Clair comme Nuit

Chapitre 6 : Albus, Scorpius, Severus

4496 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 23:24

 

ALBUS, SCORPIUS, SEVERUS

 

 

La porte était mal refermée et ils ne s'en étaient pas aperçus. Leurs voix s'entendaient plutôt bien depuis le couloir et Wendy, pour une fois, aurait préféré que les adultes tiennent leur conversation en privé.

- … c'est ridicule !

- … avertir le ministère…

- … depuis tout ce temps…

- … laisser les parents intervenir sur le terrain de l'école…

- … jamais…

- … même lorsque ces enfants ont été changés en pierre par le basilic !

- … Harry Potter ou qui que ce soit d'autre…

- … un sortilège impardonnable !

- … ce n'est pas pareil ! Albus…

- … impensable !

- … nous a expressément demandé de ne pas faire de différence !

- … c'est un cas de force majeure…

- … mais exactement qu'a-t-il…

- … impossible !

- … comment pourrait-il s'en relever sans…

- … pas à nous de lui dire…

La voix du professeur Londubat, suppliante. Celle de la directrice de Poudlard, Minerva McGonagall, sévère et inquiète à la fois. Le professeur Dubois, complètement à la ramasse. Mrs Curtis, énervée. Luna Lovegood, rêveuse mais préoccupée. L'infirmière Abbot… définitivement du côté de Neville.

Assise sur le rebord de la fenêtre en ogive, Wendy soupira. Elle remonta ses genoux sous son menton et mit les mains sur ses oreilles.

Je déteste ça, je déteste ça, je déteste ça…

Pourquoi ça ne pouvait pas rester comme avant ?

On n'avait pas besoin d'aventure, pas besoin de problème, pas besoin de drame mystérieux ou de passé troublant…

On était bien, comme ça…

En face d'elle, Terrence était adossé au mur, les bras croisés, un pied contre les vieilles pierres, ses lunettes rondes remontés sur le front, signe qu'il réfléchissait intensivement. L'épi blond sur sa tête rebiquait plus que jamais.

La cicatrice en forme de fleur. Le cauchemar. Le ronron, le furet requinqué, les elfes…

Un souvenir horrible, enfoui et oublié, où son père lui jetait un sortilège impardonnable…

Ça fait beaucoup.

Il avait du mal lui-même à tout avaler, alors comment Albus pouvait-il y faire face ?

Albus pour qui était difficile l'idée même d'être en compétition avec les autres maisons.

Albus que la plupart des gens oubliaient, occupés à regarder James ou à écouter Lily.

Albus qui ne disait jamais un mot plus haut que l'autre, ne demandait rien, donnait tout.

"Albus Severus Potter, fils d'Harry Potter".

Terrence ne pensait jamais à lui de cette façon.

Al.

Le mec aux yeux verts qui regardent jusqu'au fond de ton âme.

Le type tranquille qui possède un pouvoir extraordinaire et ne s'en rend même pas compte.

Mon meilleur ami.

Il remit ses lunettes en place d'une pichenette et soupira en voyant Wendy prostrée en face de lui. Il ouvrait la bouche pour lui dire de ne pas écouter les bribes de dispute qui s'échappaient du bureau de Mrs Abbot, lorsque Neville Londubat sortit en trombe dans le couloir.

Il souffla bruyamment, fit quelques pas en frottant sa nuque d'une main irritée, mit les poings sur ses hanches, puis dans ses poches, tourna sur lui-même en se mordillant les lèvres, les yeux au sol.

- Professeur ? appela Wendy timidement.

Il releva la tête et enregistra la présence des deux élèves avec quelques difficultés.

- Miss Philips… M. Swanson…

- Excusez-moi, monsieur,  dit Terrence en essayant d'attraper le regard erratique de l'homme, "est-ce que le père de… est-ce que M. Potter va venir à l'école ?"

- Qu'est-ce qui se passe avec Al ? demanda Wendy, suppliante.

Neville détourna les yeux. Ses doigts froissaient nerveusement le bord de sa blouse blanche.

- Vous devriez être en classe, dit-il d'un ton fébrile. "Retournez dans vos chambres, allez manger. Ce ne sont pas vos affaires. Laissez-le tranquille."

Il jeta un coup d'œil autour de lui.

- Où est Albus ?

Terrence haussa les épaules.

- Quelque part. Laissez-le tranquille, riposta-t-il d'une voix sourde.

Wendy écarquilla les yeux devant une telle insolence, mais le professeur Londubat se contenta de pousser un long soupir.

Il posa sa main sur l'épaule de Terrence.

