Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 31 : Silences suspendus

900 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/11/2025 20:06

Toit de l’école – Une fin de soirée


L’air est tiède, traversé d’un souffle de printemps. Le soleil s’efface lentement derrière les montagnes, et les toits de l’école se teintent d’un cuivre doux. Les lampadaires du jardin viennent de s’allumer, projetant des halos laiteux sur les pierres et les haies taillées. L’odeur du bois chauffé par le jour flotte encore, mêlée à celle du riz qu’on prépare au réfectoire.

Gojo est assis sur la rambarde du toit, les jambes dans le vide. Les derniers reflets du jour s’accrochent à ses cheveux blancs comme à un fil d’argent. Ses lunettes sont remontées sur son front, ses yeux perdus quelque part vers la ligne des collines. Sous lui, les terrains d’entraînement se vident lentement : quelques silhouettes d’élèves s’éloignent, leurs rires fondus dans le vent. Il ne les regarde pas.


Derrière lui, un grincement de porte. Megumi monte les marches, sa silhouette découpée sur la lumière dorée du couloir. Il s’avance sans un mot, s’assied dos à Gojo, à quelques mètres, dans cette proximité tranquille de ceux qui n’ont plus besoin de se parler pour se comprendre.

Le vent frôle les rambardes, soulève doucement le pan du manteau de Gojo. Des feuilles s’envolent, tournent, avant de retomber sur les tuiles.


Gojo ne se retourne pas. Sa voix, basse, un peu rauque, fend la douceur du soir :

— Tu dors pas non plus, hein ? J’ai vu tes cernes…


Megumi esquisse un sourire fatigué.

— Pas quand les souvenirs se mélangent.

Un silence. Le ciel s’obscurcit peu à peu, basculant du safran à l’encre. Les premiers insectes bruissent dans les herbes.


— Tu te rappelles de ce que j’ai dit, après la Lisière du Supplice ? Après… Tout ça…

“J’ai vu Sukuna. Et j’ai perdu. T'étais là et pas là en même temps”

Gojo dit ça calmement, presque comme on raconte un souvenir déjà usé. Les mots tombent, se mêlent au souffle du vent.

— …Tu sais ce que je me demande, Megumi ?


Le jeune homme fronce légèrement les sourcils.

— Tu te demande si t’as vraiment perdu ?


Gojo esquisse un sourire sans joie. Sa main serre la rambarde, le métal gémit sous la pression.

— Si j’ai vraiment combattu. …Si c’était moi. Si c’était réel.

Le bruissement des arbres remplit le silence. Une lampe du dojo clignote, vacille, puis s’éteint.

Gojo glisse la main dans sa poche et en sort un petit morceau de papier froissé. Un ticket de métro, jauni, plié plusieurs fois. La lumière dorée du soir s’y reflète à peine.

— Je l’ai trouvé dans ma veste. Station Shibuya… Il y a deux ans et demi… Je cherche toujours à comprendre…

Il le contemple longuement.

— Ce jour-là… je n’ai jamais pris le métro...


Megumi tourne la tête, intrigué.

— C’est peut-être un oubli. Tu sortais à peine de…


— …Tu crois que je suis du genre à oublier un combat où je meurs ? Puis plus bas. {Et toi aussi d’ailleurs…}

La réplique est sèche, mais pas agressive. Juste trop lucide. Gojo relève légèrement la tête, les yeux perdus vers les montagnes où le soleil s’éteint.


Megumi pivote vers lui, l’air plus grave. Le regard un peu perdu.

— T’as des souvenirs flous aussi ?


Gojo laisse échapper un rire bref, presque douloureux.

— J’ai des images. Des cris. Des couleurs. Mais pas de logique. Et surtout… pas de corps.

Le mot claque dans l’air tiède.


Megumi reste muet, blême.

— Les corps… des victimes. De Jogo. De Mahito… Y’avait… plus rien. Pas même une trace d’énergie. Il baisse la voix.

…Comme si tout avait été lavé.


Gojo secoue la tête, lentement.

— Pas lavé, Megumi… Son regard se fixe sur le ciel, désormais violet profond.

…Comme si tout avait été projeté.

Enfin, il se tourne entièrement vers lui. Son visage est calme, mais ses yeux brillent d’une inquiétude que Megumi ne lui a jamais vue.

— Et si on avait été enfermés ? Pas dans un domaine. Dans quelque chose de plus vaste. Un territoire ouvert… tellement immense qu’on n’a même pas senti les murs ?


Megumi garde le silence. Une brise soulève les feuilles des cerisiers, les fait tournoyer entre eux.

— Tu penses à… Raku’en ?


Gojo ferme les yeux, soupire longuement.

— On l’a prise pour une nuisance. Une ombre de plus. Mais elle était là. Discrète. Silencieuse. J’en suis de plus en plus convaincu… Il regarde encore le ticket, le froisse lentement dans sa paume.

…Et peut-être que pendant qu’on affrontait Sukuna et Kenjaku… c’est elle qui écrivait le scénario.


Un vent plus fort souffle, emportant le papier hors de sa main. Le ticket s’envole, tournoyant au-dessus du toit avant de disparaître dans le crépuscule.


Les deux silhouettes restent immobiles, baignées d’une lumière violette. Les voix du réfectoire s’éteignent au loin. Et dans cette soirée suspendue, une seule évidence persiste :

ce qu’ils ont cru comprendre du combat n’était peut-être qu’un souvenir emprunté.


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