Clair comme Nuit

Chapitre 4 : Cuillère & Grosdur

6147 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:55

 

CUILLERE & GROSDUR

 

 

Une cacophonie incroyable régnait dans la petite boutique animalière.

Francis et Amelia Swanson étaient plantés au milieu du magasin, la bouche ouverte et les yeux ébahis.

- Comment puis-je vous aider, messieurs-dame ? demanda la vieille sorcière qui s'extirpait de derrière le comptoir dans un bruit d'os assez effrayant.

- N-n-n-nous… v-venons choisi-i-r un a-a-animal pour n-n-otre fils, réussit à articuler Francis après quelques instants, en s'efforçant de ne pas fixer la verrue énorme qui poussait sur le nez crochu de la vendeuse.

- Il est en p-p-première année à P-p-poudlard, ajouta sa femme en bredouillant.

La sorcière eut un petit rire et frotta son menton en galoche orné de trois poils gris très longs.

Terrence gloussa, parfaitement à son aise. La vieille dame ressemblait à la fée carabosse de son livre de contes, mais il y avait quelque chose de définitivement affectueux dans le ton de sa voix.

- Le premier de la famille, hein ?

- Oui, dit Terrence fièrement.

- Tu m'as l'air d'un brave petit gas, commenta la voix éraillée tandis qu'une main décharnée tapotait les cheveux blonds de l'enfant. "Voyons… que penses-tu d'un hibou ? C'est important d'en avoir un, surtout quand on vient du monde moldu."

Francis et Amelia consultèrent leur fils du regard.

- Okay, dit Terrence en mettant les mains sur les hanches. "Mais j'en veux un qui mord pas et qui ne ramènera pas de souris dans le salon. Ma maman a peur des souris."

La sorcière se mit de nouveau à rire. Elle avança entre les cages suspendues partout au plafond, écartant celles où se dandinaient des rats.

- Hummmm… ah, voilà. Viens voir, mon garçon.

Les deux adultes se penchèrent pour se faufiler jusqu'au coin de la boutique, en faisant attention de ne pas renverser les paniers entassés n'importe comment. Amelia sursauta en passant à côté d'une volière remplie de perroquets qui juraient comme des marins d'eau douce et Francis faillit marcher sur un chat efflanqué qui le toisa d'un regard jaune avant de lui donner un coup de griffe sur la jambe.

- Papa, maman, regardez ! Il est trop mignon, hein ? s'écria Terrence.

Il avait dans les bras un hibou miniature, une vraie boule de plumes grises et fauves. Son petit bec d'ivoire luisait et ses yeux ressemblaient à des billes noires excitées.

- Il s'appelle Grosdur, dit la sorcière en se grattant la narine du bout d'un ongle jaune et strié. "Ce n'est pas un bébé, malgré sa taille. Il est fidèle et efficace sur les longues distances, même si on a du mal à le croire en le voyant."

- C'est clair, dit Francis malgré lui.

Il adressa un coup d'œil d'excuse à la vieille femme qui pouffa de rire.

- Est-ce qu'il mange des souris ? demanda timidement Amelia, rassemblant tout son courage. "Où peut-on en acheter ? A-t-il besoin d'un panier ou d'un collier ?"

Sans poser l'oiseau qui semblait à l'aise sur son bras, Terrence fit glisser son cartable sur le côté et en sortit une brochure pliée en quatre.

- Regarde, maman, ils expliquent tout, là-dedans. Les hiboux domestiques ont l'habitude de faire le facteur, ils ne sont pas com…

La clochette de la porte d'entrée lui coupa la parole, suivie d'un brouhaha de voix.

- En tout cas, t'as pas intérêt à choisir un hibou ! lança la voix décidée d'un garçon. "Arrête de me copier, Al !"

- James, ça suffit. Laisse ton frère choisir ce qu'il veut comme animal de compagnie, dit une voix d'homme.

