La Fuite

Chapitre 2 : Dans la nuque

1989 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/05/2021 19:15

Jour : 16 octobre 2212

Lieu : Europe Unie – Région de l’ancienne France – Prison

 

On m’a assise là, sur une chaise en bois, en attendant que l’officier fasse son rapport. Deux gardes surveillent mes actions, mais je ne fais pas grand-chose. Mon regard balaie la salle. On dirait une salle d’attente, rien ne fait penser à une prison. Les chaises sont disposées le long des murs, il y a des affiches collées sur la peinture jaune délavé. La sensation de malaise ne me quitte pas : je ne le sens pas, ce séjour en prison. Soudain une dame en léger surpoids entre. Sous le bras, elle porte une tenue orange. J’imagine que ce sera la mienne.

- Tu as des affaires personnelles ?

Je n’ose pas parler, comme si le lieu me l’interdisait. La dame s’approche brusquement vers moi et me tâte le corps, sans me demander l’autorisation. Elle retire mes boucles d’oreille, le piercing accroché à mon nez puis ma montre. Mon cœur s’emballe et je ne peux m’empêcher de crier mon refus.

- Bah bien sûr, comme si tu avais le droit de contester, ma poule. Déshabille-toi.

Mon regard s’écarquille et fixe les deux hommes. L’un d’eux prend ma montre, la seule chose de valeur qu’on possédait dans ma famille. La dame en surpoids claque ses mains devant mon visage pour détacher mon regard des hommes.

- Allez ! Ils en ont vu d’autres, des petits culs comme les tiens !

Lentement, je retire mon T-shirt, mes chaussures, mon pantalon. La dame aux paroles crues jette un regard à mes nombreux tatouages, puis lance :

- Ça ne m’étonne pas qu’une fille aussi vulgaire que toi soit là.

- Et c’est moi qui suis vulgaire.

Bien que je pensais avoir marmonné suffisament bas pour qu’elle ne m’entende pas, sa main s’écrase brutalement sur mon visage.

- Toi, ma poule, je ne vais pas te louper, crois-moi ! Allez, enfile ça !

Elle me jette la tenue et tout en tremblant je la revêts. Jamais on ne m’avait giflé, ni même été violent avec moi.

- Bon, maintenant, ma poule, tu vas m’écouter. Ici, c’est la prison. T’es pas chez papa maman. Les horaires, tu les suis. Les ordres, tu y obéis. Les gardes, tu les respectes. Tu te plains, tu gémis, tu pleurniches, tu râles, tu cries, tu te rebelles et tu auras à faire à moi. J’ai vu dans ton dossier que t’étais lesbienne, alors si jamais un jour je te vois en train de baiser avec une autre fille, je te mets chez les hommes. Et crois-moi, ce n’est pas la même chanson là-bas.

Je n’ai pas le temps de réagir à ses paroles que soudain les hommes qui semblaient s’être statufiés avancent vers moi. Chacun d’eux me saisit par un bras et ils me traînent vers l’enfer.

 

En traversant la prison, je vois de nombreuses femmes. La plupart s’appuient nonchalamment sur les barreaux et m’observent de leurs regards vides. Beaucoup de leurs tenues orange sont noircies. Tout à coup, les hommes s’arrêtent devant une cellule. Un numéro est accroché au barreau : 512. Deux femmes sont derrière les grilles.

- Les filles, on vous ramène de la compagnie.

Et ils me jettent dans la cage. Mon regard la parcourt rapidement. L’analyse est rapide, on y trouve que très peu de mobilier. Il n’y a en effet que deux lits, des toilettes, un lavabo. Pas de miroirs, pas d’endroit où je puisse dormir, pas de fenêtre pour voir l’extérieur, pas d’intimité.

J’observe mes deux camarades de cellule. La première a de très courts cheveux gris. Pourtant elle ne fait pas vieille. Un peu plus de mon âge. L’autre ne semble qu’être une fillette. Maximum quinze ans. Elle aussi a les cheveux courts, mais un peu plus longs. C’est elle qui s’approche de moi, me tendant une main.

- Je m’appelle Flora, elle c’est Ada. Elle était là avant moi. Elle est muette. Enfin… Je crois. Je ne l’ai jamais entendu parler. Et toi, t’es qui ?

- Soa.

- T’es là pour quoi ?

- Vol. J’ai pris un an et demi. Et vous deux ?

- Comme je te l’ai dit, tout ce que je sais sur Ada, c’est son prénom, la gardienne me l’a dit. Moi, j’ai tué mon violeur. Sauf que c’était un homme important. Je n’ai même pas eu de procès. J’ai pris dix-huit ans. J’en suis rendue à deux. Je sortirai à 28 ans. Enfin si tout se passe bien…

- Je dors où ? dis-je en ignorant ce que Flora venait de dire.

- T’as qu’à dormir avec moi. C’est ce que je faisais avec celle qui était à ta place. De toute façon tu vas maigrir ici. On a largement de la place pour deux. Mais ce n’est pas le moment de dormir pour toi. Tu vas bientôt être convoquée. Par le chef.

- Pourquoi ?

- Puce, cheveux, interrogatoire, programme…

- Puce ?

- Ah, je vois que j’ai affaire à une opposante. Moi, j’en avais déjà une. Ne t’inquiète pas. Ça n’apporte pas le cancer, comme beaucoup le pensent.

J’ai toujours été contre le puçage. Mon premier chat était pucé. Quand j’étais petite, je regardais toujours le GPS pour savoir où elle se trouvait. Je pouvais même connaitre son humeur et son état de santé. Je ne veux pas qu’on m’analyse comme ça. C’est bien trop privé, bien trop intime.

