La petite voleuse de cookies

Chapitre 13 : C13 : Dans la peau de l'Eventreur

2841 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:23

Note de l'auteur : il s'agit d'un chapitre interlude en hommage au célèbre dernier membre des Cinq.Dans le prochain chapitre, Clara fait du stop auprès d'un autre Docteur et parvient enfin à rentrer chez elle au 21e siècle...

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CHAPITRE XIII

MONTAGUE JOHN DRUITT

Dans le petit miroir suspendu derrière la porte, John Druitt regarda le visage du meurtrier le plus recherché de tout Londres. Ses cheveux noués en catogan sur la nuque. Ses longs favoris. Son regard bleu hésitant traversé de fulgurances plus sombres. Ses lèvres fines et nerveuses. Son grand menton qui faisait tant rire Helen…

Après s'être un peu rafraichi le visage au petit lave-mains afin d'être impeccable avant de ressortir pour dîner en ville, il se dirigea vers son bureau. Il s'astreignait à le faire chaque soir. Tous les soirs, depuis ce jour maudit où il avait accepté l'injection de Sang. C'était devenu presque une routine.

A un certain moment de l'après-midi, alors qu'il sentait sa conscience commencer à être altérée, il prenait d'abord une dose d'opium. Pour ça, il avait eu la complicité involontaire de son ami Watson. Les migraines de ce dernier et sa tendance de plus en plus obsessionnelle n'étaient calmées que par deux choses : la composition musicale et l'opium. Et en ce qui le concernait, John Druitt voulait bien reconnaître qu'il n'avait aucun talent pour la musique…

Au début, il avait essayé l'alcool mais y avait renoncé très rapidement. En tant que chirurgien, il était trop fier de la sûreté et de la précision de ses gestes. S'il fallait qu'il devienne, en plus, une épave alcoolique aux mains tremblantes, rien que pour endiguer la Créature qui s'emparait de lui, autant se donner la mort tout de suite…

Dans son petit bureau de la Société Royale de Médecine, après sa dose d'opium qui le détendait, il allumait une petite lampe et écrivait tous les jours une lettre à Helen. Si jamais il devait en venir à la pire des extrémités, au moins, elle aurait une explication. C'était presque chaque jour la même lettre, en réalité. Et ce n'était pas aussi idiot que cela en avait l'air ! Il s'y astreignait par esprit scientifique, afin de comparer la façon dont ses pensées et son jugement étaient altérés au fil des jours. Et si lui-même ne pouvait plus s'en rendre compte, ses amis le pourraient certainement et il n'aurait pas fait cela en vain.

Seul l'opiacé venait donc adoucir des mœurs qui échappaient parfois totalement à son contrôle. De plus en plus souvent. De plus en plus longtemps. Jusqu'alors, il restait le témoin passif et horrifié de ce qui prenait possession de lui à certaines heures de la journée. Souvent au plus noir de la nuit, comme si l'absence de jour et de lumière renforçait vraiment la Créature. Il avait mis du temps à l'appeler ainsi car ce n'était pas son genre de croire aux légendes. Mais, il notait et il observait. Les variations de tempérament, les variations de son style. Les bouffées de colère envers Helen… ou envers Tesla.

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Massant sa main à la veinure gonflée et douloureuse où subsistait encore la trace nette d'une morsure bien irritante, il trempa sa plume dans l'encrier et prit une nouvelle feuille vierge.

Tesla. A la base, il aurait dû être celui qui aurait pu l'aider le plus, car comme lui, il avait hérité d'un instinct meurtrier incompressible. Dans le cas du Croate, un instinct même nécessaire à sa survie, puisqu'il devait boire du sang humain… Mais cet élan fraternel pour un compagnon d'infortune était largement battu en brèche par Nikola lui-même, qui voulait ardemment Helen sans doute pour les mêmes raisons que lui. Elle était la seule bonne chose qui restait dans sa vie aujourd'hui, la seule chose qui faisait un peu reculer la barbarie de la Créature.