- Je ne copie pas, protesta une petite voix timide mais indignée. "C'est juste que… que… je voulais une chouette comme papa quand il était à l'école…"

- AH NON ! Papa, il le fait exprès !

- James, qu'est-ce qu'on a dit ? coupa la voix d'une femme. "Arrête tes bêtises."

- Oh maman, regarde, ils ont des chauve-souris ! piailla la voix excitée d'une fillette. "J'veux un vampire ! Oh s'il te plait, maman, j'peux avoir un vampire ? S'il te plaît, s'il te plait, s'il te plaît !"

Terrence se glissa derrière la vendeuse, curieux et fasciné, comme toutes les fois où ils s'étaient retrouvés avec une famille de sorciers en train de faire les courses de la rentrée dans le Chemin de Traverse bondé à cette époque de l'année.

Celle-ci avait l'air plutôt normale, comparée à d'autres, finalement. La mère était habillée d'un tailleur et ses cheveux auburn étaient bien coiffés. Le père portait des lunettes rondes et une veste de costume sur un jean – exactement comme celui de Terrence. Le plus grand des garçons avait des cheveux ébouriffés et une expression assez suffisante. La petite fille était coiffée de deux tresses et son visage était piqueté de taches de rousseur. Elle sautillait en frottant les mains d'un air implorant. L'autre garçon devait être en première année, lui aussi. Il était de dos et tenait la main de l'homme.

- M. Potter ! s'écria la vieille sorcière en émergeant entre deux caisses de crapauds qui faisaient des bulles. "M. Harry Potter dans ma boutique ! Quel honneur, mes aïeux, quel honneur !"

Avec une espèce de révérence, en tenant les coins de sa robe élimée, elle adressa un large sourire édenté au monsieur qui se frotta la nuque d'un air un peu embarrassé.

- Bonjour madame, dit-il. "Nous… euh. Nous venions choisir l'animal de mon fils Albus. Albus Severus entre en première année, voyez-vous. Et voilà, c'est son tour."

La vendeuse se pencha vers le garçon aux cheveux noirs qui ressemblait énormément à son père et qui fit un pas en arrière en se serrant un peu contre le bras de l'homme.

- Ah, ça grandit, ces p'tites graines ! roucoula-t-elle. "Alors, qu'est-ce que tu voudrais, mon cher enfant ?"

De là où il était, Terrence vit nettement les grands yeux verts de son futur camarade de classe faire un aller-retour entre son frère et son père.

- Un… hibou. J'aimerais bien… un hibou – s'il vous plait, murmura-t-il.

- Papa ! Dis-lui ! piaula aussitôt celui qui s'appelait James. "Il fait tout comme moi, c'est trop pénible !"

- James, tais-toi, ordonna la femme. Elle tira sur une des tresses de la gamine rousse qui continuait de couiner. "Lily, toi aussi, ça suffit. Tu n'auras pas de vampire. Et on t'a déjà dit que tu aurais ton animal quand tu entrerais en première année, comme tout le monde."

L'homme échangea un coup d'œil avec elle.

- Peut-être que vous pourriez aller nous attendre au Chaudron Baveur, commença-t-il. "Al et moi, nous…"

- Oh non, est-ce qu'on peut aller plutôt au magasin de tonton Georges ? S'il te plaît, maman, s'il te plaît ? interrompit James d'une voix surexcitée.

Terrence le trouvait de plus en plus agaçant.

- Quel caractère, celui-là… chuchota Francis derrière lui, un sourcil levé.

Amelia hocha le menton avec approbation.

- Okay, dit la femme aux cheveux auburn. "Mais si vous faites un seul caprice là-bas, je vous préviens que vous passerez tous les jours qui restent jusqu'à la rentrée chez Grand-mère Weasley. Et pas dans le jardin. C'est compris ?"

Lorsque ces trois-là furent sortis, le magasin devint nettement plus calme. Enfin, si on ne comptait pas les cris d'animaux qui s'entrecroisaient.

