Clair comme Nuit

Chapitre 3 : Quelque chose cloche

5063 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:22

 

QUELQUE CHOSE CLOCHE

 

 

Trois marches et demie.

C'était ce qu'il avait le temps de monter avant que les escaliers ne décident de le piéger.

Depuis son arrivée à Poudlard, Terrence Swanson se demandait si quelqu'un avait jeté un genre de sort de reconnaissance sur ces fichus escaliers enchantés. Il avait l'impression d'être le seul élève de l'école à qui cela arrivait : les autres grimpaient les marches et, oui, parfois, les escaliers se déplaçaient pour les raccorder avec un autre étage, mais pourquoi jamais personne d'autre que lui ne se retrouvait coincé au beau milieu du vide ?

Il soupira et tira sur la lanière en cuir accrochée à sa ceinture, sur laquelle il avait suspendu une demi-douzaine de montres – moldues et sorcières confondues – et soupira.

Vingt heures quarante et des poussières (certaines montres avaient tendance à aller à leur propre rythme), personne ne passerait par là avant un moment.

Bon. Ça tombe bien, pour une fois. J'ai besoin de réfléchir.

Il refourra la ligne de montres dans sa poche et fouilla dans son sac de classe à la recherche des oreillettes en fourrure qu'il avait ensorcelées pour qu'elles jouent les pistes de son vieux MP3 (Merlin, que la magie était donc pratique : il aurait détesté avoir à se trimballer avec une cargaison de piles à chaque rentrée scolaire).

Il finit par les trouver, les épousseta pour les débarrasser de la poudre de valériane dont le flacon s'était ouvert et répandu partout dans son sac. Il les enfila, tira sa baguette de la poche arrière de son pantalon d'uniforme et prononça la formule avec nonchalance.

- Orchestra Auribus.

 Le seul problème avec ce sort, c'était que le son ne se contentait pas de rester dans les écouteurs. Il avait plutôt tendance à virevolter autour des oreilles, ce qui ne servait strictement à rien quand vous vouliez écouter de la musique pendant que le reste du dortoir dormait – ou étudiait.

Terrence haussa les épaules. Ce n'était pas un problème. Il avait pris l'habitude de s'isoler dans une des pièces abandonnées du 3ème étage quand il avait besoin de se concentrer.

Enfin, il y était rarement vraiment seul.

En général, Albus se juchait sur l'appui de la fenêtre avec un bouquin et lisait tranquillement pendant que son meilleur ami immergeait son cerveau de génie dans la musique, bredouillant des mots sans suite et grattant du parchemin comme s'il avait la plume qui le démangeait.

Souvent, Wendy les y rejoignait et dessinait les différents lieux du château, assise en tailleur sur une pile de coussins élimés. De temps en temps, un elfe de maison apparaissait dans un "pop" léger et venait grignoter ses tartines de courgette/crème de noisette/aïoli à côté d'elle, en commentant les tableaux d'une voix aiguë. C'était un phénomène assez inhabituel pour ces êtres timides aux grandes oreilles, surtout qu'ils auraient dû être les premiers à rappeler aux élèves que l'utilisation de la pièce n'était pas franchement autorisée. Les trois amis avaient renoncé à le comprendre après s'être aperçus que poser des questions aux étranges petits personnages les rendait hystériques – ou les faisait disparaître pendant plusieurs semaines d'affilée.

Terrence soupçonnait que les elfes de maison subissait la même attraction mystérieuse pour Albus que toutes les autres créatures magiques.

Et d'une.

Albus, qui n'avait jamais été malade en trois ans et demi et qui d'un coup tombait de son balai à cause d'une douleur dans la poitrine surgie de nulle part.

Albus, qui était bien la dernière personne de l'école qui aurait pu fricoter avec une magie louche ou s'associer à des hooligans en herbe, et qui portait soudain une marque impossible à réaliser même pour un sorcier expérimenté trempé dans les forces du mal.

Trois raisons de soupçonner un truc. Trois fils bien emberlificotés.

Bobbie n'avait pas l'air très à son aise...