Quand il avait vu qu'elle s'était spontanément proposée pour trouver un moyen d'aider le physicien sans le sou à survivre malgré ce qu'il était devenu, il avait été transporté par sa bonté et affreusement jaloux à la fois. Il ne voulait pas la perdre mais le craignait fort car sa propre affliction – qui lui semblait bien pire que celle du vampire – le remplissait de honte, quand il en avait conscience.

Officiellement, il avait hérité du plus extraordinaire des talents : c'était un passe-muraille. En s'éclipsant, peu de matériaux naturels lui résistaient : brique, roche, terre (mais pas le plomb) : il pouvait presque tout traverser sans effort et à volonté car il se convertissait en énergie. Et ceci était doublé de la possibilité de le faire aussi entre des lieux géographiquement éloignés. Avec la force, ce talent était la face claire du « Don » du Sang.

Il regarda son encre qui séchait inexorablement au bout de sa plume sans qu'il parvienne à attaquer sa lettre. C'était encore plus dur ce soir.

Parce que la veille… Oh, la veille ! Helen lui avait fait le plus beau des cadeaux ! Ils étaient fiancés depuis plusieurs mois et devaient se marier l'année suivante. Mais alors qu'il allait la quitter pour sa partie de bridge avec Watson, elle l'avait regardé de ses beaux yeux gris et avait dit tout simplement qu'elle ne voulait plus attendre.

Sur le moment, il n'avait pas compris tout de suite. Elle avait argumenté qu'elle n'était plus une jeune femme et qu'elle craignait un peu d'être trop vieille pour avoir des enfants… Au bout de quelques instants où il l'avait écouté débiter son argumentaire clinique, l'information avait fini par faire son chemin quand elle avait prononcé « irrégularités de cycle qui annonçaient peut-être une pré-ménopause ». Il l'avait regardée avec des yeux ronds puis avait ri, ce qui l'avait un peu fâchée. Il avait souligné qu'à 38 ans, elle était trop jeune encore pour n'être plus fertile, ce à quoi elle avait répondu que c'était un âge délicat pour une première grossesse…

A dire la vérité, il aimait vraiment pouvoir discuter de ces choses avec elle sans que ça fasse toute une affaire. Il aimait qu'elle soit médecin comme lui et qu'elle ne se mette pas à rougir à tout bout de champ. Mais ce soir-là quand elle lui avait dit qu'elle voulait être sa femme sans attendre jusqu'à leur mariage, il avait été délicieusement choqué et c'est lui qui avait rougi. Mais pas forcément de timidité.

En lui, l'homme de sciences savait qu'elle avait raison et que leur souhait de fonder une famille pouvait être entravé par la Nature.Toutefois, il était suffisamment prudent – dans son état normal – pour s'inquiéter également de ce que serait le fruit de leur union, étant donné les modifications durables que le Sang avait entraînées chez eux. Il aurait préféré en parler d'abord. Il ne savait que trop bien que ce qui sortirait du ventre d'Helen pouvait être soit un merveilleux petit bébé soit… quelque chose de pire encore que ce qu'il était lui-même. Le monde ne serait-il pas très démuni face à une créature potentiellement encore plus dangereuse que lui ?

Il lui avait présenté ces risques, avec tout le tact dont il était capable et elle avait souri en coin en lui demandant s'il avait vraiment envie d'elle, ce dont elle commençait à douter à voir comme il faisait le difficile… Oh si elle avait su combien il rêvait qu'elle soit enfin sa femme et de connaître avec elle les délices de la vie conjugale ! Si elle savait les rêves qu'il faisait à ce propos ! Elle lui avait désigné le téléphone et avait seulement dit : « Décommandez votre partie avec Watson, dites-lui qu'on vous a fait une meilleure offre… Je serai en haut ».

Le ton sur lequel elle avait dit cela !… Il avait décroché son téléphone en vitesse, présenté ses excuses à son ami et avait rejoint la femme qu'il aimait et qui le faisait tant rêver.

