Clair comme Nuit

Chapitre 27 : En gare de King's Cross

6564 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 20:20

 

EN GARE DE KING'S CROSS

 

 

Des pétales de fleurs de cerisier virevoltaient dans la brise, comme des flocons de neige parfumés. Le soleil chauffait doucement les briques des murs, éblouissant les voyageurs quand il frôlait la pancarte en émail "Voie 7 ¾" qui se balançait légèrement au bout de ses chainettes. Il faisait frais, un matin de printemps agréable avec un grand ciel bleu au-dessus des toits de Londres.

- Attention, s'il vous plaît… mesdames, messieurs, le Northen Express va entrer en gare. Attention, s'il vous plait…

Sur le quai presque désert, Ginny serra plus fort la main de Lily qui avait brusquement pâli.

- On ne le fixe pas, on agit normalement, répéta-t-elle entre ses dents.

James grogna à côté d'elle. Ses poings étaient enfoncés dans ses poches, pour que personne ne voie à quel point ses ongles s'étaient gravés dans ses paumes.

- N'importe quoi. C'est impossible, marmonna-t-il. "Même si on pouvait, un jour ou l'autre il faudra bien qu'il se montre comme il est et qu'il fasse avec les réactions que ça provoquera... Il ne va pas finir sa scolarité à la maison, c'est ridicule !"

Sa mère le foudroya des yeux.

- Ton père et moi, nous déciderons quand Al retournera à Poudlard. En attendant, si je t'entends lui dire quoi que ce soit…

L'adolescent haussa les épaules, amer.

- Je ne suis pas aussi mauvais que vous le pensez…

Ginny décida d'ignorer la remarque, même si les mots lui avaient fait aussi mal qu'une gifle. Lily guettait le train dont on entendait le lointain sifflement.

Il n'y avait pas d'infirmiers, de brancards, de familles anxieuses ou de journalistes massés sous les arcades de briques comme deux jours auparavant, quand les blessés et le premier contingent d'Aurors étaient revenus du front.

Harry avait envoyé un hibou : Albus n'était pas encore en mesure de voyager. Il n'avait pas expliqué pourquoi il avait accepté que les trois autres adolescents restent encore à Islay alors que leurs parents attendaient leur retour, dévorés d'inquiétude.

A quelques pas des Potter, Drago faisait les cent pas et les basques de sa redingote frappaient l'air dans un mouvement sec quand il changeait brusquement de direction. Ses lèvres minces étaient pincées furieusement et ses sourcils sombres se rejoignaient au milieu de son front. Sa femme l'observait tristement, les mains jointes sur son aumônière en velours, immobile à côté du banc sur lequel personne ne songeait à s'asseoir.

Un peu plus loin, Francis Swanson était à peu près dans le même état que le père de Scorpius, mais son épouse montrait beaucoup moins de contenance qu'Astoria Malefoy. Elle fouillait fébrilement dans son sac à la recherche de quelque chose qu'elle ne trouvait pas, et jurait à mi-voix. Ses clés tombèrent sur le sol dallé et firent sursauter tout le monde. Elle s'accroupit pour les ramasser et le thermos, qu'elle avait coincé entre son menton et sa clavicule, roula par terre. Il s'ouvrit et se vida sur son agenda.

- Non, mais non, quoi… gémit Amélia en repoussant ses cheveux bruns en arrière d'un geste désespéré. Ses genoux heurtèrent les dalles et son jean se tacha de thé.

Deux mains calleuses enveloppèrent l'agenda dans un mouchoir de dentelle et le lui rendirent après l'avoir séché un peu.

- Y'a pas de mal, m'dame.

Elle cligna des yeux pour refouler les larmes idiotes qui menaçaient de déborder.

- Ils sont sains et saufs. Ils seront bientôt là et le cauchemar sera terminé. Vous pourrez serrer votre fils dans vos bras autant que vous en aurez besoin…

L'homme qui lui parlait d'une voix lente, rassurante et grave à la fois, portait un costume de tweed élégant qui contrastait terriblement avec son crâne rasé couturé d'une longue cicatrice. Ses épais sourcils blonds et ses yeux bleu clair donnaient à son visage austère une très grande douceur.

