Clair comme Nuit

Chapitre 7 : Décisions Difficiles

4884 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:54

 

DECISIONS DIFFICILES

 

 

Harry reposa la lettre sur son bureau. Il joignit les mains devant sa bouche et souffla longuement pour reprendre le contrôle.

C'était de la folie. Du grand n'importe quoi. Depuis une heure, les hiboux n'arrêtaient pas d'arriver et le courrier qu'il recevait n'avait aucun sens.

D'abord une lettre de James :

"Pap', faut qu'on mette vite en place une cellule de crise. Notre Al international vient de créer un incident diplomatique…"

James répondait déjà rarement aux lettres de ses parents, alors ce n'était pas pensable qu'il écrive de lui-même.

Puis une enveloppe avec le sceau de Poudlard était arrivée.

"Cher M. Potter, je suis au regret de vous informer qu'en raison des évènements récents, la scolarité de votre fils Albus Severus Potter pourrait se trouver fortement perturbée…"

Ensuite, ça avait été soixante centimètres de parchemin recouverts de l'écriture désordonnée de Neville Londubat.

" Harry, si nous avions su… nous aurions dû prévoir… lui en parler. Nous ne pouvions pas imaginer que ça tournerait comme ça, mais ça n'aurait pas été trop tard si…"

Cela sonnait amèrement comme les paroles prononcées par un très vieil homme, des années auparavant, dans un bureau éclairé seulement par la cheminée.

"Si j'avais su… je ne pensais pas… j'aurais dû t'expliquer à ce moment-là… je n'ai pas eu le courage à ce moment-là…"

Des excuses d'adultes données à un enfant qui ne savait pas que l'on avait marqué son passé et décidé de son avenir.

Harry avala sa salive, s'efforçant de rationnaliser la situation.

Des notes de service tournaient autour de sa lampe de bureau comme des mites. Ginny avait quitté son poste sans prévenir et avait fait irruption dans son bureau avec une lettre de Lily.

- HARRY, QU'EST-CE QUE TU AS FAIT A ALBUS CE JOUR-LA ? QU'EST-CE QUE TU AS FAIT A MON FILS ?

Ses yeux étaient furieux, déçus, trahis, angoissés. Elle était hors d'elle et il n'avait pas su quoi répondre. Maintenant qu'elle était partie – il espérait qu'elle serait un peu calmée à son retour à la maison – il s'efforçait de trouver des explications rationnelles.

Oui, il avait tort, parce qu'il s'était tu et se taisait encore.

Oui, il méritait ce regard.

Celui qu'il avait délibérément choisi d'éviter en ne lui racontant rien.

Mais comment lui dire la décision prise au sommet de la montagne enneigée… le récit de Charlie et ce que Neville avait vu…?

Ginny était la mère d'Albus. Une maman n'aurait jamais cru le dragon. Elle aurait… oui, comme Lily autrefois – sûrement – elle aurait préféré mourir à la place de son enfant.

"Parfois, je me réveillais en sursaut la nuit et j'entendais la voix de Charlie : "Harry va tuer Albus, Neville" et je me demandais… je me demandais vraiment si tout s'était terminé ce jour-là. Et maintenant je sais que non. On aurait dû le savoir, Harry. Il n'allait pas nous donner la vie d'Albus sans réclamer quelque chose en échange…"

Les phrases de Neville se chevauchaient sur le parchemin, serrées et noires, précipitées, affolées.

Harry ferma les yeux.

Ce jour-là, pourtant, j'ai pris la bonne décision. J'ai pris la bonne décision…

Quelqu'un frappa discrètement à la porte et il releva la tête.

- Entrez, lança-t-il d'un ton las.

Kingsley Shacklebolt glissa la tête à l'intérieur et lui sourit d'un air contrit.

- Harry ? Je peux te parler un moment ?

Harry se leva machinalement et fit signe au ministre de la magie de s'installer dans le fauteuil tendu de velours à côté de la petite table.

- Je crois que ça s'impose, murmura-t-il.

Le sorcier hocha sa tête coiffée d'un turban, les yeux fixés sur les enveloppes entassées sur le bureau.

