Game of Thrones : Fire and Ice.

Chapitre 2 : L'exil du Régicide. (Jaime Lannister)

16184 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/03/2020 04:07

Le vent soufflait continuellement, apportant sa sinistre voix dans les oreilles de Jaime Lannister.

De plus, les bourrasques incessantes faisaient virevolter la neige en tous sens autour de sa personne, et ce, depuis bien avant la survenue des premières lueurs du jour il y avait de cela plusieurs heures auparavant.

Certes, Jaime pouvait relativiser au mieux en affirmant, mentalement tout du moins, que les flocons qui l’assaillaient étaient bien peu épais en comparaison des tempêtes hivernales auxquelles ceux du Nord étaient habitués.

Il n’en demeurait pas moins, si quiconque pouvait se fier à son avis, que la visibilité était assez réduite pour que le fils de Tywin sente monter en lui une colère qu’il dirigea contre les Dieux.

Par ailleurs, la mâchoire crispée par la colère, il n’hésita pas longuement avant de maudire ceux-ci, affirmant au vent qui sifflait, que ces déités cherchaient à lui porter préjudice dans cette longue entreprise qu’il effectuait dès à présent.

À savoir, celle-ci consistait, ni plus ni moins, que de parvenir à gagner cette région précédemment citée.


« Et hostile aux Lannister. »


Il était évident que cette assertion portait le poids d’expériences personnelles pour soulever un tel point.

Reste, le quadragénaire poursuivit son chemin.

Le sol, au terrain ô combien cahoteux qu’il arpentait depuis déjà maints kilomètres et plusieurs journées aussi froides les unes que les autres, disparaissait sous une couverture blanche.

Tout du moins, tel était effectivement le cas si Jaime exceptait le mince sentier sur lequel progressait cahin-caha sa fidèle monture. Assurément, le va-et-vient constant des badauds de tous rangs, mais principalement des gens du commun en quête d’un refuge plus sûr contre le froid en se dirigeant vers le Sud, avait rendu le terrain boueux.

Voire glissant. Le destrier avait failli s’écrouler à maintes reprises et sans les talents équestres de Jaime, le cheval aurait sûrement déjà fini les quatre fers à l’air.


« Et moi avec par la même occasion. »


Et de se représenter dans la foulée une scène coquace qui en aurait, à coup sûr, découler, où Jaime se vit d’un regard extérieur, enfoncé dans la poudreuse blanche, son corps formant un angle bizarre alors que seul son postérieur apparaîtrait toujours aux yeux des gens qui ne manqueraient pas de rire de sa propre déchéance, lui que tous méprisaient depuis des années pour les choix qu’il lui avait fallu faire par le passé.


« Brûlez-les tous ! »


Jaime se secoua mentalement la tête. Il était hors de question de laisser une chance au Roi Fou de lui pourrir l’esprit.


« Je m’arrange très bien pour y parvenir par moi-même. »


Reste, et en quelques simples mots auxquels il eut recours, Jaime ne tarda pas à décrire le chemin comme une chose devenue aussi dangereuse que traître pour ses propres pérégrinations dans ce territoire toujours plus sauvage et toujours plus hostile qui s’offrait à ses prunelles bleues.

De fait, l’évolution du Lannister sur ce terrain étranger s’en trouvait considérablement ralentie.

Un constat qui avait d’autant plus un goût amer en bouche, que le temps autour de lui ne paraissait pas vouloir changer en mieux pour les heures à venir. Pire même, la météo semblait vouloir se dégrader davantage à chaque nouvelle foulée de son destrier.


« Ces maudits Stark, grommela Jaime. Ils n’auraient pas pu avoir l’idée d’établir leur forteresse dans des lieux plus chauds et ensoleillés. »


Comme Dorne par exemple.

Sauf que ces sinistres Nordiens ne pensaient pas au bien-être d’un Jaime qui devait faire contre mauvaise fortune bon cœur et de courber l’échine pour offrir moins d’emprise au froid qui régnait sur les Terres de la Couronne.

Depuis qu’il avait quitté la capitale Port-Réal quelques jours auparavant, Jaime n’avait connu que de trop rares instants de répit au cours desquels il avait pu souffler sans avoir à se préoccuper de déterminer si, oui ou non, il échapperait assez longtemps aux affres de la météo pour ne pas terminer comme un glaçon à forme humaine, vêtu d’une vieille cape usée et d’une armure qui ne payait pas de mine.

Nonobstant, ces moments d’accalmie étaient bien trop peu nombreux à son goût, lui qui était écœuré devant cette poudreuse blanche omniprésente qui camouflait aussi bien les bords du chemin, que les forêts sauvages, ou encore, les patelins qu’il devinait uniquement à la forme étrange des congères et à la fumée qui sortait des cheminées.

Jaime Lannister en venait presque à soupçonner quelques actions de la part de ces Anciens Dieux, ceux que les Nordiens vénéraient toujours — allez comprendre pourquoi — et que ces divinités avaient eu vent de sa « trahison » à l’endroit de sa sœur Cersei.

Un acte de félonie qu’ils désapprouvaient, et qu’ils manifestaient par ces bourrasques de vent. Des assauts répétés qui l’exhortaient à présent à ne pas aller plus loin dans ses pérégrinations solitaires.

Ou peut-être le message des Dieux était-il tout autre, peut-être ces dernier tentaient-ils tout simplement de lui indiquer que non, sa place n’était pas de se trouver à l’orée de ces territoires septentrionaux, qu’il n’avait absolument rien à y faire, et donc, de rebrousser chemin séance tenante.

Une attitude réprobatrice qui pouvait s’expliquer par toutes ses mauvaises actions qu’il avait commises au cours de sa dernière visite à Winterfell, le fief ancestral de la famille Stark.

Jaime secoua mentalement la tête. Il se trouvait ridicule d’en venir à se représenter de tels desseins de la part de forces mystiques qui s’élèveraient au-dessus de l’humanité depuis des temps immémoriaux.


« Je n’ai jamais redouté le moindre Dieu, affirma-t-il tout haut. »


Il observa les cieux couverts de nuages anthracites où, disait-on, ces êtres suprêmes y avaient leur siège permanent.


« Qu’ils soient Anciens ou Nouveaux, je n’ai que faire de ceux-ci. »


Après une fraction de seconde où le silence suivit ses paroles, et que le vent absorba dans ses sifflements stridents, Jaime ajouta de nouveaux mots à ses déclarations, comme s’il tenait à tout prix à défier ouvertement ces idoles supérieures.


« Je n’ai pas peur de vous. »


Les déités, ciblées par la puissance de cette assertion, parurent ne pas perdre une miette de ce discours vindicatif. Elles semblèrent même prendre les paroles de Jaime comme un véritable challenge à leur autorité, puisque voilà qu’une subite bourrasque manqua d’un rien de faire choir le cavalier de son destrier.

Sauf que Jaime n’était pas comme ces pouilleux facilement impressionnables. Non, lui ne sourcilla pas pour si peu. Aussi se contenta-t-il de resserrer sa cape de voyage autour de lui.

L’étoffe, autrefois en laine rouge chatoyante et aux entrelacs d’or, ne repoussait que vaguement le froid ambiant. Et plus Jaime progressait droit devant, plus il prenait conscience de ce qui l’attendait.

C’est-à-dire, des températures qui deviendraient bien plus glaciales que ce à quoi il était déjà confronté depuis son départ de la capitale et du cœur même du royaume.

Malgré une perspective qui allait à l’encontre de ses désirs, il espérait toujours que la neige cesserait bientôt. Effectivement, au rythme où les événements suivaient leur cours, Jaime risquait fortement de se retrouver enseveli des pieds à la tête avant d’avoir atteint une quelconque destination qui aurait pu lui offrir un toit et des murs dans lesquels il se serait volontiers réfugié.

Franchement, qui aurait pu s’imaginer qu’un jour sa destinée le ferait retourner du côté de Winterfell ? Auprès des Stark qui plus est, ainsi que des seigneurs Nordiens, ces individus qui étaient aussi grincheux que taciturnes.

Dans tous les cas, lui moins que quiconque aurait tablé sur une telle éventualité qui l’aurait sans doute bien fait rire à une époque où le poids de la culpabilité ne pesait pas sur sa conscience.

Et certainement pas dans les conditions actuelles qui plus est.

Car voilà ce qu’il était désormais, un homme qui s’était retrouvé dans l’obligation de fuir Port-Réal simplement parce qu’il avait décidé d’honorer un serment prononcé quelque temps auparavant.

Malencontreusement, malgré ses nobles intentions, Jaime Lannister s’en venait en solitaire, et non en compagnie des forces armées qu’il avait promises de mettre à la disposition du Nord dans l’optique de lutter contre les troupes spectrales de ce Roi de la Nuit.

Et un désagréable sentiment l’accaparait dans les moments où il broyait davantage du noir, celui qui lui dictait que ce serait à lui seul qu’on tiendrait rigueur quant à la trahison orchestrée par sa sœur jumelle Cersei, et non directement à cette dernière qui demeurait claquemurée derrière les murs solides et épais du Donjon Rouge.

Parce qu’après tout, en dépit de ses sacrifices, en dépit de ses actions qui se voulaient dictées par le bien commun et non égocentré sur sa propre personne, ne continuait-on pas à distinguer en lui le Régicide ?

Ce sobriquet qui lui collait inexorablement à la peau, et qu’il subissait depuis maintenant de trop nombreuses années.

Jaime pensa alors à tous ces gens, que ceux-ci fussent de haute naissance ou qu’ils fussent du commun, qui s’échinaient pourtant à le lui balancer en pleine figure comme une marque d’infamie dans l’optique de pouvoir le blesser plus sûrement que ne le ferait la lame affûtée d’une flamberge.

Pour tous, il était et resterait cet homme qui avait assassiné le Roi Fou, ainsi que celui, dans les discours tenus à son endroit et qui le représentaient comme étant dépourvu de tous sens de l’honneur, un félon de la pire espèce.

Jaime Lannister devait bien le reconnaître, avec le temps qui passait, il éprouvait un profond ressentiment à l’encontre de cette injustice impersonnelle dont il n’arrivait pas à se dépêtrer, et qui serait sienne jusqu’à ce que son trépas survienne.

Même l’Histoire, celle que comptaient les mestres de la Citadelle, paraissait vouloir retenir qu’un point lorsqu’il était évoqué, celui d’avoir occis en traître Aerys Targaryen.

Pire, il y avait fort à croire qu’il en irait de même pour les générations futures qui ne creuseraient pas davantage les événements survenus, se contentant des « témoignages » des mestres qui se montreraient dans leur discours de « vérité » à la fois les juges, les jurés et les bourreaux des faits et gestes de Jaime Lannister, alors que nombre d’entre eux n’avaient sans doute jamais bougé de la Citadelle.

Mais est-ce que quiconque accepterait de l’écouter narrer sa vraie version, de donner un sens à son geste, de réécrire l’Histoire via des faits concrets et non déformés par le ressentiment de ces hommes de foi à son endroit et à celui, plus large, qu’inspirait la puissante famille Lannister ?


« Si tant est que l’Histoire veuille bien de ma personne. »


Malgré son désir évident d’obtenir justice pour lui-même, comment pourrait-il en aller autrement, tout en sachant que même le Livre des Frères de la Garde Royale ne relatait aucun de ses hauts faits ?

Un point que Joffrey lui-même n’avait pas hésité à souligner avec toute l’autosuffisance qui caractérisait si bien son fils.

