Clair comme Nuit

Chapitre 19 : Bienvenue, Adieu

3804 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/12/2015 10:37

 

BIENVENUE, ADIEU

 

 

Harry ne fit qu'un bond.

- NE TIREZ PAS ! C'est Al ! C'est mon fils !

- Vous… avez amené… un dragon ? articula l'Auror couvert de cicatrices d'une voix rauque.

Harry passa la main dans ses cheveux noirs, à peine étonné de les sentir poisseux de sueur.

- Okay. Je sais que ça vous a surpris, haleta-t-il. "Mais c'est pas le moment de se pencher sur cette question. On a de la compagnie."

Ron ouvrit et referma la bouche plusieurs fois sans qu'il en sorte un son, puis sembla reprendre le contrôle de son corps.

- Dean, Darren. Allez voir, ordonna-t-il en s'humectant les lèvres. "Les autres, en position. Euh… Euh, Charlie, le d-dragon. T-tu t'en occupes. Harry, avec moi."

Les deux Aurors désignés partirent à petites foulées en direction de la mer. Les autres reculèrent prudemment, les yeux toujours fixés sur l'animal frémissant dont la queue en forme d'as de pique battait furieusement l'air. Harry hésita, puis suivit son beau-frère. Quand tout le monde eut disparu, Charlie s'accroupit et se mit à siffloter tranquillement.

Le dragon huma l'odeur de la mer, celle du campement, puis sembla se détendre. Il leva une patte et la renifla, agacé de la trouver pleine de boue. Il la secoua, puis la reposa dans une flaque. Ses oreilles se redressèrent. Il trottina jusqu'à l'homme et appuya sa grosse tête contre lui, dans un élan qui fit basculer Charlie en arrière et manqua l'écraser.

- Tout va bien, mon bonhomme, rit le dragonnier en se dégageant. "Tout va bien. Allez, r'viens, maintenant. T'es trop gros pour entrer dans le chapiteau et vaut mieux qu'on en sache plus sur ce qui se passe avant que tu interviennes en mode Crocmou."

Il gratta l'endroit tendre entre les deux yeux verts fendus d'or qui s'arrondirent de contentement, attrapa les babines de velours noir.

- Al. Allez, mon garçon.

Un milliard de grains dorés tourbillonnèrent et l'homme sourit largement : il pinçait maintenant les joues de son neveu qui avait l'air plutôt mécontent, son pull un peu de travers sur le cou. Il repoussa les mains de son oncle d'un geste vif et détourna la tête.

- Trop la honte…

Charlie lui donna une bourrade affectueuse.

- Pas du tout. Je crois que ces gros durs ont bien flippé, plutôt. Ça leur apprendra à ne croire que ce qu'ils voient ! Allez, viens te mettre à l'abri avant que ton père ne fasse une colique.

Albus jeta un coup d'œil derrière lui en suivant l'homme qui se dirigeait vers le chapiteau principal.

"Est-ce qu'ils sont là ?

Les dragons…

Tu les as sentis ?

Tu crois qu'ils seront…"

Des mouettes tournoyaient au-dessus de la crête dans le ciel bleu et froid. Les silhouettes des deux Aurors partis en éclaireur semblaient minuscules, tout en haut, à contre-jour. L'une d'elle lança un sortilège d'un vert brillant, qui vint éclore en forme de trèfle au milieu du camp.

- Ce n'est pas une attaque, dit Ron calmement, en posant sa main sur l'épaule d'Albus qui était resté à l'entrée de la tente. "Reste à savoir quel intrus inoffensif dispose d'assez de pouvoir pour briser les protections magiques qui entourent l'île…"

Il tira son neveu à l'intérieur et laissa retomber le pan de tissu bâché qui servait de porte.

 

oOoOoOo

 

Quand on les poussa sous le chapiteau, ils mirent quelques instants à s'habituer à la pénombre orangée de la toile.

Wendy cilla en se serrant contre Terrence qui regardait avec intérêt autour de lui.

Scorpius respirait lourdement, peut-être à cause du poids de l'elfe dans ses bras, ou peut-être parce qu'il était impressionné lui aussi.

Le chapiteau était plus grand qu'il n'en avait l'air de l'extérieur. Le sol de terre battue était recouvert d'épais tapis maculés de brins d'herbe et de boue séchée. Des lanternes étaient accrochées aux piliers et pendaient le long des cordages du plafond en cône. A droite, une pile de bols en grès était posée sur une grande table rectangulaire flanquée de longs bancs. A gauche, on distinguait derrière un paravent deux lits à étages avec les couvertures jetées en travers des oreillers, comme s'ils avaient été quittés à la hâte, et un grand bac en étain qui devait servir de baignoire. Un bloc de savon et une serviette de bain attendaient sur un tabouret et un vêtement qui ressemblait à une armure de cuir noir avec des épaulettes en acier était pendu à un cintre au bord d'une grande armoire en chêne. 