- Je vois que tu as reçu autant de courrier que moi dans la dernière demi-heure…

- Je suis désolé… souffla Potter en enlevant ses lunettes pour les essuyer avec le bout de sa manche, comme un écolier.

Shackelbolt sourit.

- Si ce n'était pas parvenu jusqu'aux oreilles des journalistes, je t'aurais laissé un peu de temps. Mais là, j'ai vraiment besoin de savoir ta version de cette histoire.

Il se cala dans le fauteuil, croisa les mains sur sa poitrine et posa ses yeux bruns tranquilles sur l' homme qui s'asseyait en face de lui, aussi mince qu'à l'époque où il l'avait connu.

- Dis-moi pourquoi on t'accuse d'avoir lancé un sortilège impardonnable sur ton propre fils et comment cela se fait que les rumeurs viennent de Poudlard.

Harry soupira pour la énième fois.

C'était l'histoire de sa vie.

Se justifier, toujours se justifier.

Avoir tous les yeux braqués sur lui.

Etre accusé d'être un monstre par ceux qu'il aimait le plus.

Et protéger des secrets sombres pour que la lumière demeure.

 

oOoOoOo

 

Terrence avait suivi l'elfe de maison avec un peu de réticence au début.

"Le jeune monsieur Malefoy a demandé à Boolay qu'on vous amène, monsieur. Mais Boolay pense que – oh, oh oh – ce n'est pas une place pour un elfe et encore moins pour un sorcier. Le… c'est… Boolay est très honoré d'avoir vu – oui, oui, oui – mais il ne voudrait pas être regardé pour de vrai, monsieur Swanson – oh, ça non. Ce n'est pas correct. C'est beaucoup trop."

Le garçon se demandait vraiment ce qui mettait la petite créature grise dans un tel état.

Puis l'elfe avait mentionné qu'il s'inquiétait vraiment du "jeune maître" en tordant ses mains maigrichonnes : Terrence l'avait alors ramassé et s'était mis à courir.

Les elfes de maison se montraient rarement aux élèves et même si celui-ci avait décidé de rendre service à Scorpius, cela restait très inattendu. En revanche, ils adoraient Albus et lui donnaient toutes sortes de titres particuliers, rivalisant pour attirer son attention.

Il y avait des tas de "jeunes messieurs", mais il n'y avait qu'un jeune maître à Poudlard – et il avait horreur de son titre.

Terrence avait gravi les marches de l'escalier qui menait à la galerie quatre à quatre, l'elfe balloté sous son bras.

- B-b-b-bool-l-lay ai-ai-aim-me-merait ê-ê-être p-p-posé-é-é-é !

La double porte était fermée et il s'était jetée contre elle, tambourinant avec ses poings.

- Scorpius ! Malefoy, je sais que t'es à l'intérieur ! Ouvre ! Albus ! Malefoy, grouille-toi d'ouvrir !

Il s'était tu quand les mots étaient apparus sur le battant, en lettres magiques éphémères.

"Boucle-la. Je vais ouvrir. Compte jusqu'à dix et débrouille-toi pour être aussi CALME que possible."

A côté de lui, l'elfe qui avait roulé sur les dalles quand il l'avait lâché, s'était redressé et avait soigneusement tiré sur ses oreilles paraboliques pour les défroisser.

- Boolay. Qu'est-ce qu'ils font là-dedans ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

La créature aux yeux globuleux l'avait longuement fixé.

- Le jeune monsieur Malefoy…

- Boolay ! avait crié impatiemment Terrence.

Pour toute réponse, l'elfe s'était sauvé en piaillant dans les escaliers au lieu de disparaître en un claquement de doigts.

Et maintenant l'adolescent comprenait mieux pourquoi.

Il se tourna vers Scorpius et n'eut pas besoin de retrouver sa voix pour se faire comprendre.

- C'est juste arrivé comme ça, j'y suis pour rien, répondit celui-ci. "J'étais en panique complète et puis tout à coup le type du portrait – celui du bout, là, avec le grand nez – est revenu dans son tableau avec un elfe complètement surexcité. Je savais pas quoi faire, j'ai pensé… que si quelqu'un allait te chercher, tu saurais."