L'homme aux lunettes s'accroupit devant l'enfant et lui sourit.

- Tu peux choisir ce que tu veux, Al. Ne t'inquiète pas.

Le garçon aux yeux verts hocha le menton. Il regarda autour de lui, s'approcha d'une cage dans laquelle hululait une chouette, se pencha au-dessus du bassin des crapauds, caressa le grillage derrière lequel se pressaient des furets. Le chat efflanqué qui s'était montré si revêche envers Francis Swanson vint se frotter contre les jambes de l'enfant en ronronnant comme un vieux moteur.

La vieille sorcière l'observait et se rengorgeait de plus en plus, l'air ravi.

Terrence, étonné, s'aperçut que le brouhaha avait diminué, comme si les animaux retenaient leur souffle. Ses parents, qui avaient eu l'air de vouloir payer et vite sortir de la boutique pendant la dispute de la famille, semblaient eux-aussi sous le charme.

- Oh, dit soudain Albus alors que son visage s'éclairait.

Il avait la tête levée vers une chouette blanche qui faisait bouffer son plumage sur un perchoir en hauteur.

L'homme aux lunettes mit les mains dans ses poches et sourit.

- C'est celle-ci que tu veux ?

Le garçon ne répondit pas tout de suite. Il s'était haussé sur la pointe des pieds pour mieux voir la chouette et s'était appuyé contre le comptoir. Maintenant il regardait quelque chose qui était sur le comptoir.

- Ah, dit la vieille femme en se raclant la gorge – un bruit absolument dégoûtant. Elle brinquebala jusqu'à l'enfant et posa sa main maigre sur son épaule. "Je vois que tu as rencontré Cuillère."

 - Qu'est-ce qu'il a ? Il est malade ? demanda le garçon en levant ses yeux verts embués vers elle.

Terrence n'y tint plus. Il se faufila entre deux cages, provoquant des couacs et des sifflements de protestations, et vint les rejoindre au comptoir.

Ses parents le suivirent plus timidement et saluèrent le monsieur aux cheveux noirs en désordre qui essuyait ses lunettes sur un coin de sa veste.

- Bonjour, dit Terrence en se plantant devant l'autre élève de première année qu'il dépassait d'une bonne demi-douzaine de centimètres.

- Salut, répondit timidement le garçon.

De près, les yeux verts chatoyaient avec des reflets dorés.

Grosdur sautilla sur le bras de Terrence et lâcha un hou-hou décidé avant de voleter jusqu'à la tête d'Albus sur laquelle il se posa avec un petit air satisfait.

- Oh, dit Terrence. Il sourit. "Il t'aime bien."

Il tourna la tête vers le comptoir et examina lui aussi le furet noir et blanc roulé en boule dans un chiffon.

- Son poil est tout sale. S'il ne se lave pas, c'est qu'il est malade, c'est sûr, dit-il d'un ton docte.

- Hum, acquiesça Albus et ses yeux se remplirent de larmes.

Terrence ne sut pas pourquoi, mais rien ne lui parut soudain plus important que de réconforter le garçon qu'il ne connaissait pas.

- Hé, c'est pas grave, t'inquiète pas, tenta-t-il en dégageant machinalement une mèche brune sur le visage de l'autre enfant.

- Mais personne n'en voudra comme animal de compagnie, le pauvre… bredouilla le garçon aux yeux verts.

La vieille sorcière se pencha vers lui et lui adressa un sourire édenté qui se voulait plein d'affection et qui était vraiment hideux.

- Est-ce que tu le veux ?

Albus tendit la main vers le furet malade qui se souleva faiblement et frotta sa museau pelé contre les doigts offerts.

- Oui, répondit-il d'une toute petite voix, après un dernier regard vers la chouette blanche magnifique qui hululait d'un air royal sur son perchoir.

Le monsieur aux lunettes rondes s'était approché silencieusement. Il sourit à son fils.