- V-vous êtes le p-père de Wendy ? bégaya Amélia en acceptant la main qu'il lui tendait pour l'aider à se relever.

Il était immense – bien plus grand que n'importe qui d'autre sur le quai. Il tourna la tête en direction de la locomotive qui entrait en gare avec fracas, relâchant un torrent de vapeur blanche.

- Je suis venu la chercher, dit-il simplement.

Francis se rapprocha de sa femme –  l'anxiété mêlée de colère sur son visage avait fait place à de la peur. Elle fit un petit signe de tête à l'inconnu et se serra contre son mari.

Terrence. Oh, Terrence…

Astoria s'était avancée en se mordant la lèvre. Une perle rouge brillait sur la porcelaine de sa peau. Drago chercha la main de son épouse à tâtons et s'y agrippa presque violemment.

Scorpius. Scorpius. Scorpius.

Dans le vacarme des roulements d'acier, les étincelles cuivrées et le chaos des tampons métalliques des wagons qui freinaient, James plissait les paupières et Lily se bouchait les oreilles.

Ginny retenait son souffle.

Albus.

Avec un dernier chuintement, le train s'immobilisa complètement. Il n'était pas rouge et noir – pas comme le Poudlard Express – mais bleu roi et argent. Les portes s'ouvrirent bruyamment et le nuage de fumée termina de se dissiper.

Le premier à sauter du train fut Ron Weasley, qui se retourna pour tendre le bras à Teddy Lupin qui avait un bras en écharpe. Hermione descendit les marches grillagées derrière eux, scrutant le quai, apparemment déçue de ne pas y voir ses enfants.

Puis Harry apparut à son tour, surveillant anxieusement la progression de ceux qui le suivaient.

Scorpius et Terrence souriaient, encourageants, les bras d'Albus sur leurs épaules, leurs mains dans son dos pour l'aider à se stabiliser. Wendy les rejoignit une seconde plus tard, les béquilles dans ses bras. Ses cheveux châtains n'étaient pas attachés et remplissaient la capuche de son pull.

- Home sweet home, s'exclama Terrence. "Hum, ça sent bon les pots d'échappements londoniens !"

- C'est pas trop tôt, grogna Scorpius. "J'ai faim."

- Tu n'avais qu'à manger les sandwichs au fromage de la mère Gerta au lieu de faire la fine bouche, lança Wendy en donnant à Albus ses béquilles.

- Les gars… on est arrivés, dit celui-ci doucement.

Il indiqua du menton le groupe en face d'eux et les visages des trois adolescents redevinrent sérieux. Wendy recula et se heurta contre Harry qui lui posa la main sur l'épaule.

- Salut, maman, dit Albus en s'appuyant sur les béquilles pour avancer un peu vers Ginny qui était figée au milieu du quai.

Lily avait mis ses mains devant sa bouche et on ne voyait que ses yeux écarquillés d'horreur.

James s'obligeait à garder la tête droite et à regarder son frère, mais il ne se rendait pas compte que la peine qui oppressait sa poitrine se dessinait sur son visage crispé.

La femme rousse tremblait dans le silence seulement troublé par le cliquetis des béquilles. La brise soulevait les mèches folles autour de son front, comme une caresse.

Il était là.

Son fils.

Ses yeux d'émeraude lui souriaient sous ses boucles noires. Il avait le teint pâle, mais pas terreux. Le voyage avait dû le fatiguer, mais la joie de la voir effaçait les cernes et l'inconfort qu'il devait ressentir sous cet assaut de regards.

Il portait un des irremplaçables pulls Weasley, dont la laine informe n'enlevait rien à la grâce féline de ses épaules, et le morceau vide de son pantalon était épinglé juste au-dessus de son genou droit.

Un sanglot s'étrangla dans la gorge de Ginny.

Elle s'était promis – juré – de ne pas pleurer devant lui. Elle ne devait pas. Elle n'allait pas…

Elle croisa le regard suppliant d'Harry, plus loin derrière leur fils.

- Hé, m'man… tenta de nouveau Albus, s'efforçant de maintenir le sourire chaleureux sur ses lèvres. "J'suis rentré…"

Il y avait tellement de courage dans ses yeux verts…

Le courage d'un homme.

