeance.

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Plusieurs années après son « réveil » à cet époque victorienne, par une sorte de ridicule accès de romantisme nostalgique mal placé, il avait décidé qu'il y avait bien une personne avec laquelle il aurait sans doute voulu, et dû, s'engager quand il en avait eu l'occasion, et c'était Ianto Jones. Mais ça, c'était avant d'être projeté inopinément dans le passé par la folie de son frère Gray. Jack savait qu'il allait de toute façon recroiser Ianto dans des dizaines d'années. Il savait aussi qu'alors, il arrêterait définitivement de se la jouer patron/employé avec lui.

Cela n'avait pas été simple d'amener le jeune apollon gallois dans son lit. Pas avec ce qui s'était passé avec sa petite amie Lisa. Pas quand il avait endossé le rôle froid qui l'avait conduit à éliminer sans état d'âme la « cyberwoman » qu'elle était devenue, pour la sécurité de tous. Jack avait été entraîné au commandement, et à prendre les décisions qui s'imposaient. Il savait aussi qu'il l'avait terriblement fait souffrir à ce moment-là et qu'il ne méritait pas la sympathie de ce jeune homme passionné, si bien retranché derrière son masque civil et impassible. Parce qu'il s'en était voulu quand même pour cette « réussite » qui avait un âcre arrière-goût de ratage, il s'était petit à petit laissé aller au jeu ambigu et totalement non professionnel, qui consistait à tenter de lui manifester de l'estime en privé pour qu'il se sente mieux intégré à l'équipe, puis à essayer de lui arracher l'esquisse d'un sourire. A réclamer des litres et des litres de son café pour avoir le plaisir d'admirer la vue de son « dos » quand il s'en retournait vaquer à son travail…

C'était entendu : Ianto avait comploté secrètement, leur avait menti, avait hébergé pendant des semaines un hybride cyberman dans la base : c'était de la trahison. Pure et simple. Les autres le condamnaient, lui battaient froid. Pendant ce temps, il devait faire face concrètement au deuil de celle qu'il avait aimée, et pensait-il, probablement très vite de celui de son boulot… A ce moment, la vie du plus jeune membre de son équipe partait à la dérive et en pleine solitude, il s'était accroché malgré tout à celui qu'il aurait dû considérer en toute logique comme son ennemi.

C'était pétri de sentiments contradictoires que le jeune homme avait fini par accepter ses baisers réconfortants, et puis de les lui rendre, de moins en moins timidement. Dans la journée, Jack le voyait quelquefois poser sur lui des yeux incrédules, comme s'il cherchait vainement ce qui chez lui pouvait bien l'amener à éprouver ça. Le plus âgé s'en était toujours senti supérieurement flatté. Il se souvenait encore de leur première fois, non sans éprouver un secret amusement. Ianto avait été à la limite de l'attaque de panique, à l'idée de se laisser toucher par un autre homme... Oh cette fois n'avait pas été excellente, mais pour tout un tas d'autres raisons, elle était vraiment spéciale pour lui.

Quand ils avaient été séparés sans le vouloir, leur relation était encore plus ou moins secrète. Principalement pour épargner la pudeur de Ianto d'ailleurs, car Jack n'avait aucun doute sur le fait que le reste de son équipe soit parfaitement au courant, ou tout au moins ne nourrisse de vigoureux soupçons. Parce que Ianto n'avait pas l'habitude d'être en couple avec un homme, et qu'il était prisonnier des conditionnements dépréciatifs de son époque, Jack avait trouvé bon d'éviter de le brusquer. Il n'avait pas cherché à parler de leur relation, ni à la définir, pour lui laisser l'illusion du contrôle dans la tourmente. Que tout ceci n'était qu'une phase confuse qu'il traversait, parce qu'il était psychologiquement affaibli… Acceptant de passer pour le méchant patron pervers et lubrique qui en avait profité sans vergogne.

Mais Jack savait qu'à la minute où il le reverrait, qu'il doive emprunter la longue route ou un raccourci spatio-temporel salvateur, il ferait tout pour tâcher de vaincre les réticences du jeune gallois à s'afficher avec lui. Et qu'il irait jusqu'à faire sa demande en bonne et due forme.

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D'ici là, il considérait qu'il devait fuir tout attachement sérieux.

Sûr que vu de l'extérieur, ça devait pourtant furieusement ressembler à son comportement inconséquent de toujours… et dont il avait tant de mal à se défaire. Mais comment faire autrement ? De fait, sa mémoire restait celle d'un homme normal et il avait peur d'oublier Ianto si jamais il se laissait aller à aimer d'autres personnes. Deux mille ans de séparation, c'était long. Il pouvait considérer qu'il avait fait le plus gros en ne devenant pas fou dans sa maudite tombe, peut-être parce qu'il n'était pas tout le temps conscient. Il restait quoi… cent trente ans maintenant ? Une peccadille à priori… Clairement, il n'était pas du genre à se priver de sexe pendant aussi longtemps. Pas du tout. Mais être vraiment proche de quelqu'un… ça non.