Y'a quelque chose là-dessous…

Terrence se mordilla les lèvres. Il fit un pas de côté, en rythme avec la chanson reggae, claqua des doigts. Ses hanches ondulèrent et son menton se mit à bouger en accord avec les basses. Il se mit à marmonner en chantonnant à mi-voix, tellement plongé dans ses pensées qu'il ne s'aperçut pas qu'au-dessus de lui, Nick-quasi-sans-tête et Mimi Geignarde étaient en plein groove, en train d'imiter ses pas de danse.

L'escalier ne bougeait pas, toujours immobilisé au milieu du vide. La chanson résonnait de façon un peu désincarnée sous le très haut plafond et les deux fantômes se dandinaient avec application, copiant la façon dont Terrence tournait sur lui-même ou déplaçait ses talons sur le côté.

Neville Londubat s'arrêta en haut des marches qui montaient de la Grande Salle et considéra le spectacle qui s'offrait à lui. Il repoussa les pans de sa robe de sorcier et de sa blouse blanche et mit ses mains dans les poches de son pantalon en velours côtelé. Il ne savait pas trop s'il devait se mettre à rire ou apostropher l'élève en train de danser au beau milieu des escaliers. Il secoua la tête et fit un pas en avant.

L'escalier récalcitrant le reconnut aussitôt et se mit en branle vers la gauche pour se raccorder au deuxième étage. Terrence, toujours en pleine réflexion, ne s'en aperçut pas, mais les deux fantômes firent la moue en voyant le professeur. Ils se séparèrent – Mimi Geignarde était en train de forcer Nick-quasi-sans-tête à passer sous son bras – et disparurent dans un tableau sous les applaudissements d'une douzaine de femmes vêtues de tresses de fleurs. Le satyre qui s'était assis pour regarder la scène lui aussi se releva et se remit à poursuivre ses belles qui se sauvèrent dans le tableau suivant en piaillant.

- Swanson. Qu'est-ce que vous faites ici alors que vos camarades sont tous couchés ou en train d'étudier dans la Grande Salle ? demanda Neville en posant sa main sur l'épaule du garçon quand il fut à son niveau.

Terrence tressaillit en revenant à la réalité. Il ôta les écouteurs qui se turent avec un gargouillis.

- Oh, professeur. Désolé, je vous avais pas entendu arriver…

Il adressa un sourire d'excuse à l'homme grand et maigre qui leur enseignait la botanique. Son visage chevalin, ses cheveux châtains embroussaillés et son léger bégaiement n'en faisait pas moins l'un des professeurs favoris des élèves. Sa gentillesse était notoire, son sens de la justice reconnu de tous et, même si certains gamins faisaient des gorges chaudes de sa passion débordante pour le moindre bout de feuille, il restait incontestablement l'adulte le plus consulté de Poudlard. Il avait toujours le temps pour une tasse de thé, ne se fatiguait pas de consoler ceux qui avaient le blues de la maison et savait vous conseiller en cas de stress pendant la période des examens comme lors d'une dispute absurde.

- Qu'est-ce qui vous préoccupe, mon garçon ?

Terrence se frotta le bout du nez. Il hésita, puis fourra les écouteurs dans son sac et leva ses yeux bleus vers l'homme qui lui souriait gentiment.

- Vous connaissez bien la famille d'Albus, n'est-ce pas ? Sa mère vous fait passer le bonjour à toutes les rentrées.

Neville Londubat fronça un sourcil.

- Oui, répondit-il prudemment. "Ses parents sont des amis de longue date. Pourquoi ?"

L'adolescent réfléchit quelques secondes, comme s'il n'était pas encore sûr de vouloir partager sa pensée.

- Est-ce que… est-ce que vous savez d'où vient sa cicatrice, alors ? Elle est apparue tout à l'heure, quand on le soignait pour sa chute au Quidditch. Il n'a pas l'air de s'en souvenir et Mrs Abbot avait l'air de trouver ça important. Est-ce qu'il s'agit d'un sortilège ? C'est un truc de famille ? J'ai entendu dire que son père avait une cicatrice célèbre.

Les yeux bruns du professeur s'écarquillèrent, surpris.

- Quelle cicatrice ? Albus n'a pas…

Il s'interrompit et rougit violemment, comme si quelque chose venait de lui traverser l'esprit.