Ginny déglutit. Elle sourit en retour et fit un pas en avant.

- Hé, Al…

Sa voix s'affermit. Elle parcourut rapidement les quelques mètres qui les séparaient et enveloppa l'adolescent dans ses bras. Elle enfouit son visage dans les boucles noires et respira son odeur, comme enivrée.

Il était là.

En vie.

Et peu importait qu'il lui manque une jambe, ça ne changeait rien à ce qu'il était pour elle.

Mon fils.

Elle sentait son cœur battre contre le sien, un peu haletant, comme s'il avait eu peur qu'elle le rejette. Elle resserra son étreinte férocement, s'aperçut qu'il était presque aussi grand qu'elle, maintenant.

- Tu m'as tant manqué, Minou…

Harry se détendit un instant, puis ses yeux se posèrent sur son autre fils et sa fille et il les implora silencieusement de trouver les bons mots.

Des larmes ruisselaient sur les joues de Lily, mais elle sourit quand leur mère se détacha d'Albus et courut vers lui.

- Bon retour à la maison, frangin ! s'écria-t-elle en lui sautant au cou.

Il faillit perdre l'équilibre, lâcha une béquille et entoura sa petite sœur d'un bras, avec un grand sourire. Terrence l'avait rattrapé par le coude, mais Lily le poussa en se glissant sous l'aisselle d'Albus pour le soutenir.

- Yo, dit celui-ci affectueusement. "Désolé, j'ai pas ramené de cadeau."

Il accepta le baiser qu'elle imprima sur sa joue sans faire la grimace, ébouriffa la frange rousse comme il en avait l'habitude.

- Mais j'ai des histoires à raconter, par contre.

- Cool, chuchota Lily en lui adressant un clin d'œil.

James se racla la gorge et les deux autres enfants Potter levèrent la tête et s'aperçurent qu'il s'était approché.

- T'en as mis du temps, pour rentrer, grommela l'aîné. "T'as manqué plein de séances d'entraînements."

Ron, Hermione, Ginny et Harry eurent le même regard alarmé et l'expression de Lily devint aussi dangereuse que celle de Scorpius, Terrence et Wendy qui surveillaient la scène.

Albus regarda son frère dans les yeux.

- Au moins j'étais pas en retenue, cette fois, dit-il simplement et son ton amusé allégea considérablement l'atmosphère. "T'inquiète pas, James. J'ai pas fini de jouer au Quidditch. Terrence a déjà une idée pour bricoler mon balai et, à mon avis, Dubois va vouloir l'adapter pour toute l'équipe."

James émit un grognement satisfait.

- 'kay, marmonna-t-il.

Il hésita, baissa les paupières en mordillant le coin de sa bouche.

- C'est bien… que tu sois là.

Il avait parlé si bas que même Lily n'était pas sure d'avoir compris ce qu'il disait.

Mais les yeux verts d'Albus s'illuminèrent et il leva sa main avec un sourire qui aurait pu expédier la locomotive dans les étoiles.

- Merci, frangin.

James haussa une épaule comme il le faisait toujours, l'air désabusé, mais il tapa dans la paume offerte et Albus ne s'y trompa pas.

La brise fit tourbillonner une tempête de pétales de fleurs de cerisier et le monde se remit à tourner, lentement.

Amelia et Francis se rapprochèrent timidement du groupe, Drago retint Astoria qui voulait s'élancer et toussota, l'air sévère.

Terrence pressa brièvement l'avant-bras d'Albus avant de se diriger vers ses parents et Scorpius se tourna vers Ron.

- Au-revoir, dit-il gravement.

L'homme roux lui rendit son regard sérieux et enleva son gant noir.

- A bientôt, répondit-il.

Ils échangèrent une poignée de main franche sous les yeux ébahis de Drago, puis l'Auror barbu sourit et indiqua Astoria du menton.

- On t'attend, Cadet Malefoy.

Scorpius hocha la tête et ses yeux gris se posèrent sur Hermione qui les contemplait avec émotion.

- Vous aussi, dit-il en fronçant ses sourcils sombres sous sa frange pâle. "Faites quelque chose, lieutenant-colonel Weasley."

Ron leva les yeux au ciel.