- Un elfe ? répéta finalement Terrence d'une voix enrouée. "Qui parlait ? Dans la galerie ?"

Scorpius hocha la tête, les sourcils froncés, tout en allumant les bougies du lustre au-dessus d'eux avec sa baguette qui tremblait un peu.

- Oui. Dolly, ou Bob, j'sais pas, un nom comme ça. Bref, apparemment y'a un portrait de lui quelque part dans le château et les elfes le connaissent bien. Enfin, il est mort, mais – rah, je m'en fous, tout ce que je sais c'est qu'il a proposé d'envoyer un de ses copains te chercher et que ça m'arrangeait bien parce que je me voyais mal le laisser seul ici !

La voix du garçon blond avait dérapé dans les aigus vers la fin de sa phrase et Terrence lui mit vivement la main sur le bras.

- Il nous regarde, souffla-t-il.

- Il ne fait que ça, rétorqua Scorpius sur le même ton, en reprenant son air renfrogné. "Fais quelque chose, Swanson. C'est ton meilleur ami. Tu dois bien avoir un moyen de te faire comprendre."

Terrence avala sa salive.

- Pourtant, on dirait pas qu'il nous reconnaisse…. Il a l'air complètement perdu.

Dans le tableau au bout de la galerie, l'homme pâle au haut col noir l'observait, un pli au creux de la joue, comme s'il attendait de voir comment l'adolescent allait relever le défi.

Terrence serra les poings.

Tu n'as pas besoin d'avoir peur. Ne cherche pas d'explications pour le moment. Si Al est quelque part là-dedans, il doit être terrifié. Aide-le. Va le chercher, ne te comporte pas comme un enfant.

Il ferma les yeux, puis les rouvrit.

Je peux y arriver. C'est mon meilleur ami. Il m'attend – il me fait confiance.

Il se redressa et sourit.

- Hé, lança-t-il doucement.

Il tendit la main et fit un pas en avant.

Tout va bien. Je n'ai plus six ans. Je peux y arriver. Je peux faire face à ma peur.

Sauf que même un "Riddikulus" parfaitement exécuté ne risque pas de résoudre le problème.

Scorpius retint son souffle.

Dans l'obscurité, la lueur des bougies se reflétait sur les prunelles vertes du dragon, en petites étincelles dorées et chaudes.

Les oreilles rabattues en arrière, il observait prudemment Terrence qui se rapprochait. Ses épaules massives roulèrent en arrière et son dos s'arrondit. Ses longues ailes d'un noir de jais se gonflèrent un peu et sa queue en forme d'as de pique balaya le tapis d'un geste vif.

- Fais attention… souffla Malefoy à qui ce mouvement rappelait celui d'un chat en colère.

- Salut, toi… murmura Terrence en s'efforçant de repousser au fond de son esprit l'image du saurien cracheur de feu qui était apparu devant lui pendant la classe de DCFM.

Je ne te veux aucun mal… je voudrais juste savoir si tu es Al…

Ses doigts touchaient presque le museau de satin noir.

Je t'en prie, ne fais pas de mal à mon meilleur ami s'il est là-dedans quelque part…

Le dragon renifla et éternua soudain.

Il fit un petit bond en arrière, surpris par le son qu'il avait produit et trébucha sur une de ses ailes. Il culbuta en arrière et sa grosse tête étonnée se heurta contre le mur où s'alignaient les tableaux. Plusieurs objets dégringolèrent de l'étagère et les oreilles pelucheuses de l'animal s'agitèrent, inquiètes, tandis qu'il écarquillait ses yeux verts fendus d'or en se redressant maladroitement.

Terrence éclata de rire et Scorpius ne put s'empêcher de sourire.

Le dragon pencha la tête de côté, l'air un peu perplexe. Il se remit debout d'un souple mouvement des reins et ses moustaches se froissèrent. Ses yeux étaient fixés sur l'adolescent qui venait d'enlever ses lunettes et les nettoyait sur le bord de son pull.

A la lueur des bougies, les verres captaient de la lumière.

Le dragon creusa le dos et commença une manœuvre d'approche prudente en rasant le mur.

- Malefoy, ça ne te rappelle rien ?