- Okay, dit-il. "On l'emmène."

Albus était trop petit pour prendre le furet enveloppé dans son chiffon, mais Terrence se hissa sur la pointe des pieds et l'attrapa en faisant bien attention. Il le déposa dans les bras de l'autre garçon avec délicatesse, puis tendit la main pour récupérer Grosdur. Le minuscule hibou dédaigna le geste, mais s'envola et vint se poser sur l'épaule de Terrence avec un hululement joyeux. Il lui picora l'oreille avec affection.

- Combien je vous dois, madame ? demanda le père d'Albus en cherchant dans la poche de sa veste.

- Rien, dit la vieille sorcière. "Cuillère n'était pas à vendre."

- Ah, dit l'homme après un temps d'arrêt. Il jeta un coup d'œil vers l'enfant et ses sourcils se froncèrent légèrement. "Ah", répéta-t-il.

Il croisa le regard de Francis et Amelia Swanson et inclina poliment la tête pour les saluer, comme s'il était distrait.

- Al ? Viens, on va rejoindre les autres.

La clochette tinta de nouveau lorsqu'ils sortirent, main dans la main. Albus serrait contre lui le furet au poil terne et ne voyait pas que les gens dans la rue se retournaient sur le passage de son père. Terrence les suivit des yeux à travers la vitre, puis s'approcha de la fée carabosse et lui tira sur la manche.

- Est-ce que Cuillère va mourir ? demanda-t-il. Ses yeux bleus s'allumèrent, en colère. "Vous ne devriez pas vendre des animaux dans cet état. Ça va lui faire de la peine…"

- Terri ! Chéri, mais enfin ! s'écria sa mère, horrifiée.

- Il est très intelligent, dit vivement Francis d'un ton d'excuse.

 La vieille sorcière gratta son menton crochu.

- Y'a pas de mal, dit-elle de sa voix crachotante. "Vous avez là un jeune sorcier qui deviendra quelqu'un de très bien."

Elle se pencha et ses articulations craquèrent, comme si son dos et ses genoux allaient se décrocher d'un instant à l'autre.

- Le furet n'en avait plus que pour quelques jours, c'est vrai, dit-elle en plongeant son regard étonnement jeune dans les yeux de Terrence. "Mais ça pourrait bien changer. Vois-tu, mon garçon, il n'y a pas beaucoup de personnes qui possèdent un tel pouvoir à onze ans. Le jeune monsieur Potter..."

Elle se tut et se redressa, réajustant son châle en laine d'un air rêveur.

- Tu verras, conclut-elle. "Tu seras à l'école avec lui, alors tu verras."

Francis toussota discrètement.

- Ce… Potter. C'est quelqu'un d'important dans votre communauté ?

Les yeux de la vieille dame s'arrondirent de surprise pendant un instant, puis elle éclata de rire. Comme si le charme avait été rompu, tous les animaux se remirent à s'agiter et à faire du bruit.

Terrence fronça les sourcils en écartant doucement Grosdur qui lui mordillait la joue.

Il n'avait compris.

Et il ne comprit pas davantage comment, mais le furet noir et blanc vécut encore deux ans avant de s'éteindre tranquillement, blotti dans un coin du dais au-dessus du lit d'Albus.

Entre temps, Terrence était devenu le meilleur ami du garçon aux yeux verts qui avait renoncé à la jolie chouette blanche.

 

oOoOoOo

 

Scorpius Malefoy sut avant d'être complètement conscient que quelque chose n'était pas normal.

D'abord parce que son rêve paisible – il jouait au Quidditch et des tas d'amis l'acclamaient dans les gradins – tourna soudain à la comédie de façon criarde : toutes les têtes des spectateurs se transformèrent en ballons de baudruche et filèrent dans le ciel avec des rires de clowns à ressorts, tandis que son balai se décorait tout seul de petits nœuds roses atroces.