- C'est 'mon lieutenant', corrigea-t-il. "Allez, file. Et ne crois pas que ça te donne l'autorisation de flirter avec ma Rosie !"

Scorpius se permit une grimace dégoûtée puis il rejoignit ses parents.

Astoria le serra très fort dans ses bras, noyant un torrent de murmures soulagés dans les cheveux de son fils, puis elle s'écarta et Drago fit face à l'adolescent. Il le détailla pendant quelques minutes, comme s'il essayait de prendre note des blessures pour attaquer ensuite qui de droit, et Scorpius s'obligea à rester immobile, malgré le picotement inconfortable de la cicatrice invisible sous sa chemise, à la hauteur de son épaule.

Puis l'homme relâcha un long soupir.

- Tu m'as désobéi. Tu as quitté l'école pendant l'année scolaire, causé la mort d'un elfe et risqué ta vie. Sans demander aucune permission. Sans aucun égard pour le chagrin de ta mère.

Scorpius ravala la boule qui se formait dans sa gorge et ses yeux gris perle soutinrent le regard d'acier de son père.

- Je vous demande pardon, Père, dit-il fermement. "Je regrette de vous avoir causé de la peine, Mère."

La sincérité de sa voix disait aussi "mais j'ai fait ce que je croyais juste et je recommencerais s'il le faut."

Astoria sourit tendrement et Drago frotta ses tempes d'un air las.

- Qu'est-ce qu'on va faire de toi… murmura-t-il.

Scorpius leva le menton avec défi.

- Quelqu'un qui prendra de bonnes décisions… Père.

Pendant une seconde interminable, Malefoy ferma les paupières comme s'il allait exploser de colère. Quand il les rouvrit, les ombres de plus de vingt années dansaient dans ses yeux gris.

- Viens, dit-il seulement.

Scorpius fit un pas en avant, incertain.

Et Drago l'entoura de ses bras.

- J'ai tellement eu peur pour toi, chuchota l'homme quand il sentit les épaules de son fils se raidir. "Je te demande pardon, Scorpius. Je n'aurais jamais dû parler de te séparer de tes amis et de t'envoyer dans une autre école. Donne-moi une autre chance, s'il te plaît."

Scorpius respira profondément et ses mains se rejoignirent dans le dos de la redingote.

- Vous m'avez manqué, Papa… murmura-t-il.

Il oublia qu'il avait quatorze ans et qu'un Malefoy ne montrait pas ses émotions. Il enfouit son visage dans l'épaule de son père et s'abandonna comme lorsqu'il était petit. Le parfum d'Astoria et ses longs cheveux lui effleurèrent la nuque et il sut qu'elle était là aussi, étreignant ses deux hommes qui revenaient de si loin.

A quelques pas, Amelia s'était aussi jetée au cou de son fils et Francis n'avait eu qu'un bref moment d'hésitation avant de serrer Terrence contre lui avec soulagement. Puis ils s'étaient assis – laissés tomber, plutôt – tous les trois dans le banc public. Amélia tripotait le col du garçon, le palpait comme pour s'assurer qu'il était bien là, bien vivant, bien réel. Mais Francis avait repris un air grave.

- Plus jamais tu refais ça, dit-il sourdement.

Terrence repoussa doucement la main de sa mère, ses yeux bleus fixés sur son père.

- Je n'irais pas avec vous en Nouvelle-Zélande, dit-il d'un ton calme. "Je resterai en Angleterre et je continuerai mes études à Poudlard."

Il eut un bref mouvement quand Francis ouvrit la bouche pour protester, afficha un air impatient qui donna l'impression à sa mère qu'elle ne connaissait plus le jeune homme assis entre eux deux.

- Je suis désolé de vous avoir inquiétés. Je pensais qu'on pourrait vous écrire de là-bas. La prochaine fois, je m'y prendrais mieux.

- Tu comptes encore fuguer de l'école ? marmonna Francis, incrédule.

- Terri, chéri, tu sais… on… on pourrait… commença Amélia, désemparée.

Terrence secoua la tête et son expression s'adoucit.

- On rentre à la maison ? proposa-t-il à mi-voix.