Malgré le vent glacial, le timbre rauque de Jaime s’éleva tandis qu’il s’exprimait à voix haute :


« Mon fils. »


Deux simples mots qui avaient été prononcés sur un ton ô combien dédaigneux, tant Jaime peinait à éprouver de l’amour pour ce garçon méprisable, contrairement à ce qui avait pu en être pour Myrcella et, dans une moindre mesure, Tommen.

Toujours est-il que les deux hommes, Jaime et Joffrey donc, ne partageaient qu’une chose en commun, le sang qui coulait dans leurs veines.

Encore que, du temps de son vivant, Joffrey avait ignoré à quel point cette affirmation pouvait s’appliquer, lui qui se croyait être le rejeton de ce ventripotent Robert Baratheon dont la gloire de jadis avait depuis longtemps disparu.

Tout à coup, un air dédaigneux déforma les traits du faciès de Jaime au souvenir de ce roi corpulent bien plus prompt à porter la main aussi bien sur la bouteille que sur Cersei, plutôt que de faire ce pourquoi il avait mené la rébellion contre Aerys II, c’est-à-dire de régner sur Westeros et ses Sept Royaumes.

De toute manière, Jaime l’estimait trop faible pour occuper cette charge qui lui incombait, et ce, alors qu’il se trouvait être à la tête de tout un continent.


« Mais que pouvait-on espérer d’un goinfre qui frappait sa femme, celle qui était censée avoir porté ses enfants, ses héritiers ? »


Oui, Robert lui inspirait une révulsion aussi profonde que celle que sa propre personne inspirait aux Ouestriens et Ouestriennes.

Toujours est-il que rien de plus ne le reliait à Joffrey. Assurément, et de l’avis de beaucoup de monde, cet avorton était l’un des êtres les plus abjects parmi ceux qui s’étaient assis sur le tristement célèbre Trône de Fer.

Lui qui avait été le témoin de bien des scènes, il pouvait reconnaître volontiers ce point. Une réflexion qu’il se garderait pourtant bien de formuler en présence d’une Cersei à l’attitude fort protectrice dès lors qu’il s’agissait de ses enfants.

Un comportement de lionne qui s’était accentuée depuis que la mort était venue prélever chacun d’eux à tour de rôle.

Jaime se secoua mentalement la tête pour en chasser toutes les pensées qui concernaient Joffrey. En lieu et place de quoi, il se recentra sur sa propre personne.

Il n’avait pas l’impression d’avoir failli tant que ça à ses devoirs, à ses obligations, au cours de ces dernières années. Par ailleurs, ses actions tendaient à prouver qu’il était un homme fidèle à ses serments.

Après tout, n’avait-il pas permis à Brienne de Torth de conduire Sansa Stark vers la sécurité à laquelle la jeune femme aspirait, loin des complots de la cour, loin de Cersei et de Joffrey qui la tourmentaient ?

N’avait-il pas tout risqué pour sauver Tyrion d’une exécution qui lui pendait au nez suite à la mort d’Oberyn Martell au cours de ce jugement par combat qui avait échappé à ce Dornien trop prétentieux pour achever son adversaire et qui en avait lui-même payé le prix ultime ?

Jaime n’agissait-il pas dans l’intérêt des siens, quitte à se sacrifier lui-même ?

N’était-ce pas précisément pour cela qu’il se rendait dès à présent en direction du Nord ? De le faire pour affronter les morts et offrir, possiblement, un avenir et la paix à tous les habitants de Westeros.

Ou bien…

Toutes ses actions, tous ses sacrifices comptaient-ils si peu pour les Ouestriens ?

Tout ceci ne pourrait-il jamais effacer l’ardoise qu’il traînait derrière lui ?


« Les choses que je fais par amour. »


Cette phrase résonna en lui sans que Jaime ne s’y attende. Il n’en fut pas moins surpris par le ton employé, ayant la curieuse sensation que c’était un étranger qui venait de s’adresser à sa personne.

Aussi, et pour en avoir le cœur net, Jaime tira sur les rênes de sa monture, la contraignant à un arrêt forcé. Et dans les courts instants qui suivirent, le fils de Tywin regarda le décor environnant, s’échinant à distinguer une silhouette quelconque.

Malgré la tempête en cours, le vent paraissait forcir, Jaime ne distingua pas la moindre forme qui aurait détaché sa forme noire. Il estima donc avoir halluciné en percevant les mots énoncés, vestiges verbaux d’un passé lointain.

Il fallait aussi admettre que, tout Lannister qu’il fût, il avait bien peu dormi au cours de ces derniers jours. Les traits tirés, dévorés par une barbe hirsute et sale, et les cernes visibles sous ses yeux, l’indiquaient bien suffisamment.

Il ne s’en remit pas moins en mouvement, tout en repensant à ces sept mots qu’il avait proclamés longtemps auparavant, tout comme lui revinrent en mémoire les circonstances qui l’avaient poussé à devoir les prononcer.

C’était à Cersei que Jaime avait adressé ces termes, alors que tous deux étaient en présence de l’un des jeunes enfants Stark. Jaime ne parvenait à se remémorer le nom de ce gamin trop curieux, pas plus qu’il n’était en mesure de dire à quoi le petit être pouvait bien ressembler physiquement si ce n’était qu’il arborait une chevelure sombre.

Toujours est-il que le garçon Stark les avait surpris, Cersei et lui, alors que tous les deux étaient occupés à faire l’amour dans les combles de Winterfell. Le frère et la sœur avaient escompté tirer profit de l’absence de la plupart des gens de Winterfell, mais surtout celle du roi Robert Baratheon, mari de Cersei à cette époque, pour se retrouver seul à seule dans un lieu isolé au sein de la forteresse que dirigeait la famille Stark depuis des siècles.


« L’amour, murmura-t-il en écho avec un soudain mépris. »


Dire que le geste qui avait suivi avait été dicté par ce qu’il ressentait pour sa sœur jumelle, par cette peur à l’idée que le môme puisse s’empresser de vouloir les dénoncer Cersei et lui.

Dicté par cette angoisse : la perspective qu’il n’aurait jamais plus la possibilité de partager ces étreintes charnelles qui lui plaisaient tant, ces baisers fougueux qu’ils s’échangeaient, ces moments à deux où Cersei et lui ne faisaient plus qu’un dans l’extase érotique qui résultait de leurs ébats.

Cette femme ô combien parfaite, son double qui l’avait complété depuis leur plus jeune âge et qui, à ses yeux tout du moins, représentait plus qu’il ne pourrait jamais espérer avoir, plus qu’il ne pourrait jamais posséder, plus qu’il n’était en droit de vouloir, de désirer.

Aujourd’hui, la situation avait évolué dans cette relation qui les unissait tous deux. Aurait-il agi ainsi à l’époque en sachant que désormais, Cersei était prête à le sacrifier pour une « trahison » qu’il n’avait commise qu’aux yeux de cette dernière ?

Jaime se surprit à conclure qu’effectivement, il n’aurait changé en rien son geste d’alors, quand bien même en éprouvait-il actuellement une certaine forme de regret.

Après tout, Jaime aimait toujours sa sœur.

Vraiment ?

Même après toutes ces horribles actions qu’elle avait accomplies avant et après être devenue la reine de tout un continent qui la haïssait copieusement ?

Des souvenirs récents affluèrent alors dans l’esprit de Jaime Lannister.

Une poignée de jours auparavant, alors que des cieux s’apprêtaient à survenir les premiers flocons de neige, Cersei avait acquiescé de la tête, signifiant son accord quant à ce que Gregor Clegane, aussi connu sous le surnom de « La Montagne », l’exécutât via sa grande et large claymore, dont le fourreau ceignait perpétuellement sa hanche, battant au rythme de chacune de ses amples foulées.

Bien avant cela, par ses manigances pour se débarrasser d’une floppée de ses ennemis, Cersei avait mené au trépas de leur dernier enfant, Tommen. De ce qu’avait découvert Jaime, le jeune souverain s’était jeté dans le vide suite à la disparition ô combien tragique de Margaery Tyrell.

Cette femme originaire du Bief, qui avait grandi à Hautjardin, dont le garçon s’était tant entiché au point d’en faire sa reine.

Même si pour être foncièrement honnête, Jaime ne doutait point que cette dernière avait usé de ses charmes, de ses courbes voluptueuses, de ses lèvres pulpeuses pour capturer Tommen dans ses insidieux filets, dans sa quête de devenir la femme la plus influente de tout le royaume.

Jaime ne s’attarda guère davantage sur cette partie de l’Histoire de Westeros. Non, il se recentra plutôt ses pensées sur sa jumelle.

Comment pouvait-il continuer à éprouver de tels sentiments pour celle qui était née le même jour que lui, à quelques minutes d’intervalle seulement ?

Pourtant, une part de lui ressentait une profonde rancœur face à la trahison qu’elle lui avait infligée, sans même sourciller le moins du monde, persuadée d’agir dans son bon droit et pour apporter la sécurité à l’enfant qu’elle portait en son sein.


« Je ne suis qu’un idiot, voilà tout. »


C’était là, présentement, une bien piètre justification quant à ses interrogations qui le taraudaient. Et Jaime le savait consciemment.

Quoi qu’il en fût, et dès l’instant où il fermait ses paupières en quête d’un sommeil réparateur qui se refusait à lui, chaque fois lui revenait en tête le mouvement de tête de sa sœur, accompagné peu après par le son caractéristique de l’épée de Clegane qui, dans ses visions, l’extrayait totalement de son fourreau.

Et le songe se terminait immanquablement au moment où le coup fatal lui était porté, le tranchant en deux avec une froideur bien plus glaciale que les pires hivers que le continent avait connus ou ne connaîtrait jamais, Jaime pouvait en jurer.

Au demeurant, le simple fait d’y repenser provoquait en lui une nette augmentation de son rythme cardiaque, et un frisson d’effroi, qui n’avait rien à voir avec le froid ambiant, se mit à lui couler tout le long de son dos.

Certes, dans la réalité, il n’en avait finalement rien été. Nonobstant, Jaime ne pouvait s’empêcher de se demander comment les choses avaient pu atteindre un tel point de non-retour.

Derechef un sentiment d’injustice l’accabla. Et sa mâchoire se crispa sous l’effet de cette colère sourde qu’il éprouvait.


« De tout temps, débuta-t-il, j’ai œuvré en pensant à elle. Et j’ai toujours abondé dans son sens, même lorsque pareil travers me déplaisait. »


Il serra son unique poing, l’autre demeurant toujours aussi rigide en raison de cette main d’or qui remplaçait celle qu’il avait perdue des mains de Locke, un homme à la solde des Bolton.

Or, il n’en avait pas tout à fait terminé d’exprimer ses ressentiments à l’endroit de sa jumelle.


« Et c’est de la sorte que Cersei me remercie ? Qu’elle m’est reconnaissante pour toute cette loyauté dont je lui ai témoignée toutes ces années ? »


Cette fois, ce fut un profond dégoût qui vint envahir toute sa personne, une rancœur centrée sur lui-même et l’homme aveugle qu’il avait toujours été.

Dans le même temps, Jaime perçut l’ardent désir de serrer son autre poing devant ce sentiment de colère et d’injustice qui l’accaparèrent simultanément. Tristement pour lui, l’or n’était pas un métal qui se pliait à la volonté de son porteur, aussi ce n’était donc pas des plus pratiques lorsqu’il escomptait s’adonner à une telle pulsion d’humeur.

Son autre poing se serra donc davantage, et le cuir parut crier suite à cette poigne de fer.