En face d'eux, sur une estrade en planches, se dressait un grand tableau recouvert de plans que dessinaient des craies ensorcelées et de cartes avec des couteaux plantés dans des parchemins, à côté d'un bureau sur lequel était assis un homme très grand, les bras croisés, l'air sarcastique. Sa tignasse et la barbe mal soignée qui mangeait ses joues creuses étaient de la même couleur automnale que son pull en laine orné d'un énorme R majuscule. Il portait un jean élimé et des bottes de pluie, et faisait négligemment tourner sa baguette sur ses doigts.

- Eh bien, eh bien, eh bien. Si je m'attendais à ça, soupira-t-il en levant les yeux au ciel.

Il parut sur le point d'ajouter une phrase moqueuse, mais Wendy lui coupa la parole en lâchant brusquement le bras de Terrence pour foncer sur Albus qu'elle venait de découvrir dans un recoin près de la grande table. Elle se jeta à son cou avec fougue, en étouffant un cri de soulagement.

- Al ! On a réussi ! On a vraiment réussi !

Les joues empourprées, le garçon la détacha délicatement de lui après avoir échangé un regard avec son père et son oncle.

- Qu'est-ce que vous faites là ? demanda Harry d'un ton peu amène.

- Je ne sais pas ce que vous avez cru, mais c'est pas le dernier lieu de rendez-vous à la mode, lança Ron. "On est en guerre, les gosses. Vous n'avez rien à faire ici."

- Comment êtes-vous passés à travers les barrières ? ajouta l'Auror à la cape qui enleva sa capuche, provoquant un quadruple hoquet d'horreur.

 La moitié de son visage était effroyablement boursouflée, crevassée de taches brunes et de bulles de peau jaunâtres. Son œil droit disparaissait dans les plis à vif et on voyait dépasser ses dents là où ses lèvres éclatées par la brûlure s'étaient enroulées. Son œil gauche, d'un bleu laiteux, n'avait plus de cils.

Charlie ferma les yeux. Il savait qui pouvait faire ce genre de blessure.

Terrence écarquilla les paupières, s'efforçant de calmer les martèlements de son cœur dans sa poitrine.

Je n'ai pas peur.

Je n'ai pas peur.

Je n'ai pas peur.

Il avala sa salive, retint sa grimace quand le goût de bile remonta dans son œsophage et fit face à l'Auror, très droit.

- On a transplané, répondit-il d'une voix qui trembla à peine.

Wendy hocha la tête, blottie contre Albus qui la contemplait avec admiration.

- On ne peut pas transplaner à Islay, répliqua Ron en fronçant les sourcils. Il fit passer sa baguette d'une main à l'autre, puis se redressa et descendit de l'estrade d'un pas souple. "Comment avez-vous fait ?"

A la façon dont ses yeux s'étaient assombris, Harry sut qu'il les soupçonnait d'être soumis à l'Imperium – peut-être même de n'être pas ce qu'ils semblaient être.

Il fit un pas en avant pour intervenir avant que l'hostilité qui engluait lentement l'atmosphère ne dégénère.

- On a vraiment transplané, dit Scorpius à ce moment-là, d'une voix impatiente. "Grâce à l'elfe."

Toutes les têtes se tournèrent vers lui. Il inclina le menton vers le vieux serviteur toujours inerte.

- Kreattur. C'est lui qui nous a emmenés.

- Kreattur ! répéta Harry, stupéfait. "Que… d'où… QUOI ?"

Charlie se fraya un passage jusqu'à Scorpius, séparant Wendy et Albus et écartant l'Auror au visage défiguré.

- L'elfe est mal en point, lança-t-il d'une voix sèche. "On devrait le soigner avant de poser davantage de questions."

- Pose-le sur la table, ordonna Ron en jetant un manteau sur la surface de bois d'un coup de baguette.

Scorpius déposa délicatement le corps frêle et Charlie se pencha sur Kreattur.

- Il est très faible, dit-il en relevant la tête après l'avoir examiné.

Son regard grave passa sur chacun des adolescents, s'attardant particulièrement sur Terrence.

- Il ne passera pas la nuit.

Scorpius recula d'un pas en trébuchant, comme s'il avait soudain du mal à se tenir debout.

- Vous voulez dire qu'on… que… c'est nous qui…

Les yeux de Wendy se remplirent de larmes.

- On est désolés, on voulait pas…

- Les pouvoirs des elfes dépassent nos connaissances, dit Harry d'une voix dangereusement calme. "Mais certainement, il fallait être un sacré génie pour deviner qu'il pouvait passer outre des lois de magie apparemment immuables – en transportant trois jeunes personnes."