Il ne faisait des cauchemars aussi ridicules que pendant les vacances.

Puis il se réveilla en sursaut et réalisa que la chambre était silencieuse.

Ce qui expliquait la stupide conclusion de son rêve.

Il repoussa ses couvertures d'un coup de pied et se leva en attrapant sa robe de chambre sur le fauteuil à côté de la fenêtre. La lune teintait la pièce d'une clarté bleue éthérée.

L'ombre noire de Terrence s'assit sur le lit d'en face.

- Scorpius ? chuchota-t-il d'une voix ensommeillée vaguement inquiète.

- Ouais, grommela le garçon blond après avoir étouffé un cri de douleur : il venait de marcher sur les débris du scrutoscope de Fabius Macmillan.

- Qu'est-ce qui se passe ? bredouilla soudain Craig en se redressant d'un air hagard.

Terrence se demandait toujours comment Finnigan se débrouillait pour avoir l'air échevelé avec le peu de poils qu'il avait sur la tête.

- Albus ne ronronne plus, signala Scorpius en contournant prudemment un tas de bazar informe dans l'obscurité.

- Il est cassé ? bafouilla Finnigan. Il tâtonna à la recherche de sa baguette et finit par l'attraper. "Lumos".

Malefoy cligna des yeux, ébloui.

- Pas si fort, la lumière !

- Ah, les mecs, c'est quatre heures du mat', c'est horrible…

Terrence, qui était aussi sorti de son lit, siffla de colère comme un chat en se tournant vers le lit de Finnigan.

- La ferme ! T'es encore plus bruyant que Peeves !

Scorpius et lui se penchèrent sur le lit d'Albus, puis relevèrent la tête et se regardèrent.

- Il dort ? lâcha Malefoy avec une grimace incrédule.

Terrence se mordit la lèvre.

- J'espère, dit-il enfin.

Il secoua l'épaule de son meilleur ami dont seuls les cheveux noirs en bataille dépassaient du drap.

- Al.

Le garçon se recroquevilla sous la couverture avec un geignement.

- S'il dort, laisse-le, dit Scorpius en haussant les épaules pour cacher le malaise qui lui serrait les boyaux. "Peut-être que le ronron avait une date limite et que ça devait s'arrêter un jour."

Je penche plutôt pour un autre truc anormal à rajouter à la série, pensa Terrence, les sourcils tellement froncés que son front lui faisait mal.

- Oy, la marmotte.

- Bon, vous me direz quand vous l'aurez remis en route, hein, bâilla Finnigan depuis son lit où il se recouchait paresseusement après avoir remis sa baguette sous son oreiller.

Albus se tourna et gémit. Les deux garçons avaient du mal à distinguer son visage dans la nuit revenue, mais ils y voyaient assez pour comprendre qu'il était baigné de sueur.

- Al, réveille-toi, grinça Terrence.

- Je vais chercher un professeur ? suggéra Scorpius dont le ton devenait de plus en plus irrité à force que son inquiétude grimpait.

- On d…

La voix de Terrence s'éteignit soudain. Il avala sa salive et évita de regarder Malefoy dans les yeux.

- C'est quoi, ça ? articula l'autre garçon, la bouche complètement sèche.

Quelque chose s'était éclairé sous la couverture d'Albus. C'était diffus, presque diaphane, mais la forme était facilement reconnaissable.

- On dirait un genre de fleur, chuchota Scorpius. "Qu'est-ce que c'est ? Sa baguette est dans l'encrier, comme d'habitude. Ça vient d'où, si c'est pas un sortilège ?"

Terrence serra ses mains moites l'une contre l'autre, puis les essuya sur son bas de pyjama.

Ça a exactement la même forme que cette cicatrice-tatouage.

Avant qu'il ne puisse penser plus loin, Albus se crispa soudain et se mit à marmonner.

