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Chapitre 2 : Ride the wild wind

1602 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/05/2020 19:44

Je tiens à préciser que l'irrésistible expression "ce n'est pas ce bolide que vous cherchez" (vous reconnaîtrez la parodie de Star Wars, "Un nouvel espoir", avec "droïde" à la place de "bolide") n'est pas de moi, mais de OldGirl, que je remercie chaleureusement pour cette trouvaille.



Ride the wild wind


– Crowley, ralentis, pour l’amour de Dieu !

– Pour l’amour de Satan, essaye de t’amuser un peu !

Aziraphale osa un coup d’œil sur la gauche pour voir dans quelle mesure son compagnon se moquait de lui. S’amuser ? Alors qu’un radar venait de les flasher à 250 km/h sur l’autoroute Lyon-Chamonix dans une voiture de location ? D’accord, en tant qu’êtres éthérés, ils étaient, malgré leur corps d’emprunt, invisibles sur les photographies, et capables d’influencer les esprits comme ils le désiraient, mais cela ne signifiait pas qu’ils devaient pour autant enfreindre la loi !

–Tu vas nous désincorporer ! gémit-il en reportant son attention sur la route, qui défilait devant lui beaucoup trop rapidement à son goût.

– S’il n’y a pas de risque, où est l’intérêt ? Eh, pousse-toi, avec ton tas de boue !

Cette dernière apostrophe était adressée au conducteur d’une puissante BMW qui, en train de doubler un camion, roulait à la vitesse déjà fort peu prudente de 170 km/h, obligeant le démon à freiner brusquement. Aziraphale poussa un petit cri d’angoisse. Il savait qu’il aurait dû refuser catégoriquement de laisser Crowley choisir leur moyen de transport – un 4X4 Range Rover « pour monter facilement les petites routes de montagne, mon ange » – et surtout, surtout, refuser de lui laisser le volant.

Seul point positif : ils étaient presque à destination, après un trajet d’à peine une heure qui aurait dû leur en prendre deux et quart. On voyait déjà le Mont Blanc, qui se dressait, majestueux, au-dessus de la vallée de l’Arve.

Aziraphale, la main droite crispée sur la poignée située au-dessus de la vitre passager, retint son souffle tandis que Crowley, après avoir injurié le pauvre conducteur qui se rabattait prudemment sur la droite, reprenait ce qu’il appelait « sa vitesse de croisière ».

Lorsque l’officier de gendarmerie qui les attendait au péage de Saint-Gervais leur fit signe de se ranger sur le bas-côté, il poussa un soupir qui aurait aussi bien pu être de soulagement que d’irritation.

– On est bien d’accord, tu te gares, tu ne passes pas en force ?

Crowley le regarda de ses yeux jaunes, par-dessus ses lunettes, d’un air blasé qui laissait entendre que telle n’était pas son intention première.

.

Le brigadier de gendarmerie Éric Plouchard ne put s’empêcher de ressentir un certain trouble lorsqu’il s’approcha de la fenêtre du 4X4 noir et reluisant qui avait été contrôlé à 248 km/h au niveau de Sallanches. Tout d’abord parce qu’il connaissait peu de véhicules susceptibles de monter à cette vitesse, et que celui qu’il avait sous les yeux n’était certainement pas capable d’une telle performance. Ensuite parce que la photo prise automatiquement par le radar était très étrange : on ne voyait personne au volant.

Pourtant, deux personnes se trouvaient bel et bien dans la voiture : au volant, l’air passablement exaspéré d’avoir été pris en flagrant délit, un homme de quarante à quarante-cinq ans, lunettes noires, joues creuses, chemise noire, longues mains fines, pantalon noir. A côté de lui, tout sourire mais le teint passablement verdâtre, son acolyte, yeux bleus, joues rebondies, veste blanche impeccablement repassée, mains potelées, pantalon blanc.

Le gendarme fit rouler ses épaules, autant pour intimider les deux hommes que pour ne pas montrer son malaise au petit jeunot qui l’accompagnait et qui le suivait, trois pas derrière lui, prêt à intervenir en cas de refus d’obtempérer.

– Sortez du véhicule immédiatement ! dit-il d’une voix dure. Vous avez commis un excès de vitesse supérieur à 50 km/h, votre voiture est donc immobilisée jusqu’à nouvel ordre et vous allez me suivre au poste sans discuter.

Un sourire étira les lèvres minces du conducteur.

– Et si je refuse ? demanda-t-il avec un accent à couper au couteau.

Mince, des Anglais. Avec un système de permis complètement différent.

– Vous plaisantez ou quoi ? Vous avez été contrôlé à 248 km/h au dernier radar, répondit Éric, qui se sentait de plus en plus mal à l’aise devant les lunettes noires parfaitement opaques de son interlocuteur.