Ce n'était pas encore le moment de leur parler du métier qu'il avait d'ores et déjà choisi, et des promesses qu'il s'était fait à lui-même.

Il se leva, se laissa prendre la main de bonne grâce, sourit à sa mère pour la rassurer. Son père l'observait silencieusement.

Peut-être qu'ils parleraient. Plus tard. Quand un peu de temps aurait passé, comme avant…

Il lança un coup d'œil en direction des Potter. James et Lily avaient pris la place des deux amis de chaque côté d'Albus. Ginny était collée contre Harry, mais surveillait attentivement son fils.

Ceux-là aussi auraient beaucoup à se dire, encore trop à accepter, si peu de temps pour refaire connaissance.

Tout avait changé.

Les enfants étaient devenus des adultes.

Et le quai de gare rempli d'un tourbillon de fleurs blanches comme des flocons de neige était une nouvelle page qui se tournait.

Ron se gratta la nuque d'un air un peu embarrassé.

- Je vous retrouve au Terrier tout à l'heure, après mon rapport, alors. Et… euh… Hermione ? Je pensais emmener Hugo au Phare d'Alexandrie, cet été… et… ben… euh. Y a une grande bibliothèque, là-bas.

- Je sais, dit Hermione.

Elle se mordilla les lèvres comme si elle débattait avec quelque chose à l'intérieur d'elle-même, pendant qu'il attendait sans oser la regarder.

- Rosie et moi avons bien besoin d'aller un peu à la plage, prendre le soleil, nous baigner, finit-elle par dire avec un faible sourire.

Ron hocha le menton et son visage eut exactement la même expression maladroite, heureuse et embarrassée, que lorsqu'il avait dix-sept ans.

- O-okay. Super. Cool.

La femme soupira en levant les yeux au ciel. Elle croisa le regard amusé d'Harry et elle sourit en retour.

C'était bien fini.

Comme autrefois, ils étaient tous les trois à la fin de toutes choses et au début d'une nouvelle ère.

Elle s'assura que son sac était bien pendu sur son épaule et fit volte-face, décidée à passer par son appartement avant de se rendre au Terrier. Retrouver Molly et Arthur et les voir faire face à Albus allait être éprouvant et elle voulait appeler Poudlard par cheminée, demander à Minerva si elle pouvait parler à ses enfants.

Elle faillit marcher sur les pieds de l'adolescente qui était juste derrière elle.

- Oh. Wendy. Désolée.

Elle jeta un coup d'œil aux alentours.

- Quelqu'un est venu te chercher, n'est-ce pas ?

La jeune fille inclina le menton en direction des arcades où se tenait un homme immense avec le crâne chauve traversé par une horrible cicatrice. Hermione fronça les sourcils : il ne ressemblait pas du tout à Wendy. Est-ce que c'était vraiment un membre de sa famille ? Son instinct refit surface.

- Tu veux que je te raccompagne ?

Wendy fit lentement non de la tête.

- Tout ira bien ? tenta de nouveau la femme en la scrutant avec affection.

- Oui.

L'adolescente se balança d'un pied sur l'autre, tirant sur une mèche de ses cheveux châtains. Ses paupières étaient baissées et une moue crispait sa bouche.

- Est-ce que… est-ce que je peux vous…

Hermione dut se pencher pour entendre et soudain deux bras passèrent autour de son cou. Elle s'immobilisa.

- Merci, chuchota brièvement Wendy avant de reculer et de se sauver.

La femme se redressa et la regarda rejoindre l'homme.

Elle n'avait pas eu le temps de rendre l'étreinte et son cœur se serra.

Wendy avait juste l'âge de Rose…

Elle aurait pu…

Peut-être qu'elle pourrait lui écrire, l'inviter pendant les vacances au Terrier… Abus serait sûrement enchanté…

Ces deux-là…

Elle sourit et se mit en marche vers la sortie de la gare après avoir salué les Potter. Les Malefoy et les Swanson étaient aussi en train de partir. Ron hésita, puis rattrapa Hermione en quelques enjambées et engagea la conversation.

Wendy les suivit des yeux, puis étouffa un petit rire.

- Qui est cette dame, Miss Wendy ? demanda le majordome à côté d'elle, en lui posant la main sur l'épaule.