- Non. Non…Non, papa, non…

Sa tête s'enfonçait dans l'oreiller comme s'il essayait d'échapper à une vision horrible. Il eut comme une sorte de sanglot et Scorpius se raidit.

- Swanson ? Qu'est-ce qui se passe exactement ? siffla-t-il.

Terrence ne répondit pas.

- Al? Al, t'es à Poudlard, réveille-toi ! pressa-t-il en attrapant le bras de son meilleur ami.

La nuque du garçon endormi se tordit en arrière et ses poings se fermèrent sur le drap. Il tremblait et se mit à pleurer dans son sommeil. Il repoussa sa couverture d'un coup de genou. Son T-shirt s'était retroussé, son bandage défait et la marque en forme de fleur apparaissait, parfaitement nette, découpée en spirales de feu sur son torse trempé de sueur.

- Papa… papa, je t'en supplie… pas… papa, non ! NON !

 Un soubresaut le secoua violement, puis il s'éveilla, complètement désorienté, à bout de souffle. A l'instant où ses yeux s'ouvrirent, la lumière disparut, ne laissant que la cicatrice gonflée et rouge sur sa peau.

- Terrence ? Scorpius ? haleta-t-il en découvrant les deux visages anxieusement penchés sur lui.

- Qu'est-ce que nous fait, man ? bredouilla Terrence en remontant ses lunettes tandis que Malefoy reprenait ses esprits et le contrôle de sa moue furieuse.

Albus s'assit péniblement. Il avait mal de partout et l'impression d'être à deux doigts de vomir. Il tira machinalement sur son T-shirt, chercha autour de lui.

- Tiens, dit Scorpius en lui tendant une tasse ébréchée dans laquelle il venait de verser un fond de bierraubeurre.

Albus but avidement, puis fit la grimace.

- Ah, c'est dégueu. Ça date de quand ? ça a un goût de vieille chaussette…

Terrence tressaillit.

- Je crois que c'est la tasse que j'ai utilisée pour préparer le remède anti-cors que voulait ma grand-mère pour Noël, dit-il distraitement. "Elle était là ? Je pensais que je l'avais perdue…"

Scorpius se boucha le nez en s'asseyant au bout du lit d'Albus.

Il avait les jambes coupées et ses idées avaient du mal à reprendre leur place ordonnée dans son cerveau.

- J'ai fait un cauchemar, je crois, dit Albus après quelques minutes de silence. "Je ne me rappelle même pas de quoi… Désolé si je vous ai réveillés, les gars…"

Malefoy leva les yeux au ciel d'un air excédé.

- Je crois que Bobbie n'avait pas tort quand elle voulait te garder pour la nuit, dit finalement Terrence en s'appuyant sur un coude contre le mur.

Dans son lit, Finnigan ronflait à plein régime.

 

oOoOoOo

 

Le regard étonné de Wendy passa progressivement en mode sarcastique alors qu'il prenait en compte les visages défaits des quatre garçons qui s'installaient en bâillant derrière leurs bureaux, dans le brouhaha qui précédait le cours de Métamorphose.

- Y'en a qui ont fait la fête, je vois, lança-t-elle avec ironie en tirant sur sa chaise qui grinça horriblement sur le plancher.

- La ferme, Philips, maugréa Scorpius qui avait la migraine et dont les yeux étaient devenus de fines fentes à ce son.

Craig Finnigan s'étala sur ses manuels et ferma les yeux avec un bâillement indécent.

- On devrait pas être obligés d'utiliser son cerveau si tôt le matin, se plaignit-il.

- Si encore vous aviez veillé pour étudier… Mais non ! Quelle idée de lire vos magasines stupides aussi tard ! dit Rose Weasley qui s'assit à côté de Wendy en secouant la tête avec désapprobation.

Elle repoussa en arrière ses longs cheveux d'un blond vénitien. Le cours avait lieu en commun avec les Serdaigle et d'autres élèves arrivaient, l'air tout aussi bêcheur qu'elle.