– Vous avez, bien évidemment, une preuve de ce que vous avancez ?

Le gendarme déglutit péniblement en repensant à la photo désespérément vide. L’homme en noir ricana.

– Techniquement, reprit-il avec un grand sourire, vous ne pouvez pas affirmer que nous étions dans la voiture lorsqu’elle est passée devant le radar.

Éric jeta un coup d’œil vers son jeune assistant pour lui faire signe de se tenir prêt.

– Cette voiture a été contrôlée à 248 km/h, s’obstina-t-il, et puisque vous êtes à l’intérieur en ce moment, vous en êtes le conducteur. Vous allez donc sortir immédiatement de cette voiture si vous ne voulez pas que nous vous en fassions sortir de force !

Le conducteur poussa un bruyant soupir et s’affala sur le volant en marmonnant quelque chose d’incompréhensible en anglais. Éric tendit la main pour ouvrir la portière et contraindre l’homme à descendre, mais il se sentit alors envahi par une douce torpeur qui l’empêchait de bouger. Son esprit, embrumé, savait qu’il aurait dû se souvenir de quelque chose, mais… il lui était impossible de savoir pour quelle raison il avait arrêté ces deux gentlemen. L’homme en blanc lui fit un sourire poli et un peu gêné et s’adressa à lui en anglais :

– Ce n’est pas ce bolide que vous cherchez.

– Ce n’est pas ce bolide que nous cherchons, répéta, malgré lui, le gendarme dans la même langue (lui qui n’avait jamais réussi à articuler deux mots correctement au collège), en se tournant vers son collègue qui semblait atteint de le même inexplicable léthargie.

– Tout va très bien, on peut s’en aller.

– Tout va très bien, ils peuvent s’en aller. Allez, circulez !

.

L’autoroute avait cédé la place à une petite route de montagne, tout en virages, en lacets et en bas-côtés défoncés. Le 4X4 avançait à la vitesse d’une tortue rhumatisante et Crowley commençait à regretter d’avoir accepté, après le mémorable incident avec le gendarme, de céder le volant à son compagnon de route.

– Si vraiment tu refuses d’aller plus vite, serre un peu plus à droite, que je puisse cueillir des fleurs et des mûres au passage.

L’ange, les mains crispées sur le volant, les yeux fixés sur la route qui serpentait sur le mont d’Arbois, ne répondit rien, totalement absorbé par sa conduite. Crowley soupira. Les dix derniers kilomètres allaient leur prendre le même temps que les deux cent cinquante précédents.

Un cycliste les dépassa dans un virage, leur jetant un regard stupéfait au passage. Le démon se prit la tête dans les mains et poussa un gémissement.

– Tu me fais honte.

– Pourquoi n’admires-tu pas le paysage au lieu de ronchonner ?

Crowley leva les yeux vers le Mont Blanc dont les neiges éternelles (tout est relatif, bien sûr) rosissaient au soleil couchant.

– Ça y est. Tu me laisses reprendre le volant ?

– Je te l’ai déjà dit : tu vas trop vite pour moi…

– Tu me l’as dit il y a trente ans ! protesta Crowley, stupéfait de tant de mauvaise foi. Je pensais que tu t’étais habitué depuis. Nous vivons dans l’ère de la vitesse maintenant ! En Angleterre, tu n’es pas si mauvais conducteur ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

Aziraphale poussa un soupir.

– Je te l’accorde, la conduite à droite me met très mal à l’aise. Mais il ne faut jamais perdre une occasion d’apprendre.

Le démon leva les yeux au ciel. Apprendre ? Ce n’était pas de l’apprentissage, c’était de la torture. Même au XIVème siècle, les chevaux allaient plus vite. En désespoir de cause, il reporta son attention sur les montagnes environnantes. Une délicieuse odeur d’herbe fraîchement coupée montait des bas-côtés. On entendait, quelque part, un son de cloches – probablement quelques vaches occupées à brouter paisiblement. Au-dessus de la cime des sapins qui se dressaient vers le ciel, un rapace décrivait de larges cercles. Un ruisseau coulait le long de la route et son murmure couvrait le ronronnement du moteur.

Et si tout cela existait encore, c’était grâce à eux.

Il pouvait peut-être supporter, après tout, de perdre une heure de sa vie à admirer le monde qu’il venait de contribuer à sauver.

.

– Aziraphale…

– Oui ?

– J’ai été impressionné par ton miracle avec le gendarme. Tu ne m’avais jamais dit que tu étais fan de Star Wars.

– Tu es bien fan de Mary Poppins.

– … Personne n’est parfait.

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