A ce souvenir, John jeta la plume sur la table pour enfouir son visage dans ses mains et y cacher ses larmes. Il n'aurait su dire l'indescriptible bonheur qu'il avait ressenti à découvrir son corps et à la faire sienne. La façon dont elle murmurait son nom tendrement le rendait fou… Mais fou de joie et d'une plénitude merveilleuse qui l'avait saturé… Il s'était endormi auprès d'elle, le nez enfoui dans les blondeurs suaves de sa nuque au parfum capiteux, les bras possessivement enroulés autour d'elle, en pensant que rien ne surpasserait jamais ça…

Et quelques heures plus tard, la Créature l'avait réveillé.

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Cette fois, John avait lutté. Lutté comme jamais !

Il ne supportait plus depuis longtemps la voix chuintante dans son crâne que prenait ordinairement le démon qui le faisait souffrir. Ni ses questions horribles et froidement curieuses sur les organes humains, leur consistance, leur couleur, leur texture ou… leur goût. Et à force de l'entendre, de guerre lasse, il finissait par se retirer profondément pour se mettre à l'abri et tenter de s'en préserver. Mais c'était alors à ce moment que le monstre avait le plein contrôle sur son corps. Là qu'il ne savait plus ce qu'il faisait. Là qu'il commettait des atrocités et se réveillait ahuri, éclaboussé de sang des pieds à la tête…

Lutter contre lui ne lui avait apporté aucune satisfaction, ni aucune amélioration. La Créature avait juste investi son être et l'avait obligé à regarder de ses yeux malfaisants le corps de la femme qu'il aimait et ce qu'elle avait envie de lui faire subir… Dès les premières questions insidieuses sur la tonalité de ses cris s'il tournait et retournait un couteau dans sa chair tendre, John s'était arraché du lit en panique, habillé à la hâte, et s'était éclipsé très loin. Le plus loin qu'il puisse. Car il savait que ce mode de déplacement fatiguait aussi la Créature.

Il avait aussi compris comme un petit triomphe personnel que le don d'amour fait par Helen nuisait au démon dans son essence même. Ce dernier pestait et rageait tout du long qu'il se sentait « sale » et qu'il lui ferait payer durement. John voyait bien que la pulsion de mort et de meurtre était comme émoussée, comme lorsqu'il prenait de l'opium. Qu'il pouvait regarder des femmes dans la rue et se sentir aussi maître de lui qu'à l'ordinaire. Il pensait qu'il avait appris là quelque chose de remarquablement utile qui lui laissait une petite lueur d'espoir pour l'avenir.

Sa soirée lui semblait sauvable jusqu'à ce qu'il ne tombe sur ce couple de femmes aux mœurs douteuses. La petite brune et la grande rousse. En les voyant ensemble, quelque chose était subitement allé tout de suite de travers, alors que tout était parfait jusque-là. Il les avait observées quelques instants et les chuchotis immondes avaient repris de plus belle, tournoyant dans sa tête comme des insectes acharnés sur une carcasse.

La rousse ne lui plaisait pas du tout. Mais ça devait être la moins timide puisque c'était celle qui était venue l'aborder. La voix lui avait dit que c'était une Protectrice. Il n'avait pas compris ce que ça signifiait sur le moment et avait cru qu'elle voulait simplement protéger la brunette de lui… Et las ! Elle en avait bien besoin, d'être protégée…

En se trouvant pressé contre la grande si peu farouche, il avait été arrêté un instant par ses yeux de jade que l'attrait pour la luxure rendait profonds comme des puits sans fond. Il avait vite compris cependant, à sa grande honte qu'elle était dotée d'attributs on ne peut moins féminins ! Quoi que fut réellement cet hermaphrodite, ce ne pouvait être qu'un dément, excité comme un diable et qu'il ne pouvait laisser vivre…

Le dégoût d'avoir pu toucher un homme, même par ignorance, était si fort qu'il en avait perturbé un bref moment l'emprise de la Créature sur lui. Mais quand il l'avait tué ou tuée, quelque chose de bien plus horrible s'était produit : il s'était joint à la Créature dans l'acte de tuer, tant il avait été révulsé. Et rien n'aurait su être pire ! Car au lieu de se servir de cette force et de cette puissance pour tenter de repousser ce qui le possédait, il s'y était allié de son plein gré, annihilant par-là du même coup, tout l'effet profondément bénéfique de l'amour que lui avait prodigué Helen…

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Il reprit sa plume en tremblant un peu et la retrempa dans l'encre pour noter scrupuleusement la date et l'heure dans l'angle droit de la feuille.