Si ça devenait trop difficile à vivre, il savait qu'il aurait toujours la ressource de se faire cryogéniser dès que la technologie en serait à ses balbutiements. Pour lui, ça serait suffisant. Il retournerait voir Torchwood. Laisserait des instructions claires pour la version de lui qui allait ultérieurement venir y travailler, et s'endormirait dans une pseudo-mort qui serait certainement plus douce que toutes celles qu'il avait déjà connues, pour attendre hors du monde son nouveau réveil, pile ce fameux jour où Gray l'avait expédié… ad patres.

Pourtant, ce matin dans sa chambrette, il y avait cette fille aux grands yeux bruns, étrangement attirante. Pas parce qu'elle était la plus jolie, mais peut-être parce qu'elle était la plus douce et la plus patiente avec lui. Jack s'était vite rendu compte qu'il impatientait terriblement les gens et que peu arrivaient à le considérer comme quelqu'un de simplement supportable, à force d'arrogante solarité. Il connaissait sa part de responsabilité là-dedans qu'il ne cherchait du reste pas à nier...

Mais elle, la première fois, elle l'avait écouté patiemment avoir le « mal du pays ». Ne lui demandant rien, elle ne s'était pas laissée désarçonner quand il lui avait dit qu'il avait une demande un peu particulière. Au fond, il voulait juste une présence physique réconfortante pour veiller sur son sommeil et l'aider à traverser la nuit. Il lui avait laissé le choix d'être nue ou pas pour dormir contre lui. Lui-même ne se déshabillait pas entièrement. Elle l'avait pris contre son coeur, caressant en silence ses cheveux d'un geste doux et rêveur, presque maternel, pendant qu'il lui racontait ses souvenirs d'enfance – quand Gray ne le détestait pas. Alors, pour tout cela, il avait cru bon au matin de lui témoigner sa gratitude par quelques caresses tendres. Elle avait eu l'air d'apprécier. Juste quelques caresses somme toute superficielles, et avec une femme, est-ce que ça pouvait être considéré comme tromper Ianto ?...

Il voulait croire que non en faisant taire sa sourde culpabilité. Pourquoi n'aurait-il pas eu envie de la revoir quand il reviendrait à Londres ? La pauvre petite avait peur qu'il ne la juge parce qu'elle avait eu un enfant sans être mariée !… Ces époques et leurs invraisemblables codes moraux déprimants ! S'il avait pu, il lui aurait bien dit qu'il était une femme de bien plus mauvaise vie qu'elle ! Mais ça c'était plutôt une blague pour Miss Moneypenny…

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Penser à la troublante et mystérieuse « sœur jumelle » le ramena au présent, lui rappelant le papier qu'il froissait toujours entre ses doigts impatients.

Aussi tentante que fut l'énigme de l'Helen Magnus du futur – si elle avait un dispositif pour voyager dans le temps il devait absolument la retrouver, fut-ce au prix de quelques années de patience – ce n'était pas à elle qu'il pensait. Il espérait douloureusement que ce soir, il pourrait tout de même revoir l'autre piquante et charmante naufragée temporelle, qui l'avait accompagné dans les ruelles dangereuses la nuit passée.

Douloureusement, parce qu'il avait conscience de lui demander beaucoup en voulant qu'elle l'aide à éliminer un meurtrier. Si ce n'était pas fait ce soir, il n'aurait pas d'autre occasion avant plusieurs semaines. Pourrait-il redevenir momentanément ce cruel Agent du Temps qu'il avait été ?... Un chasseur, un tueur expérimenté, un tortionnaire efficace peut-être, s'il n'avait pas le choix. L'homme des missions accomplies sans se poser de questions. Il pensait qu'il n'était plus cet homme aujourd'hui. A l'idée de devoir montrer cette facette de lui à une femme qu'il ne voulait pourtant rien tant qu'impressionner, il se sentait fébrile et bien évidemment un peu excité. Mais à dire vrai, il n'aimait pas ce qu'il avait été. Il ne l'aimait plus. Revoir son ancien acolyte Hart, si humainement détruit, qui lui renvoyait tout ça au visage, juste avant d'être expédié ici, l'avait aidé à comprendre que le chemin qu'il avait parcouru pour s'en éloigner, était irréversible.

Plus il y pensait, plus il était sûr que ça aurait été une erreur de croire que la demoiselle continuerait à le trouver secrètement désirable, si elle le voyait comme un meurtrier lui-même. Pas une fille aussi cérébrale qu'elle, dont les yeux ne s'allumaient plus fort que lorsqu'elle le trouvait « intelligent »… La triste évidence s'imposa à lui. Ce soir, il devrait se trouver seul pour un face-à-face d'un genre particulier et qu'il contemplait sans la moindre envie.

Un tueur contre un tueur. Un Jack contre un autre Jack. Et il devrait gagner.

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