Quoi qu’il en fût, Jaime était persuadé que depuis son départ de Port-Réal, Cersei n’avait pas chômé et avait fait dépêcher des dizaines de corbeaux à tous les capitaines de l’armée.

Le sujet de ces missives était aisé à deviner et avait donc pour thème la soi-disant désertion de Jaime et de ce que ça impliquait : une haute trahison commise vis-à-vis de la couronne.

Aussi, le prétendu félon se questionna-t-il si, oui ou non, il parviendrait tout de même à atteindre la région la plus septentrionale de tout le continent, tout du moins que l’homme civilisé occupait depuis plusieurs générations.

Si le chemin devait se révéler semé d’embûches, rendant de ce fait impossible pour lui de gagner la destination choisie, à quoi Jaime devait-il s’entêter à ce point ?

Toutefois, avait-il réellement d’autres choix que de se rendre sur ce territoire qu’on prétendait aussi vaste que les six autres royaumes réunis ? Un point que Jaime, qui avait étudié bien des cartes, savait que tel n’était pas le cas.

Tout comme il était lucide sur la chose suivante : revenir sur ses pas était exclu.

Il était probable que Cersei se figurât qu’il allait lui réapparaître, la queue entre les jambes, et qu’il entreprendrait de jouer la comédie du repentir et d’illustrer le parfait soldat docile et obéissant.

Oh, Jaime pouvait se rebeller ouvertement en tentant d’affronter la Montagne que lui enverrait sa jumelle. Un combat singulier et à sens unique pour le peu que la perspective du suicide viendrait à lui trotter dans la tête à mesure que les kilomètres qui le séparaient de la capitale iraient en se réduisant.

Car, outre le fait qu’il ne possédait pas la moindre chance face à un adversaire aussi monstrueux qu’il était imposant, Jaime maniait lui-même l’épée uniquement par l’intermédiaire de sa mauvaise main, à savoir la gauche.

Et il risquait surtout de paraître bien ridicule dans l’exercice. Et, indubitablement, il trépasserait avant même d’avoir pu prononcer la moindre parole en guise d’ultimes mots qui auraient pu rester pour la postérité, pour le peu que quelques rhapsodes se fussent trouvés sur place au moment de ce combat.


« Le Manchot et la Montagne. »


Le titre franchit ses lèvres avec un ton désabusé.


« Voilà bien une ode que les bardes pourraient s’amuser à la composer et dont les vers pour témoigner de la bêtise de Ser Jaime Lannister, dit le Régicide. »


Le fait qu’il ne trouvât pas lui-même sa tirade hilarante, l’incita à se concentrer sur les autres options qui pouvaient s’offrir à lui.

L’Est ? Et par ce biais, Jaime entendait non pas les Terres de l’Ouest, mais davantage le continent d’Essos qu’il n’avait jamais miré autrement que par l’intermédiaire des cartes.


« Autant oublier de suite, ma confrontation avec les Dothrakis m’aura suffisamment persuadé que je peux me passer de la compagnie de ces sauvages. »


Ce qui était certes réducteur de catégoriser l’ensemble des peuples différents en se les représentant comme inférieurs aux Ouestriens. Une image donc erronée que Jaime ne parvint pourtant pas à évincer de son esprit.

De plus, son état actuel ferait de lui qu’un simple mendiant des rues qui, un sinistre matin, serait retrouvé égorgé et sans même chercher à lui donner un nom, une identité, serait jeté dans la fosse commune.

Et ce funeste sort il le devrait au fait de ne pas avoir réussi à se défendre à cause de cette fichue main qui lui manquait tant depuis qu’on la lui avait tranchée des années auparavant.

Un membre précieux, qui faisait sa fierté lors de la maîtrise de l’épée et des mêlées. Un membre dont il lui arrivait, aujourd’hui encore, de ressentir la douleur cuisante qui avait suivi le coup délivré par cette lame ô combien effilée.

Quoi d’autres ? L’Ouest, Castral Roc et les castels vassaux des Lannister ? Une perspective si ridicule qu’il en secoua la tête de dépit. Autant aller se livrer directement à Cersei en lui facilitant la tâche.

Ailleurs dans Westeros ? Tout du moins si Jaime exceptait le Nord et les habitants taciturnes avec lesquels il lui faudrait composer ?


« Sûrement pas. »


Les Lannister n’avaient jamais été très appréciés par le commun des mortels. C’était là un point d’autant plus vrai depuis que sa sœur avait accédé au Trône de Fer et qu’elle régnait à présent sur l’ensemble du continent.

Que ce fût dans les terres arables du Bief, que ce fut dans les déserts de Dornes, sans compter la ville pieuse de Villevieille ou les tourments tempétueux qui frappaient Accalmie plus souvent que n’importe où ailleurs, Jaime ne pouvait y apparaître.

Qu’il y montrât ne serait-ce que l’ombre de la silhouette de sa personne, et il ne pourrait survivre bien longtemps au fait de se représenter s’installer en ces lieux lointains, hostiles.

Un long soupir s’échappa de ses lèvres.


« Par les Sept Enfers, j’ai comme l’impression que où que j’aille, mon avenir ne semble guère devoir me mener vers des lendemains joyeux, comprit Jaime Lannister. »


Sa solitude était telle, qu’il frissonna de s’entendre parler ainsi sur un ton défaitiste.


« Pourquoi n’ai-je pas suivi Tyrion lorsque j’en ai eu l’occasion ? »


Reste que, il n’avait donc qu’un seul choix qui s’offrait à lui. Une option plus ou moins viable, dont la conclusion pouvait dépendre de bien des choses. Aussi, lui fallait-il tenir au mieux ce serment qu’il avait prêté quelques temps auparavant.

Un serment formulé à l’intention de ce bâtard du Nord, Jon Snow, qui était devenu un temps roi du Nord, et de cette Targaryen dont les prétentions visaient à gouverner l’intégralité des Sept Royaumes, même si pour ce faire, elle devrait bouter Cersei hors du Donjon Rouge.


« Deux femmes se battant pour un Trône de Fer. »


Pour y avoir lui-même pris place sur le siège en question, et ce, après avoir occis le Roi Fou, Jaime ne trouvait pas l’assise particulièrement confortable.


« Je leur souhaite bien des désagréments à celle qui remportera la partie. »


Car que ce fût sa jumelle ou la fille d’Aerys, Jaime n’avait aucune préférence. Il réalisait qu’il ne voulait qu’une chose, qu’on lui fiche la paix et qu’on ne l’implique plus dans les complots politiques comme en a si bien le secret la ville de Port-Réal.


« Un nid de vipères et de lèche-culs. »


Voilà qui définissait assez bien la cour et les nobles qui y gravitaient.


« Reste, cela ne solutionne pas mon problème immédiat. »


Il devait donc gagner le Nord.


« Mais dois-je forcément le faire seul ? »


Pour que son arrivée soit remarquée et emprunte de cette rédemption qu’il cherchait depuis des années, il était vrai que de débarquer en solitaire était la pire chose qui fût.


« Il me faut donc une armée. »


Il eût beau regarder sous les plis rigides de sa cape frappée par le froid ambiant, il n’y décela aucune troupe prête à servir au combat.


« Déjà, commence par atteindre Moat Cailin en un seul état. Tu aviseras par la suite. »


Et pour que cette première étape se fasse, Jaime savait que le plus rapide consisterait à emprunter la Route Royale. Sauf qu’il n’avait nullement l’intention de suivre cette voie toute tracée.

Jaime le savait, c’était là le trajet en question que suivaient les armées de Daenerys Targaryen. Et le fils de Tywin avait plus que suffisamment approché les seigneurs des chevaux, les sinistres Dothrakis à la chevelure tressée et huilée, pour savoir qu’il préférait éviter d’avoir à se frotter une fois de plus à pareille engeance.

Et qu’importait que Jaime eût décidé de perpétuer cette alliance conclue dans les ruines de Fossedragon, pour lui, les Dothrakis et les Immaculés resteraient les ennemis de Westeros. Eux qui appartenaient à un tout autre territoire.


« Qu’ils y retournent. »


Le décor parut accentuer ses propos en revoyant l’écho de ceux-ci.


« Et qu’ils y restent. »


Les mots ainsi balancés et leur résonance finirent par mourir dans l’air froid et glacial qui l’environnait.

Nulle réponse ne survint, ce qui n’était guère étonnant dans son immense solitude.

Toujours était-il qu’au bout du compte, Jaime avait opté pour prendre la direction du Nord-ouest. Son objectif initial consistait à atteindre la bourgade de Pierremoûtier où il espérait ensuite pouvoir rejoindre Vivesaigues.


« Le fief des Tully est encore à plusieurs jours de chevauchée. Et à mon rythme je peux bien compter le double de temps. »


Sauf s’il pressait l’allure.


« Et me jeter plus vite dans la gueule du loup ? »


Il émit un ricanement, se gaussant de sa propre propension à paraître aussi stupide que l’homme que les gens dépeignaient dans son dos.


« Reste, d’ici à ce que je parvienne sur place, j’admets qu’une halte dans une auberge ou deux ne serait pas de refus. »


Non seulement pour ne pas à souffrir le martyr à se reposer sur le sol gelé, il n’était plus tout jeune et peinait à récupérer physiquement, et donc de bénéficier d’une couche de qualité.


« Autant que faire ce peut dans de tels patelins. »


Mais par la même occasion, atteindre une ville avait pour but de se maintenir au courant des nouvelles qui parcouraient le monde.


« Je vais avoir besoin d’informations, confirma Jaime. »


Ce qui était préférable s’il tenait à avoir une bonne idée quant à l’évolution des événements survenus à travers les différentes régions du continent.

Toutefois, comme il venait de le souligner, Vivesaigues n’était pas la porte à côté et bien qu’il voyageât dans le but d’atteindre ce fort ancien, en solitaire qui plus est, Jaime ne devait pas baisser sa vigilance en espérant emprunter des sentiers sûrs pour les voyageurs.


« J’ai eu de la chance jusqu’à présent. Avec le sud qui avait été épargné par le froid, les greniers sont mieux garnis que les terres de la Couronne qui s’étendent bien au-delà de la capitale. Et la guerre n’aura arrangé en rien le sort de ces habitants. »


Aussi, il pouvait déterminer qu’emprunter des voies secondaires allaient s’avérer plus dangereux au point de redouter de tomber sur des bandits sans foi ni loi.


« Ce qui n’est pas impossible. Surtout avec une proie aussi facile qu’un cavalier solitaire, vieux et fatigué comme je le suis. »


Reste que, probablement ceux-ci appartiendraient-ils à cette Fraternité sans Bannières que dirigeait Béric Dondarrion que Jaime n’avait croisé qu’en de rares occasions au sein de la cour, et uniquement parce que l’individu dont il était ici question était un vassal des Baratheon.

L’esprit tactique de Jaime prit le relai et il s’imagina donc comment une telle embuscade se déroulerait. Ces brigands tireraient sans aucun doute possible avantage des conditions climatiques, une tempête de neige, un blizzard, pour se dissimuler et tomber sur les malheureux qu’ils pourraient détrousser.


« Des malheureux qui, comme moi, auront décidé de se risquer à arpenter ces sentiers secondaires et mal entretenus. »


Des routes qui étaient donc moins bien protégées par les hommes de la reine, voire même par les seigneurs locaux démissionnaires et qui devaient déjà conjuguer avec la grogne de leurs sujets qui criaient sûrement famine.

Fort heureusement, et jusqu’à présent,Jaime n’avait rencontré aucun de ces vagabonds. Il fronça cependant les sourcils.