« Ma chère Helen » écrivit-il en affermissant sa calligraphie. « Si jamais tu trouves cette lettre, c'est que je ne suis plus de ce monde. Il y a bien des raisons qui pourraient l'expliquer. La première, c'est que dans un ultime accès de courage je me serai donné la mort, la seconde, ce pourrait être que quelqu'un d'autre s'en sera chargé pour moi ».

Il savait bien que se donner la mort était un péché horrible que sa religion condamnait. Personne n'y aurait vu le moindre courage s'il le faisait. Et pourtant, ça n'aurait rien été d'autre qu'un sacrifice qui entraînerait la Créature dans sa propre chute, mettant à l'abri par la même occasion des dizaines d'innocentes.

Intérieurement, il ne pouvait s'empêcher d'espérer que ce serait Watson qui le ferait. Parce que c'était son meilleur ami. A qui demander une telle chose qui requérait tant de compassion et de force morale ? S'il discutait aussi longuement avec lui de l'affaire, c'était sans doute inconsciemment pour cette raison, dans l'espoir qu'il comprendrait et en viendrait à l'arrêter. Hélas, Watson était étonnamment aveugle et, malgré les indices qu'il semait pour lui, ne le soupçonnait pas.

« Ne sois pas triste, mon aimée. Ce soir, j'ajoute à ce courrier un nouveau paragraphe inédit car pour la première fois, tu es plus que jamais mon adorée… Quoi qu'il se passe entre nous, je veux que tu saches que j'ai été profondément touché par ta grâce et par la douceur de ton abandon entre mes bras, que je n'oublierai jamais.

Ces dernières années, nous avons tous vécu très difficilement et j'ai vraiment pris comme une bénédiction le fait que tu veuilles être ma femme et la mère de mes enfants. Je ne me sens pas le mériter mais j'en ai si désespérément besoin… ».

Il réfléchit à la façon dont il pourrait amener la suite de ce qu'il avait à lui dire, et la façon dont il y songeait spontanément, en praticien, lui semblait trop froide. Il s'y résolut quand même, ne sachant s'il aurait jamais une autre occasion, car il s'était fait une devise de ne plus jamais rien remettre au lendemain.

« Je me dois d'évoquer le cas où notre amour aurait déjà porté ses fruits et où je ne trouverais pas la force de t'en convaincre de vive voix. Je veux que tu me promettes d'y réfléchir avec la plus grande mesure… Si jamais tu tombais enceinte, je crois profondément que nous devrions attendre avant de mener à terme la naissance d'un enfant au patrimoine génétique aussi risqué.

Comme tu as probablement hérité de la longévité, je t'implore d'attendre plusieurs dizaines d'années, ce qui me paraîtrait plus sécurisant en termes de progrès et d'avancée de la médecine pour gérer les difficultés que notre enfant pourrait causer dans le monde ».

Cette note finale était bien sombre et il l'espérait vivement, sans totalité prophétique. Il décida d'ajouter quelques lignes.

« Mais ce n'est qu'une simple éventualité, un peu poussée par l'orgueil empressé d'un futur mari déjà si comblé. Ce qui sera sûr par contre, c'est que ce soir, j'emporterai avec moi le souvenir de ta beauté comme le plus précieux des boucliers.Je dois voir Nigel et sans doute mon excellent Watson ensuite, mais je ne penserai probablement qu'à toi.

John ».

Il cacheta la lettre et la posa avec les autres, sur le dessus de la pile, avant de remettre son manteau pour un dîner avec ses amis les plus chers.

Au fond, peu importait ce qui se passerait ce soir. Car chaque nouveau jour était pour lui comme un sursis gagné de haute lutte sur une mort inexorable.

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