Terrence écarquilla ses paupières à l'aide de ses index et de ses pouces.

- On lisait pas, protesta-t-il faiblement.

- Les expériences, c'est pour les vacances, lança Wendy avec un sourire amusé, cachant son inquiétude pour l'attrapeur de son équipe de Quidditch qui avait l'air d'avoir perdu du poids depuis la veille.

Est-ce qu'il a été malade ? Il a peut-être encore mal ? Est-ce que ces idiots l'ont empêché de se reposer ? Je croyais qu'il devait rester à l'infirmerie pour la nuit…

Rose se tourna vers Albus, qui était son cousin, et fronça les sourcils en voyant les cernes sous ses yeux et la façon pathétique dont son uniforme pendait sur ses clavicules minces.

- Ah, non, pas toi aussi, Al ! s'écria-t-elle d'un ton désappointé.

Heureusement, avant qu'elle ne puisse lui continuer sa leçon de morale, leur professeur entra par le fond de la classe et se dirigea vers son bureau d'un pas dansant.

- Un peu de silence, s'il vous plaît, ce serait gentil, chantonna la femme aux longs cheveux ondulés d'un blond presque blanc.

Elle posa l'énorme livre qu'elle portait sur la table, soulevant un énorme de nuage de poussière qu'elle dispersa en toussotant, puis fit volte-face. Sa robe couleur pelouse ondula et le double-rang de perles en forme de radis qui pendait à son cou cliqueta joyeusement.

- Bonjour mesdemoiselles, bonjour messieurs.

- Bonjour professeur, répondirent les élèves de bonne grâce.

Luna Lovegood avait la réputation d'être complètement bizarre, mais elle était plutôt haut placée dans les sondages de l'école. Il ne vous fallait pas longtemps pour vous rendre compte que sa voix rêveuse ne l'empêchait pas d'être une sorcière puissante et intelligente. Elle était directrice de la maison Serdaigle et enseignait la métamorphose depuis trois ans à Poudlard. Certaines rumeurs disaient qu'elle avait travaillé au ministère de la magie avant de devenir professeur, mais d'autres assuraient qu'elle avait été journaliste pour le Chicaneur. Les élèves de Serdaigle prétendaient qu'elle avait été un Auror en mission secrète et ceux de Gryffondor attendaient avec impatience qu'elle et leur directeur se déclarent leur flamme…

Elle sourit d'un air énigmatique, puis agita sa baguette en direction du tableau qui se couvrit de son écriture alambiquée.

- Animagus, dit-elle. "Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer ce dont il s'agit ?"

Rose Weasley leva le bras aussitôt.

- Oui, Miss Weasley.

- Un animagus est un sorcier qui peut se transformer en animal mais qui garde le contrôle de son esprit lors de sa métamorphose.

Luna Lovegood hocha le menton.

- C'est très bien. Dix points pour Serdaigle.

Elle fit quelques pas sur l'estrade.

- Devenir un animagus est un processus long et difficile et il n'y a que peu d'animagi recensés par le Ministère, ajouta-t-elle. "On surveille de près ceux qui veulent – et ont la capacité – de le devenir, surtout depuis qu'un animagus illégal de bien mauvais goût a causé tous ces malheurs il y a de cela plus de vingt ans…"

Craig Finnigan se pencha vers son voisin de table.

- Je te parie qu'elle parle encore de la guerre à mots couverts. A mon avis, ils feraient mieux d'aborder ça en première année, plutôt que de nous faire des spoilers pendant six ans.

Samuel Flinch-Fletchley ne répondit pas, occupé qu'il était à faire semblant de ramasser la pointe de sa plume.

- Il y a actuellement deux animagi reconnus par le ministère au sein de votre école, continua Mrs Lovegood de sa voix flûtée. "L'un est notre directrice, Minerva McGonagall et l'autre…"

Elle toussota pour ramener le calme que sa dernière phrase avait rompu.