- Ce sont des questions bien trop personnelles, reprit-il d'une voix troublée qu'il essaya de rendre sévère. "Je ne pense pas avoir besoin de vous répondre."

Le changement d'expression n'échappa pas à Terrence qui n'insista pas.

Et de quatre.

Neville se racla la gorge.

- Vous devriez monter vous coucher, Swanson. Il est tard.

- Bonne nuit, professeur.

L'homme attendit que l'adolescent ait docilement monté quelques marches, puis fit volte-face et dévala l'escalier en direction de l'infirmerie. Terrence, debout sur le palier du second, le regarda disparaître au coin du couloir du rez-de-chaussée et soupira.

Il y a vraiment quelque chose de louche.

Il s'achemina pensivement jusqu'à son dortoir, donna le mot de passe au farfadet qui gardait la porte, à cheval sur un vieux bouc qui mâchouillait une touffe d'herbe d'un air de suprême ennui et louvoya entre les gars de cinquième années qui pratiquaient leurs sorts dans la salle commune tendue de tapisseries écarlates. Des coussins avaient éclaté et des plumes volaient de partout. Des filles assises devant la cheminée essayaient de réviser dans ce brouhaha infernal et il y avait un rat en grande détresse sur le lustre, en train de souffler bien malgré lui une énorme boule de chewing-gum verte.

Terrence lui lança un regard de pitié mais se contenta de gravir l'escalier en colimaçon jusqu'à sa chambre.

- Nom d'un scolopendre à lunettes, Swanson, préviens, quand c'est toi ! piaula une voix indignée quand la porte s'ouvrit.

Une hirondelle de papier quadrillé voletait autour de la pièce et ça sentait le putois à l'intérieur.

- Quoi, vous pensiez que c'était un prof ? riposta le garçon blond avec un sourire narquois.

Il lança son sac sur le premier lit à baldaquin à droite – le sien – puis se jeta à plat ventre sur celui de gauche.

Craig Finnigan et Samuel Flinch-Fletchley , qui étaient allongés côte à côte sur la courtepointe bordeaux, eurent juste le temps de rouler de côté pour éviter d'être écrasés. Flinch-Fletchley  tomba lourdement sur le tapis, tandis que Finnigan serrait le magasine contre son cœur.

- Cassiopée a failli être abimée, protesta-t-il en roulant des yeux.

Terrence se saisit du magasine et le feuilleta rapidement.

- Je croyais que ta préférée, c'était Mélisande.

Samuel, qui s'était relevé et avait fait le tour du lit, vint s'accouder sur lui.

- Plus depuis qu'elle s'est fait refaire le nez, dit-il.

- C'est pas son nez qui intéresse Craig, pouffa Terrence.

Finnigan prit un air offensé pendant trois secondes, puis gloussa.

- C'est pas faux. Allez, rends-moi ça, Swanson. Si tu veux te rincer l'œil, c'est dix noises.

Terrence lui jeta le magasine et sauta du lit.

- Non merci, ça ira. Et pour info, les gars, les elfes de maison ont été briefés en ce qui concerne les lectures des élèves. S'ils mettent la main sur votre numéro d'Encorbellements, vous pourrez dire adieu à Mélisande et à ses jolies jambes…

- Cassiopée, rectifia Samuel.

- T'inquiète, Malefoy a mis un sort d'invisibilité dessus, fanfaronna Finnigan.

Terrence échangea un regard avec le garçon blond qui occupait le quatrième lit et qui se contenta d'hausser les épaules, puis il sourit d'un air sarcastique.

- Et tu crois vraiment qu'un sortilège jeté par un élève de 4ème année va empêcher des elfes centenaires de voir la supercherie !

- La ferme, Swanson, t'es pas marrant, ronchonna Flinch-Fletchley .

Les deux ados se réinstallèrent sur le lit à moitié défait et mirent la courtepointe sur leurs têtes comme un genre de tente. Deux secondes plus tard, leurs gloussements ravis se mêlaient au bruit des pages tournées.

Terrence secoua la tête, amusé.