« Alors pourquoi ai-je cette désagréable impression que l’on me suit à la trace ? »


Dans le doute, il regarda une fois de plus autour de lui, et notamment par là où il était arrivé.

Mais encore une fois, il n’y avait rien.

Or, cette sensation qui l’habitait n’était pas nouvelle. C’était un phénomène qui durait depuis déjà plusieurs jours.


« On m’épie sûrement en ce moment-même. »


Il aurait bien lancé un défi à ce curieux trop couard pour se révéler à lui. Sauf que dans son état, éreinté, fourbu, vieux, Jaime n’était pas persuadé pour un écu qu’il serait à même de défendre chèrement sa peau.

Or, malgré ses convictions, son esprit avait décidé de tenir un discours différent, affirmant que Jaime errait seul, que nul n’avait besoin de sa compagnie.

Et de fixer ainsi les environs en quête de ces mécréants à qui il aurait volontiers fait goûter son acier valyrien — métal précieux dont sa lame était faites —, Jaime en vint à s’interroger sur sa santé mentale.


« Peut-être que dans ma crainte des conséquences de ma désertion, ou de ce que pourront dire les Nordiens quant à la trahison de Cersei, je commence à sombrer vers la paranoïa. »


Et un craquement qui retentit non loin, le faisant sursauter, n’arrangea en rien ses troubles.


« Si la Couronne n’était à ce point endettée, je gage que ma jumelle n’aurait pas hésité avant de dépêcher à mes trousses toute une flopée de tueurs. »


Lancée après lui, cette meute assoiffée de sang et aux yeux fous l’inciterait sûrement à redouter davantage la moindre ombre, le moindre bruit.


« Bref, de rester constamment sur mes gardes. »


Et quand un nouveau craquement vint perturber le froid silence qui l’environnait, Jaime ne put s’empêcher qu’effectivement des mercenaires se tenaient là, prêts à lui bondir dessus.

Oui, le moindre crissement dans la neige devint subitement une nouvelle menace, un affleurement de plus vers la folie, à croire qu’un spadassin déterminé s’empresserait de l’écourter d’une bonne tête.


« Une tête qu’il s’empresserait alors de rapporter à Cersei. »


Chérirait-elle celle-ci, alors que le chef en question appartiendrait à son traître de jumeau ?

Reste que, et dans l’attente que ce jour providentiel arrive, Cersei attendrait patiemment de recevoir son dû alors qu’elle se tenait à Port-Réal, bien au chaud, où actuellement elle rivait très certainement son royal séant sur le Trône de Fer qui siégeait entre les murs épais et solides du Donjon Rouge.


********************


Dressant la tête en direction des cieux perpétuellement couverts d’une couche de nuages grisâtres, Jaime escomptait, sottement, que le temps finirait par s’améliorer un tant soit peu.

Ces longues nuits agitées, peuplées de cauchemars qui le hantaient, et qu’il passait à dormir à l’extérieur, et avec toute cette neige et tout ce froid, il ne pouvait dire qu’il s’agissait là de conditions qui l’enchantaient tout particulièrement.

Certes, jusqu’à présent il aurait très bien pu prendre la peine de s’arrêter dans une auberge quelconque. Seulement voilà, si Pierremoûtier ne représentait pas de menace immédiate, fort était de reconnaître qu’il n’en allait pas de même pour les patelins trop proches de Port-Réal.

Assurément, le risque avait été bien trop grand pour que quelqu’un en vienne à le reconnaître et ne trahisse sa présence qui se voulait discrète.


« Je n’étais pas aussi négligé qu’aujourd’hui. Et tout dans mon apparence aurait hurlé que je suis un Lion, non un simple vagabond qui se dirige vers les territoires hostiles du Nord. »


Car telle était la vérité dès à présent. Il ne ressemblait plus en rien à l’idée de ce que les gens pouvaient espérer attendre dès lors qu’il fallait évoquer les illustres Lannister.

Ses cheveux sales avaient poussé sauvagement et Jaime pouvait toujours les dissimuler sous l’épaisse capuche dont était dotée sa cape en laine.

Il en allait de façon similaire pour cette barbe qui commençait à lui dévorer les traits de son faciès. Un visage qui avait perdu depuis longtemps l’élasticité de la jeunesse.

Et les poils drus qui s’y décelaient n’arboraient en aucun cas la toison d’or qui seyait aux siens, caractéristiques des Lannister.

Pire que tout, pire que cet aspect peu ragoûtant, Jaime puait.


« Je sens la vieille charogne oubliée sur le champ de bataille et que même les corbeaux n’auraient pas voulu toucher. »


Aussi, et étant donné l’état déplorable dans lequel Jaime se trouvait, celui-ci ne pouvait témoigner en rien son appartenance vis-à-vis de cette glorieuse famille qui avait marqué de son empreinte indélébile l’Histoire de Westeros.


« Des siècles à façonner celle-ci, et voilà à quoi les Lannister en sont réduits ? À errer sur les routes comme des vas-nu-pieds, des moins que rien, contraint à la clandestinité. »


Jaime avait réussi ce que beaucoup d’autres avaient voulu accomplir pendant les nombreux siècles qui s’étaient écoulés depuis l’Âge lointain de celui des Héros.


« Ternir l’image des Lannister. »


Les mots qui franchirent ses lèvres furent suivis par un nuage de buée.

En conclusion, Jaime estima que la seule chose qui pourrait véritablement le trahir pour ce qu’il était réellement, c’était cette fichue main d’or.


« Ce n’est toutefois pas là un obstacle difficile à surmonter. »


Effectivement, il était aisée de masquer l’artefact en question tant qu’il se contentait de porter ses gants en cuir noir.

Certes, ça n’excluait pas pour autant que quelqu’un pût toujours l’identifier s’il venait à croiser le regard d’un visage connu.


« Et si la nouvelle de ma désertion a déjà fait son petit bonhomme de chemin, nul doute que l’autre s’empressera d’avertir tout un chacun qu’il venait de me démasquer. »


Il serra sa seule main valide.


« Oh et puis zut, me voilà dans le Conflans, c’est certes les Terres de la Couronne, mais j’estime être suffisamment loin de Cersei pour courir le risque de me poser cette nuit. »


Indubitablement, et s’il tenait tant que ça à atteindre sa destination finale, Jaime admettait qu’il aurait grand besoin de retrouver des forces. Et pour ce faire, quoi de mieux qu’un grand lit confortable et moelleux à souhait.


« Et je me languis des nouvelles du monde. »


Oui, cette solitude forcée devenait pesante, usante, à la longue.

De plus, cette quête de renseignements prenait une importance capitale, d’autant plus alors qu’il devait gagner le Nord.


« Si la nouvelle de ma défection a à ce point circulé, et si en plus les Stark ont vent de la trahison de Cersei, alors nul doute que ça risque de compliquer davantage ma mission. »


Il gageait même qu’effectivement, aussi bien Winterfell que Daenerys avaient connaissance de ces sujets-là. Comment ? Jaime y répondit lui-même à voix haute :


« Sûrement par l’intermédiaire de ce Varys. »


Qui, d’une manière ou d’une autre, était toujours plus rapide que les corbeaux porteurs de missives pour parvenir à être au courant de tout ce qui se tramait au cœur même du royaume.

Dans tous les cas, il suffisait de voir la révulsion déformait les traits de son visage pour comprendre à quel point il abhorrait ce Varys, tant l’homme que les manières sirupeuses qu’employait ce dernier pour bien se faire voir des gens de la cour.

Reste que, avec les conversations qui résonneraient à coup sûr dans les tavernes des auberges, Jaime serait alors bien vite fixé quant à déterminer si, oui ou non, il valait mieux pour lui continuer son chemin alors qu’à tout instant les gens pouvaient lui attribuer cette déloyauté à l’endroit des Nordiens et de tous les peuples de Westeros qui allaient faire face à cette menace commune.

Des Ouestriens qui aspiraient à une stabilité et sur lesquels Daenerys Targaryen aspirait à régner un jour.


********************


Un peu plus de deux nouvelles heures venaient de s’écouler après que ses ultimes réflexions lui avaient traversé l’esprit.

Un temps qui lui sembla long, où les heures s’avéraient aussi mortellement ennuyeuses que les précédentes.

La neige ne tombait certes plus qu’à flocons épars, peinant à couvrir les empreintes laissées par les sabots de sa monture. Seulement, la sensation de froid s’était accentuée, le mordant à l’instar de crocs acérés.


« Des crocs de loups. »


Ou plus exactement de loups géants comme en avaient possédé les Stark.


« Par les Sept Enfers, maugréa Jaime, comment font les Nordiens pour supporter tout cela ? »


Sans surprise, il ne reçut pas la moindre réponse à ses plaintes, que celle-ci vînt des Dieux ou des simples hommes.

Jaime soupira, lui qui en fut quitte pour continuer plus avant, progressant au mieux sur ce sentier peu entretenu et qui, lors de la saison printanière, devait disparaître sous la pousse des herbes sauvages.

Il pensa alors au moment où il s’était rendu à Vivesaigues, quelques temps auparavant, une armée à ses côtés, Bronn également, alors qu’ils devaient aider les Frey à mener à bien le siège du fief ancestral des Tully.


« Tous des idiots. »


Il fallait reconnaître que les rejetons de Walder, pas plus que l’intéressé d’ailleurs, ne brillaient pas par leur intelligence qui le faisait cruellement défaut. Mais qu’attendre donc de ces êtres puérils et incompétents ?

Reste, c’était avant tout l’état des routes qui focalisa les réflexions de Jaime. Si le sentier actuel ne payait pas de mine, il en allait de même pour la Route Royale.

Assurément, les guerres qui avaient secoué tout le continent avaient laissé bien peu de temps pour que les voies qui parcouraient l’intégralité du royaume soient rénovées.

Une tâche que les voyageurs comme lui auraient sans doute estimé être la bienvenue.


« Avec un peu de chance, les Dothrakis maudiront nos voies de circulation, et sitôt les morts vaincus, ces cavaliers retourneront à Essos et ne quitteront plus leur territoire. »


Quant aux Immaculés, rompus au mal, Jaime gageait que ceux-ci s’étaient déjà habitués aux pavés déchaussés et n’avaient guère ralenti leur allure dans l’optique de gagner au plus tôt les landes du Nord et le froid qui s’y était installé.


« S’ils ne finissent pas congelés avant. »


Reste que, le fait d’en être venu à évoquer les conflits récents, liés à cette Guerre des Cinq Rois, cela l’enjoignit subitement à devoir à penser à son père.

Si le Grand Tywin Lannister, celui qu’il avait longtemps considéré comme un Dieu vivant, s’était tenu à ses côtés — ce qu’aucune force n’aurait été en mesure de provoquer —, le seigneur de Castral Roc se serait récrié sans le moindre doute quant à être le témoin de la déchéance de ce fils qu’il aimait tant et qui se dirigeait la queue entre les jambes tout droit vers leur ennemi de toujours.

Un léger sourire aux lèvres, une réaction qui le surprit grandement au demeurant, Jaime s’échina malgré tout à se représenter Tywin, évoluant et chevauchant de concert auprès de lui.

À coup sûr, une moue déformerait les traits burinés de Tywin où, de mémoire de Jaime, nul rictus n’était venu le transfigurer.


« Père a perdu ce qui faisait le sel de sa vie, il a perdu notre mère, son épouse, Joanna. »


Un drame survenu au moment où celle-ci mettait au monde Tyrion. Une chose que Tywin n’était jamais parvenu à pardonner au plus jeune de ses héritiers. Tywin qui était devenu plus froid, plus prompt à la colère.