- Quand il reviendra de la galerie, dites-lui de venir à mon bureau. Je suppose qu'il ne voudra pas retourner à l'infirmerie…

Il fit quelques pas dans le couloir, les épaules voûtées comme un vieillard, puis s'arrêta et se retourna.

Ses yeux tristes et doux soutinrent le regard farouche de Terrence.

- Tout ce que je veux, c'est le protéger, Swanson. Comme vous.

Wendy se rapprocha du garçon blond lorsque l'homme se fut éloigné suffisamment.

- Comment il savait pour la galerie ? murmura-t-elle.

Terrence enleva ses lunettes et les essuya sur le coin de sa chemise qui dépassait de son pull.

- Je suppose qu'en trois ans et demi, il y a au moins un prof qui s'est aperçu qu'Al existait comme une personne à part entière.

- Ou peut-être qu'il y a des caméras…

Terrence posa une main paternelle sur la tête de Wendy.

- Y'a pas de caméras, Philips. C'est une école magique.

Il se sentait un tout petit peu mieux.

 

oOoOoOo

 

Albus enleva les tiges fanées et jeta l'eau sale par la fenêtre qui surplombait la pelouse où les premières années apprenaient à voler. Il remit de l'eau dans le haut vase blanc et y jeta une poignée de graines.

Le soleil entrait à flots à travers les vastes croisées et les vitraux ouvragés faisaient danser des arabesques scintillantes sur les moulures des tableaux, le long de la galerie. Les tentures aux couleurs des quatre maisons ondulaient à peine avec la brise qui passait par la fenêtre ouverte. Sur l'étagère devant chaque tableau étaient posés de menus objets, des messages, de petits cadres à photos, des jouets ou des bonbons, parfois une peluche, souvent des fleurs.

La galerie était très longue – plus de cinquante portraits s'y alignaient – et très silencieuse.

Les gens y venaient lors de l'anniversaire de la bataille de Poudlard, à la fin de l'année scolaire, mais le reste du temps elle était vide.

Il flottait dans l'air comme une odeur de savon, de parchemin et d'encre, de sucre d'orge et de cuir, un parfum très doux de souvenirs.

Albus chuchota la formule en l'accompagnant d'un mouvement délicat de sa baguette, puis regarda les lys qui grandissaient dans le vase, s'ouvraient et déployaient leurs corolles couleur crème.

Il reposa le vase à côté du dernier tableau de la galerie, essuya du plat de la main l'étagère vide à cet endroit, puis recula.

Il s'assit au milieu de l'épais tapis brun et or qui couvrait les dalles du couloir et croisa les jambes devant lui. Le menton levé, il contempla longuement le portrait en face de lui, avant de laisser échapper un gros soupir.

Dans le cadre, l'homme habillé d'un col noir haussa un sourcil. Ses yeux scrutèrent le garçon, attentifs.

Albus noua ses bras autour de ses genoux et soupira de nouveau.

La douleur était encore présente dans sa poitrine, mais plus lointaine, sourde, tapie.

Il souffla sur une boucle noire qui lui tombait devant l'œil. Sur le tableau, l'homme aux joues maigres eut un petit mouvement de tête pour rejeter en arrière ses cheveux sombres. Il continuait de regarder l'adolescent, l'air patient.

- J'ai des ennuis, tu sais, dit finalement Albus.

 L'arcade sourcilière de son interlocuteur trampolina.

- Non, c'est pas ma faute. Enfin… je crois pas.

Les yeux d'émeraude se remplirent de larmes.

- Qu'est-ce que j'aurais pu faire de si grave que mon père veuille me tuer ?

Dans le cadre, les épaules de l'homme s'étaient raidies. Il réfléchit un instant, portant la main machinalement à ses lèvres minces – ce qui lui donna l'air vraiment sévère – puis inclina la tête de côté.

- Je… je sais pas exactement comment ça s'est passé, bredouilla Albus qui avait compris la question muette. "J'ai… c'était juste un flash. Il avait sa baguette levée et… "

Il ferma les yeux, comme pour recevoir l'impact.

- Je ne comprends pas… murmura-t-il d'une toute petite voix. "Il m'aime, il ne ferait jamais ça… non ?"

C'était un cri – presque un sanglot.

Sur la toile, des plis se creusèrent douloureusement autour des yeux gris fixés sur le garçon. Tout était silencieux. Des particules de poussière scintillaient dans les rayons de soleil, tombant comme en apesanteur.

Albus finit par relever le menton. Il essuya son nez d'un revers de manche.

- Et puis, y'a pas que ça.