 

Comme l’avait annoncé la bavarde Flora, deux gardes femmes viennent me chercher. Maintenant je me trouve dans une salle d’infirmerie. L’infirmière me regarde, je suis nue comme un verre.

- Pourquoi avoir autant de tatouages ?

Dans le miroir, je regarde ce que j’appelle mes œuvres d’art. C’est moi qui les ai dessinés. Et c’est Raven qui me les avait tatoués. Raven me manque. Je l’aimais. Et du jour au lendemain elle a disparu. La salamandre non terminée sur mon sein témoigne de son départ brutal il y a neuf mois de cela. Presque tout mon corps est tatoué. Seul mon visage reste vierge de toute encre. Doigts, bras, seins, ventre, dos, fesses, jambes… presque rien n’échappe aux traits noirs parcourant mon corps.

Je continue de m’observer minutieusement, comme si j’avais peur de disparaitre ou de changer, quand soudain un bruit me sort de ma transe. L’infirmière allume la tondeuse à cheveux et s’approche de moi. Je ne bouge pas, je vois cependant les mèches d’un noir de jais tomber sur mes genoux. Elle n’est pas tendre avec moi et je parviens difficilement à maintenir ma tête droite. Dans le miroir, je vois mon visage se décomposer. Je n’aime pas ma nouvelle allure. Je sens même l’air frôler mon crâne. Mes espoirs de vie respectable dans cette prison tombent aussi vite que les courtes mèches qui couvraient mon cuir chevelu.

- Baisse la tête.

Je regarde l’infirmière, interdite. Je sais ce qu’elle veut faire, mais c’est trop pour moi. Qu’on me désinfecte, qu’on me coupe les cheveux autant qu’on le veut, mais la puce me rebute plus que tout. Cependant, je n’ai pas le choix. Je l’enlèverai à ma sortie de prison. Je me le jure. Soumise, je baisse la tête, dévoilant ma nuque. Sans anesthésie, elle ouvre le bas de mon crâne d’un coup de scalpel. Je regarde la puce avant qu’elle la prenne. Elle devient à cet instant ma nouvelle ennemie. Sans même me parler, l’infirmière la fourre à l’intérieur de mon corps. Je réprime un cri de douleur en serrant les dents. Un petit « tic » m’indique qu’elle est connectée. L’infirmière recoud et me demande de me rhabiller.

 

A peine ma tenue mise, un homme entre dans l’infirmerie. C’est un petit homme qui pue l’argent. Littéralement. Son parfum envahit la pièce. Je reconnais l’odeur : Dior. Mon père avait eu une bouteille en cadeau, mais jamais ma famille n’aurait pu en acheter.

- Bonjour ma douce Soa.

De sa main il me frôle le visage. De dégoût, je fais trois pas en arrière.

- Voyons Soa, nous voulons être amis, n’est-ce pas ?

Je ne réponds pas. Je ne le sens pas, cet homme. Mes sens sont en alerte. Face à moi se trouve un serpent et je ne suis qu’une petite souris. Je reste inerte comme le marbre. Voyant que je ne répondrai pas, il souffle et me tend un papier.

- Ton programme. Le même chaque semaine. Peut-être qu’il changera si on remarque que quelque chose ne colle pas. Sois toujours à l’heure.

Mes yeux fixent la feuille. La régularité des horaires m’effraie, mais ce n’est rien en comparaison du contenu.

 

Lundi – Mardi – Jeudi – Vendredi – Samedi – Dimanche :

5h30 : sport

8h30 : douche

9h : repas

9h30 : appel en extérieur

11h : cellule

12h : repas

12h30 : évaluation mentale

13h30 : décriminalisation

16h : cellule

18h : repas

18h30 : cellule

 

La semaine semble être très monotone, cependant le mercredi m’inquiète réellement.

 

Mercredi :

5h30 : point santé

6h30 : examen physique

7h30 : repas

8h : cellule

12h : repas

12h30 : habillage

13h30 : marché

19h : repas

19h30 : cellule

 

Mes yeux se lèvent vers le directeur.

- Une question ? me demande-t-il.

- Que signifie ce marché qui dure plus de quatre heures et demie ?

- Tu verras mercredi, ma douce Soa.

Sa langue passe sur ses lèvres et un frisson me parcourt le corps. C’est alors qu’il claque des doigts, le signal pour les gardes qui reviennent me chercher. Ma pauvre feuille dans la main, je me laisse guider par elles vers la cellule 512. Alors que j’entre, ma puce m’envoie soudain une décharge électrique qui m’extirpe un cri de douleur.

- Qu’est-ce que c’est que ça ?

- Ce n’est rien, tente de me rassurer Flora, ça nous fait ça à toutes. On s’y habitue à force, tu verras.

Mon corps tremble violemment, la cellule disparaît dans un étrange flou, ma respiration se fait haletante. Et soudain le vide.

 

Lorsque je me réveille, les lumières du couloir de la prison ne sont plus allumées. A ma droite, Flora ronfle. Je me redresse, l’esprit encore embrouillé. Ada, elle, est assise sur son lit, m’observant. Je ne parle pas. Des larmes roulent sur mes joues. Et dans le brouillard de mes pleurs, je tente de percevoir son expression. Mais son visage est neutre au parfait. Je ne peux rien distinguer.

- Je voulais juste manger. Je voulais juste que ma mère mange. Et je me retrouve là comme si j’avais commandité un attentat. Un paquet de jambon, trois oranges et un peu de fromage, franchement qu’est-ce que c’est ? A part de quoi sauver ma mère. Ce n’est pas de ma faute ni de la sienne si elle est malade, si ?

Ada m’observe toujours en silence ; Flora, elle, grogne contre mes bavardages. Ma tête retombe sur le lit inconfortable. Demain m’attend ma première journée de prisonnière.

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