- La tante d'Albus, répondit l'adolescente. "Elle est très gentille."

Elle leva les yeux et le soleil matinal étincela sur l'escarboucle à son sourcil gauche.

- Est-ce que maman est furieuse ? demanda-t-elle d'un ton détaché. "Qu'est-ce que mon père a dit ? J'espère qu'il ne veut pas encore que je fasse la lecture à tante Jane pendant des heures."

Ses doigts tortillaient le bord de son pull et l'homme au crâne couturé n'était pas dupe.

- Monsieur n'a rien dit, il était à Dubaï pendant quinze jours. Je ne pense pas qu'il soit au courant de votre… escapade.

Il s'accroupit devant elle et prit le menton obstiné dans une de ses mains calleuses.

- Madame… madame s'est fait beaucoup de souci, Miss Wendy. Elle a pleuré, aussi.

La jeune fille haussa les épaules.

- Elle va me dénoncer et je vais finir chez les Sœurs, grinça-t-elle. "Elle sera bien contente d'être débarrassée de moi."

Le majordome sourit doucement.

- Je ne crois pas, Miss Wendy. Madame a préparé votre chambre elle-même, et elle a donné des ordres au cuisinier pour qu'il fasse votre gâteau préféré.

Wendy détourna les yeux. Ses lèvres pincées tremblèrent.

- Venez, on rentre à la maison, ajouta l'homme aux larges épaules, ses yeux bleu clair remplis de confiance.

Elle renifla.

- C'était la guerre, là-bas, Barrie, souffla-t-elle, comme si soudain l'air s'échappait de sa poitrine.

Il hocha patiemment le menton.

Elle fit un pas de côté, comme hébétée. Le laissa attraper une de ses mains.

- Je me suis battue, tu sais. Comme un vrai soldat.

Elle était si pâle qu'il se rapprocha, de peur qu'elle ne tombe.

- C'est pas un crocodile qui t'a fait cette cicatrice, hein ? balbutia-t-elle.

- Non, Miss Wendy.

Elle hoqueta. La brise emmêlait ses cheveux châtains et collait des pétales blancs sur ses joues.

- C'est fini, maintenant, Miss Wendy. Vous êtes rentrée saine et sauve.

Elle tituba et noua ses bras autour du cou du géant qui l'enlaça délicatement.

- Pardon, Barrie… je ne savais pas…

- Vous avez été très courageuse, murmura-t-il en tapotant son dos pour l'apaiser. "Je suis si fier de vous…"

Il attendit qu'elle se redresse en s'essuyant le nez d'un revers de manche, puis rangea une mèche derrière l'oreille de la jeune fille et lui sourit.

- Allons manger ce gâteau, Miss Wendy. Nanette a préparé du thé pour vous requinquer et je sais qu'elle est sortie ce matin très tôt pour acheter du lait de soja, malgré les rhumatismes dont elle se plaint tant.

- C'est dans sa tête, pouffa l'adolescente malgré elle, ses joues brillantes de larmes.

- C'est dans sa tête en effet, acquiesça le majordome avec un clin d'œil discret. "Mais chut !"

Il se redressa et reprit son air digne en voyant s'approcher le père d'Albus.

- Bonjour, dit Harry en lui tendant la main.

L'homme au crâne rasé ne la prit pas, mais se mit au garde-à-vous.

- Major Peter Barrington, Sir, salua-t-il d'une voix forte.

L'Auror hésita un instant, puis porta aussi la main à son front.

- Colonel Potter. Heureux de vous rencontrer. Vous êtes de la famille de Wendy ?

- Oui, dit la jeune fille avant que le majordome ne puisse répondre. "Vous partez ?"

Harry jeta un coup d'œil en direction de sa famille.

- Oui, répondit-il. "La journée est loin d'être finie et Al a besoin de se reposer."

Il sourit.

- Toi aussi.

L'ancien légionnaire hocha vigoureusement le menton et Wendy gloussa.

- Alors… juste une seconde, s'il vous plaît.

Elle se faufila jusqu'aux Potter et se planta devant Albus.

- On se revoit à l'école, dit-elle.

Les yeux verts sourirent.

- Ouaip.

- Je t'attendrais, hein.

Albus pencha la tête de côté, très sérieux.