Le regard du portrait étincela brièvement, un peu ironique, comme une réponse fière à la bravoure fragile de la voix.

Albus appuya la main contre l'endroit chaud sur son torse. Il pouvait le sentir même à travers les épaisseurs de sa chemise et de son pull. La cicatrice était bien là, palpitante comme un oiseau vivant.

- Y'a un quelque chose de bizarre qui m'arrive… ça fait mal et… en même temps…

Ses yeux essayèrent de rassembler les différents sentiments, les impressions si compliquées.

- J'ai pas… j'ai pas peur, je crois. Pas de ça…

Sa bouche se crispa comme celle d'un enfant qui essaie de cacher son chagrin.

- Mais mon père… pourquoi il…

L'homme sur le tableau hocha le menton, pensif. Son profil acerbe se perdit dans une longue réflexion, puis il tourna de nouveau la tête vers l'adolescent, interrogatif.

- Je ne sais pas ce que Terrence pense de cette cicatrice bizarre, répondit aussitôt Albus.

Le portrait leva les yeux au ciel et l'adolescent sourit malgré lui.

- Oui, je sais. Il est trois fois plus intelligent que moi et…

De nouveau le tressautement narquois des sourcils.

- Okay, dix fois plus. Je vais en parler avec lui, promis.

Le visage aux traits coupants s'habilla de tendresse et les yeux verts d'Albus s'accrochèrent au regard si vif.

- Et je vais faire confiance à mon père, jusqu'à ce qu'il m'explique…

Le soleil jouait sur la toile, glissant des fils d'or dans les plis des manches austères du sorcier.

L'adolescent laissa échapper un autre soupir, soulagé, celui-ci. Il défit ses doigts étroitement entrelacés sur ses genoux et posa ses mains sur le tapis, basculant un peu en arrière. Il étendit ses jambes et sentit ses épaules se détendre un peu.

- Severus…

Dans le tableau aux couleurs grises, l'homme pâle vêtu de noir attendit patiemment.

 - Ce serait bien si tu étais un de mes professeurs…

Un éclat de rire muet passa dans les yeux du portrait. Il secoua vivement le menton.

- Quoi ? Tu penses que j'aurais peur de toi ?

Albus pouffa de rire, épuisé par la tempête d'émotions qu'il traversait depuis la veille.

- N'importe quoi !

Quelqu'un se racla discrètement la gorge.

- Pardon d'interrompre… je peux m'asseoir ?

Scorpius Malefoy était debout à quelques pas, les mains enfoncées dans les poches, sa frange d'un blond  presque blanc rabattue en arrière, les yeux baissés, l'air raide et maladroit.

Albus échangea un coup d'œil avec le tableau, puis hocha la tête.

Scorpius s'assit à côté de lui, en tailleur. Il essuya ses paumes moites sur ses cuisses, puis posa ses mains sur ses genoux, le cou bien droit, tandis qu'il examinait le portrait en face d'Albus.

- Je le connais, dit-il au bout d'un moment, en fronçant ses sourcils sombres. "Je l'ai vu une fois, dans les vieilles photos d'école de mon père. Mais il avait l'air beaucoup plus effrayant."

Albus sourit.

- C'était un des directeurs de Poudlard, dit-il fièrement. "Je m'appelle comme lui."

Scorpius enregistra l'information sans ciller. Il regarda autour de lui, puis se tourna de nouveau vers le garçon aux yeux verts.

- Tu viens souvent ici ?

Albus acquiesça silencieusement.

- Pourquoi ?

Le regard gris perle de Malefoy était un peu surpris, derrière son habituelle expression dédaigneuse.

Albus inspira profondément avant de répondre.

- J'aime bien, c'est tout.

Il montra du menton le cadre en face d'eux, dans lequel l'homme les observait d'un air vaguement incrédule.

- J'aime bien lui parler. Quand je suis pas très sûr de quelque chose, ou que je m'inquiète… ben… je viens, et après ça va mieux.

Scorpius eut l'air un peu choqué.

- Pourquoi tu viens parler à un type qui est mort et qui ne te répond même pas ? Alors que tu as Terrence et Wendy !

C'était un reproche, clairement, mais Albus ne se démonta pas.

- Ils ont notre âge, c'est pas pareil. Toi et moi et eux, on a jamais eu à faire des choix difficiles. On a même pas encore vécu, on est tellement jeunes. Ici… tu vois. Y'a mon oncle Fred, et puis Tonks et Remus, les parents de Teddy. Et des autres. Des tas d'autres, que j'aurais bien aimé rencontrer. J C'est… les gens qui sont morts à cette bataille, ils ont du recul. Ils savaient ce qu'ils faisaient.