Une colère calculée qui faisait trembler ses ennemis car elle ne s’exprimait guère par des éclats de voix, mais par le côté posé de son interlocuteur.

Dans tous les cas, et quoi qu’il en fût en ce qui concernait le Grand Seigneur Tywin, Jaime se surprenant devant son ton résolument narquois qu’il venait d’employer ; l’intéressé lui aurait sans doute rétorqué que les Stark, leurs bannerets et autres partisans, étaient tous habitués à devoir faire face à de telles conditions climatiques pour la simple raison qu’ils étaient tous des sauvages, des rustres.


« Cela, ou bien un discours du même acabit, conclut Jaime en aparté. »


Des termes crus qu’il serait hautement préférable de ne pas employer en présence de ces gens, estima Lannister avec sagacité.

Et tandis que cette conclusion s’imposait à sa personne, il n’en poursuivit pas moins ses pérégrinations, évoluant toujours droit devant lui, tout du moins autant que le permettaient les méandres du terrain, droit vers le Nord et Winterfell.


********************


La luminosité du jour déclinait rapidement à présent, alors que la soirée ne s’était pas encore installée sur cette partie du monde.

Quant à la perspective d’une autre nuit à la belle étoile, si à l’époque elle aurait été synonyme d’aventure, de péripétie, de gloire et de reconnaissance, que ce fût par son père ou par ses pairs, aujourd’hui elle n’avait rien pour le réjouir.

Cependant, et après que la route qu’il arpentait l’eût conduit droit au sommet d’une petite élévation, Jaime put distinguer dans le lointain les lumières faiblardes d’une ville de taille moyenne.

Faisant immobiliser son destrier pour quelques instants, l’homme toisa le spectacle qui s’offrit à ses yeux bleus et las.

Il établit alors un rapide calcul pour déterminer là où il pouvait bien se tenir actuellement au sein des contrées sauvages de Westeros. Et lorsque le déclic se fit, il en fut surpris, lui qui n’avait jamais atteint cette zone autrement que par la Route Royale.

Et des conclusions qu’il en tira finalement et qui s’imposèrent à son esprit, Jaime Lannister en fit part à haute voix, troublant par la même occasion le silence impressionnant qui l’entourait jusqu’alors.


« Pierremoûtier »


Ce bourg possédait sa propre histoire. Et celle-ci était connue dans tout Westeros. Tout du moins pour ceux qui, à l’instar de Tyrion, s’y intéressaient de plus près.

Jaime avait surtout connaissance des événements plus récents. Et de fait, les souvenirs de ses connaissances sur le sujet ne tardèrent pas à résonner dans son crâne.

C’était ici que Robert Baratheon, alors en rébellion ouverte contre le souverain d’alors, Aerys Targaryen, dit le Roi Fou, s’était caché pendant quelques jours pour échapper aux hommes du roi lancés à ses trousses.

Là, le principal intéressé parvint à se soustraire à la forte armée venue investir les lieux dans l’optique de l’y dénicher. Les troupes en présence étaient déterminées à le trouver, car le résultat de cette capture pouvait faire basculer le destin du royaume et inverser le cours de cette guerre qui échappait aux Targaryen et à leurs alliés de plus en plus démunis devant l’ampleur du désastre qui se profilait, et ce, malgré le prince Rhaegar et son charisme qui inspirait ceux qui le voyaient sur les différents champs de bataille.

De l’armée en question, ce n’était toutefois pas l’héritier du Trône de Fer qui en avait la charge, mais la Main du roi de l’époque, à savoir Jon Connington.

Robert leur avait échappé au nez et à la barbe. Pour grossir les traits de l’exploit, les mestres narraient que seuls les Dieux pouvaient l’avoir aidé à réaliser ce miracle.


« M’est avis que ce sont surtout les habitants fidèles à sa cause qui l’ont déménagé d’un point à un autre lorsque les fantassins s’approchaient trop près, théorisa Jaime avec sagesse. »


Reste que, survint bientôt l’aide que Robert devait se languir de recevoir. Une aide qui survenait sous la forme d’une force militaire conjointe et qui recoupait à la fois les hommes des Stark, les soldats Tully, et la cavalerie du Val d’Arryn.

Et au son des cors qui firent vibrer l’air mourant de la saison estivale, et que l’Hiver se profilait à l’horizon sans toutefois oser se montrer, il n’en fallut guère plus pour que Robert Baratheon sortir de sa cachette.

Là, l’intéressé, encore fringant et non l’individu gras et amorphe qu’il allait devenir par la suite, brandit son arme, son célèbre marteau, et il entreprit de guerroyer avec une vaillance sans pareille.


« Il aurait vaincu n’importe qui ce jour-là. »


Ce n’était là que le peu de respect que Jaime pouvait témoigner à l’endroit d’un homme qu’il abhorrait.

Jaime ne s’en préoccupa guère et continua à toiser le patelin qui s’offrait à ses prunelles céruléennes. Bien que l’obscurité allât sans cesse grandissante, il pouvait distinguer et affirmer qu’il ne restait quasiment plus rien du passé glorieux dont s’enorgueillissait Pierremoûtier auprès des voyageurs de passage.

Bien au contraire même, les plaies béantes qui se distinguaient ici et là parmi les édifices les plus hauts témoignaient que des combats plus récents y avaient été menés.

Jaime reconnaissait là l’œuvre de son père, voire même de son laquais Gregor Clegane.

Dans la lutte qu’il avait menée contre Robb Stark, Tywin Lannister n’avait guère fait dans le détail. Il se complaisait à suivre la même politique qu’il avait exécutée consciencieusement, imité par ses sbires avides de violences, à savoir celle de la terre brûlée.

Cette stratégie avait pour but d’affaiblir ses adversaires qui ne pouvaient, dès lors, obtenir les ressources nécessaires pour mener une lutte sur le long terme, et qui devait compter sur les réapprovisionnements du Nord qui mettaient de plus en plus de temps à atteindre les forces Nordiennes, sapant le moral des fantassins.


« Chose que cherchait justement à obtenir père. »


Nonobstant, Jaime devait bien admettre qu’il ne parvenait pas à déterminer pourquoi Pierremoûtier avait subi un tel sort.


« Peut-être cette ville rappelle-t-elle à père ce pachyderme de Baratheon. Peut-être voulait-il défouler toute sa rancœur alors qu’il n’aura jamais été nommé Main du roi par ce rustre. »


Tyrion aurait sans aucun doute trouvé de meilleures explications. Jaime, lui, était trop épuisé pour creuser davantage la question. De plus, comme il le dit lui-même en suivant :


« Tout ça c’est du passé, les deux sont morts de toute façon. »


Aussi, et quoi qu’il pût en être exactement, les habitants du cru étaient toujours présents.

Parallèlement à cela, Jaime pouvait noter la lente reconstruction du hameau. Il faudrait néanmoins du temps pour que les ultimes cicatrices disparaissent, témoignages silencieux et visuels des guerres récentes.


« Pour ça, encore faut-il que tous survivent à cet Hiver. »


La réplique de Jaime cingla plus froidement encore que cette saison qui s’était installée sur cette région de Westeros.

Et pendant ce temps, les ténèbres de la nuit continuaient à grignoter du terrain sur la clarté naturelle du jour mourant.


********************


Au bout du compte, Jaime et sa monture se remirent en branle. Le cheval renâcla légèrement.


« Lui aussi a besoin de repos. »


Et d’être pansé, bouchonné, et le parage de ses sabots.


« Je n’aurai pas assez pour tout ceci, quand bien même un maréchal-ferrant aurait pitié du pauvre hère que je suis. »


Il ricana de sa déchéance et de la piètre image qu’il s’imaginait renvoyer au commun des mortels.

Reste que, peu après, tous deux finirent par arriver devant une sorte de grossière palissade en bois. Pour Jaime, il était indubitable de décréter que cette sommaire protection avait été érigée en toute hâte dans le but d’assurer une maigre défense si derechef, une quelconque menace devait venir se pointer ici.

Jaime se secoua mentalement la tête. Comme si ceci pouvait suffire en cas d’une attaque perpétrée par une puissante armée bien préparée.


« Je gage qu’elle n’effaroucherait même pas de simples brigands. »


D’autant plus, si les morts parvenaient jusque-là, alors les résidents de Pierremoûtier pouvaient prier tous les Dieux du monde, ils n’auraient pas l’once d’une chance d’en réchapper et cette muraille s’écroulerait à coup sûr comme un vulgaire château de cartes.

Jaime s’interrogea alors sur ce qu’il convenait de faire. Devait-il pour autant prévenir ceux-ci quant à l’existence de cette menace surnaturelle qui planait au-dessus de tous les habitants de Westeros ?

Après une demi-douzaine de secondes d’hésitation, Jaime finit par se décider sur la démarche à suivre.


« Non, déclara-t-il. Il est préférable que je fasse profil bas jusqu’à ce que j’aie obtenue des nouvelles sur ce qui se passe ailleurs dans le royaume. »


Et puis bon, pourquoi quiconque par ici s’accorderait-il à lui donner le moindre crédit après qu’il leur eût balancé ce que tous devaient prendre pour de simples histoires, de vieilles légendes que se racontaient le soir les Nordiens avant de s’endormir ?

La distance se réduisant toujours plus entre le patelin du Conflans et lui, Jaime finit par noter autre chose. C’est-à-dire la présence de deux gardes qui surgirent simultanément d’une poterne adjacente à l’entrée principale.

Malgré le manque d’éclairage, Jaime prit note de ce qu’il percevait au sujet de ces rustres. L’armure usée donc chacun se paraît, avec une fierté qui le dépassait, n’offrait pas la moindre protection digne de ce nom.


« Avec mon acier valyrien, je les découperai aussi facilement que dans du beurre, estima l’ancien membre de la Garde Royale. »


Ceci étant dit, il jaugea que cela ne les pénalisait nullement dans leurs intentions évidentes de lui barrer l’accès à l’intérieur de la cité.

Aussi, via leur vulgaire pique dans la pointe en fer présentait plus de rouille qu’autre chose, ils se placèrent entre la sécurité relative de Pierremoûtier et le danger mortel qui s’éveillait à la tombée de la nuit.


« À défait de parvenir à pouvoir me trancher le gosier avec, débuta Jaime mentalement, au moins pourront-ils espérer que l’infection aura ma peau. »


Car nul doute que la plaie qui résulterait irait en empirant si des soins ne lui étaient pas donnés dans la foulée. Est-ce que pour autant cette éventualité traverserait l’esprit de ces ignorants ? Jaime jugea plus diplomate de ne pas s’enquérir davantage sur la question en interrogeant les principaux concernés.


« De toute façon, poursuivit-il, est-ce que je souhaite vraiment expérimenter cela ? »


D’en venir à de telles réflexions lui souligna à quel point il était las et que ce long voyage qu’il entreprenait sapait une bonne partie de ses forces.

Comme en écho à des pensées survenues plus tôt dans la journée, les mots franchirent ses lèvres gercées.


« Oui, ma prime jeunesse appartient bel et bien à un passé révolu. »


Toujours est-il que la voix nasillarde de l’un d’entre eux le força à reporter toute son attention sur ces individus belliqueux qui dégageaient des effluves de vinasse bon marché.

Ce fut le plus solide des deux qui se rapprocha au maximum de cet étranger juché sur sa monture. Et de sa voix traînante, qui le rendit difficilement compréhensible aux oreilles de Jaime, l’homme aboya les mots suivants :


« Halte ! »


Docile, Jaime obtempéra. Il était inutile d’envenimer une situation qui ne demandait pas à l’être.