Scorpius secoua la tête, sans cesser d'observer l'animal qui se rapprochait lentement de Terrence.

- Méfie-toi quand même… il est plus gros que toi. S'il s'énerve, il n'aura aucune peine à transformer ta tête en souafle.

L'autre garçon sourit.

- Il ne nous fera pas de mal.

Il s'accroupit et tendit de nouveau la main.

- Viens.

Les flammes des bougies jetaient des reflets chatoyants sur le poil d'ébène du dragon aplati sur le tapis. Il fronça le museau, cligna un peu des yeux en regardant Terrence, puis rampa vers lui en dandinant son postérieur.

- Tu te crois discret ? pouffa l'adolescent. "Franchement…"

Il le laissa flairer ses doigts, puis frotter sa tête contre sa paume.

- Il t'aime bien, on dirait, souffla Malefoy, un peu estomaqué, toujours à prudente distance.

Terrence gratta derrière une oreille et obtint exactement le résultat escompté : un vrombissement très heureux naquit au fond de la gorge de l'animal.

- Tu n'as pas pu l'approcher ?

Scorpius haussa les épaules.

- Je l'ai touché – sans faire exprès, au début. Mais je crois que je lui ai fait peur quand je me suis mis à hurler. Ça m'a fait comme un choc de voir que Al s'était transformé en dragon, tu vois.

Sa voix pincée fit rire l'autre garçon tandis que le portrait de l'homme au col noir levait les yeux au ciel.

- C'est pas drôle, Swanson. Albus avait l'air de souffrir horriblement et tout est devenu noir… c'était vraiment flippant, j'avais jamais senti la magie comme ça – partout autour.

Terrence redevint sérieux. Il considéra longuement le dragon qui avait pelotonné ses grosses pattes sous son jabot de fourrure sombre, et ronronnait, les yeux mi-clos.

- Tu crois qu'il savait qu'il pouvait se transformer ? demanda Scorpius. "Il avait l'air normal, on parlait juste comme ça, et puis… c'est pas quelque chose de normal, même dans le monde des sorciers ! Tu crois que c'était à cause de ça, le… enfin. Ce que son père a essayé de faire ?"

Terrence ne répondit pas. il réfléchissait, sans se rendre compte que ses doigts jouaient machinalement avec une poignée soyeuse de poils noirs.

La douleur et la cicatrice.

Un cauchemar.

"papa, non, papa…"

L'épouvantard.

Et maintenant ça.

Il soupira.

- T'as pas d'idée ? s'impatienta Scorpius qui avait fini par s'asseoir sur le tapis lui-aussi. "C'est toi le cerveau, Swanson ! Si tu sais pas ce qu'on doit faire, alors…"

Le dragon rouvrit les yeux et un bruit étrange roula dans sa gorge, comme un reproche.

- Quoi ? riposta Scorpius. "J'y crois pas… Il a plus de caractère sous cette forme que sous l'autre" grommela-t-il en se tournant de l'autre côté, l'air boudeur.

Terrence sourit.

Finalement, cette situation était plutôt cocasse.

- D'abord, je pense qu'on peut pas gérer ça tous seuls. Faut qu'on informe un professeur. On a besoin d'aide. Al a besoin d'aide – d'un adulte qui comprendra ce qui lui arrive.

Dans le tableau, l'homme au col noir hochait la tête avec approbation, même s'il avait l'air préoccupé.

Le professeur Londubat avait l'air de savoir quelque chose. En premier, ils pouvaient se tourner vers lui... Et puis quelqu'un devait demander à Harry Potter pourquoi son fils avait ce genre de souvenir enfoui... James était peut-être au courant…

Malefoy fronça les sourcils.

- Je suis pas sûr, Swanson. C'est… une créature magique. C'est compliqué. Ça ne va pas plaire à un tas de gens. Albus pourrait être expulsé de l'école.

Terrence le fixa, troublé.

- Hein ? Mais…

Le dragon se redressa brusquement. Il ouvrit la bouche, secoué d'un genre de hoquet comme s'il allait déglutir. Ses yeux verts fendus d'or s'écarquillèrent, surpris et un peu effrayés, tandis que ses ailes s'ébouriffaient.