Scorpius fit la moue.

- La moitié d'entre eux ont notre âge ! C'est presque que des élèves de Poudlard, à part quelques professeurs et des Aurors.

Il hésita.

- Tu parles comme un vieux, des fois, Al.

Albus sourit de nouveau.

- Désolé.

Il marqua une pause, renversa la tête en arrière, puis se redressa et frotta machinalement l'endroit douloureux qui  pulsait sous son pull.

- T'es déjà venu ici, hein ?

Scorpius s'empourpra. Il avala sa salive et lissa une mèche qui se décollait.

L'homme vêtu de noir, dans le tableau, secoua la tête, l'air effaré.

- C'est toi qui amènes les lys ?

Albus acquiesça, puis se rembrunit soudain.

- C'est mon père qui me l'a demandé, la première fois que je lui ai dit que j'allais à la galerie.

Scorpius plissa le nez, l'air pensif.

- Ton père le connaissait aussi, alors.

- Hum.

Ils restèrent un moment les yeux fixés sur le portrait qui eut l'air de trouver hautement inconfortable cette double paires d'yeux et qui croisa les bras d'un air sévère.

Albus pouffa de nouveau, comme si cette expression lui paraissait vraiment incongrue, mais Scorpius toisa l'homme.

- Si c'était un directeur, il devrait être dans le bureau de MacGonagall, non ? dit-il au bout d'un moment. "Et pourquoi il ne parle pas ?"

- Aucun des portraits ne parle, dans la galerie, dit songeusement Albus. "T'as raison. James a dit qu'il n'y était pas, dans le bureau."

Scorpius renifla, narquois – et le tableau eut absolument la même expression que lui.

- Comment James sait ça ? Il a déjà été convoqué là-haut ?

Albus fit la grimace.

- Yep.

Malefoy resta silencieux un moment, tirant sur un fil de la couture de l'ourlet de son pantalon.

- Toi, ça risque pas de t'arriver, dit-il finalement, d'une voix un peu étouffée.

Albus le regarda intensément.

- Et toi non plus, finit-il par répondre.

Pendant quelques secondes, toute la galerie resta figée, puis ils gloussèrent en même temps.

- C'est vrai, dit Scorpius.

Albus tourna de nouveau la tête vers le tableau, l'air rêveur.

- On est bien plus sages que nos pères, hein ?

Le portrait hocha vigoureusement la tête. Il y avait presque une goutte de sueur de soulagement sur son front pâle.

Dehors, le soleil commençait à baisser et la lumière se ternissait. La brise se fit un peu plus fraîche.

Scorpius posa le coude sur son genou et reposa son menton dans sa paume.

- Al ?

- Hum ?

Le garçon blond rassembla tout son courage. Il se mordilla les lèvres, puis attacha ses yeux gris aux prunelles émeraude interrogatrices.

- Ton père… sûrement… s'il a vraiment… il le regrette, j'en suis sûr.

Albus ne bougea pas. Il ne détourna pas non plus la tête. Il avala seulement sa salive, puis demanda doucement :

- Qu'est-ce qu'il y a sur le bras de ton père, Scorpius ?

Malefoy tressaillit.

Ce fut lui qui baissa les yeux. Dans le cadre, l'homme vêtu de noir contemplait les deux adolescents d'un air infiniment triste.

- C'est… euh. Une… ça s'appelle la marque des ténèbres. Les… les partisans de… Voldemort. Ils avaient ça, sur le bras.

Sa bouche se pinça et il releva la tête, les yeux farouches.

- Mais mon père, il - !

Sa voix se brisa en rencontrant le regard vert très doux en face de lui.

- … il ne voulait plus, Al. Il a décidé qu'il ne voulait plus faire tout ça. Et…

Les mots s'étranglèrent.

- Mon père, il regrette. Des fois, quand il regarde son bras, je crois qu'il voudrait le couper. Il ne dit rien, mais…

Albus tendit la main, délicatement, comme s'il ne voulait pas l'effaroucher, comme s'il sentait que Malefoy était prêt à s'enfuir. Ses doigts se posèrent sur l'épaule du garçon blond frémissant.

- Je comprends… souffla-t-il.

Ce n'était pas vrai. Ça ne pouvait pas être vrai, puisqu'ils n'avaient rien vécu de semblable, rien traversé qui ressemble à la guerre, parce qu'ils étaient si différents, si loin de ce qui s'était passé.

Mais quelque chose de très doux, de très pur, d'infiniment grand et d'imperceptible, se posa sur l'épaule de Scorpius comme une aile.