« Qui va là ? »


Ses yeux venaient de se porter en direction de la bosse qui apparaissait sous la cape. Indubitablement, l’homme était assez malin pour avoir deviné qu’elle dissimulait la garde d’une épée.

Avec la perte de sa main maîtresse, Jaime avait pris l’habitude de la porter sur son flanc droit.


« Je ne suis qu’un simple voyageur, s’entendit répondre l’ancien commandant des armées de Cersei. Je ne cherche pas la moindre querelle. »


L’autre le toisa longuement. Son faciès buriné par une vie passée à l’extérieur dans des conditions pas toujours généreuse, Jaime pouvait en jurer, ne cachait rien de son expression soupçonneuse.

Il faut dire que tout dans la façon que Jaime avait de s’exprimer témoignait d’une certaine éducation qui faisait clairement défaut aux deux autres.

Il allait donc devoir opter pour une solution qui aurait reçu les faveurs de Tyrion: la ruse.

Ou plus exactement la flatterie.


« Tout ce que je veux, c’est de pouvoir profiter d’un simple refuge, d’un repas chaud. Et surtout, de la sécurité que vos murs, vos hommes et vous pouvez m’apporter, capitaine. »


Jaime le sentait, ce furent ces derniers mots qui firent mouche, les flagorneries fonctionnaient souvent pour ceux qui possédaient un fier ego.


« J’en sais quelque chose, ajouta-t-il mentalement. J’ai été dans les bottes de cet homme. »


Reste, tout Lannister qu’il était, il escomptait que cette réponse suffirait à faire taire les possibles questions que pourraient vouloir lui poser ces gens.

Néanmoins, bien que demeurant silencieux au cours des secondes qui s’enchaînèrent, les deux badauds se mirent à tourner autour de la monture. Celle-ci, sans broncher, se laissa inspecter sous toutes les coutures, et avec toute l’attention que l’état d’ébriété le permettait aux gardes.

Depuis que son voyage avait débuté, Jaime repensa à ses précédentes réflexions au sujet de son cheval qu’il avait grandement dénigré depuis son départ de Port-Réal.


« Elle m’a porté sur bien des lieues, elle aurait mérité un meilleur traitement. »


Il se fit la promesse qu’il allait y remédier. Peut-être pas tout de suite. Mais pourquoi pas à Vivesaigues où l’attendaient de meilleures écuries qu’à Pierremoûtier.


« Si chacun des habitants est aussi saoul que ces deux-là, nul doute que le résultat sera en deçà de mes espérances. »


Toujours est-il que l’étude minutieuse se poursuivait. L’animal ne présentait guère un aspect des plus reluisants. Les étriers et la selle non plus. Serait-ce malgré tout suffisant pour passer entre les mailles du filet ?

L’examen achevé, les deux gardes reprirent leur petit manège, se concentrant à présent sur Jaime Lannister.

Celui-ci, en d’autres temps, n’aurait pas hésité longtemps avant d’afficher un air hautain, de les prendre de haut, de leur affirmer tout haut de qui il était le fils, de rappeler ses propres faits d’armes et que par-dessus tout, il n’avait pas à attendre que son destin repose sur la décision de ces deux olibrius.


« Je serais rentré de force pendant qu’eux fuiraient la queue entre les jambes. »


Sauf qu’il n’arborait pas le moindre attribut de sa grandeur passé. Et Tywin était redouté plus qu’il n’était apprécié. Aussi, Jaime préféra opter pour une autre tactique et baissa la tête dans la foulée.

Il escomptait que cela fonctionnât et que son air penaud fût convaincant. Et sans même chercher à plaider davantage sa cause, le quadragénaire attendit, non sans une certaine impatience qu’il dissimula au mieux, que le verdict tombât enfin.


« C’est un bien chouette cheval que vous avez là, glissa celui qui s’était préalablement exprimé. Comment un pouilleux dans ton genre a pu en dénicher un de comme ça ? »


Malgré la présence évidente que Jaime avait une épée, l’autre paraissait estimer n’avoir rien à redouter de ce « pouilleux » qui se présentait à sa porte.

Toujours est-il que Jaime se mit à réfléchir à toute vitesse. Ce qui n’était guère là son point fort, contrairement à son frère Tyrion dont le sens de la répartie l’aurait sorti de ce traquenard bien avant d’y avoir plongé les deux pieds.

Quoi qu’il en fût, Jaime se devait de trouver une réponse adéquate et persuasive. Sinon quoi, la situation pourrait vite tourner à l’aigre. Et s’il se dévoilait alors, on finirait très certainement par l’identifier.

Et c’était là une chose qu’il tenait à éviter à n’importe quel prix.

Une solution s’imposa à son esprit, une telle que l’aurait prise l’ancien Jaime du temps de sa splendeur.


« Un temps où j’avais encore mes deux mains. »


Il le savait, malgré son épuisement, il pouvait quand même parvenir à tuer ces deux hommes et prendre la fuite. Vu leur façon de se mouvoir, le vin rendait leurs mouvements gauches, patauds, J aime douta qu’ils fussent de taille à se mesurer à lui.

Et tant pis si pour ce faire, il lui faudrait renoncer à dormir dans un lit aussi douillé qu’aurait pu lui proposer l’unique auberge de ce bourg.

Restait un problème plus grand. Une telle action, aussi irréfléchie fût-elle, lui vaudrait de se retrouver confronté à toute la garnison présente au sein même de Pierremoûtier.


« Cette dernière aura tôt fait de s’élancer à mes trousses. »


Or, c’était là un point fâcheux. Se faire traquer sur toutes ces dizaines de kilomètres qui le séparaient de sa destination finale, non merci.

De plus, en cas de confrontation directe avec toute cette clique, et tout bon combattant qu’il avait pu être par le passé, sa gloire d’antan étant depuis longtemps révolue, Jaime Lannister se sentait trop las, trop fourbu, pour proposer une résistance qui soit suffisamment vaillante pour inciter quelques rhapsodes à en composer des vers.

Il était même plus que probable qu’il finisse ses jours dans l’indifférence générale la plus totale. Que nul, pas même sa jumelle Cersei, ne se doutât jamais qu’il fût tombé là dans ce lieu où nul n’allait le pleurer, où nul n’allait s’apitoyer sur son triste sort.


« Un sort qui sera bientôt mien si je ne me décide pas à choisir ce qui convient ou non de faire. »


Tout focalisé qu’était le fils de Tywin et de Jonna sur ses pensées silencieuses qui se bousculaient dans sa tête aux cheveux sales, Jaime ne remarqua pas qu’un second cavalier venait d’approcher pour se joindre à ce trio atypique.

L’intéressé survint nonchalamment, par-derrière lui, hélant les deux individus.


« C’est mon écuyer que vous ennuyez là, répliqua l’étranger qui n’en était pas vraiment un. »


Les gardes de la porte se désintéressèrent instantanément de Jaime.


« Il était censé prendre les devants pour que je parvienne ici dans les meilleures conditions. »


Jaime sentit le regard de cet interlocuteur se poser sur lui.


« Que je puisse y trouver une bonne pitance, ainsi que de quoi réchauffer ma vieille carcasse de chevalier. »


Après un silence, le nouveau-venu conclut :


« Manifestement, je peux constater que c’était déjà trop attendre de lui. »


Jaime ferma les paupières après avoir identifié son vis-à-vis rien qu’au timbre de sa voix.

Dédaigneux, le garde ne se laissa pas conter :


« Et vous, vous êtes ? »


L’autre aurait fait un bon acteur de théâtre, estima Jaime, à voir comment celui-ci aimait jouer sa partition non sans un plaisir détectable.


« Le seigneur Bronn de la Néra et Ser par la même occasion, balança l’intéressé. »


Les deux gars déglutirent.


« Et j’exige que l’on m’indique de ce pas où je pourrais trouver la meilleure auberge de votre boui-boui. »


Un court silence s’installa dans la foulée.

Combien de temps s’écoula-t-il alors ? Jaime ne le sut jamais.

Toujours est-il que les deux simulacres de fantassins reprirent déjà leur inspection, n’osant toutefois guère s’approcher de Bronn qui avait nonchalamment posé la main sur la paume de sa flamberge.

Au moins étaient-ils tous deux suffisamment pourvus de jugeote pour réaliser qu’il leur en coûterait de se confronter à un tel individu. Quelqu’un qui se disait issu de la noblesse qui plus est.


« Un seigneur, répéta stupidement le seul qui osait ouvrir la bouche sur les deux individus que formait la garde de la porte principale. »


Il papillonna des paupières. Jaime masqua difficilement son impatience.


« Ici, ajouta l’autre sans trop croire à ce qu’il voyait. Qu’est-ce qu’un seigneur viendrait faire par chez nous ? »


La question dévoilait certes à quel point il était assez interloqué par la situation. Il n’en demeurait pas moins, aux oreilles de Jaime tout du moins, qu’il y avait également une légère pointe de défiance.

Et tandis que Bronn répondait à sa manière si désinvolte, indifférent à la tension en cours, que pour sa part, Jaime Lannister n’en revenait toujours pas de constater que l’autre se tenait ici, à ses côtés, à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale où il l’avait laissé dans quelques sordides bordels.

La nonchalance de son compagnon parut convaincre les sentinelles en faction, étant donné que celles-ci s’écartèrent bientôt pour leur délivrer le passage et que les battants de la porte s’ouvrirent dans un grondement lugubre.


« Ah, ce que ça a du bon d’être de la haute, déclara l’ancien mercenaire avec un contentement évident. »


Sauf qu’il n’était rien de ce qu’il prétendait. Il ne possédait même plus le droit de se revendiquer comme un chevalier, alors un seigneur.

Assurément, Cersei, qui ne l’appréciait guère, s’était empressée de lui retirer chacun des privilèges que lui avaient valu ses exploits lors de la bataille de la Néra. Jaime n’avait jamais compris cette aversion, eux qui n’avaient jamais été vu ensemble ne serait-ce qu’une fois.


« Elle le haït sûrement pour ses rapports amicaux qu’il entretient avec Tyrion. »


Oui, ce devait être l’explication la plus plausible.

Reste, il n’y avait aucune raison pour que Jaime lui rappelât ses pertes, alors que Bronn venait tout juste de lui sauver la mise. Au lieu de quoi, le jumeau de la reine se concentra sur un tout autre point dans une question qui n’en était pas tout à fait une :


« M’avez-vous suivi jusqu’ici ? »


Son visage barbu exprimait l’énervement qui résultait d’un pareil constat. Dans tous les cas, la présence de Bronn expliquait bien des choses, comme le fait qu’il avait eu cette désagréable et constante sensation que quelqu’un venait après lui.

Sauf que si Bronn l’avait véritablement accompagné jusqu’alors, et à bonne distance, pourquoi ne s’était-il pas manifesté plus tôt ? C’est là qu’un soudain soupçon s’empara de Jaime Lannister.


« Serait-ce là une ruse fomentée par Cersei ? »


Il imaginait sa jumelle assez retord pour avoir cherché à soudoyer le reître, possiblement par l’intermédiaire de Qyburn. Bronn, dans sa soif insatiable d’or et de gloire, aurait donc accepté de lui planter un poignard en plein cœur si cela lui permettait d’obtenir ce qu’il désirait.

Après tout, il n’était pas un homme qui refuserait un pareil service pour le peu que le commanditaire lui apporte un prix qu’il estimerait en valoir la peine pour fermer les yeux sur ses amitiés instables.