- Irrécupérables…

Il retourna vers son lit, enleva son sac qu'il fourra pêle-mêle dans la table de nuit et se mit en quête de son pyjama. Le haut avait atterri sur un des montants de son lit à baldaquin et le bas était roulé en boule sous les franges du matelas, à côté du scrutoscope cassé de Fabius Macmillan (qui dormait dans l'autre chambre avec Samuel Flinch-Fletchley et deux autres élèves de 4ème année) et d'un emballage vide froissé de dragées de Bertie Crochue. Terrence enfila son pyjama, puis se mit à chercher sa brosse à dents. Elle se présenta soudain devant lui, flottant dans les airs.

Il l'attrapa et se tourna vers Scorpius Malefoy qui reposait sa baguette.

- Merci.

- Elle était dans mes affaires, signala l'autre garçon. "J'ai failli me brosser les dents avec."

Il avait l'air dégoûté.

- Désolé, marmonna Terrence en repêchant son dentifrice dans l'encrier posé sur la table de nuit d'Albus.

Comme le coin de Malefoy, celui de Potter était à peu près ordonné. Il y avait bien une pile de livres à côté du lit et un magasine de Quidditch ouvert sur le couvre-lit vermillon – sur lequel dormait le chat de Fabius Macmillan – mais ça n'avait rien à voir avec les murs recouverts de posters de Sorcière-Hebdo de Finnigan ou le capharnaüm monumental qui encombrait la pièce quand on s'approchait du lit de Terrence. Entre les chaudrons dentelés par des expériences foireuses, les flacons aux contenus douteux, les objets sans queue ni tête ramassés un peu partout et les grimoires émaillés de milliers de post-it, c'était un miracle que les elfes puissent encore changer les draps une fois par mois.

- Qu'est-ce que t'as fait de Potter ? demanda Scorpius en tournant nonchalamment une page de son livre. "Tu l'as égaré ? Ton rappel-tout ne marche plus ?"

Terrence sourit. Il était loin d'être dupe.

- Al est à l'infirmerie, il s'est fait mal pendant l'entraînement. Rien de grave, s'empressa-t-il d'ajouter quand le regard gris de l'autre étincela farouchement.

De tous les êtres étrangement fascinés par Albus, Scorpius Malefoy était le plus étonnant. Probablement parce qu'il était humain – quoique Terrence se demandait parfois s'il ne coulait pas du mercure dans les veines du garçon au teint pâle. Il n'avait pas beaucoup d'amis – enfin, pour être exact, pas du tout. Il en aurait peut-être eu s'il avait été réparti à Serpentard où se trouvaient la plupart de gosses de familles riches, mais son appartenance à la maison Gryffondor avait comme qui dirait coupé les ponts.

Terrence n'avait toujours pas très bien compris pourquoi, mais la plupart des enfants de sorciers se méfiaient du petit blond à l'air malade. Pendant leur première année, Scorpius, qui pourtant semblait s'être donné pour but dans la vie d'être aussi invisible que possible, avait essuyé pas mal de brimades, en particulier de la part de la bande à James Potter. Puis, une fois, pendant la classe de potions, il s'était retrouvé en paire avec Albus et la magie avait opéré.

Comme le chien enragé qui gardait l'arrière-boutique de Honeydukes, comme le strangulot pervers étudié en troisième année, comme des tas d'autres créatures frissonnantes de peur ou de colère, le garçon aux cheveux blonds presque blancs s'était amadoué, mystérieusement apprivoisé par les grands yeux verts.

Ils n'étaient pas devenus les meilleurs amis du monde – Scorpius était bien trop distant et solitaire pour ça – mais une sorte de chaleur animait la voix monotone du fils Malefoy quand il se trouvait dans la même pièce qu'Albus. En grandissant, il était devenu un peu plus ouvert, un peu plus fort aussi (il se donnait un genre d'air dédaigneux pour cacher son inconfort) et les seniors avaient fini par le laisser tranquille.

Terrence était presque sûr que M. Potter y était pour quelque chose. James n'aurait jamais écouté son frère, mais il respectait son père – même à distance.

- Ils le gardent pour la nuit ? s'étonna Scorpius en posant le livre à côté de lui.

Il fronça les sourcils.

Terrence estima judicieux de changer de conversation.

- T'as fini tes trente centimètres de parchemin sur le chapitre 9 de l'Histoire de la Magie, toi ?

Malefoy hésita.