- Promis.

- Terrence et Scorpius aussi, ajouta-t-elle vivement.

A côté d'eux, James leva les yeux au ciel.

- Mon Dieu Que C'est Subtil, soupira Lily en croisant les bras.

Ginny étouffa son rire derrière sa main, étonnée de la vague de tendresse et de paix qu'elle sentait autour d'elle.

Wendy se dandina d'un pied sur l'autre.

- J'y vais, alors, dit-elle.

Mais elle ne bougea pas.

Les joues d'Albus s'empourprèrent, mais il n'hésita pas longtemps.

Il se pencha, soutenu par ses béquilles, et l'embrassa.

Barrie se racla la gorge et Harry lui adressa une grimace d'excuse. Le soleil baignait la gare d'une lumière éblouissante, faisant presque disparaître les deux adolescents qui avaient oublié qu'on les regardait. Le ciel bleu était grand au-dessus des toits de Londres et le printemps remplissait les rues d'un parfum acidulé chargé de promesses.

 

oOoOoOo

 

Les veilleuses donnaient une teinte bleutée au couloir familier du premier étage. Tout était calme.

Par la porte entrouverte de la première pièce, Harry pouvait voir James en train d'astiquer son balai, assis en tailleur sur la chaise devant son bureau encombré. Un souafle ensorcelé rebondissait tranquillement contre les murs couverts de posters de Quidditch et de photos de filles. Un peu plus loin, le battant laissait entrevoir Lily allongée à plat-ventre sur son lit, plongée dans un bouquin. La lampe en forme de lune qui pendait au-dessus de sa tête tournait lentement sur elle-même au bout du fil argenté.

Dans la chambre des parents, Ginny brossait ses cheveux auburn, vêtue du déshabillé vert pâle qu'Harry trouvait si troublant sur sa peau de porcelaine. Elle souriait dans le vague, puis fronçait les sourcils, fixait quelque chose d'invisible, soupirait. Elle devait débriefer en silence la journée, comme elle en avait l'habitude. Il avait hâte de la rejoindre, de s'allonger à côté d'elle et de se sentir – enfin – à la maison.

Il posa la main sur le loquet de la dernière porte.

Albus avait tenu bon toute la journée, souriant courageusement et se laissant dorloter par ses grands-parents. Il était monté très vite après le souper – avec l'aide de son frère et de sa sœur.

Et maintenant il était de l'autre côté de cette porte fermée, comme coupé du reste du monde, et Harry se demandait s'il sanglotait dans le silence, comme lorsqu'il avait découvert qu'il avait perdu sa jambe.

Il prit une grande respiration et tourna le loquet.

Qui résista.

Il plia un sourcil, chercha sa baguette dans la poche arrière de son jean.

- Alohomora.

La serrure ne frémit même pas.

Harry réfléchit quelques instants, puis tenta un autre sortilège, plus avancé.

La porte était bien fermée – suffisamment pour qu'un sorcier du niveau des ASPICS ne puisse pas entrer, du moins.

Il essaya autre chose et eut un petit soupir de soulagement en entendant craquer le verrou. Pendant un instant, il avait cru qu'en mourant le dragon avait transmis à Albus une magie bien au-delà de celle d'un Auror.

Il poussa doucement la porte, entra sur la pointe des pieds.

Son cœur s'arrêta.

Le lit était vide. Les béquilles étaient appuyées contre le bureau bien rangé et la couette n'était même pas froissée.

- Albus ?

Un souffle courut dans ses cheveux et il leva la tête.

Le plafond était de nouveau enchanté, comme celui de la Grande Salle de Poudlard, comme lorsque les adultes s'étaient unis pour transformer en conte de fée la chambre d'un petit garçon mourant, des années auparavant.

Des milliers d'étoiles tombaient vers lui, comme des perles dans un étang noir.

- Albus ? chuchota Harry, cherchant la poutre où Crocmou avait l'habitude de se percher avec son fils.

Deux yeux verts fendus d'or s'ouvrirent dans l'obscurité.

"Il dort, Père."

Harry tressaillit violemment.

- Tu es en vie ! lâcha-t-il dans un souffle.