Ses yeux de jade, glacés, étaient fixés sur Terrence.

- Je suppose que ça partait d'un bon sentiment, mais vous n'auriez jamais dû faire ça. Ni venir ici, ni demander à une créature aussi âgée de payer de sa vie le prix de votre inconscience.

Terrence tremblait de tout son corps. Il ferma les yeux, essayant de calmer sa respiration.

- Pardon, finit-il par articuler d'une voix presque inaudible. "Mais on ne pouvait pas laisser Albus risquer sa vie tout seul…"

Wendy pleurait en silence. Scorpius se racla la gorge.

- C'est moi, dit-il, très pâle. "C'est moi qui ai eu cette idée. Je… j'ai… je le savais. Ce que les elfes peuvent faire. On n'avait pas d'autre choix ! Je… on a demandé à Boolay et évidemment, il voulait pas, il sert l'école et les profs, et…

Sa voix s'étrangla.

- Je… je regrette, mais il… il nous a conduits au portrait de l'elfe qui est mort pendant la guerre…

- Dobby, souffla Terrence en voyant les adultes échanger un coup d'œil sombre.

Scorpius avait beaucoup de mal à trouver ses mots. Ses yeux gris étaient plein de larmes.

- Et… euh… Do… Dobby est parti dans un autre tableau et d'un coup… ce… il… Kreattur. Il est arrivé. Il a d-dit qu'il nous emmènerait…

Il renifla, se mordit les lèvres.

- Il a dit qu'il nous aiderait… qu'il ferait n'importe quoi pour Al…

Dans le silence, Ron se gratta l'arcade sourcilière.

- Et il l'a fait, dit-il avec un haussement d'épaule, en s'éloignant de la table. "Stupide elfe. Il a toujours un timing terrible."

- Ron ! protesta Harry.

- Quoi ? riposta son meilleur ami.

Ses yeux étincelèrent un instant, puis son visage se fit las.

- Kreattur mourra content, il a fait ce qu'il voulait...

Il croisa les bras et s'appuya contre le pilier principal du chapiteau, plongeant ses yeux très sérieux dans ceux des adolescents qui le fixaient d'un air choqué, toisant son frère et son beau-frère.

- Tu sais qui ils ont eu, la semaine dernière ? Le petit Romulus Alastair, celui qui se trimballait toujours avec des fizwizbiz plein les poches pendant sa formation... Trente-deux ans.

Il eut un petit rire amer.

- Il s'était reconverti comme Oubliator. Il allait se marier, Harry… ils l'ont rappelé sur le front et tac, deux jours après… alors, un vieil elfe qui en vingt ans n'a jamais su m'adresser deux paroles sans rajouter "Weasley, traitre à son sang !", tu me pardonneras si je ne deviens pas sentimental.

Charlie baissa la tête sans rien dire. L'Auror défiguré remit doucement son capuchon.

- Je sais, dit Harry simplement.

Et il posa une main réconfortante sur l'épaule de Scorpius et une autre sur celle de Terrence, dans le silence.

- Papa ?

Wendy releva la tête et essuya ses joues. Albus avait lâché sa main et s'était approché de la table en sortant un bout de parchemin plié de sa poche.

- L'elfe. Il s'appelle Kreattur, c'est ça ?

Harry hocha la tête.

- C'est ton elfe ?

Son père hésita. Ron observait la scène en fronçant un peu les sourcils.

- C'est un elfe dont j'ai hérité. Il y a longtemps. Il vit dans la maison où j'ai mon bureau.

Albus déplia lentement le bout de parchemin.

- Le jour de mon anniversaire, j'ai reçu une lettre de quelqu'un que je ne connaissais pas, expliqua-t-il timidement. "Quelqu'un qui s'appelle Kreattur. Je pensais bien que c'était un elfe, vu comme il parlait, mais… je ne savais pas qu'il me connaissait…"

Harry soupira.

- Je t'ai amené à mon bureau, il y a très longtemps. C'est là qu'il t'a vu.

Albus absorba l'information. Il rangea lentement la lettre dans sa poche, puis se pencha sur la silhouette maigre et inerte, prit délicatement la vieille main décharnée.

- Kreattur… appela-t-il doucement.

Charlie retint son souffle, comme tous les autres.

L'elfe remua un peu. Le bout déchiqueté de ses oreilles s'agita légèrement. Il s'humecta les lèvres. Un souffle un peu rauque passa dans ses narines poilues. Ses yeux protubérants s'ouvrirent avec difficulté et il rencontra le regard d'émeraude posé sur lui avec tendresse.

- Bonjour, Kreattur, dit Albus.

Les plis flasques des joues du vieil elfe palpitèrent et les coins de sa bouche se soulevèrent un peu.

- Le petit maître… souffla-t-il.