- Tu lui as donné quelque chose à bouffer ? demanda immédiatement Terrence en se levant.

Scorpius secoua frénétiquement la tête en l'imitant. Il recula.

- Non, j'étais pétrifié, je t'ai dit ! Tu… tu crois qu'il va… ? Purée, c'est un dragon ! On aurait dû le faire sortir. S'il met le feu aux tableaux, on est mal !

Mais la gueule arrondie de l'animal ne s'enflamma pas. Il toussa, ouvrit si grand qu'ils virent sa glotte se balancer avec de petits craquements et des étincelles bleutées, puis se coucha, l'air pitoyable.

- Qu'est-ce qui t'arrive, pauvre vieux ? dit Terrence, un peu inquiet, en posant sa main sur une des ailes de soie noire.

Les grands yeux verts fendus d'or se levèrent vers lui. Le dragon mit sa patte sur son museau en gémissant doucement.

Scorpius s'approcha un peu.

- Qu'est-ce qu'on fait ? chuchota-t-il.

Ses doigts étaient à deux centimètres du bord du pull de Terrence. Il avait beaucoup de mal à ne pas attraper la couture pour se rassurer.

L'autre garçon remonta ses lunettes sur son nez. Il était sur le point de répondre lorsque la forme du dragon se mit à se dissoudre en milliers de particules brillantes.

Les deux garçons levèrent leurs bras instinctivement pour se protéger de cette envolée de grains de sable noir.

Puis Terrence risqua un œil et se précipita.

- Al !

Il attrapa le poignet abandonné sur le tapis. Son cœur fit un looping, puis se raccrocha à sa place.

Vivant.

Scorpius s'agenouilla à côté de lui, ses yeux exorbités fixés sur l'adolescent évanoui – et entièrement nu – qui était étendu sur le sol de la galerie.

- Il est de nouveau là, murmura-t-il, abasourdi.

Terrence enlevait son pull. Il l'enfila sur la tête de son ami, chercha des yeux autour de lui.

- Malefoy, attrape la nappe du guéridon.

Scorpius fit bouger sa baguette machinalement.

- C'est ré-apparu, dit-il d'une voix un peu mécanique.

- Je sais, dit Terrence comme si ça n'avait pas d'importance que la cicatrice en forme de fleur soit de nouveau bien visible sur le torse du garçon.

Il enveloppa les jambes d'Albus dans le lourd tissu damassé.

Il avait besoin de faire quelque chose pour ne pas perdre pied. Tout ça était beaucoup trop compliqué, beaucoup trop étrange, beaucoup trop pour des élèves de quatrième année.

- On va en parler au professeur Londubat, dit-il finalement, quand il eut finit de border les coins de la nappe sous le corps froid et immobile d'Albus.

Malefoy ouvrit de nouveau la bouche pour protester, puis il croisa les yeux intenses de l'homme au col noir. Le portrait faisait lentement non de la tête.

- Est-ce que tu peux aller chercher Mrs Abbot ? demanda Terrence sans le regarder. "Je pense pas que ce soit une bonne idée de le transporter nous-mêmes..."

Il essuya ses paumes moites sur son pantalon.

Okay. Là, t'as officiellement fait exploser le record de bizarreries, Al.

Un DRAGON ? Tu pouvais pas trouver moins spécial, évidemment. Mais t'es quoi, en fait ? Un animagus ?

Le visage de son ami était tellement pâle, comme celui d'un fantôme. Son cœur se serra.

Pourquoi tout ça ? T'avais rien demandé, j'en suis sûr… Qu'est-ce qu'on t'a fait ? C'est qui, ton père, en fait ? Pourquoi on nous raconte rien sur lui avant la 7ème année ? Je parie qu'il y a quelque chose de bien glauque là-dessous.

Malefoy, qui avait commencé à se lever, lui attrapa le bras.

- Hé, il se réveille.

Les deux garçons se penchèrent sur Albus qui battait des paupières.

- ça va ?

Leurs voix parfaitement synchrones résonnèrent dans la galerie qu'enfumaient les bougies.

Albus se redressa péniblement, aidé par les deux autres. Il se passa une main sur la figure, jeta un coup d'œil perplexe autour de lui. Son regard croisa celui de Scorpius et il sourit soudain, d'un air d'excuse.