- Et l'autre…

Elle s'interrompit de nouveau et soupira.

- M. Flinch-Fletchley, votre pointe de plume se trouve à côté de votre semelle gauche, et non pas sous la jupe de Miss Brown.

Miranda Brown poussa un petit cri effaré et couvrit son visage empourpré, tandis que Samuel se redressait en faisant la grimace.

- Cinq points en moins pour Gryffondor, dit le professeur de sa voix éthérée si amicale que Terrence en avait presque envie de sourire.

Il la soupçonnait d'avoir beaucoup plus d'humour que ne pouvait le laisser croire son visage aux yeux globuleux d'un bleu transparent.

- Et l'autre animagus que nous avons le plaisir d'avoir en notre compagnie est votre professeur de défense contre les forces du mal, Mauritia Curtis.

- S'il vous plaît, demanda Wendy en levant la main, "en quoi se changent-elles ?"

- J'ai entendu dire que la directrice pouvait se métamorphoser en chat, intervint l'une des jumelles Morgensen – celle qui avait un grain de beauté sur l'oreille.

Luna Lovegood sourit d'un air céleste.

- C'est correct. En ce qui concerne Mrs Curtis… Eh bien, si son état actuel le lui permettait, je suis certaine qu'elle serait très heureuse de se métamorphoser pour vous le montrer.

- En quoi tu crois qu'elle se change ? gloussa Fabius Macmillan en donnant un coup de coude à Emile Scarcrow. "En baleine ?"

Les paupières de la jeune femme papillonnèrent.

- J'ai bien peur qu'une vingtaine de points ne soient de nouveau perdus pour Gryffondor par votre faute, M. Macmillan, soupira-t-elle. "Ce n'était vraiment pas courtois de votre part…"

Un tollé général accueillit cette annonce, vite calmé par un hochement de tête déçu de la professeur à la voix rêveuse, puis le cours se poursuivit à peu près sans encombres.

  Craig Finnigan sauta sur Fabius à la sortie avec l'intention ferme de lui shampouiner la tête pour lui faire arrêter ses bêtises, tandis que Rose Weasley et Miranda Brown s'attardaient pour poser des questions. Terrence rassembla ses affaires et se leva. Il s'arrêta quand il vit qu'Albus, les bras croisés sur la table et le front enfoui dans le creux de  son coude, n'avait pas bougé. Il s'approcha et lui posa la main sur l'épaule.

- Hé. T'es mort ? ça va ? Tu te sens d'aller en DCFM ou tu préfères retourner à l'infirmerie ?

Scorpius s'était arrêté à la porte et les observait de son habituel air renfrogné.

Albus finit par se redresser et passa rapidement les mains sur son visage, comme si cela pouvait l'aider à se tenir éveillé.

- Non, ça va, marmonna-t-il.

Il sourit pour dissiper le doute qu'il voyait dans les yeux de son meilleur ami et sur le visage de Wendy qui attendait à quelques pas d'eux.

- Je sais pas ce que c'était, ce cauchemar, mais c'était vraiment la poisse en tout cas. Je n'ai jamais réussi à me rendormir et maintenant ça me revient dans les talons… J'espère qu'on ne va pas devoir faire encore un truc soporifique comme la dernière fois, en tout cas.

La semaine précédente, ils avaient dû se contenter de recopier les chapitres 11 et 18 au lieu de faire de la pratique, parce que Mrs Curtis – qui était enceinte jusqu'aux yeux – avait des nausées.

- Avec un peu de chance, le remplaçant sera déjà là, lança Wendy d'un ton encourageant, tandis qu'ils traversaient la cour pour atteindre la grande salle au balcon où se tenait leur cours préféré.

Mais il n'y avait qu'une grande armoire lorsqu'ils entrèrent et les autres élèves s'en tenaient à prudente distance, car elle tressautait sur son socle et que des hurlements étouffés s'en échappaient.

 

 

A SUIVRE...

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