Maintenant il pouvait le distinguer. Le dragon était accroupi sur la poutre, les pattes recourbées sous son jabot de fourrure satinée, ses ailes aux plumes noires gonflées et sa queue en forme d'as de pique faisait des vagues dans l'océan d'étoiles, comme à cette époque.

"Je ne suis jamais mort."

La voix dans sa tête était presque amusée.

"C'est bien que tout le monde l'aie cru. Le ministère laissera Albus tranquille."

L'homme avala sa salive.

- Terrence, Scorpius, Wendy… Charlie aussi l'a cru, reprocha-t-il. "Albus était incapable de te faire revenir. Il…"

La tête sombre du dragon s'inclina vers lui et il vit luire les crocs pendant un instant.

"Non. Garder le secret était sa décision, Père."

Harry s'efforça de calmer sa respiration.

- Tu es indemne. Et lui, il a perdu sa jambe, dit-il durement.  "Ce n'est qu'un enfant. Fais quelque chose. Rends-lui sa vie d'avant. Comment peut-il retourner à l'école, faire face à tous ces regards, aux rumeurs, dans cet état ?"

Le souffle chaud, irrité, jeta ses cheveux contre ses lunettes. Il ne bougea pas, le regard accusateur. Il avait tant souffert d'être différent, du stigmate qu'était sa cicatrice, des voix qui chuchotaient dans son dos quand il s'était évanoui face aux détraqueurs.

"Je ne peux pas. Albus a choisi de payer le prix pour sauver le cœur de l'Anghenfil et celui du vieil homme égaré dans le noir. Ce n'était pas mon aile que broyaient les crocs du dragon. C'était son corps, parce que c'était lui – de toute son âme – qui l'affrontait."

Harry avala sa salive. Sa gorge était tellement sèche que le mouvement de déglutition lui fit mal.

Les yeux verts fendus d'or se posèrent sur lui dans la nuit magique du plafond et il eut l'impression qu'ils voyaient – qu'ils savaient – tout de lui.

"Ce n'est plus un enfant."

 L'homme serra le poing sur sa baguette.

- Pour moi, ce sera toujours un enfant !

Les ailes du dragon froufroutèrent quand elles se déployèrent lentement. La créature magique descendit souplement de son perchoir et se dressa face à l'Auror, majestueuse.

- Rends-moi mon fils, siffla Harry entre ses dents.

L'énorme tête noire s'approcha de lui et le front soyeux du dragon s'appuya contre le torse de l'homme.

Et il sentit comme une vague la paix et la tendresse qui le submergeaient, plus fortes que ses doutes, que sa rancune, que ses souvenirs.

"Je suis là, Père."

Il entendait battre son cœur et celui du dragon, dans le silence. En fermant les yeux, il eut l'impression de serrer contre lui son garçon de quinze ans.

Oh, Albus…

Il rouvrit les paupières et caressa le cou du dragon qui ne bougeait pas, ronronnant doucement.

- Je garderai le secret, puisque c'est sa décision. Mais tu prendras soin de lui, Crocmou ? Tu ne l'abandonneras pas ? Il fait preuve de bravoure, mais je sais qu'il souffre et qu'il a peur, qu'il s'oublie souvent par amour pour les autres. Tu ne le laisseras pas combattre seul, ni pleurer à l'écart, n'est-ce pas ? Tu l'aideras à ne pas oublier qu'il ne peut pas tout faire ? Rappelle-lui que ce n'est pas grave d'échouer, de se tromper, de recommencer. Dis-lui qu'il a le droit d'être heureux…

Il pressa son front contre celui du dragon, comme pour lui communiquer tout ce qu'il n'arrivait pas à exprimer.

- Je t'en prie, Crocmou. Veille sur lui.

Les yeux verts fendus d'or plongèrent dans les siens et les grandes ailes l'enveloppèrent dans un cocon de plumes d'ébène.

"Je te le promets."

Le vent emportait une nuée de pétales blancs dans la nuit, parsemant de flocons légers la plaine paisible, comme si la neige tombait au printemps.

 

Ceci était officiellement le dernier chapitre.

Mais si vous tournez la page - lundi soir, promis - vous trouverez l'épilogue... dans lequel Albus trouve l'autre tableau de Severus...)

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