Cette récompense pouvait donc prendre plusieurs formes, de l’or, un château avec les terres afférentes, ou une femme de haute naissance pour l’insérer dans cette société de noble qu’il prisait aussi bien qu’il la méprisait.

Jaime, qui avait longtemps voyagé auprès de l’ami de Tyrion, était bien placé pour connaître les goûts luxueux de l’intéressé. Bronn qui se plaisait à lui réclamer des lots ô combien mirobolants, et ce, depuis bien longtemps.

Un temps, Jaime avait satisfait sa requête, au grand désarroi d’une Cersei qui avait donc retiré tous les privilèges au reître. Or, Bronn avait perdu les minces territoires donnés, tout comme il avait perdu sa fiancée. Une femme qu’il n’avait jamais véritablement aimé au demeurant.


« Mais ce qui le désole plus que tout le reste, c’est la perte de sa fortune. »


Effectivement, Bronn n’avait pas hésité à se plaindre longuement, entre deux beuveries, de ce fléau qui l’avait frappé lorsque Daenerys Targaryen et ses Dothrakis avaient lancé un assaut surprise contre les troupes Lannister et celles de leurs alliés les Tarly.

Jaime le concevait, son ardoise à l’endroit de son vis-à-vis n’était toujours pas effacée.


« Si tant que qu’elle puisse l’être un jour aux yeux de Bronn. »


L’intéressé, indifférent aux réflexions que pouvait avoir Jaime à son sujet, prit la parole dans la foulée. Encore une fois, sa nonchalance dénotait avec l’attitude troublée de Jaime.


« J’avais peur que vous vous perdiez en cours de route. »


Il haussa les épaules comme pour souligner que c’était là une possibilité qui l’indifférait. Puis, avec un large rictus, Bronn vint compléter sa tirade par une phrase bien plus longue que ce à quoi il avait habitué le fils de Tywin Lannister.


« Et puis, par les temps qui courent, ce n’est vraiment pas très prudent d’arpenter les chemins secondaires. De sinistres rumeurs circulent là-dessus. Qui sait quelles mauvaises rencontres nous pourrons y faire ? Les sentiers grouillent de bandits, de la racaille de la pire espèce et… »


Puis, d’ajouter après un silence calculé, l’œil brillant d’un éclat sardonique :


« Ou des manchots aux doigts d’or. »


Jaime s’assura que sa main dorée était bel et bien masquée par l’épais gant de cuir noir. Lui qui prisait l’anonymat immédiat, il redoutait que l’artefact qui masquait son moignon, suffirait à crier à tous qui il était véritablement.

Il fut donc soulagé de découvrir que c’était encore le cas, pendant que Bronn terminait sa phrase.


« Il paraît que ces derniers sont les pires. Qu’il faut s’en méfier comme jamais, eux qui sont des êtres fourbes, des traîtres. Surtout auprès des leurs. »


Un court silence, puis :


« Comme leur sœur par exemple. »


Jaime, dépité par l’autre, préféra ne pas relever la pique.

La phrase de Bronn était suffisamment implicite pour comprendre que l'autre savait ce qui s'était passé avec Cersei. Comme l’avait subodoré Jaime au cours du long voyage qui l’avait mené jusqu’ici, cette dernière n'avait donc pas perdu de temps et avait bel et bien fait courir la rumeur quant à sa « trahison ».

Celle-ci ayant été suivie de sa fuite, Jaime gageait qu'aux yeux de tous, cela prouvait bien assez sa culpabilité et sa félonie.

Et pour Jaime, la situation ne pouvait pas être pire.

Les deux hommes n'en continuèrent pas moins d'arpenter le sol spongieux entre les allées plus ou moins déneigées de Pierremoûtier.

Là, ils finirent par atteindre l'auberge indiquée par le garde et qui se nommait La Pêche. Bronn s'en félicita grandement quand il comprit que l'endroit faisait également office de bordel.

En ce qui concerne sa propre personne, Jaime ne partageait pas le même enthousiasme que son vis-à-vis. De fait, il hésita à pénétrer les lieux en masquant ses traits sous la pénombre de son capuchon.

Au bout du compte, et après un temps de réflexion, il préféra s'en passer. Pareille attitude attirerait davantage la curiosité des clients et des voyageurs de passage.

Une fois à l'intérieur du bâtiment, Jaime et Bronn savourèrent la chaleur qui s'y diffusait depuis les divers feux de cheminée et qui les enveloppa dans un cocon bienvenu.

Pour la première fois depuis des jours, le doublet matelassé dans lequel il était engoncé, et qui l'avait protégé au mieux des vents glaciaux qui soufflaient régulièrement, lui parut de trop tant il avait l'impression de cuire entre les murs de cette gargote.

Là, la maîtresse de l'auberge s'en vint les recevoir.

Il s'agissait d'une femme à la corpulence sans pareille et à l'incroyable tignasse de cheveux roux. Comme Jaime devait l'apprendre par la suite, elle se prénommait Chanvrine.

L'intéressée leur octroya, moyennant quelques piécettes d'argent, cela va sans dire, une chambre pourvue de deux lits séparés. Et tandis que Jaime s’enquérit quant aux possibilités d'obtenir un bon repas chaud, Bronn aborda la chose via une tout autre approche et préféra draguer la maîtresse de maison.

Loin de se démonter, l'autre mit rapidement les points sur les i.


« Si c'est du cul et des seins que vous voulez mon seigneur, j'ai des filles pour ça, souligna l'aubergiste. »


Ensuite de quoi, cette Chanvrine les conduisit jusqu'au salon où de rares clients occupaient des sièges autour de tables rondes, une chope de bière à la main et une écuelle fumante posée devant eux.

Jaime et son compagnon de voyage choisirent de s'installer un peu à l'écart de cet attroupement. L’aîné des fils de Tywin Lannister évitait soigneusement de croiser les regards qui ne manquaient pas de se poser sur eux.

Comme à l'accoutumée, Bronn fit montre d'une totale indifférence et sans se préoccuper des « qu'en dira-t-on », il posa ses pieds bottés sur la table. Ce simple geste eut le don d'irriter Jaime Lannister.


« Ayez un peu de tenue, s'irrita-t-il. Sinon quoi, nous risquons d'être chassés d'ici avant même d'avoir eu le temps d'engloutir quoi que ce soit. »


Ah, qu'il haïssait tant les instants où Bronn se comportait de la sorte. Malgré tout, l'intéressé ne parut pas s'émouvoir quant à cette mise en garde formulée par le fugitif.


« Qu'ils essaient, répliqua Bronn sur un ton de défi. Je ne suis pas certain que quiconque sache vraiment manier l'épée dans ce bled pourri. »


Jaime soupira mentalement, conscient qu'il ne fallait pas s'attendre à de la sagesse en ce qui concernait son vis-à-vis.

Nonobstant, il était temps pour lui d'obtenir des réponses quant aux motivations de ce dernier.


« Peut-être vous montrez-vous plus enclin à me dire pourquoi vous m’avez suivi jusqu'ici ? »


D'un geste global de la main, il ne désigna pas uniquement l'établissement dans lequel tous deux s’abritaient dès à présent, mais ce coin de Westeros vers lequel sa fuite l'avait mené et qui devait le mener, à terme, vers Winterfell et les Stark.

Dans le même temps, il vit Bronn le toiser un court instant, comme s’il évaluait la réaction que pourrait susciter sa réponse. Ensuite de quoi, et de son air narquois ô combien horripilant, celui-ci s'empressa d’éclairer la lanterne de Jaime.


« Pour vos beaux yeux de Lannister, assena l’ancien chevalier. »


Jaime demeura parfaitement stoïque devant cette réplique prononcée sur un ton goguenard.

Il faut reconnaître qu’il n'était vraiment pas d'humeur à goûter à la plaisanterie quelle qu’elle fût. L'épée-louée, ce qu'avait été Bronn durant une grande partie de son existence, le comprit parfaitement puisqu'il se montra soudainement beaucoup plus sérieux.


« Je n'ai jamais cru votre sœur quand elle a évoqué votre traîtrise. Et vu que vous étiez déjà parti, j'ai compris qu'il était grand temps pour moi de vous imiter.

Votre sœur sait que nous sommes proches et que je ne lui suis aucunement fidèle. Je tenais donc à éviter d'avoir à perdre ma propre tête si jamais il lui prenait l'envie de m'envoyer son animal de compagnie qui la suit partout comme un brave toutou. »


Il était indubitable que cette description concernait Gregor Clegane, dit la Montagne.

Cependant, Bronn ajouta les mots suivants, non sans qu'un sourire sardonique ne vînt déformer les traits de son faciès marqué par une longue vie d’errance sur les routes de Westeros.


« Et puis, j'ai dans l'idée que vous allez pouvoir me rapporter un gros paquet de jolies pièces dorées. »


Sans réelle surprise, et avec un sourire désabusé qu’il masqua à son vis-à-vis, la pensée de Jaime prit le relai.


« Et voilà, nous y sommes. »


Bronn et son appétit insatiable pour l'or, ainsi qu'un intérêt sans cesse croissant pour les grandes choses, comme de posséder son propre domaine par exemple, de marquer de son empreinte l’Histoire de Westeros.

Jaime lui en avait promis un nouveau de château, ainsi qu'un parti bien plus avantageux avec une épouse issue d'une plus noble et grande famille que cette femme qui avait précédé.

Bronn avait renoncé à cela une première fois pour le suivre jusqu'aux terres de Dorne. Depuis lors, il avait revu ses exigences à la hausse. Et Jaime n'avait toujours pas pu obtenir ce que l'autre souhaitait tant.

Il n'était point facile de disposer à son bon vouloir de châteaux ou autres castels de moindres envergures.

Par ailleurs, Bronn ne manquait jamais une occasion de le lui rappeler. Quand bien même, les propos de ce dernier n'avaient rien pour lui plaire.


« Escomptez-vous donc me vendre auprès de Cersei et d'espérer en retour obtenir les avantages et les faveurs que vous n'avez pas pu obtenir par mon biais ?

— Oh non, je n'ai pas l'intention de retourner à Port-Réal, répliqua Bronn. Je comptais davantage vous vendre à cette autre reine, poursuivit-il. Celle venue tout droit d'Essos. »


Tout cela avait été proféré avec une telle désinvolture que, durant une seconde, Jaime se surprit à être tenté d'en rire. Un rire las, fatigué et qu’il souligna du commentaire suivant :


« Oui, je me fais vraiment vieux pour ces histoires. »


Nonobstant, il s'en abstint, plus étonné encore par une telle décision de la part de son acolyte.

Bien qu'après réflexion, il aurait dû s'attendre à une pareille chose, étant donné la personnalité de son compagnon qui n'hésiterait pas à vendre son propre père et sa propre mère si ça lui permettait d'empocher une bourse de cuir bien garnie.

Jaime le fixa longuement, attendant des explications qui paraissaient ne pas vouloir venir. Cela l'agaçait au plus haut point. Bien qu'en l'occurrence, Jaime n'en montrât rien, restant impassible.

En apparence tout du moins.

Il exhorta donc Bronn à en révéler davantage à l'aide d'un geste de sa main dorée qu'il gardait dissimulé sous son épais gant en cuir noir.

Dans le même temps, on leur apporta une miche de pain ronde et bien chaude, ainsi qu'une écuelle contenant du poulet baignant dans du jus de betterave, des morceaux du légume en question et qui était accompagnée de fines tranches de pommes de terre persillées dont Jaime en vint peu après à en savourer le goût.