Le parfum des lys remplissait le couloir rempli d'or par le soleil couchant et tout était silencieux.

Dans le cadre, quelque chose brillait au coin de l'œil de l'homme aux joues creuses et aux cheveux sombres.

Scorpius lâcha un long soupir et Albus enleva sa main sans brusquerie.

- Merci, dit-il simplement.

Ce fut le tour de Malefoy d'étouffer un petit rire fragile.

- T'es vraiment trop bizarre, commença-t-il. "Tu…"

Albus gémit brusquement et se recroquevilla. Il s'effondra d'un seul coup sur le côté, sous les yeux horrifiés de l'autre garçon.

- Al ! Hé, attends. Tu…

Scorpius ne savait pas quoi faire, agenouillé et fébrile.

D'un coup, il faisait très sombre et très froid  et les yeux verts d'Albus semblaient être la seule chose brillante.

Malefoy serra son front dans ses mains, se mordit la lèvre, tendit le bras, fit un mouvement comme pour aller chercher du secours.

La main d'Albus agrippa son poignet.

Ses yeux étaient suppliants. Terrifiés. La souffrance qui les écarquillait se répandit sur son visage et dans tout son corps, tellement forte qu'il ne pouvait pas gémir. Ses dents étaient si serrées qu'elles crissaient.

Scorpius sentit sa transpiration, glacée, couler entre ses omoplates. Il regarda autour de lui, affolé. Les portraits s'étaient tous vidés – seules les toiles noires était encore pendues sur les murs.

Il n'y avait personne d'autre que lui.

Il voulait fuir, mais il était cloué au sol.

Il voulait appeler au secours mais sa gorge sèche ne produisait pas un son.

Ne meurs pas, Al.

S'il te plait, ne meurs pas.

Albus se raidit. Un filet rouge coula le long de son menton.

Un cri de douleur lui échappa, rauque et sourd et Scorpius ferma les yeux comme si cela pouvait l'empêcher d'entendre.

Puis il rouvrit les paupières en sentant quelque chose effleurer sa joue.

Tout était si sombre.

On aurait dit qu'un oreiller rempli de plumes noires venait d'exploser dans la galerie.

Albus se cambra violemment et Malefoy tomba à moitié sur lui, le poignet broyé par l'étreinte des doigts du garçon. Le tonnerre éclata au-dessus du château et le son enveloppa tout, fracassant et magnifique.

Puis tout redevint calme. Les nuages se dissipèrent, la lumière revint, paisible et douce, étendant ses rayons sur les pelouses.

Les élèves, qui s'étaient accroupis sous leurs cartables et leurs livres, se relevèrent, étonnés de ne pas voir venir la pluie. Les professeurs rallumèrent les bougies qui s'étaient éteintes sur leurs bureaux.

Dans la chambre la plus haute de Gryffondor, Terrence posa son livre et s'approcha de la fenêtre et jeta un coup d'œil au lac dont les vagues retombaient lentement, ourlées d'écume argentée.

Wendy s'accroupit et ramassa les débris du pot en terre qu'elle avait lâché. Le professeur Londubat, la tête levée vers le toit transparent des serres, n'écoutait pas ses excuses. Il avait l'air profondément troublé.

James lâcha un coup de sifflet, le temps de reprendre ses esprits. Il était plutôt content de n'avoir pas été sur son balai au moment du coup de tonnerre. Sandeszki était tombé lourdement, lui.

Lily haussa les épaules et se pencha pour ramasser sa cuillère. Elle se remit à manger sa compote citrouille-rubarbe tout en commentant le dernier Sorcière-Hebdo avec Alison Corner dans la Grande Salle.

C'était le soir d'une journée ordinaire.

Tout était parfaitement normal.

Lentement, la galerie émergeait de l'obscurité et les personnages, dans les tableaux, reprenaient leur place, à l'exception de l'homme au teint pâle.

- Désolé… désolé, j'ai pas fait exprès… balbutia Scorpius en se redressant, anxieux à l'idée d'avoir aggravé l'état d'Albus.

Il se figea. Le sang se mit à battre dans ses oreilles, étourdissant, comme s'il allait s'évanouir.

- Al ?

Sa  voix enrouée semblait si étrange dans le silence.

Il tendit la main en retenant son souffle.

Son esprit travaillait à toute vitesse, tellement rapide qu'il avait l'impression que ses pensées s'entrechoquaient sous son crâne.

- Al ? C'est… c'est toi ?

Ses doigts tremblaient.

Il hésita.

Puis deux grand yeux verts fendus d'un trait d'or s'ouvrirent et le contemplèrent.

 

 

A SUIVRE...

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