- Merci pour ta lettre, chuchota l'adolescent avec un sourire. "Merci d'avoir amené mes amis jusqu'ici…"

L'elfe toussa et son torse se creusa sous la tunique sale et effilochée. Ses yeux bleus pâles très ronds contemplaient Albus sous ses sourcils blancs broussailleux.

- Kreattur… Kreattur l'a revu…

Il haleta et ses yeux se fermèrent. Le garçon serra très fort les longs doigts grêles gris et froids. Pendant un instant, il leur sembla que le vieux serviteur allait rouvrir les paupières, puis sa tête glissa doucement sur le côté.

Albus le regarda un moment en silence, puis il ferma les yeux et une larme roula sur sa joue tandis qu'il se penchait pour embrasser le front de l'elfe.

Ron se détourna. Wendy ne réalisa pas qui lui avait posé le bras sur les épaules et blottit son visage contre la cape de l'Auror défiguré. Terrence et Scorpius semblaient changés en pierre.

Harry inspira profondément, puis il contourna la table.

- Viens, Al, dit-il doucement. "C'est fini."

Charlie enleva son gilet en peau de mouton et en couvrit le corps sans vie de l'elfe.

- Darren, emmène les enfants au dortoir. Ils sont épuisés, il faut qu'ils dorment avant qu'ils repartent, ordonna Ron.

L'Auror au capuchon acquiesça simplement et pilota les trois adolescents hébétés hors de la tente. Harry le suivit, entraînant Albus.

- Quelle poisse, lâcha Ron entre ses dents, une fois qu'ils furent sortis.

Il donna un coup de pied dans le banc et ne réussit qu'à se faire mal. Il s'assit lourdement sur les marches de l'estrade et fourragea dans ses cheveux roux d'un geste énervé.

Charlie se posa à côté de lui, les mains croisées, les coudes sur ses cuisses.

Il ne dit rien, mais son épaule donna un petit coup contre celle de son frère.

- Tch, grogna Ron.

Et Charlie sourit.

 

oOoOoOo

 

L'après-midi était bien avancée, quand les adolescents sortirent de la tente, réveillés par le brouhaha. Le soleil tendait ses rayons sur l'arrête de la montagne, scintillant sur les carcasses de bateau et étirant les ombres sur le sol boueux du camp.

Les Aurors étaient massés devant l'arcade par laquelle était arrivé Albus, du côté de la plaine.

- Les voilà ! lança soudain une voix excitée.

Un poney arrivait au galop, soulevant des éclats de boue et des bouts d'herbe. La femme qui le montait tira sur les rênes juste avant l'arcade et marmonna des mots inaudibles avant de passer sous la poutre.

- Quels sont les nouvelles ?

- Qu'est-ce que tu nous ramènes de bon ?

- Tu ne devineras jamais ce qui s'est passé pendant que vous étiez absents !

Les voix joyeuses se mêlaient et Wendy sentit son cœur se réchauffer pour la première fois depuis leur arrivée désastreuse.

La femme était vêtue d'une jupe en laine beige et d'épais collants qui s'enfonçaient dans ses bottes de pluie dépareillées. Elle portait un long gilet en crochet vieux rose qui traînait jusque par terre et ses cheveux étaient mal coiffés, rassemblés en un vague chignon châtain retenu par une barrette. Son menton prognathe et son nez droit empêchaient qu'on la dise jolie, mais ses yeux bruns décidés étaient remplis d'une affection débordante qui la rendait vraiment belle.

Elle sauta légèrement du poney, se débarrassa de son énorme sac à dos et le tendit à un Auror, puis se tourna vers Dean qui s'approchait. Un jeune homme enveloppé d'une couverture dodelinait sur le dos de l'animal, agrippé à la selle, visiblement à moitié inconscient.

- Je crois qu'il a de nouveau de la fièvre, dit-elle d'un ton soucieux. "Le médecin a dit que…"

- Hermione ! appela Harry en se frayant un passage à travers la foule.

- HARRY ! s'écria la femme dont le visage s'illumina. "Oh, Harry, tu es arrivé !"

Elle lui sauta au cou, puis s'écarta, laissant sa main sur le bras de l'homme qui attrapa doucement le malade et le descendit du poney avec l'aide de Dean.

- Teddy…

Hermione hocha le menton.

- Oui. Il a été touché avant-hier. Mais Harry, comment…

Elle s'interrompit et ouvrit de grands yeux en découvrant les adolescents debout un peu à l'écart du groupe.

- Qu'… qu'est-ce qu'ils…

- C'est une longue histoire, dit Ron qui venait de les rejoindre.

Il se massa la mâchoire, jeta un coup d'œil de côté puis croisa les bras et toussota.

- C'est à cette heure-ci que tu rentres ?

 

 

A SUIVRE…

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