- Désolé, marmonna-t-il. "On parlait, je crois… Qu'est-ce qui m'est arrivé ? Je suis tombé dans les pommes ?"

Il leva les yeux vers les fenêtres auxquelles se collait la nuit.

- C'est le soir ?

Malefoy acquiesça silencieusement. Terrence scruta le visage de son ami.

- De quoi tu te souviens, exactement ?

Albus ne répondit pas tout de suite : il venait de découvrir comment il était habillé et visiblement ça ne le rassurait pas du tout.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il d'une voix altérée.

Scorpius se mordit les lèvres.

- Tu ne te rappelles pas ?

Ses yeux gris étaient dilatés sous sa frange blanche.

L'expression d'Albus devint consternée. Il se tourna vers Terrence.

- Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi je suis à poil ?

Son ami prit le temps de sonder les prunelles d'émeraude affolées.

Non. Plus rien de doré. Aucune trace du dragon.

- T'as rien fait, dit-il finalement. "T'inquiète pas. C'est un peu compliqué, comme histoire, mais… euh, je t'expliquerai, pour tes vêtements. Mais c'est rien de grave, foi de Merlin. Tu peux marcher, tu crois ? Je pense que tu devrais aller faire un tour à l'infirmerie. Le professeur Londubat avait l'air prêt à lancer une armée de walkyries à ta recherche, tout à l'heure."

Malefoy lui balança un coup d'œil sombre.

COMMENT TU PEUX LUI CACHER ça ?

Albus repoussa la main qui se tendait pour l'aider à se relever. Il se mit debout en chancelant un peu.

- Où est ma baguette ? demanda-t-il d'un ton un peu sec.

Scorpius la lui tendit sans rien dire.

Terrence avala sa salive.

- Tu ne vas pas me jeter un sort, là ?  Parce que je suis pas armé, moi.

Albus grogna quelque chose d'incompréhensible qui ne devait pas être très politiquement correct, puis tapota la nappe en prononçant une formule que ni l'un ni l'autre des deux autres garçons ne connaissaient.

Le tissu damassé s'assembla tout seul en forme de pantalon et Albus respira profondément.

- C'était quoi, cette incantation ? demanda Terrence, fasciné. "Comment tu sais faire ça ?"

- Ma grand-mère faisait tout le temps des vêtements pour les poupées de ma sœur dans des bouts de chiffon, quand on était gamins, répondit le garçon rapidement. "C'est moche, mais ça suffira le temps de remonter à la chambre."

- Tu me l'app-

- Terrence, coupa Albus fermement.

- Okay, soupira son ami. Il enleva ses lunettes et les essuya sur le coin de sa chemise. "Je te dirai la vérité. Mais pas ici – pas maintenant."

La cloche du souper se mit à sonner, ébranlant tout Poudlard avec un timing parfait.

- Partez devant, je monte me changer, dit Albus d'un ton las.

Scorpius secoua la tête.

- Non, dit-il entre ses dents serrées. Il écarta Terrence qui faisait un mouvement pour le faire taire. "Tu peux pas rester seul, ça craindrait trop si quelqu'un te voyait te transformer."

Albus pâlit. Il chercha machinalement les yeux du portrait du bout de la galerie, comme pour se raccrocher à quelque chose de normal.

- Me transformer ?

- Oui, grinça Malefoy. "En dragon."

Dans le tableau, les lèvres de l'homme au col noir s'amincirent. Il rabattit en arrière une mèche de cheveux sombres et sortit brusquement du cadre en balançant ses manches comme des ailes de chauve-souris, l'air visiblement énervé.

Albus le vit disparaître et eut l'impression d'avoir bu la tasse.

- En dragon ? répéta-t-il d'un ton mal assuré. "C'est pas très drôle, ta blague, Scorpius."

- C'est loin d'être une plaisanterie, dit une voix sombre depuis la porte de la galerie.

Les trois garçons sursautèrent.

 

 

A SUIVRE...

Prochain chapitre : LE NOUVEAU PROFESSEUR DE DEFENSE CONTRE LES FORCES DU MAL

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