- Ouais. Pas toi ? Je pensais que t'avais expédié ça mardi dernier déjà.

- Je les avais oubliés, marmonna Terrence d'un ton penaud. "J'ai pas envie de faire ça ce soir, j'en ai pour la vie des rats, ça va être mortel…"

Il se mit à fourrager dans le bazar autour de son lit.

- Je vais le faire demain, quand j'aurais les idées fraiches.

Le réveil qu'il cherchait rebondit sur sa tête avant de tomber sur le plancher avec un drelin pathétique.

- Il était aussi dans mes affaires, lança Malefoy, ses sourcils sombres pliés d'un air agacé.

- Désolé.

Terrence remonta le mécanisme jusqu'à cinq heures puis posa le réveil moldu sur sa table de nuit après avoir poussé le plumier et les boites d'épices qui contenaient ses affaires de botanique. Scorpius enfilait son pyjama derrière les rideaux écarlates de son lit. Samuel et Craig gloussaient toujours bêtement sous leur chapiteau improvisé. Terrence envisageait de mettre le feu aux franges du couvre-lit pour les obliger à aller se coucher, lorsque la porte de la chambre s'ouvrit.

- Albus ? dit Malefoy en sortant la tête de l'encolure de son haut de pyjama.

Sa voix contrôlée et nonchalante cachait bien la question inquiète et sa moue ennuyée habituelle pliait le coin de sa bouche, mais ses yeux gris scrutaient impatiemment le garçon qui venait d'entrer.

Terrence se retourna, étonné.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Albus sourit en s'asseyant sur son lit (en se laissant tomber dessus aurait été plus exact, observa mentalement son meilleur ami.) Il tenait dans ses bras le rat au chewing-gum dont la fourrure s'électrifia en voyant le chat roulé en boule

- Le chaudron de Pamela Crivey a explosé en étude et la moitié des élèves qui étudiaient dans la Grande Salle a atterri à l'infirmerie. Ils sont couverts de pustules poilues, c'est dégueu.

Il frissonna de rétrospective et étouffa un petit cri de douleur quand le rat le mordit en pédalant à toute vitesse sur ses genoux pour s'échapper.

- C'est hyper contagieux d'après Mrs Abbot, du coup elle m'a viré.

Il mit le rat dehors, adressa un clin d'œil à son meilleur ami en revenant.

- Ouf.

Terrence mit les poings sur ses hanches en se mordillant les lèvres, puis relâcha ses épaules.

- Bah, c'est que t'étais pas en si mauvais état, alors.

Malefoy hocha vigoureusement la tête depuis son lit.

Albus se débarrassa de son pantalon d'uniforme et enfila son bas de pyjama. Il récupéra un t-shirt dans son armoire après avoir découvert qu'une bouillie de réséda écrasé (en provenance direct du bazar sous le lit voisin) avait taché son haut. Il hésita, une main sur le premier bouton de sa chemise, puis grimpa sur son lit et ferma les rideaux.

Les yeux de Scorpius se rétrécirent, soupçonneux et ses sourcils sombres ne firent qu'une barre au-dessus de ses yeux orageux. Terrence ne fit qu'un bond jusqu'au lit de son ami et glissa la tête à l'intérieur.

Albus soupira en le voyant apparaître et termina d'enfiler son t-shirt sur le bandage en travers de son torse.

- T'as mal ? demanda Terrence à voix basse.

- Non, dit l'autre garçon, un peu agacé. "Je voulais juste éviter les questions."

- Elle est toujours là ?

Albus se mordit les lèvres et acquiesça au bout d'un moment, en baissant les yeux.

- Tu t'es souvenu de quelque chose ? demanda encore Terrence avant que Samuel ne saute dans son dos et ne lui fasse perdre l'équilibre. Les rideaux du baldaquin se détachèrent avec une secousse et tombèrent en se froissant sur le plancher.

- Oy ! C'est quoi ces messes basses ? Potter a une p'tite copine ? Vous avez un tuyau pour le test en Sortilèges ?

L'adolescent blond se débarrassa de la prise et jeta Flinch-Fletchley, qui était râblé mais faisait une tête de moins que lui, dans la malle au pied du lit de Finnigan.