Bien avant d'en arriver à une telle conclusion culinaire, les deux hommes cassèrent la croûte de concert, extrayant la mie du pain afin de s'en faire un tranchoir.


« Vous avez assassiné son père, lui rappela subitement Bronn. D'un bon coup d'épée dans le dos de ce qu'on en dit et qui vous a valu ce chouette surnom que vous vous trimballez depuis ce jour-là.

Et ça, cette femme le sait, continua-t-il tout en se mettant à mastiquer. Je suis persuadé que, rien que pour ce geste, elle me donnerait une belle récompense, dussé-je lui apporter uniquement votre fichue tête de Régicide. »


De ça, Jaime n’en doutait point. Bronn, pour sa part, poursuivit sur sa lancée :


« De plus, si elle vient à apprendre que Cersei n'escompte pas lui apporter l'aide pourtant promise contre ces fichus morts, nul doute qu'elle se plaira à obtenir justice en éliminant du Lannister. »


Son regard en disait long sur lequel membre de la fratrie en question sur lequel Daenerys jetterait son dévolu.


« Oh, notez bien qu'elle apprécie votre frangin qui est même devenu sa Main depuis lors. »


Jaime décela à la fois l’incrédulité et le respect du reître vis-à-vis de Tyrion pour être parvenu à réaliser cet exploit.

Tout en mastiquant, Bronn enchaîna sur le plus long monologue qu’il avait offert jusque-là au jumeau de celle qui occupait actuellement le Trône de Fer.


« Donc elle prendra le premier de votre famille qui lui tombera sous la main. Et je suppose qu'elle s’empressera de reproduire ce qu’elle a déjà fait là-bas avec les Tarly, fit-il en désignant un point aléatoire vers le sud. »


Et tout en humant les arômes qui s’élevaient de son écuelle, Bronn ajouta le commentaire suivant, que d’aucun aurait pu trouver fort déplacé alors qu’il évoquait la disparition des membres d’une des plus anciennes familles de Westeros.


« On prétend qu'on peut encore sentir leur odeur, là où elle s'est occupée de les rôtir avec le feu de son dragon. »


Le reître haussa les épaules avec indifférence.


« Quoi qu'il en soit, elle vous aura, et ce, grâce à mon aide si précieuse, au point qu'elle m'en remerciera comme il se doit. »


Jaime le toisa lui sourire, une expression que lui-même était bien en peine d’arborer. De plus, une furieuse envie de lui envoyer un soufflet au visage vint lui démanger les doigts de son unique pogne existante.


Toutefois, il réalisa subitement qu'il ressentait une sacrée peur face aux propos qui émanaient de son vis-à-vis.

Bien que n'ayant pas personnellement assisté à la mise à mort de Randyll Tarly et de son fils et héritier Dickon, Jaime avait néanmoins eu vent de ce qui s'était passé à seulement quelques mètres de lui.

Et la possibilité, qu’il estimait plus que probable, d'avoir à finir lui aussi de cette manière, brûlé vif sous le souffle d'une de ces monstrueuses créatures ailées, ne l'enchantait aucunement et lui arracha une grimace qu'il ne parvint guère à dissimuler.

Bronn ne loupa rien de cette expression faciale à en juger par l’éclat qui se décela dans son regard.

Simplement, contrairement à Jaime, il paraissait ne pas s'en émouvoir pour autant. Pas plus qu'il ne se formalisait quant à la perspective d'avoir à retourner sa veste pour livrer à la reine des dragons l'homme avec qui il avait mené maints combats entre Dorne et le Conflans.

D'ailleurs, Jaime nota que son bras droit sur le champ de bataille n'en avait pas tout à fait terminé avec son monologue, puisqu'il reprit la parole une fois qu'il eut vidé d'un trait la totalité de sa chope de bière et qu'il en eut commandé une seconde en agitant le récipient vide.


« Et c'est pas tout, fit Bronn comme s'il ne s'était pas interrompu un instant. Vu votre passif avec ceux du Nord, je crois que vous feriez mieux de ne pas vous y rendre la fleur au bout de l'épée.

Enfin, je dis ça, sauf que je vous y mènerai volontiers à coup de pied au cul si ces fichus Nordiens savaient payer en bon or. Malheureusement pour moi et ma bourse désespérément vide... »


Il haussa les épaules, minimisant le semblant de chagrin qu’il éprouvait suite à la perte de ce qu’il estimait lui revenir de droit pour ses loyaux services.

Jaime aurait certes pu suivre cette judicieuse mise en garde. Nonobstant, il savait pertinemment qu'il n'en ferait rien. Jaime avait fait un serment et il escomptait bien s'y tenir vaille que vaille.


« Et surtout, je n’ai nul autre endroit où je puisse me rendre. »


Et même s'il redoutait autant les Stark que leurs nombreux bannerets à la mine taciturne, il avait tout de même contribué à apporter son aide à Sansa en la laissant entre les mains puissantes de Brienne de Torth.

De plus, Jaime avait connaissance du fait que l'intéressée était devenue la protectrice de la jeune femme et pouvait, potentiellement, représenter un témoin clef quant aux nobles intentions de Jaime Lannister qui avait équipé d’une épée et d’une armure celle qui avait grandi à la Vesprée.


« Si Sansa est parvenue à devenir la Dame de Winterfell, c'est en grande partie grâce à moi, se déclara-t-il mentalement. »


Ce n'était certes pas l'entière vérité, mais cela prouvait néanmoins qu'il n'était pas cet homme fourbe et sans honneur que tous voyaient en lui.

Si véritablement, il ne possédait aucun sens du devoir, comme d'aucuns le clameraient à cor et à cri et on daignait les interroger sur ce sujet ô combien fâcheux, alors Jaime n'aurait pas œuvré de la sorte pendant que, dans le même temps, sa famille était en guerre ouverte contre les Stark et les rares léaux seigneurs qui les soutenaient.


« Admettons que, têtu comme vous êtes, vous vous rendez tout de même sur place, fit Bronn. Que comptez-vous faire exactement, lui demanda-t-il. Vous ne possédez aucune armée. »


Jaime ignora cette évidence d’un geste de la main qui visait à dire qu’il travaillait sur le sujet. Un mouvement que Bronn ne parvint pas à interpréter étant donné qu’il avait enchaîné comme si de rien n’était.


« Et ce ne sont pas vos piètres talents au combat qui feront une quelconque différence s'ils acceptent votre concours pour le cas où une bataille doit être livrée contre ces fichus spectres qu’on dit increvable avec le simple acier. »


Malgré la menace des morts et du chaos qu'ils pourraient apporter sur le continent tout entier, cette dernière remarque n'en fut pas moins prononcée sur le ton de l'amusement, comme si cette menace surnaturelle lui passait par-dessus la tête ou qu’il ne lui accordait pas le moindre fondement.

Fort lui fut néanmoins de constater que ce n'en était pas moins la stricte vérité quant à l’affirmation au sujet de ses propres compétences.

De sa main gauche, Jaime n'était bon à rien. Il avait beau s'être entraîné régulièrement, surtout en compagnie de l'individu qui lui faisait actuellement face, il n'en demeurait pas moins qu'il avait pleinement conscience que jamais il ne pourrait affronter un soldat accompli.


« Et les morts sont des dizaines de milliers si je dois m’en référer aux estimations apportées par ce Jon Snow. »


Lui revint alors en tête les souvenirs d'une bataille relativement récente. Lors de l'attaque entre les forces de Westeros opposées à celles des Dothrakis, Jaime aurait facilement pu y rester. Non, il aurait dû y rester. Il ne devait son salut qu'à l'intervention inopinée de Dickon Tarly.

Ce n'était pas pour autant que Jaime devait s'avouer vaincu. Après toutes les épreuves qu'il avait traversées, il comptait bien réitérer la chose. Et si possible, réussir à réunir suffisamment d'hommes pour que lorsqu'il atteindrait enfin Winterfell, il ne puisse avoir à rougir quant à la perfidie de sa sœur Cersei.


« Vous avez tort, affirma-t-il. »


Sa réaction, tout autant que son aplomb, fut telle, qu’il parvint à prendre Bronn au dépourvu. Une chose bien rare pour le souligner, au point que Jaime savoura, mentalement tout du moins, cette précieuse victoire sur le flegme de son vis-à-vis.


« Il s’avère que, contrairement à vos allégations, je possède une armée. »


Cependant, Jaime espérait que ce serait bel et bien le cas. Sinon quoi, il ferait effectivement mieux d'oublier cette promesse et de partir loin du continent de Westeros tant qu'il en avait encore la possibilité.

Loin de ces terres, loin des vivants, loin des morts.

Loin de son passé.


« Loin de Cersei, compléta Jaime en aparté. »


Quant à Bronn, celui-ci continuait à le fixer sans ciller, ayant retrouvé son masque goguenard. Le reître ne paraissait pas être dupe pour un sou.


« Une armée, lui répéta-t-il. Et vous allez la sortir d'où cette jolie armée ? D'entre les cuisses de votre chère jumelle ? »


En temps normal, Jaime Lannister se serait vivement redressé pour faire payer ce manque évident de respect dont faisait montre Bronn.

Aujourd'hui, néanmoins, il se contenta d'un long silence, se surprenant à tenter vainement de se représenter une telle scène aussi grotesque fut-elle. N'y parvenant guère, Jaime revint au sujet principal de leur discussion.


« J'ai laissé une forte garnison à Vivesaigues, soutint-il. Ces hommes me sont loyaux et ils m'accompagneront dans le Nord si je leur en donne l'ordre. »


Il garda les lèvres closes une demi-douzaine de secondes avant d'évoquer ce qu'il croyait être la partie la plus absurde de son plan.


« J'ai également l'intention de demander son aide au seigneur Edmure Tully. »


Une information qui laissa dubitatif son interlocuteur. Quand bien même, et après une minute sans le moindre bruit et après avoir avalé la moitié de ce qu'il lui restait comme pommes de terre, Bronn finit par prendre la parole.


« J'espère que vous savez ce que vous faites, glissa le chevalier. Je suppose que je n'ai pas besoin de vous rappeler le nombre de personnes qui ne vous portent pas dans leur cœur et qui ressentent que du mépris dès lors qu'on en vient à évoquer Ser Jaime Lannister. »


L'intéressé emprunta un ton désabusé lorsque sonna pour lui l'heure de répondre à cette assertion.


« J'imagine que tout ceci pourrait s'appliquer à l'ensemble des habitants de Westeros. »


Il avait beau feindre l'indifférence, il restait que cette vérité était ô combien triste pour lui qui, plus jeune, espérait que le monde retiendrait ses hauts faits chevaleresques.


« Sauf pour votre sœur, rétorqua Bronn les yeux rieurs. Même les Dieux savent à quel point elle aimait vous offrir son con. »


Cette impertinence. Encore. Bronn devait vraiment le savoir au fond du trou pour s'échiner à le rabaisser de la sorte sans en éprouver la moindre once de culpabilité.


« Eh bien, articula Jaime tout en se relevant, si véritablement, je venais à échouer dans ma mission, je présume qu'il ne me restera plus d'autre choix que de vous faire amener ma tête à ma chère jumelle.

Dès lors, je suis certain qu'après cet exploit, ce sera à vous qu'elle ouvrira ses cuisses. »


Ensuite de quoi, et passablement furieux contre son vis-à-vis, Jaime s'en alla à grandes enjambées, quittant la salle sous l'œil à l'éclat sardonique de Bronn.



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