- Non et dégage, Sam. Va dormir dans ta piaule.

- T'as tout cassé, crétin, ajouta Albus en se penchant pour ramasser ses rideaux.

La grimace de douleur qui lui échappa dans le mouvement n'échappa pas à Scorpius qui se renfrogna encore davantage.

- Baston, baston, baston, scandait Finnigan, excité comme une puce, en dansant autour de son lit avec des youhous d'indien irlandais.

- La ferme, Craig, siffla Malefoy. "Y'en a qui veulent dormir."

Le garçon aux cheveux coupés ras jeta un coup d'œil autour de lui et s'interrompit net. Les taches de rousseur sur ses joues rondes se gonflèrent brièvement, et la seconde d'après, il jetait son pote hors de la chambre – avec le chat de Fabius Macmillan.

- Ouais, dégage, Flinch-Fletchley. Je t'ai assez vu pour aujourd'hui, faut pas abuser des bonnes choses !

- A demain, ma poule ! gloussa Samuel derrière le battant de la porte.

Terrence secoua la tête, l'air accablé.

- Vous êtes vraiment graves…

Craig ne l'écoutait pas du tout. Il s'était faxé dans son pyjama et était déjà presque couché. Albus venait de fermer les yeux. Terrence soupira et s'installa pour la nuit lui-aussi. Malefoy souffla sa bougie et la ralluma l'instant d'après pour balancer un éclair sur l'hirondelle qui continuait de voleter avec un petit bruit de papier agaçant.

Puis tout devint calme.

Terrence croisa les bras derrière sa tête, sur son oreiller, et sourit dans le noir.

Certaines choses ne changeaient pas. Tous les habitants de la chambre se couchaient en fonction d'Albus qui ne s'en était jamais aperçu. Le premier soir, il avait dit timidement "désolé, je ronfle, il parait…" et s'était pris un coup de traversin de Finnigan : "y'a pas intérêt !"

Puis il s'était endormi et les garçons avaient découvert un secret qu'ils avaient soigneusement gardé jusque là.

Albus ne ronflait pas. Il ronronnait.

Et dans le silence impressionnant de la chambre au sommet d'une tour en Ecosse, dans un château effrayant, après une rentrée exaltante mais éprouvante, le son doux et rassurant s'était éclairé comme une veilleuse pour les trois garçons de onze ans.

Quatre ans plus tard, c'était devenu une habitude. Un peu comme de sauter au-dessus de la treizième marche de l'escalier en cours de Divination, ou de mettre des boules Quiès quand Peeves apparaissait en étude, comme avoir toujours sur soi un bout de carotte pour le lièvre des flandres mordeur de Bert Hammersmith ou de ne pas manquer le moment où se déployaient les étendards des maisons sur le terrain de Quidditch avant un match.

Finnigan prétendait même qu'il avait du mal à s'endormir quand il était chez lui, en l'absence du ronron discret et chaleureux.

Scorpius Malefoy ne l'aurait jamais avoué, mais c'était une des choses qui lui manquait le plus pendant les vacances.

Et Terrence…

Terrence ouvrit les yeux tout grands dans l'obscurité.

En parlant de choses bizarres…

Un sorcier qui ronronne, on n'en a jamais entendu parler, en classe…

Albus, combien de trucs tu nous caches, en fait ?

Il serait bien resté éveillé plus longtemps pour réfléchir aux nouvelles questions soulevées par cette dernière observation, mais l'effet du ronronnement était toujours aussi fort depuis sa première année à Poudlard et ses paupières s'alourdissaient déjà.

Il bâilla et se tourna sur le côté.

Dans le lit d'en face, Malefoy avait plongé et son drap se soulevait régulièrement. Finnigan, lui, ronflait tout court, la bouche ouverte et les jambes écartées.

Terrence ferma les yeux.

J'y penserai demain…

L'hirondelle terminait de se consumer sur le plancher. La lune se glissait par la fenêtre basse, baignant la chambre d'une clarté bleue. Sur la table de nuit de Craig, son réveil en forme de sablier émiettait doucement des grains de sable. Tout était paisible.

Cette nuit-là, Terrence rêva du jour où il avait rencontré Albus pour la première fois.

 

 

A SUIVRE…

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